Team Power Europe - condition de validité de délivrance du certificat de détachement - notion d’activités substantielles dans l’Etat de domiciliation de l’employeur

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

3 juin 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Travailleurs migrants – Sécurité sociale – Législation applicable – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 12, paragraphe 1 – Détachement – Travailleurs intérimaires – Règlement (CE) no 987/2009 – Article 14, paragraphe 2 – Certificat A 1 – Détermination de l’État membre dans lequel l’employeur exerce normalement ses activités – Notion d’“activités substantielles autres que des activités de pure administration interne” – Absence de mise à disposition de travailleurs intérimaires sur le territoire de l’État membre dans lequel l’employeur est établi »

Dans l’affaire C‑784/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad – Varna (tribunal administratif de Varna, Bulgarie), par décision du 4 octobre 2019, parvenue à la Cour le 22 octobre 2019, dans la procédure

« TEAM POWER EUROPE » EOOD

contre

Direktor na Teritorialna direktsia na Natsionalna agentsia za prihodite – Varna,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, MM. J.‑C. Bonichot, M. Vilaras, E. Regan (rapporteur), M. Ilešič, L. Bay Larsen, N. Piçarra et A. Kumin, présidents de chambre, M. T. von Danwitz, Mme C. Toader, M. M. Safjan, Mme L. S. Rossi, MM. I. Jarukaitis et N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 octobre 2020,

considérant les observations présentées :

– pour « TEAM POWER EUROPE » EOOD, par et Me K. Todorova, advokat ainsi que par Me T. Höhn, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement bulgare, par Mmes E. Petranova, T. Tsingileva et T. Mitova, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck ainsi que par MM. S. Baeyens et B. De Pauw, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par Mmes C. Mosser, A. Desjonquères et E. de Moustier, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par Mmes A. Siwek-Ślusarek et D. Lutostańska ainsi que par M. B. Majczyna, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement finlandais, par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme Y. G. Marinova, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 décembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « TEAM POWER EUROPE » EOOD (ci-après « Team Power Europe »), une société de droit bulgare établie à Varna (Bulgarie), au direktor na Teritorialna direktsia na Natsionalna agentsia za prihodite – Varna (directeur de la direction territoriale de l’Agence nationale des recettes publiques pour la ville de Varna, Bulgarie) (ci-après le « directeur »), au sujet du refus de ce dernier de délivrer un certificat attestant que la législation bulgare en matière de sécurité sociale est applicable à un travailleur intérimaire employé par cette société pendant la période durant laquelle ce travailleur est mis à disposition auprès d’une entreprise utilisatrice établie en Allemagne.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CE) no 883/2004

3 Le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement no 883/2004 »), a abrogé, à compter du 1er mai 2010, le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1) (ci-après le « règlement no 1408/71 »).

4 Les considérants 1 et 45 du règlement no 883/2004 sont libellés comme suit :

« (1) Les règles de coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale s’inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes et devraient contribuer à l’amélioration de leur niveau de vie et des conditions de leur emploi.

[...]

(45) Étant donné que l’objectif de l’action envisagée, à savoir l’adoption de mesures de coordination visant à garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres et peut donc, en raison des dimensions et des effets de cette action, être mieux réalisé au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. [...] »

5 L’article 2 de ce règlement, intitulé « Champ d’application personnel », qui figure au titre I de celui-ci, lui-même intitulé « Dispositions générales », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants. »

6 Le titre II dudit règlement, intitulé « Détermination de la législation applicable », comprend les articles 11 à 16 de celui-ci.

7 Sous l’intitulé « Règles générales », l’article 11 de ce dernier dispose :

« 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

[...]

3. Sous réserve des articles 12 à 16 :

a) la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

[...] »

8 L’article 12 du règlement no 883/2004, intitulé « Règles particulières », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas 24 mois et que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée. »

9 Cette disposition a remplacé l’article 14, point 1, sous a), du règlement no 1408/71, selon lequel « la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre État membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement ».

Le règlement no 987/2009

10 Le titre II du règlement no 987/2009, intitulé « Détermination de la législation applicable », comporte les articles 14 à 21 de celui-ci.

