Etat d’accueil - non respect du droit du travail - sanctions automatiques, non modulables et non proportionnées - entrave à la libre prestation de services oui

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

12 septembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 56 TFUE – Libre prestation des services – Détachement de travailleurs – Conservation et traduction de la documentation salariale – Autorisation de travail – Sanctions – Proportionnalité – Amendes d’un montant minimum prédéfini – Cumul – Absence de plafond – Frais de justice – Peine privative de liberté de substitution »

Dans les affaires jointes C‑64/18, C‑140/18, C‑146/18 et C‑148/18,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche), par décisions du 25 janvier 2018 (C‑64/18), du 31 janvier 2018 (C‑140/18) et du 16 février 2018 (C‑146/18 et C‑148/18), parvenues à la Cour le 1er février 2018 (C‑64/18), le 22 février 2018 (C‑140/18) et le 23 février 2018 (C‑146/18 et C‑148/18), dans les procédures

Zoran Maksimovic (C‑64/18),

Humbert Jörg Köfler (C‑140/18, C‑146/18 et C‑148/18),

Wolfgang Leitner (C‑140/18 et C‑148/18),

Joachim Schönbeck (C‑140/18 et C‑148/18),

Wolfgang Semper (C‑140/18 et C‑148/18)

contre

Bezirkshauptmannschaft Murtal,

en présence de :

Finanzpolizei,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme C. Toader, présidente de chambre, MM. L. Bay Larsen (rapporteur) et M. Safjan, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 mai 2019,

considérant les observations présentées :

– pour M. Maksimovic, par Mes R. Grilc, R. Vouk, M. Škof, M. Ranc et S. Grilc, Rechtsanwälte,

– pour MM. Köfler, Leitner, Schönbeck et Semper, par Mes E. Oberhammer et P. Pardatscher, Rechtsanwälte,

– pour la Finanzpolizei, par M. B. Schlögl, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil et J. Pavliš ainsi que par Mme L. Dvořáková, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement croate, initialement par M. T. Galli, puis par Mme M. Vidović, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér, G. Tornyai et G. Koós, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement slovène, par Mmes A. Grum et J. Morela, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. M. Kellerbauer, L. Malferrari et H. Krämer, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 56 TFUE, des articles 47 et 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), ainsi que de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L 159, p. 11).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant MM. Zoran Maksimovic, Humbert Jörg Köfler, Wolfgang Leitner, Joachim Schönbeck et Wolfgang Semper à la Bezirkshauptmannschaft Murtal (autorité administrative du district de Murtal, Autriche), au sujet des amendes qui leur ont été infligées par cette dernière pour diverses violations de dispositions en matière de droit du travail autrichien.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2006/123/CE

3 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36) :

« La présente directive ne s’applique pas au droit du travail, à savoir les dispositions légales ou contractuelles concernant les conditions d’emploi, les conditions de travail, y compris la santé et la sécurité au travail, et les relations entre les employeurs et les travailleurs, que les États membres appliquent conformément à leur législation nationale respectant le droit communautaire. Elle n’affecte pas non plus la législation des États membres en matière de sécurité sociale. »

La directive 2014/67

4 L’article 23, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/67 prévoit :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 18 juin 2016. Ils en informent immédiatement la Commission. »

Le droit autrichien

5 L’article 7d de l’Arbeitsvertragsrechts-Anpassungsgesetz (loi portant adaptation de la législation en matière de contrats de travail, BGBl., 459/1993), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« AVRAG »), prévoit :

« 1. Pendant toute la durée du détachement [...], les employeurs [...] doivent être en possession, sur le lieu du travail (ou sur le lieu d’intervention) des documents suivants en langue allemande : contrat de travail ou fiche de service [...], fiche de salaire, preuves du paiement des salaires [...], afin qu’il puisse être vérifié que le travailleur détaché bénéficie, pour la durée de l’emploi, du salaire qui lui est dû conformément aux dispositions légales [...]

2. En cas de mise à disposition transfrontalière de main-d’œuvre, cette obligation d’être en possession de tous les documents relatifs aux salaires incombe à l’entreprise nationale utilisatrice. L’entreprise d’origine des travailleurs mis à disposition doit fournir à l’entreprise utilisatrice, de façon vérifiable, les documents relatifs aux salaires.

