Btp - activité stable, continue et habituelle

Arrêt n°26 du 12 janvier 2021 (18-86.757) - Cour de cassation - Chambre criminelle
 ECLI:FR:CCAS:2021:CR00026
Travail - Action civile
Cassation partielle sans renvoi

Demandeur(s) : M. A... X...

Défendeur(s) : URSSAF d’Aquitaine

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite d’un contrôle effectué les 28 et 29 septembre 2013, l’inspection du travail de la Gironde a établi un procès-verbal de constatations en date du 29 avril 2014 dont il ressort que l’entreprise Blanconorte, basée au Portugal, gérée par M. X..., de nationalité espagnole, et qui avait pour activité les travaux de construction dans le secteur du bâtiment, avait réalisé depuis plusieurs mois de nombreuses déclarations de détachement dans le cadre de prestations de services internationales et ainsi détaché plusieurs de ses salariés pour la réalisation de chantiers de BTP sur le territoire français, intervenant alors comme sous-traitante de plusieurs donneurs d’ordre basés également en France.

3. A l’issue de l’enquête, le ministère public a fait citer M. X... devant le tribunal correctionnel du chef précité. Par jugement du 26 juin 2017, le tribunal correctionnel a déclaré les faits établis, a condamné le prévenu à une peine et a accordé des sommes à l’Urssaf d’Aquitaine, partie civile. Le prévenu, le ministère public et la partie civile ont interjeté appel de cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi

4. Il se déduit de l’article 576, alinéa 2, du code de procédure pénale que tout avocat inscrit à l’un des barreaux d’une cour d’appel a qualité pour former un pourvoi en cassation dans l’ensemble du ressort de cette cour.

5. En l’espèce, l’acte du greffe porte que le pourvoi a été déclaré par « Me C... Z..., loco SCP Y...-W... représentée par B... Y... ». Me Z..., ainsi que le requérant en a justifié, est inscrit au barreau de Bordeaux.

6. Ainsi, le pourvoi est recevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen est pris de la violation des articles L. 1261-3, 1262-1, 1262-3, L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, de l’article 12 paragraphe 1 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, de l’article 19 paragraphe 2 du règlement (CE) n°987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

8. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. A... X... coupable de l’infraction de travail dissimulé, l’a condamné en répression à une peine de huit mois d’emprisonnement avec sursis et de 10 000 euros d’amende et a statué sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que lorsqu’il est saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, et que la personne poursuivie produit des certificats A1 à l’égard des travailleurs concernés, le juge, à l’issue du débat contradictoire, ne peut écarter lesdits certificats sans avoir, au préalable, constaté que l’institution émettrice, saisie d’une demande de réexamen et de retrait de ces certificats à la lumière d’éléments recueillis dans le cadre d’une enquête judiciaire ayant permis d’établir qu’ils avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement, s’était abstenue de prendre en compte ces éléments aux fins de réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats ; qu’en retenant, pour déclarer le prévenu coupable de travail dissimulé, que son activité en France ne relevait pas du détachement et que les certificats délivrés à ses salariés par l’institution portugaise ne s’imposaient pas en présence d’une fraude au détachement, sans rechercher si l’institution portugaise émettrice desdits certificats avait été saisie d’une demande de réexamen et de retrait à la lumière d’éléments établissant une fraude et s’était abstenue de les prendre en compte, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;

2°/ au surplus que le juge, ne peut, en tout état de cause, écarter des certificats A1 sans caractériser une fraude constituée, dans son élément objectif, par l’absence de respect des conditions prévues pour l’obtention et l’invocation de tels certificats et, dans son élément subjectif, par l’intention de la personne poursuivie de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance desdits certificats pour obtenir l’avantage qui y est attaché ; qu’en retenant néanmoins, pour déclarer le prévenu coupable de travail dissimulé, que les certificats délivrés à ses salariés par l’institution portugaise ne s’imposaient pas en présence d’une fraude au détachement, sans caractériser l’existence d’une telle fraude, tant dans sa matérialité que dans son caractère intentionnel, la cour d’appel a méconnu derechef les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

9. La Cour de justice de l’Union européenne juge qu’en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les certificats E101, devenus A1, délivrés par l’institution compétente d’un Etat membre créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État et s’imposent à l’institution compétente et aux juridictions de l’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15).