11 L’article 14 de ce règlement, intitulé « Précisions relatives aux articles 12 et 13 du [règlement no 883/2004] », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Aux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement [no 883/2004], les termes “y exerçant normalement ses activités” désignent un employeur qui exerce généralement des activités substantielles autres que des activités de pure administration interne sur le territoire de l’État membre dans lequel il est établi. Ce point est déterminé en tenant compte de tous les facteurs caractérisant les activités de l’entreprise en question ; les facteurs pertinents doivent être adaptés aux caractéristiques propres de chaque employeur et à la nature réelle des activités exercées. »

12 L’article 19 du règlement no 987/2009, intitulé « Information des personnes concernées et des employeurs », dispose, à son paragraphe 2 :

« À la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du [règlement no 883/2004] atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions. »

13 Cette attestation est établie par un certificat dit « certificat A 1 ».

La directive 2008/104/CE

14 L’article 3 de la directive 2008/104/CE du Parlement et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire (JO 2008, L 327, p. 9), prévoit, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “entreprise de travail intérimaire” : toute personne physique ou morale qui, conformément au droit national, conclut des contrats de travail ou noue des relations de travail avec des travailleurs intérimaires en vue de les mettre à la disposition d’entreprises utilisatrices pour y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction desdites entreprises ;

c) “travailleur intérimaire” : un travailleur ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire dans le but d’être mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice en vue d’y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de ladite entreprise ;

[...] »

Le droit bulgare

15 Aux termes de l’article 107p du Kodeks na truda (code du travail) :

« (1) Dans le contrat de travail conclu avec une entreprise de travail intérimaire, il doit être stipulé que le salarié sera envoyé dans une entreprise utilisatrice pour y travailler temporairement, sous le contrôle et la direction de cette entreprise utilisatrice.

[...]

(7) Les entreprises de travail intérimaire exercent leur activité après s’être enregistrées auprès de l’Agence pour l’emploi (Agentsia po zaetostta), selon les conditions et modalités fixées par la loi pour la promotion de l’emploi (zakon za nasarchvane na zaetostta). »

Le litige au principal et la question préjudicielle

16 Team Power Europe est une entreprise immatriculée au registre du commerce de la République de Bulgarie depuis le 22 mai 2017, dont l’objet social est l’exercice d’une activité de travail intérimaire et de courtage à la recherche d’emploi dans cet État membre et dans d’autres pays.

17 Cette entreprise est enregistrée auprès de l’Agence pour l’emploi bulgare en tant qu’entreprise de travail intérimaire, conformément à l’attestation délivrée par le ministère du Travail et de la Politique sociale, et dispose d’une autorisation officielle de mise à disposition de personnel en Allemagne, en vertu d’un agrément délivré par l’Agentur für Arbeit Düsseldorf (agence locale pour l’emploi de Düsseldorf, Allemagne), qui relève de la Bundesagentur für Arbeit (Agence fédérale pour l’emploi, Allemagne).

18 Le 8 octobre 2018, Team Power Europe a conclu avec un ressortissant bulgare un contrat de travail en vertu duquel celui-ci a été mis à disposition d’une entreprise utilisatrice établie en Allemagne. La lettre de mission datée du même jour précisait que l’intéressé accomplirait son travail sous la direction et le contrôle de cette dernière entreprise au cours de la période comprise entre le 15 octobre et le 21 décembre 2018.

19 Le 9 mai 2019, Team Power Europe a adressé au service des recettes de la Teritorialna direktsiya Varna na Natsionalna agentsia za prihodite (direction territoriale pour la ville de Varna de l’Agence nationale des recettes publiques, Bulgarie) une demande tendant à la délivrance d’un certificat A 1 attestant que la législation bulgare était applicable au travailleur en cause pendant la période de sa mise à disposition.

20 Par décision du 30 mai 2019, ce service a rejeté la demande au motif que la situation en cause au principal ne relevait pas du champ d’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. Il a, en effet, estimé que, d’une part, la relation directe entre Team Power Europe et le travailleur en cause n’avait pas été maintenue et, d’autre part, cette entreprise n’exerçait pas une activité substantielle sur le territoire bulgare.