[...] »

6 L’article 7i, paragraphe 4, de l’AVRAG est rédigé comme suit :

« Quiconque

1. en qualité d’employeur [...] ne tient pas à disposition la documentation salariale en violation de l’article 7d, ou

2. en qualité d’entreprise d’origine, en cas de mise à disposition transfrontalière de main-d’œuvre, ne fournit pas à l’entreprise utilisatrice, de façon vérifiable, les documents relatifs aux salaires, en violation de l’article 7d, paragraphe 2, ou

3. en qualité d’entreprise utilisatrice, en cas de mise à disposition transfrontalière de main-d’œuvre, n’est pas en possession des documents relatifs aux salaires, en violation de l’article 7d, paragraphe 2,

commet une infraction administrative passible d’une amende prononcée par l’autorité administrative de district d’un montant de 1 000 à 10 000 euros par travailleur concerné, et, en cas de récidive, de 2 000 à 20 000 euros, et, lorsque plus de trois travailleurs sont concernés, d’un montant de 2 000 à 20 000 euros par travailleur concerné, et, en cas de récidive, de 4 000 à 50 000 euros. »

7 L’article 28, paragraphe 1, de l’Ausländerbeschäftigungsgesetz (loi sur l’emploi des étrangers, BGBl. 218/1975), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« AuslBG »), est libellé comme suit :

« Pour autant que le fait ne constitue pas un acte punissable relevant de la compétence des cours et tribunaux (article 28c), commet une infraction administrative, qu’il appartient à l’autorité administrative de district de sanctionner,

1. toute personne qui,

a) en violation de l’article 3, emploie un travailleur étranger pour lequel aucune autorisation de travail n’a été délivrée [...]

[...]

cette infraction est sanctionnée, en cas d’emploi non autorisé d’un maximum de trois travailleurs étrangers, pour chaque travailleur étranger employé sans autorisation, par une amende de 1 000 à 10 000 euros, en cas de première ou de nouvelle récidive, par une amende de 2 000 à 20 000 euros, en cas d’emploi non autorisé de plus de trois travailleurs étrangers, pour chaque étranger employé sans autorisation, par une amende de 2 000 à 20 000 euros, en cas de première ou de nouvelle récidive, par une amende de 4 000 à 50 000 euros ;

[...] »

8 L’article 52, paragraphes 1 et 2, du Verwaltungsgerichtsverfahrensgesetz (loi sur la procédure du contentieux administratif, BGBl. I, 33/2013), dans sa version applicable au litige au principal, est libellé comme suit :

« 1. Dans tout jugement du tribunal administratif confirmant une décision sanctionnant une infraction administrative, le tribunal fixe une contribution aux dépens qui devra être acquittée par l’auteur de l’infraction sanctionnée.

2. Cette contribution est fixée, en matière de procédure de recours, à 20 % de la sanction prononcée, sans toutefois pouvoir être inférieure à dix euros ; lorsque la sanction consiste en une peine privative de liberté, une journée de privation de liberté équivaut, aux fins du calcul des dépens, à un montant de 100 euros. [...] »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

9 Le 23 mars 2014, une explosion a eu lieu dans l’usine de Zellstoff Pöls AG, située à Pöls (Autriche), entraînant la destruction d’une grande partie de la chaudière de récupération.

10 Par contrat du 11 juillet 2014, Zellstoff Pöls a confié à Andritz AG, établie en Autriche, les travaux de réparation et de remise en fonction du système de chaudière.

11 Le 27 août 2014, Andritz a chargé Bilfinger Duro Dakovic Montaza d.o.o. (ci‑après « Bilfinger »), établie en Croatie, du démontage et du montage mécanique de la chaudière. Cette dernière a détaché, pour l’exécution de ces travaux, des travailleurs en Autriche, pour lesquels des confirmations de détachement ont été établies par les autorités autrichiennes compétentes.

12 Bilfinger n’ayant pu respecter la date d’achèvement des travaux, fixée au 25 août 2015, Bilfinger et Andritz sont convenus que Brodmont d.o.o., établie en Croatie, interviendrait en remplacement pour achever les travaux initialement confiés à Bilfinger. Un contrat en ce sens a été conclu le 11 septembre 2015.

13 Entre le 14 septembre 2015 et le 30 octobre 2015, 217 travailleurs sont intervenus sur le chantier en cause au principal pour Brodmont, cette dernière société ayant repris l’ensemble des travailleurs employés par Bilfinger sur ce chantier.

