Condamnation du donneur d’ordre au titre de la solidarité financière - contributions et taxes fiscales - Conseil d’Etat

Conseil d’État, 8ème - 3ème chambres réunies, 05/07/2022, 458293
N° 458293
ECLI:FR:CECHR:2022:458293.20220705
Mentionné dans les tables du recueil Lebon

Lecture du mardi 05 juillet 2022
Rapporteur
Mme Ophélie Champeaux
Rapporteur public
M. Romain Victor
Avocat(s)
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Bouygues TP a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la décharge des sommes qui lui ont été réclamées sur le fondement de l’article 1724 quater du code général des impôts et correspondant à une quote-part des sommes dues par la société Atlanco Limited au Trésor public, soit 2 163 925 euros, et d’enjoindre à l’administration fiscale de produire l’original de l’enveloppe d’envoi à la société Atlanco Limited des deux avis de mise en recouvrement émis le 31 mars 2015. Par un jugement nos 1700215, 1700690, 1800764, 1802642 du 20 septembre 2019, le tribunal administratif a fait droit à sa demande de décharge et prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions à fin d’injonction.

Par un arrêt n° 19NT04286 du 9 septembre 2021, la cour administrative d’appel de Nantes a, sur appel du ministre de l’économie, des finances et de la relance, annulé ce jugement et remis à la charge de la société Bouygues TP la somme de 2 163 925 euros.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 9 novembre 2021 et les 10 février et 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Bouygues TP demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
 la convention fiscale conclue le 18 décembre 1981 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Chypre ;
 la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
 le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
 le code du travail ;
 le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

 le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

 les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Bouygues TP ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre de sa participation à la construction des infrastructures du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville (Manche), la société Bouygues TP a eu recours à divers prestataires, et notamment à la société de droit chypriote Atlanco Limited. Après avoir constaté que cette dernière n’avait pas respecté les obligations déclaratives sociales lui incombant en France, l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) de la Manche a estimé que la société Bouygues TP n’avait pas respecté l’obligation de vigilance que faisaient peser sur elle les dispositions des articles L. 8222-1 et suivants du code du travail et a dressé à son encontre un procès-verbal de travail dissimulé le 26 juillet 2011. A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a, par une proposition de rectification du 30 septembre 2014, assujetti la société Atlanco Limited à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période correspondant aux années 2009 à 2011, et aux taxes d’apprentissage et de formation professionnelle continue, à l’impôt sur les sociétés, à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et à la retenue à la source relative aux bénéfices réalisés en France par les sociétés étrangères au titre des mêmes exercices ou années. Ces impositions ont été mises en recouvrement le 31 mars 2015. En l’absence de paiement par la société Atlanco Limited, l’administration fiscale a, en application de l’article 1724 quater du code général des impôts, notifié le 12 septembre 2016 à la société Bouygues TP, en sa qualité de débiteur solidaire, un avis de mise en recouvrement de la somme de 2 163 925 euros. La société Bouygues TP se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 9 septembre 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a fait droit à l’appel formé par le ministre de l’économie, des finances et de la relance contre le jugement du 20 septembre 2019 du tribunal administratif de Caen prononçant la décharge de l’obligation de payer les sommes mises à sa charge en qualité de débitrice solidaire.

Sur les motifs de l’arrêt relatifs à la régularité de la procédure d’imposition suivie à l’égard de la société Atlanco Limited, débitrice principale :

S’agissant de la régularité de la notification des avis de mise en recouvrement à la société Atlanco Limited :