21 Afin de parvenir à cette conclusion sur ce dernier point, ledit service s’est fondé sur différents éléments. Premièrement, le contrat entre Team Power Europe et l’entreprise utilisatrice en cause aurait été conclu selon les conditions et les termes du droit allemand. Deuxièmement, Team Power Europe aurait été mentionnée dans ce contrat au titre, non pas de son enregistrement auprès de l’Agence pour l’emploi bulgare, mais de l’agrément de mise à disposition de personnel délivré par les autorités allemandes compétentes. Troisièmement, elle n’emploierait pas, à l’exception du personnel administratif et de direction, de travailleurs sur le territoire bulgare. Quatrièmement, la totalité du chiffre d’affaires réalisé par Team Power Europe résulterait des activités exercées par les travailleurs intérimaires mis à disposition en Allemagne. Cinquièmement, Team Power Europe déclarerait uniquement, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), des prestations de services dont le lieu d’exécution se situe sur le territoire d’un État membre autre que celui dans lequel elle est établie. Enfin, sixièmement, aucun contrat conclu avec des opérateurs exerçant une activité sur le territoire bulgare n’aurait été présenté et aucune prestation de services de travail intérimaire n’aurait été fournie sur ce territoire.

22 Par décision du 11 juin 2019, le directeur a rejeté la réclamation administrative introduite par Team Power Europe contre la décision du 30 mai 2019 du service des recettes.

23 Team Power Europe a alors saisi l’Administrativen sad – Varna (tribunal administratif de Varna, Bulgarie) d’un recours juridictionnel tendant à l’annulation de la décision du directeur.

24 À l’appui de ce recours, Team Power Europe fait valoir que le travailleur en cause au principal relevait du champ d’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 et remplissait les conditions auxquelles cette disposition subordonne la délivrance d’un certificat A 1. En ce qui concerne, plus particulièrement, la question de savoir si elle exerce normalement ses activités sur le territoire bulgare, Team Power Europe fait valoir qu’elle effectue sur ce territoire des activités substantielles de sélection, de recrutement et d’affiliation à la sécurité sociale de travailleurs intérimaires. Cette activité ne serait pas assimilable à l’accomplissement de tâches administratives purement internes. Par ailleurs, le fait que son chiffre d’affaires soit généré par la réalisation de transactions effectuées avec des entreprises utilisatrices établies dans un État membre autre que celui dans lequel elle est établie ne signifierait pas qu’elle exerce ses activités en dehors de ce dernier.

25 Le directeur soutient, pour sa part, que la situation en cause au principal ne relève pas de l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement. À cet égard, il souligne, notamment, que Team Power Europe emploie sur le territoire bulgare exclusivement du personnel administratif et de direction, que toutes les recettes perçues par cette entreprise proviennent d’activités salariées réalisées en Allemagne et que ladite entreprise a uniquement déclaré à la TVA des prestations de services ayant pour lieu d’exécution le territoire de ce dernier État membre.

26 L’Administrativen sad – Varna (tribunal administratif de Varna), qui statue en dernier ressort en matière de sécurité sociale, constate que les parties au principal sont en désaccord, en particulier, sur la question de savoir si Team Power Europe exerce une activité substantielle sur le territoire bulgare, la satisfaction de cette exigence conditionnant l’applicabilité à cette affaire de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. Or, sa propre jurisprudence comporterait, selon les formations de jugement, des décisions divergentes en ce qui concerne l’interprétation de cette exigence, telle que celle-ci a été précisée à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009. Cette divergence concernerait, en particulier, les critères pertinents à prendre en compte afin d’apprécier si une entreprise de travail intérimaire exerce généralement des « activités substantielles » sur le territoire de l’État membre dans lequel elle est établie, au sens de cette dernière disposition.