14 Les 27 septembre, 13 octobre et 28 octobre 2015, la Finanzpolizei (police financière, Autriche) a procédé à des contrôles sur ledit chantier, à l’occasion desquels l’ensemble des documents relatifs aux salaires de chacun de ces 217 travailleurs n’a pu lui être présenté.

15 Sur la base des constats effectués par la police financière lors desdits contrôles, l’autorité administrative du district de Murtal a infligé des sanctions administratives aux requérants au principal. Cette autorité a estimé qu’était en cause non pas un détachement de travailleurs, mais une mise à disposition transfrontalière de main-d’œuvre de Brodmont à Andritz. En revanche, il ressort des décisions de renvoi qu’il ne leur a pas été reproché d’avoir manqué à leurs obligations relatives au versement de la rémunération minimale.

16 Par décision du 19 avril 2017, l’autorité administrative du district de Murtal a infligé une amende d’un montant total de 3 255 000 euros à M. Maksimovic, gérant de Brodmont. Elle a considéré que Brodmont avait manqué à son obligation, en sa qualité d’entreprise d’origine des 217 travailleurs mis à disposition, de fournir à Andritz, la société utilisatrice, les documents salariaux de ces travailleurs, prévue à l’article 7d de l’AVRAG.

17 Par décisions des 25 avril et 5 mai 2017, ladite autorité a également infligé des amendes d’un montant respectif de 2 604 000 euros et de 2 400 000 euros à chacun des quatre membres du directoire d’Andritz, à savoir MM. Köfler, Leitner, Schönbeck et Semper, en raison du non-respect de certaines obligations, prévues à l’article 7d de l’AVRAG et à l’article 28, paragraphe 1, point 1, sous a), de l’AuslBG, combiné à l’article 3, paragraphe 1, de l’AuslBG, relatives à la conservation de documents salariaux qui incombaient à cette société en sa qualité d’entreprise utilisatrice desdits travailleurs ainsi qu’à l’obtention d’autorisations administratives pour 200 travailleurs croates, serbes ou bosniens. La juridiction de renvoi précise que ces amendes seront converties, en cas de non-recouvrement de leur montant, en des peines privatives de liberté d’une durée de 1 736 jours et de 1 600 jours respectivement.

18 Les destinataires de ces sanctions ont introduit un recours contre ces décisions devant la juridiction de renvoi.

19 Cette juridiction éprouve avant tout des doutes sur la conformité au principe du droit de l’Union de la proportionnalité des sanctions d’une réglementation, telle que celle en cause au principal, qui, si elle laisse aux juridictions une certaine marge d’appréciation dans la détermination de la sanction, réduit fortement cette marge d’appréciation en raison de la combinaison du principe du cumul, de l’existence de circonstances affectant le taux de l’amende et du taux élevé de l’amende minimale, de sorte que, même lorsque l’amende infligée est la plus basse de celles qu’il est possible de prononcer, son montant global demeure très élevé.

20 Ensuite, la juridiction de renvoi souhaite savoir si la possibilité de prononcer une peine de plusieurs années de prison, en cas de non-paiement d’une amende, pour sanctionner une infraction administrative commise par négligence, est conforme audit principe de proportionnalité.

21 Cette juridiction précise enfin que, en cas de rejet du recours, en application de l’article 52, paragraphe 2, de loi sur la procédure du contentieux administratif, dans sa version applicable au litige au principal, la contribution aux frais de procédure qui serait imposée aux requérants s’élèverait à un montant équivalent à 20 % de l’amende infligée.

22 Dans ce contexte, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

Dans l’affaire C‑64/18 :

« 1) L’article 56 TFUE ainsi que la [directive 96/71] et la [directive 2014/67] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une norme nationale qui prévoit, en cas de manquements à des obligations formelles applicables en matière d’emploi transfrontalier de main-d’œuvre – tels que le non-respect, par l’entreprise d’origine des travailleurs mis à disposition, de son obligation de fournir à l’entreprise utilisatrice les documents relatifs aux salaires – des amendes administratives d’un montant très élevé, en particulier des amendes minimales élevées prononcées de façon cumulative pour chaque travailleur concerné ?