10. Elle ajoute que, lorsque l’institution de l’État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a saisi l’institution émettrice de ces certificats d’une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci à la lumière d’éléments recueillis dans le cadre d’une enquête judiciaire ayant permis de constater qu’ils ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et que l’institution émettrice s’est abstenue de prendre en considération ces éléments aux fins du réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats, le juge national peut, dans le cadre d’une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d’avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de tels certificats, écarter ces derniers si, sur la base desdits éléments et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes, il constate l’existence d’une telle fraude (CJUE, arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, C-359/16).

11. Il en résulte, ainsi qu’elle l’a ultérieurement précisé, que le juge national doit d’abord rechercher si la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, du règlement n° 1408/71 a été, en amont de sa saisine, enclenchée par l’institution compétente de l’État membre d’accueil par le biais d’une demande de réexamen et de retrait de ces certificats présentée à l’institution émettrice de ceux-ci, et, si tel n’a pas été le cas, doit mettre en œuvre tous les moyens de droit à sa disposition afin d’assurer que l’institution compétente de l’État membre d’accueil enclenche cette procédure, et que ce n’est qu’après avoir constaté que l’institution émettrice s’est abstenue de procéder au réexamen de ces certificats et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments qui lui étaient présentés, qu’il peut se prononcer de manière définitive sur l’existence d’une telle fraude et écarter ces certificats (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18).

12. La Cour de cassation en a tiré les conséquences et a retenu que le juge, saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, ne peut écarter lesdits certificats que si, sur la base de l’examen des éléments concrets recueillis au cours de l’enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l’institution émettrice saisie s’était abstenue de les prendre en compte, dans un délai raisonnable, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif par l’absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l’intention de la personne poursuivie de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l’avantage qui y est attaché (Crim., 18 septembre 2018, pourvoi n° 13-88.631, Bull. crim. 2018, n° 160). 13. Dans une procédure où les poursuites pour travail dissimulé n’avaient pas seulement été engagées pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, mais également pour défaut de déclaration préalable à l’embauche, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle relative à l’incidence de ces certificats sur l’obligation de déclaration préalable à l’embauche et, partant, sur la portée desdits certificats sur l’application aux travailleurs concernés de la législation de l’État membre d’accueil en matière de droit du travail (Crim., 8 janvier 2019, pourvoi n° 17-82.553).

14. Dans la présente procédure, la chambre criminelle a sursis à statuer jusqu’à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.

15. Répondant à cette question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics, C-17/19) a énoncé que les formulaires de détachement, dits certificats E101 et A1, s’imposent aux juridictions de l’Etat sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités uniquement en matière de sécurité sociale.

16. Elle a précisé que « les certificats E101 et A1, délivrés par l’institution compétente d’un État membre, ne lient l’institution compétente et les juridictions de l’État membre d’accueil qu’en ce qu’ils attestent que le travailleur concerné est soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation du premier État membre pour l’octroi des prestations directement liées à l’une des branches et à l’un des régimes énumérés à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 » (§ 47) et conclu que « ces certificats ne produisent donc pas d’effet contraignant à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers » (§ 48).

17. S’agissant de l’analyse du droit national et en particulier de la portée de la déclaration préalable à l’embauche, elle a précisé qu’il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer la portée de cette obligation déclarative.

18. Une recherche similaire doit être conduite s’agissant de l’obligation d’inscription au registre du commerce et des sociétés, dont le défaut, ainsi qu’il résulte des articles L. 8221-1 et L. 8221-3, 1° du code du travail dans sa version applicable à la date des faits, caractérise le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité.

19. Une telle obligation est imposée par l’article L. 123-1 du code de commerce notamment aux sociétés commerciales dont le siège est situé hors d’un département français et qui ont un établissement dans l’un de ces départements.

20. Elle s’impose donc à l’employeur établi hors de France dont l’activité est entièrement orientée vers le territoire national ou est réalisée dans des locaux ou avec des infrastructures situées sur le territoire national à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue et qui, en application de l’article L. 1262-3 du code du travail, dans sa version applicable à la date des faits, ne peut en conséquence se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés.