27 Selon un premier courant jurisprudentiel, une entreprise se trouvant dans la situation de Team Power Europe devrait être regardée comme exerçant de telles activités en Bulgarie. En effet, les activités de sélection, de recrutement et de mise à disposition de travailleurs intérimaires, qui constituent les activités principales d’une entreprise de travail intérimaire, seraient exercées dans cet État membre. En outre, y seraient conclus, conformément à la législation bulgare, les contrats de travail entre cette entreprise et ces travailleurs. Les contrats entre l’entreprise de travail intérimaire et les entreprises utilisatrices à la disposition desquelles lesdits travailleurs sont mis seraient également conclus sur le territoire bulgare. De surcroît, cette entreprise de travail intérimaire percevrait la totalité de ses recettes sur ce territoire, bien que le chiffre d’affaires résulte de transactions réalisées avec des entreprises utilisatrices établies dans d’autres États membres. Elle serait, par ailleurs, enregistrée en tant que société commerciale et immatriculée à la TVA, conformément à la législation bulgare.

28 Selon un second courant jurisprudentiel, une entreprise se trouvant dans la situation de Team Power Europe ne pourrait pas être considérée comme exerçant généralement une activité substantielle en Bulgarie. En effet, une telle entreprise, même si elle a son siège et sa direction sur le territoire bulgare, emploierait sur ce dernier uniquement du personnel administratif et de direction, ce qui suffirait déjà à exclure l’application des règles du droit de l’Union en matière de détachement. En outre, tous les travailleurs intérimaires concernés auraient été embauchés en vue de leur mise à disposition auprès d’entreprises utilisatrices établies en Allemagne, Team Power Europe n’ayant fourni aucun service de travail intérimaire, au cours de la période comprise entre le 22 mai 2017 et le 29 mai 2019, sur le territoire bulgare. Il en résulterait que l’intégralité des revenus et du chiffre d’affaires réalisés par cette entreprise au cours de cette période provient exclusivement d’activités réalisées en Allemagne. Par ailleurs, les contrats conclus avec les entreprises utilisatrices seraient régis par le droit allemand et exécutés en Allemagne.

29 De l’avis de la juridiction de renvoi, la jurisprudence de la Cour issue des arrêts du 17 décembre 1970, Manpower (35/70, EU:C:1970:120), et du 10 février 2000, FTS (C‑202/97, EU:C:2000:75), ne permet pas d’opter pour l’une ou l’autre de ces orientations jurisprudentielles et, en particulier, de répondre à la question de savoir si, au vu des critères énoncés par la Cour aux points 42 à 45 de ce dernier arrêt, le respect de la règle prévue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 et précisée à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, selon laquelle un employeur doit exercer généralement des activités substantielles autres que des activités de pure administration interne sur le territoire de l’État membre dans lequel il est établi, suppose que l’entreprise de travail intérimaire exerce une partie substantielle de ses activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires au profit d’entreprises utilisatrices établies et opérant sur le territoire du même État membre que celui dans lequel elle est elle-même établie ou s’il suffit que cette entreprise soit seulement enregistrée dans cet État membre et y conclue des contrats de travail en vue de la mise à disposition de tels travailleurs auprès d’entreprises utilisatrices établies dans d’autres États membres.

30 Dans ces conditions, l’Administrativen sad – Varna (tribunal administratif de Varna) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 [...] en ce sens que, pour considérer qu’une entreprise de travail intérimaire exerce normalement ses activités dans l’État membre dans lequel elle est établie, il faut qu’une partie significative des activités de mise à disposition de personnel soit réalisée au service d’entreprises utilisatrices établies dans le même État membre ? »

Sur la question préjudicielle

31 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 doit être interprété en ce sens qu’une entreprise de travail intérimaire établie dans un État membre doit, pour être considérée comme « exerçant normalement ses activités », au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, dans cet État membre, effectuer une partie significative de ses activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités sur le territoire dudit État membre.