2) S’il n’est pas répondu à la première question par l’affirmative :

L’article 56 TFUE ainsi que la [directive 96/71] et la [directive 2014/67] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, en cas de manquements à des obligations formelles applicables en matière d’emploi transfrontalier de main-d’œuvre, à ce que des amendes administratives cumulatives puissent être prononcées sans limite maximale absolue ? »

Dans l’affaire C‑140/18 :

« 1) L’article 56 TFUE ainsi que la [directive 96/71] et la [directive 2014/67] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une norme nationale qui prévoit, en cas de manquements à des obligations formelles applicables en matière d’emploi transfrontalier de main-d’œuvre – tels que le non-respect, par l’entreprise d’origine des travailleurs mis à disposition, de son obligation de fournir à l’entreprise utilisatrice les documents relatifs aux salaires – des amendes administratives d’un montant très élevé, en particulier des amendes minimales élevées prononcées de façon cumulative pour chaque travailleur concerné ?

2) S’il n’est pas répondu à la première question par l’affirmative :

L’article 56 TFUE ainsi que la [directive 96/71] et la [directive 2014/67] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, en cas de manquements à des obligations formelles applicables en matière d’emploi transfrontalier de main-d’œuvre, à ce que des amendes administratives cumulatives puissent être prononcées sans limite maximale absolue ?

3) S’il n’est pas répondu à la première ou à la deuxième question par l’affirmative :

L’article 49, paragraphe 3, de la [Charte] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une norme nationale qui, pour des infractions commises par négligence, prévoit, sans les assortir de limites, des sanctions pécuniaires d’un montant élevé et, en cas de non-paiement, des peines privatives de liberté de plusieurs années ? »

Dans l’affaire C‑146/18 :

« Les articles 47 et 49 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une norme nationale qui prévoit que la contribution aux dépens de la procédure de recours contentieux s’élève obligatoirement à 20 % de la sanction prononcée ? »

Dans l’affaire C‑148/18 :

« L’article 49, paragraphe 3, de la [Charte] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une norme nationale qui, pour des infractions commises par négligence, prévoit, sans les assortir de limites, des amendes administratives d’un montant élevé, en particulier des sanctions minimales élevées, et, en cas de non-paiement, des peines privatives de liberté de plusieurs années ? »

23 Par décisions du président de la Cour, les affaires C‑64/18, C‑140/18, C‑146/18 et C‑148/18 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur les questions préjudicielles

24 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE, les articles 47 et 49 de la Charte, la directive 96/71 ainsi que la directive 2014/67 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, prévoyant, en cas de non-respect d’obligations en matière de droit du travail relatives à l’obtention d’autorisations administratives et à la conservation de documents salariaux, l’imposition d’amendes :

– qui ne peuvent être inférieures à un montant prédéfini ;

– qui sont imposées de manière cumulative pour chaque travailleur concerné et sans plafond ;

– auxquelles s’ajoute une contribution aux frais de procédure à hauteur de 20 % de leur montant en cas de rejet du recours introduit à l’encontre de la décision les imposant, et

– qui sont converties en des peines privatives de liberté en cas de non-paiement.

Observations liminaires

25 Il convient de relever d’emblée qu’il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que la réglementation nationale en cause au principal ne détermine pas directement les conditions de travail et d’emploi applicables en vertu de la législation autrichienne, mais vise à ce que soit garantie l’efficacité des contrôles pouvant être opérés par les autorités autrichiennes compétentes afin d’assurer le respect de ces conditions.

26 Or, la Cour a déjà jugé que de telles mesures de contrôle ne relèvent pas du champ d’application de la directive 96/71, celle-ci visant à coordonner les réglementations nationales matérielles relatives aux conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés, indépendamment des règles administratives accessoires destinées à permettre la vérification du respect de ces conditions (arrêt du 3 décembre 2014, De Clercq e.a., C‑315/13, EU:C:2014:2408, point 47).

27 Il ressort également des décisions de renvoi que les faits en cause au principal se sont déroulés entre les mois de septembre et d’octobre 2015. Il s’ensuit que la directive 2014/67, dont le délai de transposition expirait, conformément à son article 23, le 18 juin 2016 et qui a été transposée en droit autrichien par une loi adoptée au mois de juin 2016 entrée en vigueur le 1er janvier 2017, n’est pas applicable à ceux-ci (voir, par analogie, arrêt du 13 novembre 2018, Čepelnik, C‑33/17, EU:C:2018:896, point 27).