2. En premier lieu, la cour a relevé, par des motifs non argués de dénaturation, que les deux avis de mise en recouvrement émis le 31 mars 2015 avaient été adressés par voie postale sous pli unique, à l’adresse du siège social de la société Atlanco Limited à Nicosie (Chypre), telle que portée sur les documents contractuels qui la liaient à la société Bouygues TP, qu’ils ont fait l’objet, ainsi que l’établissent les mentions portées sur l’enveloppe et sur l’attestation produite par les services postaux chypriotes, d’une première présentation infructueuse au destinataire le 30 avril 2015, puis qu’après une seconde tentative de présentation également infructueuse, ils ont été retournés à l’administration en raison de l’absence de réclamation du pli. En jugeant que ces éléments apportaient la preuve suffisante de ce que la notification des avis de mise en recouvrement avait été régulièrement effectuée, avant l’expiration du délai de reprise, à l’égard de la société Atlanco Limited, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt et n’avait pas à rechercher si un avis de passage conforme aux prescriptions de la réglementation postale française avait été remis, n’a pas commis l’erreur de droit qui lui est reprochée.

3. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 applicable au litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l’administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l’impôt et aux pénalités fiscales ". Si la société requérante se prévalait, devant la cour administrative d’appel, sur le fondement de ces dispositions, des énonciations du paragraphe n° 190 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques-impôts sous la référence BOI-REC-PREA-10-10-20 selon lesquelles, en cas de notification d’un avis de mise en recouvrement par voie postale à un débiteur dont l’adresse est à l’étranger, seul le retour d’un accusé de réception signé du destinataire peut constituer la preuve d’une notification régulière au sens de l’article R*. 256-7 du livre des procédures fiscales, de tels commentaires sont relatifs à la procédure d’établissement de l’impôt ou des pénalités fiscales et non au recouvrement de l’impôt. Par suite, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la société ne pouvait les opposer à l’administration.

4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Bouygues TP soutenait, dans ses écritures en défense devant la cour, que l’administration n’établissait pas que le pli unique envoyé à l’adresse de la société Atlanco Limited à Chypre contenait les deux avis de mise en recouvrement en litige. Par un mémoire du 27 août 2020, le ministre de l’économie, des finances et de la relance a indiqué qu’il avait communiqué le pli en cause, encore scellé, au tribunal administratif avant la clôture de l’instruction de la première instance. A la suite de ce mémoire, la société Bouygues TP n’a plus contesté cette assertion. Par suite, et dès lors qu’il ne ressort pas du dossier de la procédure d’appel que la société aurait sollicité la consultation au greffe de la cour de l’exemplaire papier de cette pièce, la cour n’a pas commis d’erreur de droit, ni méconnu son office, en regardant ce moyen comme abandonné.

S’agissant de la régularité de la communication à la société requérante, en qualité de débitrice solidaire, des pièces de la procédure par l’administration :

5. Il résulte des dispositions de l’article L. 8222-1 du code du travail que toute personne qui conclut un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant s’acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l’article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ; / [...] ". Aux termes de l’article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l’article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l’article L. 8222-3 du code précité ". Aux termes de l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L’avis de mise en recouvrement individuel prévu à l’article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l’objet de cet avis. / Lorsque l’avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l’article L. 57 ou à la notification prévue à l’article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l’informant d’une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / (...) ". Aux termes de l’article R. 256-2 du même livre : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d’une créance à l’égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d’eux un avis de mise en recouvrement ".

6. Il résulte de la réserve d’interprétation dont le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, assorti la conformité à la Constitution du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail que le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage doit être en mesure de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que les pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu. Par suite, lorsque l’administration met en œuvre la solidarité de paiement prévue par l’article 1724 quater du code général des impôts à l’encontre d’une société qui n’a pas procédé aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail, elle est tenue d’adresser à la personne poursuivie en paiement solidaire un avis de mise en recouvrement individuel comportant les indications prescrites par l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, cité au point 5. Ces mentions permettent au débiteur solidaire d’obtenir, à sa demande, la communication des documents mentionnés dans cet avis de mise en recouvrement ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l’exigibilité de l’imposition.