32 À cet égard, il convient de rappeler que les dispositions du titre II du règlement no 883/2004, dont fait partie l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement, constituent, selon une jurisprudence constante de la Cour, un système complet et uniforme de règles de conflit de lois. Ces dispositions ont en effet pour but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application dudit règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, AFMB e.a., C‑610/18, EU:C:2020:565, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

33 Ainsi, dès lors qu’une personne relève du champ d’application personnel du règlement no 883/2004, tel qu’il est défini à l’article 2 de ce dernier, la règle de l’unicité énoncée à l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement est, en principe, applicable et la législation nationale applicable est déterminée conformément aux dispositions du titre II dudit règlement (arrêt du 16 juillet 2020, AFMB e.a., C‑610/18, EU:C:2020:565, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

34 À cette fin, l’article 11, paragraphe 3, sous a), du règlement no 883/2004 pose le principe selon lequel la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État (arrêt du 16 juillet 2020, AFMB e.a., C‑610/18, EU:C:2020:565, point 42).

35 Ce principe est cependant formulé « [s]ous réserve des articles 12 à 16 » du règlement no 883/2004. En effet, dans certaines situations particulières, l’application pure et simple de la règle générale visée à l’article 11, paragraphe 3, sous a), de ce règlement risquerait non pas d’éviter, mais, au contraire, de créer, tant pour le travailleur que pour l’employeur et les organismes de sécurité sociale, des complications administratives dont l’effet pourrait être d’entraver l’exercice de la libre circulation des personnes couvertes par ledit règlement (arrêt du 16 juillet 2020, AFMB e.a., C‑610/18, EU:C:2020:565, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

36 Parmi ces situations particulières figure, notamment, celle visée à l’article 12 du règlement no 883/2004. Selon le paragraphe 1 de cet article, la personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur « y exerçant normalement ses activités » et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre demeure soumise à la législation du premier État membre, à la condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas 24 mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée.

37 Est, dès lors, susceptible de relever de cette disposition le travailleur détaché dont l’employeur a un lien particulier avec l’État membre dans lequel il est établi, en ce que cet employeur « exerc[e] normalement ses activités » dans cet État membre.

38 L’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 précise que ces derniers termes doivent être compris comme désignant un employeur « qui exerce généralement des activités substantielles autres que des activités de pure administration interne sur le territoire de l’État membre dans lequel il est établi », et cela « en tenant compte de tous les facteurs caractérisant les activités de l’entreprise en question », lesquels « doivent être adaptés aux caractéristiques propres de chaque employeur et à la nature réelle des activités exercées ».

39 Aux points 42 et 43 de l’arrêt du 10 février 2000, FTS (C‑202/97, EU:C:2000:75), la Cour, interprétant l’article 14, point 1, sous a), du règlement no 1408/71, lequel a été remplacé par l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, a jugé que seule une entreprise de travail intérimaire qui exerce habituellement des activités significatives dans l’État membre dans lequel elle est établie peut bénéficier de la règle particulière découlant dudit article 14, point 1, sous a), et que, pour déterminer si tel est le cas, l’institution compétente de cet État membre est tenue d’examiner l’ensemble des critères caractérisant les activités exercées par cette entreprise. Elle a précisé que, au nombre de ces critères, figurent, notamment, le lieu du siège de l’entreprise et de son administration, l’effectif du personnel administratif travaillant respectivement dans l’État membre d’établissement et dans l’autre État membre, le lieu où les travailleurs détachés sont recrutés et celui où sont conclus la plupart des contrats avec les clients, la loi applicable aux contrats de travail conclus par l’entreprise avec ses travailleurs, d’une part, et avec ses clients, d’autre part, ainsi que les chiffres d’affaires réalisés pendant une période suffisamment caractéristique dans chaque État membre concerné, étant entendu que cette liste n’est pas exhaustive, le choix des critères devant être adapté à chaque cas spécifique.

40 Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 54 et 55 de ses conclusions, ces critères ne permettent pas de répondre précisément à la question posée par la juridiction de renvoi dans la présente affaire.