28 Enfin, et alors que certains intéressés ayant déposé des observations devant la Cour ont soutenu que celle-ci devrait également fonder sa réponse aux questions préjudicielles sur la directive 2006/123, il convient de rappeler que, conformément à son article 1er, paragraphe 6, cette directive n’est pas applicable à l’établissement, par une réglementation nationale, de mesures dissuasives aux fins de garantir le respect de règles de fond en matière de droit du travail (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2018, Čepelnik, C‑33/17, EU:C:2018:896, points 29 à 35).

29 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les directives 96/71, 2014/67 et 2006/123 ne sont pas pertinentes pour répondre aux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi.

Sur la restriction à la libre prestation des services

30 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, doivent être considérées comme des restrictions à la libre prestation des services toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté. En outre, l’article 56 TFUE confère des droits non seulement au prestataire de services lui-même, mais également au destinataire desdits services (arrêt du 13 novembre 2018, Čepelnik, C‑33/17, EU:C:2018:896, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée).

31 Par ailleurs, la Cour a jugé qu’une réglementation nationale prévoyant, dans le cadre d’un détachement de travailleurs, l’obligation d’établir et de tenir des documents sociaux et de travail dans l’État membre d’accueil est susceptible d’entraîner des frais et des charges administratives et économiques supplémentaires pour les entreprises établies dans un autre État membre et, partant, constitue une restriction à la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêts du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C‑369/96 et C‑376/96, EU:C:1999:575, points 58 et 59 ; du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C‑490/04, EU:C:2007:430, points 66 à 69, ainsi que du 7 octobre 2010, dos Santos Palhota e.a., C‑515/08, EU:C:2010:589, points 42 à 44).

32 S’agissant du détachement de travailleurs d’un État tiers par une entreprise prestataire de services établie dans un État membre de l’Union, la Cour a jugé qu’une réglementation nationale qui subordonne la fourniture de prestations de services sur le territoire national, par une entreprise établie dans un autre État membre, à la délivrance d’une autorisation administrative constitue une restriction à la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE (arrêt du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a., C‑18/17, EU:C:2018:904, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

33 Ainsi, force est de constater qu’une réglementation nationale prévoyant des sanctions à l’égard tant du prestataire de services que du destinataire de services concernés en cas de non-respect de telles obligations qui, par elles-mêmes, constituent des restrictions à la libre prestation des services, est susceptible de rendre moins attrayant l’exercice d’une telle liberté.

34 Par conséquent, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction à la libre prestation des services.

Sur la justification de la restriction à la libre prestation des services

35 Il résulte d’une jurisprudence de la Cour bien établie que les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité FUE peuvent néanmoins être admises dès lors qu’elles répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles sont propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et qu’elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 13 novembre 2018, Čepelnik, C‑33/17, EU:C:2018:896, point 42 et jurisprudence citée).

36 En l’occurrence, le gouvernement autrichien considère que la restriction à la libre prestation des services en cause au principal est justifiée par les objectifs de protection sociale des travailleurs ainsi que de lutte contre la fraude, notamment sociale, et de prévention des abus.

37 Il y a lieu de relever, à cet égard, que la protection sociale des travailleurs ainsi que la lutte contre la fraude, notamment sociale, et la prévention des abus sont des objectifs figurant au nombre des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services (arrêt du 13 novembre 2018, Čepelnik, C‑33/17, EU:C:2018:896, point 44).

38 Dans ce contexte, une réglementation telle que celle en cause au principal, qui prévoit des sanctions en cas d’infraction à des obligations en matière de droit du travail visant à réaliser ces objectifs, peut être considérée comme étant apte à garantir le respect de telles obligations et, partant, la réalisation des objectifs poursuivis.

39 À cet égard, s’agissant de la nécessité d’une restriction à la libre prestation des services telle que celle en cause au principal, il convient de rappeler que la rigueur de la sanction imposée doit être en adéquation avec la gravité de l’infraction qu’elle vise à sanctionner. En outre, les mesures administratives ou répressives permises par une législation nationale ne doivent pas excéder les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par cette législation (voir, par analogie, arrêt du 31 mai 2018, Zheng, C‑190/17, EU:C:2018:357, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

40 Dans ce contexte, il importe, en premier lieu, de relever qu’une réglementation telle que celle en cause au principal a pour objet de sanctionner le non-respect d’exigences en matière de droit du travail relatives à l’obtention d’autorisations administratives et à la conservation de documents salariaux.