7. Après avoir relevé, par des motifs non argués de dénaturation, que la proposition de rectification adressée à la société Atlanco Limited mentionnait la teneur précise de trois courriels adressés par celle-ci à l’administration, par lesquels elle se bornait à faire valoir qu’elle ne disposait d’aucun établissement stable en France, que deux d’entre eux avaient été produits devant les juges du fond et que la société Bouygues TP ne contestait pas devant elle que ces courriels n’étaient pas utiles à sa défense, la cour administrative d’appel a pu, sans méconnaître les principes rappelés au point 6, ni inexactement qualifier les faits, juger que l’administration fiscale ne l’avait privée d’aucune garantie en s’abstenant de lui communiquer ces courriels en sa qualité de débiteur solidaire.

Sur les motifs de l’arrêt relatifs au bien-fondé des impositions réclamées à la société Atlanco Limited :

S’agissant de l’impôt sur les sociétés, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de la taxe d’apprentissage, de la contribution au développement de l’apprentissage et de la participation des employeurs à la formation professionnelle continue :

En ce qui concerne l’application de la loi fiscale :

8. Aux termes du I de l’article 209 du code général des impôts : " (...) les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ".

9. Pour juger que la société Atlanco Limited avait exploité en France, au cours des années 2009 à 2011, une entreprise autonome au sens des dispositions citées ci-dessus au point 8, la cour s’est fondée sur les circonstances de fait, opérantes et non arguées de dénaturation, établissant que la gestion et la coordination administrative et opérationnelle des travailleurs qu’elle a mis à la disposition de la société Bouygues TP étaient exclusivement assurées par des personnels dédiés, installés en France pendant la durée du chantier, le siège de la société situé à Chypre n’intervenant que pour réceptionner les documents contractuels et émettre la facturation des prestations. En statuant ainsi, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis d’erreur de droit.

En ce qui concerne l’application de la convention fiscale conclue entre la France et Chypre :

10. Aux termes de l’article 5 de la convention fiscale franco-chypriote du 18 décembre 1981 : " 1. Au sens de la présente Convention, l’expression " établissement stable " désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. (...) . 5. (...) lorsqu’une personne - autre qu’un agent jouissant d’un statut indépendant auquel s’applique le paragraphe 6 - agit pour le compte d’une entreprise et dispose dans un Etat de pouvoirs qu’elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l’entreprise, cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans cet Etat pour toutes les activités que cette personne exerce pour l’entreprise. ". L’article 7 de la même convention prévoit que : " 1. Les bénéfices d’une entreprise d’un Etat ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’entreprise n’exerce son activité dans l’autre Etat par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. Si l’entreprise exerce son activité d’une telle façon, les bénéfices de l’entreprise sont imposables dans l’autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable ".

11. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué, exemptes de dénaturation, que la société Atlanco Limited a exercé en France une activité consistant à mettre au service de la société Bouygues TP, entre 2009 et 2011, le personnel nécessaire aux opérations du chantier dont cette dernière était maître d’ouvrage à Flamanville, et que, pour ce faire, la société Atlanco Limited a disposé en France, sur le site du chantier, d’une représentante légale en charge de la signature des contrats de mission du personnel, de la fourniture des bulletins de paie et de la signature des documents transmis à l’administration française. La cour a par ailleurs relevé, par des motifs non contestés, que les contrats-cadres de mise à disposition du personnel ont été conclus et signés, au nom de la société Atlanco Limited, à Flamanville, le siège de la société à Chypre se bornant, durant cette période d’activité, à émettre la facturation correspondante. Il s’ensuit que la société Atlanco Limited a exercé son activité de mise à disposition de personnel au service de la société Bouygues TP par l’entremise, en la personne de sa représentante légale en France, d’un agent dépendant disposant des pouvoirs d’engager la société, caractérisant l’existence d’un établissement stable dont les bénéfices étaient imposables en France en application des stipulations de la convention fiscale franco-chypriote citées ci-dessus au point 10. Ce motif, qui repose sur des faits constants n’appelant aucune appréciation, doit être substitué aux motifs de l’arrêt, dont il justifie légalement le dispositif, tenant à l’existence d’un établissement stable de chantier ou d’une installation fixe d’affaires.

