Monaco - pas Union européenne - emploi salarié étranger sans titre de travail

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 3 octobre 1995

N° de pourvoi : 92-82091

Publié au bulletin

Rejet

Président : M. Le Gunehec, président

Rapporteur : M. Guerder., conseiller apporteur

Avocat général : M. Libouban., avocat général

Avocat : la SCP Boré et Xavier., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par Betti X... contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre correctionnelle, en date du 27 janvier 1992, qui, pour emploi de travailleurs étrangers non munis du titre les autorisant à exercer une activité salariée en France, l’a condamné à trois amendes de 5 000 francs.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 48, 52 à 58 du traité de Rome, des articles 1er, 11, 12 du décret du 28 avril 1981, de l’article 5 de la directive 68/360 du 15 octobre 1968, de l’article 40 du règlement 1612/68 du 15 octobre 1968, des articles L. 341-6 et L. 364-2-1 du Code du travail et de l’article 593 du Code de procédure pénale :

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Y... coupable du délit d’emploi irrégulier de main-d’oeuvre étrangère et l’a condamné au paiement de trois amendes de 5 000 francs ;

” aux motifs qu’il est constant que le 8 février 1990, il a été constaté que trois ouvriers portugais démunis de titre de travail en France, travaillaient à Roquebrune Z... Martin pour le compte de l’entreprise en nom personnel MJCB ayant son siège à Monaco et dont Y... est le gérant ; que la convention franco-monégasque du 18 février 1952 est inutilement invoquée par le prévenu car elle concerne les régimes de sécurité sociale et non les conditions de travail ; que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes est également invoquée en vain car elle concerne les entreprises ayant leur siège dans un Etat membre de la CEE, ce qui n’est pas le cas de l’entreprise MJCB installée à Monaco (arrêt attaqué, p. 3, alinéa 5, 6 ; p. 4, alinéa 1, 2) ;

” 1o) alors que les ressortissants d’un Etat membre de la CEE tiennent du traité de Rome le droit d’accès, de séjour, et de travail sur le territoire d’un autre Etat membre ; que ces droits sont acquis indépendamment de la délivrance d’un titre de séjour ou de travail ; qu’il résulte des propres termes de l’arrêt attaqué que l’entreprise monégasque MJCB a employé en France trois ouvriers portugais ; qu’en retenant à l’encontre du prévenu le délit d’emploi irrégulier de main-d’oeuvre étrangère au motif que ces trois ouvriers étaient démunis de titre les autorisant à travailler en France, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

” 2o) alors que le fait pour un travailleur ressortissant d’un Etat membre de la CEE d’être employé en France par une entreprise dont le siège est situé sur le territoire d’un Etat n’appartenant pas à la CEE, ne saurait avoir pour effet de lui faire perdre les droits au séjour et au travail en France qu’il tient de la législation communautaire directement applicable sur le territoire français ; qu’en déduisant l’existence de l’infraction reprochée de ce que l’entreprise MJCB avait son siège à Monaco, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

” 3o) alors qu’en l’absence de disposition législative contraire, une loi nouvelle abrogeant une incrimination, s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés ; qu’il résulte de l’acte d’adhésion du Portugal à la CEE du 1er juin 1985 et du règlement n° 2194/91 du 25 juin 1991 que les mesures dérogatoires à la libre circulation des travailleurs portugais dans la CEE sont abrogées à compter du 31 décembre 1991 ; que depuis cette date la liberté de circulation des travailleurs portugais est la même que celle des autres ressortissants de la Communauté ; qu’il s’ensuit qu’aucune incrimination pénale ne s’applique en cas d’emploi en France de travailleurs portugais sans titre de travail ; qu’en déclarant néanmoins Y... coupable d’emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière, la cour d’appel a violé les textes susvisés “ ;

Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué et du procès-verbal base de la poursuite que le 8 février 1990, l’entreprise “ Marsan Jean-Claude Bâtiments “, dite MJCB, ayant son siège à Monaco, a fait travailler sur un chantier de construction, à Roquebrune Z... Martin, trois ouvriers de nationalité portugaise, démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ; que Bernard Y..., gérant de l’entreprise, a été poursuivi pour infraction à l’article L. 341-6 du Code du travail ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de ce chef, la cour d’appel énonce notamment que le principe de liberté de prestations de services au sein de la CEE n’est pas applicable en l’espèce, la Principauté de Monaco, où se situe l’entreprise qui a fait travailler les ouvriers portugais en France, ne faisant pas partie de ladite Communauté ;

Attendu qu’ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu’en effet, si les mesures transitoires à l’acte d’adhésion du Portugal à la Communauté économique européenne permettent l’assimilation des ressortissants de ce pays aux ressortissants francais, pour l’application de l’article L. 341-6 susvisé, à compter du ler janvier 1992, la disposition législative, support légal de l’incrimination d’emploi irrégulier d’étrangers en France, n’ayant pas été modifiée, demeure applicable aux faits commis avant cette date, comme en l’espèce, par un entrepreneur d’un pays tiers qui exécute avec sa main-d’oeuvre un contrat de sous-traitance, sans pouvoir bénéficier de la liberté des prestations de services au sein de la CEE ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin criminel 1995 N° 291 p. 805

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre correctionnelle), du 27 janvier 1992

Titrages et résumés : COMMUNAUTES EUROPEENNES - Libre prestation de services - Domaine d’application - Entreprises ressortissantes des Etats membres - Entreprise monégasque employant en 1990 des travailleurs portugais (non). Si les mesures transitoires à l’acte d’adhésion du Portugal à la Communauté économique européenne permettent l’assimilation des ressortissants de ce pays aux ressortissants français, pour l’application de l’article L. 341-6 du Code du travail, à compter du 1er janvier 1992, la disposition législative, support légal de l’incrimination d’emploi irrégulier d’étrangers en France, n’ayant pas été modifiée, demeure applicable aux faits commis avant cette date par un entrepreneur d’un pays tiers en l’occurrence la principauté de Monaco qui exécute, avec sa main-d’oeuvre portugaise, un contrat de sous-traitance, sans pouvoir bénéficier de la liberté des prestations de services au sein de la Communauté économique européenne. (1).

COMMUNAUTES EUROPEENNES - Adhésion du Portugal au Traité de Rome - Effet - Libre prestation de services - Date d’entrée en vigueur de cette règle ETRANGER - Travailleur étranger - Communauté européenne - Libre prestation de services - Domaine d’application

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) A comparer : Chambre criminelle, 1988-06-07, Bulletin criminel 1988, n° 257 (2), p. 683 (rejet) ; Chambre criminelle, 1991-05-23, pourvoi n° 90-83.406 (inédit).

Textes appliqués :
* Acte d’adhésion du Portugal à la Communauté européenne 1985-06-01
* Code du travail L341-6