41 En deuxième lieu, il convient, certes, de relever qu’une réglementation prévoyant des sanctions dont le montant varie en fonction du nombre de travailleurs concernés par le non-respect de certaines obligations en matière de droit du travail n’apparaît pas, en soi, comme étant disproportionnée (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2015, Chmielewski, C‑255/14, EU:C:2015:475, point 26).

42 Cela étant, la combinaison du montant élevé des amendes prévues pour sanctionner le non-respect de telles obligations avec le cumul sans plafond de ces amendes lorsque l’infraction concerne plusieurs travailleurs peut aboutir à l’imposition de sanctions pécuniaires d’un montant considérable, pouvant s’élever, comme en l’occurrence, à plusieurs millions d’euros.

43 En outre, la circonstance que de telles amendes ne peuvent, en tout état de cause, être inférieures à un montant prédéfini est susceptible de permettre l’imposition de telles sanctions dans des cas où il n’est pas établi que les faits reprochés présentent une gravité particulière.

44 En troisième lieu, la juridiction de renvoi précise que, conformément à la réglementation nationale en cause au principal, en cas de rejet du recours introduit à l’encontre de la décision imposant une telle sanction par le destinataire de celle‑ci, ce dernier devra s’acquitter d’un montant équivalent à 20 % de cette sanction à titre de contribution aux frais de procédure.

45 En quatrième lieu, il ressort des décisions de renvoi que la réglementation en cause au principal prévoit, en cas de non-paiement de l’amende infligée, l’imposition d’une peine privative de liberté de substitution, laquelle présente un caractère particulièrement sévère au regard des conséquences qui en résultent pour la personne concernée (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 1980, Pieck, 157/79, EU:C:1980:179, point 19 ; du 29 février 1996, Skanavi et Chryssanthakopoulos, C‑193/94, EU:C:1996:70, point 36, et du 26 octobre 2017, I, C‑195/16, EU:C:2017:815, point 77).

46 Au vu de ces éléments, une réglementation telle que celle au principal n’apparaît pas en adéquation avec la gravité des violations sanctionnées, à savoir le non-respect d’obligations en matière de droit du travail relatives à l’obtention d’autorisations administratives et à la conservation de documents salariaux.

47 Par ailleurs, la mise en œuvre effective des obligations dont le non-respect est sanctionné par une telle réglementation pourrait être assurée par des mesures moins restrictives, telles que la fixation d’amendes d’un montant moins élevé ou l’institution d’un plafond pour de telles amendes, et sans nécessairement assortir celles-ci de peines privatives de liberté de substitution.

48 Partant, il y a lieu de considérer qu’une réglementation telle que celle en cause au principal va au-delà des limites de ce qui est nécessaire pour garantir le respect des obligations en matière de droit du travail relatives à l’obtention d’autorisations administratives et à la conservation de documents salariaux et pour assurer la réalisation des objectifs poursuivis.

49 Au vu de ces considérations, il n’y a pas lieu d’examiner la compatibilité d’une telle réglementation avec les articles 47 et 49 de la Charte.

50 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, prévoyant, en cas de non-respect d’obligations en matière de droit du travail relatives à l’obtention d’autorisations administratives et à la conservation de documents salariaux, l’imposition d’amendes :

– qui ne peuvent être inférieures à un montant prédéfini ;

– qui sont imposées de manière cumulative pour chaque travailleur concerné et sans plafond ;

– auxquelles s’ajoute une contribution aux frais de procédure à hauteur de 20 % de leur montant en cas de rejet du recours introduit à l’encontre de la décision les imposant, et

– qui sont converties en des peines privatives de liberté en cas de non-paiement.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, prévoyant, en cas de non-respect d’obligations en matière de droit du travail relatives à l’obtention d’autorisations administratives et à la conservation de documents salariaux, l’imposition d’amendes :

– qui ne peuvent être inférieures à un montant prédéfini ;

– qui sont imposées de manière cumulative pour chaque travailleur concerné et sans plafond ;

– auxquelles s’ajoute une contribution aux frais de procédure à hauteur de 20 % de leur montant en cas de rejet du recours introduit à l’encontre de la décision les imposant, et

– qui sont converties en des peines privatives de liberté en cas de non-paiement.

Signatures