S’agissant de la taxe sur la valeur ajoutée :

12. En premier lieu, en vertu du 1° de l’article 259 du code général des impôts, le lieu des prestations de services est situé en France, pour l’application des règles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel ayant en France le siège de son activité économique. Aux termes du 2 de l’article 283 de ce code : " Lorsque les prestations mentionnées au 1° de l’article 259 sont fournies par un assujetti qui n’est pas établi en France, la taxe doit être acquittée par le preneur. " Il résulte de la combinaison de ces dispositions, transposant en droit interne les articles 194 et 196 de la directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, que lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu’elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l’article 259 du code général des impôts, le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente est le prestataire qui les fournit s’il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies, c’est-à-dire un établissement qui présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l’équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées. Dès lors que les prestations peuvent être rattachées à un tel établissement, il n’y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu’un rattachement au siège de l’activité économique du prestataire.

13. Il résulte des écritures d’appel de la société requérante que celle-ci se bornait, pour ce qui concerne l’existence en France d’un établissement stable de la société Atlanco Limited au sens et pour l’application de ces dispositions, à renvoyer à son argumentation relative aux autres impositions en litige, que la cour a par ailleurs écartée. Il en résulte que la cour administrative d’appel ne s’est pas méprise sur la portée des écritures de la société Bouygues TP en jugeant que cette dernière ne contestait pas de manière spécifique devant elle l’existence d’un établissement stable en France de la société Atlanco Limited pour ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée.

14. En second lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Bouygues TP a déclaré et acquitté, par le mécanisme de l’auto-liquidation, la taxe sur la valeur ajoutée grevant les prestations qui lui ont été fournies par l’établissement en France de la société Atlanco Limited. En application des dispositions citées au point 12, la société Atlanco Limited était le redevable légal de cette taxe, de sorte que c’est à tort que la société Bouygues TP s’est crue tenue à ce paiement. Si une telle circonstance est susceptible de lui ouvrir un droit à former une réclamation dans les conditions prévues par l’article R*. 196-1 du livre des procédures fiscales, elle est sans incidence sur la procédure de recouvrement, par la voie de la solidarité de paiement prévue à l’article 1724 quater du code général des impôts cité au point 5, de la créance fiscale légalement établie à l’égard de la société Atlanco Limited. Il suit de là qu’en jugeant que cette circonstance était sans incidence sur l’obligation dans laquelle se trouvait la société Bouygues TP, en sa qualité de débiteur solidaire, d’acquitter la taxe sur la valeur ajoutée dont la société Atlanco Limited était redevable, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bouygues TP n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante.

D E C I D E :


Article 1er : Le pourvoi de la société Bouygues TP est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Bouygues TP et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l’issue de la séance du 15 juin 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Mathieu Herondart, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, conseillers d’Etat, M. Charles-Emmanuel Airy, maître des requêtes et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 5 juillet 2022.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle

ECLI:FR:CECHR:2022:458293.20220705
Analyse

Abstrats
19-01-01-05 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - GÉNÉRALITÉS. - TEXTES FISCAUX. - CONVENTIONS INTERNATIONALES. - CONVENTION FRANCO-CHYPRIOTE DU 18 DÉCEMBRE 1981 – AGENT DÉPENDANT CARACTÉRISANT UN ÉTABLISSEMENT STABLE (ART. 5.5) – ESPÈCE – CAS D’UNE SOCIÉTÉ EXERÇANT PAR L’ENTREMISE D’UN TEL AGENT EN FRANCE UNE ACTIVITÉ DE MISE À DISPOSITION DE PERSONNEL.

19-01-05-01-02 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - GÉNÉRALITÉS. - RECOUVREMENT. - ACTION EN RECOUVREMENT. - ACTES DE RECOUVREMENT. - RÉGULARITÉ DE LA NOTIFICATION D’UN AMR À L’ÉTRANGER – AMR ADRESSÉ AU SIÈGE SOCIAL DU CONTRIBUABLE, AYANT FAIT L’OBJET DE PRÉSENTATIONS INFRUCTUEUSES ET N’AYANT PAS ÉTÉ RÉCLAMÉ – EXISTENCE, SANS QU’IL SOIT BESOIN DE VÉRIFIER LE RESPECT DE LA RÉGLEMENTATION POSTALE FRANÇAISE.