41 En effet, lesdits critères ont été fournis par la Cour, ainsi qu’il ressort, en particulier, des points 11 et 15 de l’arrêt du 10 février 2000, FTS(C‑202/97, EU:C:2000:75), dans un contexte différent de celui de l’affaire au principal, dès lors que l’affaire ayant donné lieu audit arrêt concernait une entreprise de travail intérimaire dont il était constant qu’elle exerçait des activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires tant dans l’État membre dans lequel elle était établie que dans un autre État membre. Dans cette perspective, les critères rappelés au point 39 du présent arrêt visaient à identifier, aux fins de déterminer la législation applicable en matière de sécurité sociale, l’État membre avec lequel cette entreprise entretenait les liens les plus étroits.

42 En revanche, il ressort du dossier dont dispose la Cour dans la présente affaire que Team Power Europe ne procède à la mise à disposition de travailleurs intérimaires qu’auprès d’entreprises utilisatrices établies dans un État membre autre que celui dans lequel elle est établie. C’est dans ce contexte que se pose la présente question préjudicielle, laquelle vise à déterminer quel type d’activités une entreprise de travail intérimaire doit réaliser de manière significative dans l’État membre dans lequel elle est établie pour être considérée comme exerçant généralement, dans cet État membre, des « activités substantielles autres que des activités de pure administration interne », au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, et, partant, pour relever du champ d’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.

43 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de cette dernière disposition, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, notamment, arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld, C‑181/19, EU:C:2020:794, point 61 et jurisprudence citée).

44 En ce qui concerne, en premier lieu, le libellé de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, il ressort de celui-ci que, pour déterminer si une entreprise exerce généralement des « activités substantielles autres que des activités de pure administration interne », dans l’État membre dans lequel elle est établie, il convient, ainsi qu’il a été relevé au point 38 du présent arrêt, de tenir compte de tous les facteurs caractérisant les activités exercées par cette entreprise, ces facteurs devant être adaptés aux caractéristiques propres de chaque employeur et à la nature réelle des activités exercées.

45 À cet égard, s’agissant d’une entreprise de travail intérimaire, telle que celle en cause au principal, il est constant entre tous les intéressés ayant participé à la procédure devant la Cour qu’une telle entreprise se caractérise par le fait qu’elle exerce un ensemble d’activités consistant à procéder à la sélection, au recrutement et à la mise à disposition de travailleurs intérimaires auprès d’entreprises utilisatrices.

46 Il convient de préciser que ces activités, notamment celles relatives à la sélection et au recrutement de travailleurs intérimaires, ne sauraient être considérées comme étant des « activités de pure administration interne », au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009. En effet, cette notion recouvre uniquement des activités de nature exclusivement administrative qui visent à assurer le fonctionnement interne de l’entreprise.

47 Cela étant précisé, il y a lieu de déterminer s’il suffit, pour qu’une entreprise de travail intérimaire relève du champ d’application de cette disposition, que cette entreprise effectue de manière significative, dans l’État membre dans lequel elle est établie, des activités de sélection et de recrutement de travailleurs intérimaires ou si elle doit également exercer de manière significative des activités de mise à disposition de tels travailleurs dans cet État membre.

48 À cet égard, il importe de relever que, si les activités de sélection et de recrutement de travailleurs intérimaires revêtent une importance certaine pour les entreprises de travail intérimaire, elles ont pour unique objet la mise à disposition ultérieure par celles-ci de tels travailleurs auprès d’entreprises utilisatrices.

49 En particulier, il convient de relever que, si la sélection et le recrutement de travailleurs intérimaires contribuent à générer le chiffre d’affaires réalisé par une entreprise de travail intérimaire, dès lors que ces activités constituent un préalable indispensable à la mise à disposition ultérieure de tels travailleurs, seule la mise à disposition de ces travailleurs auprès d’entreprises utilisatrices en exécution des contrats conclus à cette fin avec ces dernières génère effectivement ce chiffre d’affaires. En effet, comme Team Power Europe l’a indiqué dans ses observations écrites et lors de l’audience, les revenus d’une telle entreprise dépendent du montant de la rémunération versée aux travailleurs intérimaires ayant été mis à disposition d’entreprises utilisatrices.