21. Ainsi qu’en dispose ce même texte, en pareil cas, l’employeur est assujetti aux dispositions du code du travail applicables aux entreprises établies sur le territoire national. Dès lors, la production de certificats E101 ou A1 ne peut s’opposer à une condamnation pour travail dissimulé en raison d’un manquement à cette obligation, étant entendu que celle-ci ne peut, dans ce contexte, entraîner l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale, ainsi que le précise l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2020 précité (§ 53).

22. Pour dire établi le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’arrêt relève que l’essentiel de l’activité de cette entreprise, précisément 85 %, n’était pas réalisée au Portugal outre que cette activité portait notamment sur la recherche et la prospection d’une clientèle sur le territoire national.

23. Les juges ajoutent notamment que le local servant de siège social à cette entreprise, au Portugal, n’était qu’une simple pièce sans salarié ni ordinateur et ne servait que de lieu de recrutement.

24. Ils énoncent encore que l’activité de la société Blanconorte était réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue et relevait manifestement du droit d’établissement au sens de l’article L 1263-3 du code du travail, en sorte que l’employeur ne pouvait se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés.

25. En réponse au moyen de défense avancé par le prévenu, qui se prévalait sur ce point de l’opposabilité des formulaires de détachement, dits certificats E101, devenus A1, délivrés par les autorités portugaises à ses salariés, dont il devait être déduit que le détachement devait être regardé comme régulier, la cour d’appel retient que ces formulaires ne s’imposent au juge français qu’autant qu’il n’existe pas de preuves par ailleurs d’une fraude au détachement.

26. Elle conclut que l’activité en France de la société précitée ne relevait pas des règles du détachement et que le prévenu devait créer en France un établissement, solliciter son immatriculation au répertoire des métiers ou des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés, procéder aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale, enfin, effectuer la déclaration nominative préalable à l’embauche de ses salariés.

27. En l’espèce, si le prévenu a été reconnu coupable au titre de l’omission d’obligations déclaratives ayant pour unique objet d’assurer l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale, il l’a été également au titre d’un défaut d’inscription au registre du commerce et des sociétés.

28. La production de certificats E101 ou A1 pour certains ou tous les salariés concernés n’était pas de nature à interdire à la juridiction de déclarer établis ces derniers faits, qui à eux seuls suffisent à fonder la condamnation prononcée du chef de travail dissimulé, délit défini de façon unitaire par l’article L. 8221-1, 1°, du code du travail.

29. En conséquence, le moyen sera écarté.

Mais sur le moyen relevé d’office, mis dans le débat, pris de la violation de l’article 2 du code de procédure pénale

Vu ledit article :

30. Il résulte de ce texte que l’action civile n’appartient qu’à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.

31. Pour confirmer le jugement ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de l’URSSAF d’Aquitaine et ayant condamné le prévenu à lui verser des dommages-intérêts, l’arrêt retient, par motifs adoptés, que celle-ci a subi un préjudice découlant directement des agissements délictueux du prévenu.

32. En prononçant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

33. En effet, les organismes de protection sociale nationaux ne sauraient prétendre avoir subi un préjudice lorsque, comme en l’espèce, la validité du certificat ne peut être contestée, faute de retrait dudit certificat par l’organisme qui l’a émis, ou faute d’établissement de la preuve d’une fraude conformément à la doctrine de la Cour de justice de l’Union européenne, telle qu’elle a été notamment fixée par l’arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, n° C-359/16, et rappelée par la chambre criminelle par plusieurs arrêts du 18 notamment), et qu’en conséquence les salariés concernés ne peuvent qu’être regardés comme régulièrement affiliés au régime de sécurité sociale de l’Etat ayant émis le certificat. Cette solution est également imposée par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18, §§ 97 et 98.

34. La cassation est par suite encourue sur les seuls intérêts civils.

35. N’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Bordeaux, en date du 4 octobre 2018, mais en ses seules dispositions ayant prononcé sur les intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DÉCLARE irrecevable la constitution de partie civile de l’URSSAF d’Aquitaine ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Président : M. Soulard
Rapporteur : M. Barbier, conseiller référendaire
Avocat général : M. Lemoine
Avocat(s) : SCP Alain Bénabent - SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol