Activité commerciale - établissement oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 14 janvier 2004

N° de pourvoi : 02-60119

Publié au bulletin

Rejet

M. Sargos, président

M. Bouret, conseiller apporteur

M. Allix, avocat général

la SCP Gatineau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu que la société de droit hollandais Agio Sigarenfabrieken a recruté en France 30 salariés, employés à des tâches de prospection commerciale et réparties dans quatre régions ;

Sur le premier moyen, tel qu’il figure au mémoire :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Sur le deuxième moyen de cassation :

Attendu qu’il est encore fait grief au jugement attaqué d’avoir dit que la demande d’organisation d’élections de représentants du personnel en France par la société Agio Sigarenfabrieken n’était pas contraire au droit communautaire et d’avoir condamné la société à organiser ces élections, alors, selon le moyen :

1 / que le principe de l’égalité de traitement en droit communautaire impose de traiter de façon identique des entreprises ayant leur siège social dans un pays de l’Union européenne et les entreprises nationales, dès lors qu’elles se trouvent dans un situation comparable ;

que l’établissement devant, aux termes de l’article L. 421-1 du Code du travail, servir de cadre à l’élection des délégués du personnel, suppose l’existence d’un groupe d’au moins 11 salariés formant une collectivité de travail ayant des intérêts communs à défendre et la présence sur place d’un représentant de l’employeur qualifié pour recevoir les réclamations et les transmettre le cas échéant ; qu’ainsi, ne répondait pas à cette définition l’activité menée en France par la société Agio ayant son siège au Pays-Bas et une filiale en Belgique dès lors qu’il n’existait sur place aucune infrastructure de la société, ni aucun représentant de l’employeur et que les trente représentants travaillant pour cette société à des tâches de prospection étaient répartis sur l’ensemble du territoire français et tenus de procéder eux-mêmes à leur immatriculation auprès des organismes sociaux ; qu’en considérant en l’absence de toute communauté de travail en France caractérisant l’existence d’un établissement au sens de l’article L. 421-1 du Code du travail, que cette “organisation économique” imposait néanmoins à la société de procéder à des élections de délégués du personnel, le jugement attaqué a violé l’article L. 421-1 du Code du travail et méconnu les principes d’égalité de traitement et de liberté d’établissement et de prestation de services posés par les articles 43 et 19 du Traité CE ;

2 / qu’en tout état de cause, le principe de traitement exclut de pouvoir imposer à l’entreprise étrangère ayant son siège social dans un autre pays de l’Union européenne, l’institution dans le pays d’accueil d’une représentation du personnel faisant doublon avec le système de représentation mis en place par cette société conformément à la législation de l’Etat membre au sein duquel elle est établie ; qu’à cet égard, la société Agio fournissait les documents (traduits en langue française) de nature à établir que, disposant déjà de ses propres institutions représentatives du personnel, elle ne pouvait être tenue d’accomplir en France des obligations sociales équivalentes, constitutives comme telles d’une entrave au principe de liberté d’établissement ; qu’en se bornant, sans justifier aucunement de cette qualification, à déclarer “inexploitables” les documents fournis par la société à l’appui de son argumentation sur ce point, le jugement a violé les articles 4, 5 et 12 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / que la société invoquait sans ses conclusions l’impossibilité matérielle de mettre en place l’institution des délégués du personnel et de la faire fonctionner régulièrement, compte tenu de l’absence de toute implantation en France de la société Agio et de la dispersion des salariés sur l’ensemble du territoire ; qu’en s’abstenant de rechercher si la totale impossibilité dans laquelle se trouvait la société de satisfaire à l’obligation mise à sa charge compte tenu des conditions d’exercice de son activité en France, n’était pas révélatrice de l’absence au sein du pays d’accueil de tout établissement au sens de l’article L. 421-1 du Code du travail, le jugement n’a pas justifié légalement sa décision au regard de ce texte ;

4 / qu’il y a lieu à renvoi préjudiciel au titre de l’article 177, alinéa 3 du Traité de la communauté dès lors que le litige pose un problème d’interprétation du droit communautaire et soulève les interrogations suivantes : une société implantée dans un état membre de l’Union et qui exerce en France une activité de prospection par l’intermédiaire d’une trentaine de représentants disséminés sur le territoire français, peut-elle être tenue d’organiser des élections de délégués du personnel du seul fait qu’elle exerce en France une partie de son activité, quand bien même les conditions d’exercice de cette activité ne correspondent pas à la notion “d’établissement” devant servir de cadre à ladite relation en vertu de la législation d’accueil sans qu’une telle obligation contrevienne au principe d’égalité de traitement ? -l’obligation ainsi imposée peut-elle aboutir à des cumuls de représentation sans porter ce faisant atteinte aux libertés d’établissement et de prestation de sources ? -en l’absence de localisation de l’activité de la société dans le pays d’accueil, une juridiction ? Peut-elle pour autant imposer l’obligation d’y organiser des élections des représentants du personnel, sans préciser les conditions matérielles de mise en place et de fonctionnement de cette restitution qui s’imposent à l’employeur lorsque ces dernières s’avèrent incompatibles avec les règles fixées par la législation de l’état d’accueil (articles L. 421-1 et suivants du Code du travail) ;

Mais attendu, d’abord, que le juge du fond ayant souverainement constaté que les salariés employés par la société AGIO en° permanence sur le territoire français ne bénéficient d’aucune représentation du personnel sur ce territoire pour l’exercice de leurs droits collectifs et la sauvegarde des intérêts spécifiques défendus par les délégués du personnel, il en résulte que l’application immédiate de la loi française donnant le droit à ces salariés d’être représentés par des délégués du personnel au niveau le plus approprié permet d’apporter une solution au litige qui a pour seul objet la demande d’organisation d’élections à cette fin, de sorte qu’il n’y a pas lieu à renvoi préjudiciel ;

Attendu, ensuite, que le jugement attaqué, après avoir relevé que la société AGIO, qui dispose d’une organisation économique implantée sur le territoire français, exerce les responsabilités de l’employeur sur une collectivité de travail formée sur ledit territoire par plus de 10 salariés en présence d’un directeur et ayant des intérêts communs, a exactement décidé qu’il existait un établissement au sens de l’article L. 421-1 du Code du travail et que l’employeur devait organiser les élections des délégués du personnel ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Agio Sigarenfabrieken NV à payer à l’ensemble des défendeurs la somme de 3 000 euros ;

Dit n’y avoir application de l’article 628 du nouveau Code de procédure civile ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille quatre.

Publication : Bulletin civil 2004, V, n° 17, p. 15

Décision attaquée : Tribunal d’instance de Paris 16ème du 19 février 2002

Titrages et résumés : REPRESENTATION DES SALARIES - Délégués du personnel - Institution - Obligation - Application immédiate de la loi française - Portée

Dès lors que des salariés d’une société d’un autre Etat de l’Union européenne sont employés en permanence sur le territoire français, où ils ne bénéficient d’aucune représentation du personnel pour l’exercice de leurs droits collectifs et la sauvegarde des intérêts spécifiques défendus par les délégués du personnel, il en résulte que l’application immédiate de la loi française donnant le droit à ces salariés d’être représentés par des délégués du personnel au niveau le plus approprié permet d’apporter une solution à un litige ayant pour seul objet la demande d’organisation d’élections à cette fin ; il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu à renvoi préjudiciel

COMMUNAUTE EUROPEENNE - Travail réglementation - Représentation des salariés - Délégué du personnel - Institution - Obligation - Application immédiate de la loi française - Portée

COMMUNAUTE EUROPEENNE - Traité de Rome - Interprétation - Juridiction nationale saisie - Recours préjudiciel devant la Cour de justice des Communautés - Exclusion - Cas - Représentation des salariés - Application immédiate de la loi française

PROCEDURE CIVILE - Sursis à statuer - Question préjudicielle - Droit communautaire - Interprétation - Exclusion - Cas

REPRESENTATION DES SALARIES - Délégués du personnel - Institution - Obligation - Domaine d’application - Société étrangère employant des salariés sur le territoire français

Dès lors qu’une société d’un autre Etat de l’Union européenne, qui dispose d’une organisation économique implantée sur le territoire français, exerce les responsabilités de l’employeur sur une collectivité de travail formée sur ce territoire par plus de dix salariés en présence d’un directeur et ayant des intérêts communs, il en résulte qu’il existe un établissement au sens de l’article L. 421-1 du Code du travail et que l’employeur doit organiser les élections des délégués du personnel

ELECTIONS PROFESSIONNELLES - Comité d’entreprise et délégué du personnel - Obligations de l’employeur - Domaine d’application - Société étrangère employant des salariés sur le territoire français

Textes appliqués :
* 2° :
* Code du travail L421-1