50 Il en résulte qu’une entreprise de travail intérimaire qui, telle Team Power Europe, exerce ses activités de sélection et de recrutement de travailleurs intérimaires dans l’État membre dans lequel elle est établie, ne saurait être regardée comme exerçant dans cet État membre des « activités substantielles », au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, que si elle y accomplit également de manière significative des activités de mise à disposition de ces travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités dans le même État membre.

51 Cette interprétation est corroborée, en deuxième lieu, par le contexte dans lequel s’inscrit l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009.

52 En effet, il y a lieu de rappeler que cette disposition, dans la mesure où elle vise à préciser la portée de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lequel constitue une dérogation à la règle générale prévue à l’article 11, paragraphe 3, sous a), du règlement no 883/2004, doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C‑527/16, EU:C:2018:669, point 95).

53 Dans ces conditions, cette règle dérogatoire ne saurait s’appliquer à une entreprise de travail intérimaire qui, bien qu’exerçant, dans l’État membre dans lequel elle est établie, des activités de sélection et de recrutement de travailleurs intérimaires, ne procède, dans cet État, aucunement ou, tout au plus, que de manière négligeable à la mise à disposition de tels travailleurs auprès d’entreprises utilisatrices qui y sont également établies. En effet, l’application de ladite règle dérogatoire à une telle entreprise de travail intérimaire aurait pour conséquence de soumettre au champ d’application de celle-ci les travailleurs sélectionnés et recrutés par cette entreprise qui exercent leurs activités principalement, voire exclusivement, dans un État membre autre que celui dans lequel est établie ladite entreprise, et ce alors que cette même règle a vocation à s’appliquer uniquement aux situations dans lesquelles un travailleur exerce, pour une période limitée, ses activités dans un État membre autre que celui dans lequel son employeur exerce normalement ses activités.

54 Par ailleurs, il y a lieu de relever que la directive 2008/104, qui porte spécifiquement sur le travail intérimaire, définit, à son article 3, paragraphe 1, sous b), l’« entreprise de travail intérimaire » comme toute personne physique ou morale qui, conformément au droit national, conclut des contrats de travail ou noue des relations de travail avec des travailleurs intérimaires « en vue de » les mettre à la disposition d’entreprises utilisatrices pour y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction desdites entreprises.

55 Quant à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de cette directive, il définit le « travailleur intérimaire » comme étant un travailleur ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire « dans le but » d’être mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice en vue d’y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de ladite entreprise.

56 Ces définitions, en ce qu’elles font ressortir la finalité de l’activité d’une entreprise de travail intérimaire, consistant à mettre à disposition des travailleurs intérimaires auprès d’entreprises utilisatrices, étayent également l’interprétation selon laquelle une telle entreprise ne peut être considérée comme exerçant, dans l’État membre dans lequel elle est établie, des « activités substantielles », au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, que si elle y accomplit de manière significative des activités de mise à disposition de ces travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités dans le même État membre.

57 L’interprétation qui précède est confortée, en troisième lieu, par l’objectif poursuivi tant par l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 que par la réglementation de l’Union dont cette disposition fait partie.

58 À cet égard, il convient de rappeler que le règlement no 883/2004, dont le règlement no 987/2009 prévoit les modalités d’application, vise, ainsi qu’il ressort de ses considérants 1 et 45 ainsi que de l’article 42 CE, devenu article 48 TFUE, sur le fondement duquel il a, notamment, été adopté, à assurer la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne, tout en respectant les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale, et à coordonner les systèmes nationaux de sécurité sociale des États membres afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes et, ainsi, de contribuer à l’amélioration du niveau de vie et des conditions d’emploi des personnes qui se déplacent au sein de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, AFMB e.a., C‑610/18, EU:C:2020:565, point 63 ainsi que jurisprudence citée).

59 L’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, dont l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 précise la portée, s’il a, notamment, pour objet de promouvoir la libre prestation de services, garantie aux articles 56 à 62 TFUE, au bénéfice des entreprises qui en font usage en envoyant des travailleurs dans des États membres autres que celui dans lequel elles sont établies, s’inscrit également, ainsi qu’il ressort des points 34 à 36 du présent arrêt, dans l’objectif mentionné au point précédent, en ce qu’il prévoit une règle dérogatoire à la règle de l’État membre d’emploi, prévue à l’article 11, paragraphe 3, sous a), du règlement no 883/2004, afin d’éviter les complications qui pourraient résulter de l’application de cette dernière règle et, ainsi, de surmonter les obstacles susceptibles d’entraver la libre circulation des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Walltopia, C‑451/17, EU:C:2018:861, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée).