19-04-01-04-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. - RÈGLES GÉNÉRALES. - IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS ET AUTRES PERSONNES MORALES. - PERSONNES MORALES ET BÉNÉFICES IMPOSABLES. - CONVENTION FRANCO-CHYPRIOTE DU 18 DÉCEMBRE 1981 – AGENT DÉPENDANT CARACTÉRISANT UN ÉTABLISSEMENT STABLE (ART. 5.5) – ESPÈCE – CAS D’UNE SOCIÉTÉ EXERÇANT PAR L’ENTREMISE D’UN TEL AGENT EN FRANCE UNE ACTIVITÉ DE MISE À DISPOSITION DE PERSONNEL.
Résumé
19-01-01-05 Société chypriote ayant exercé en France une activité consistant à mettre au service d’une société française le personnel nécessaire aux opérations du chantier dont cette dernière était maître d’ouvrage, et, pour ce faire, ayant disposé en France, sur le site du chantier, d’une représentante légale en charge de la signature des contrats de mission du personnel, de la fourniture des bulletins de paie et de la signature des documents transmis à l’administration française. Contrats-cadres de mise à disposition du personnel ayant été conclus et signés, au nom de la société chypriote, à Flamanville, le siège de la société à Chypre se bornant, durant cette période d’activité, à émettre la facturation correspondante. ...Il s’ensuit que la société chypriote a exercé son activité de mise à disposition de personnel au service de la société française par l’entremise, en la personne de sa représentante légale en France, d’un agent dépendant disposant des pouvoirs d’engager la société, caractérisant l’existence d’un établissement stable dont les bénéfices étaient imposables en France en application des articles 5 et 7 de la convention fiscale franco-chypriote du 18 décembre 1981.
19-01-05-01-02 Avis de mise en recouvrement (AMR) ayant été adressés par voie postale sous pli unique à l’adresse du siège social d’une société étrangère à Nicosie (Chypre), telle que portée sur des documents contractuels, ayant fait l’objet, ainsi que l’établissent les mentions portées sur l’enveloppe et sur l’attestation produite par les services postaux chypriotes, d’une première présentation infructueuse au destinataire, puis ayant été, après une seconde tentative de présentation également infructueuse, retournés à l’administration en raison de l’absence de réclamation du pli. ...Ces éléments apportent la preuve suffisante de ce que la notification des AMR a été régulièrement effectuée, avant l’expiration du délai de reprise, à l’égard de la société étrangère, sans qu’il soit besoin de rechercher si un avis de passage conforme aux prescriptions de la réglementation postale française a été remis.
19-04-01-04-01 Société chypriote ayant exercé en France une activité consistant à mettre au service d’une société française le personnel nécessaire aux opérations du chantier dont cette dernière était maître d’ouvrage, et, pour ce faire, ayant disposé en France, sur le site du chantier, d’une représentante légale en charge de la signature des contrats de mission du personnel, de la fourniture des bulletins de paie et de la signature des documents transmis à l’administration française. Contrats-cadres de mise à disposition du personnel ayant été conclus et signés, au nom de la société chypriote, à Flamanville, le siège de la société à Chypre se bornant, durant cette période d’activité, à émettre la facturation correspondante. ...Il s’ensuit que la société chypriote a exercé son activité de mise à disposition de personnel au service de la société française par l’entremise, en la personne de sa représentante légale en France, d’un agent dépendant disposant des pouvoirs d’engager la société, caractérisant l’existence d’un établissement stable dont les bénéfices étaient imposables en France en application des articles 5 et 7 de la convention fiscale franco-chypriote du 18 décembre 1981.