60 En particulier, afin d’éviter qu’une entreprise établie sur le territoire d’un État membre ne soit obligée d’affilier ses travailleurs, soumis normalement à la législation de sécurité sociale de cet État membre, au régime de sécurité sociale d’un autre État membre où ils seraient envoyés pour accomplir des travaux d’une durée limitée dans le temps, l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 permet à l’entreprise de conserver l’affiliation de ses travailleurs au régime de sécurité sociale du premier État membre (voir arrêt du 25 octobre 2018, Walltopia, C‑451/17, EU:C:2018:861, point 39 et jurisprudence citée).

61 En prévoyant une telle dérogation, le législateur de l’Union a offert aux entreprises qui exercent la libre prestation de services garantie par le traité FUE un avantage en matière de sécurité sociale qui ne découle pas du simple exercice de cette liberté.

62 Or, le fait de permettre aux entreprises de travail intérimaire recourant à la libre prestation de services de bénéficier de cet avantage lorsqu’elles orientent leurs activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires exclusivement ou principalement vers un ou plusieurs États membres autres que celui dans lequel elles sont établies risquerait d’inciter ces entreprises à choisir l’État membre dans lequel elles souhaitent s’établir en fonction de la législation de sécurité sociale de ce dernier dans le seul but de bénéficier de la législation qui leur est la plus favorable en cette matière et de permettre ainsi le « forum shopping ».

63 Il est vrai que le règlement no 883/2004 met uniquement en place un système de coordination des législations des États membres en matière de sécurité sociale, sans procéder à l’harmonisation de ces législations, et qu’il est inhérent à un tel système que subsistent des différences entre les régimes de sécurité sociale de ces derniers, notamment en ce qui concerne le niveau des cotisations sociales à acquitter au titre de l’exercice d’une activité donnée (arrêt du 16 juillet 2020, AFMB e.a., C‑610/18, EU:C:2020:565, point 68 ainsi que jurisprudence citée).

64 Toutefois, l’objectif poursuivi par ce règlement, consistant à promouvoir la libre circulation des travailleurs ainsi que, dans le cas de détachement de travailleurs, la libre prestation de services, en offrant un avantage en matière de sécurité sociale aux entreprises qui exercent cette liberté, risquerait d’être compromis si l’interprétation de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 revenait à faciliter la possibilité pour ces entreprises d’utiliser la réglementation de l’Union en la matière dans le seul but de tirer avantage des différences existant entre les régimes nationaux de sécurité sociale. En particulier, un tel usage de cette réglementation risquerait d’exercer une pression vers le bas sur les systèmes de sécurité sociale des États membres, voire d’aboutir à une réduction du niveau de protection offert par ceux-ci.

65 Par ailleurs, en permettant aux entreprises de travail intérimaire d’exploiter les différences existant entre les systèmes de sécurité sociale des États membres, une interprétation de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 et de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, selon laquelle les travailleurs intérimaires recrutés par ces entreprises resteraient affiliés au régime de sécurité sociale de l’État membre dans lequel ces dernières sont établies, alors même qu’elles ne procèdent à aucune activité significative de mise à disposition de ces travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices qui y sont également établies, aurait pour effet de créer, entre les différentes modalités d’emploi possibles, une distorsion de la concurrence en faveur du recours au travail intérimaire par rapport aux entreprises recrutant directement leurs travailleurs, lesquels seraient affiliés au régime de sécurité sociale de l’État membre dans lequel ils travaillent.

66 Il en résulte que, si une entreprise de travail intérimaire qui exerce ses activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires exclusivement ou principalement auprès d’entreprises utilisatrices établies dans un État membre autre que celui dans lequel elle est établie est en droit de se prévaloir de la libre prestation de services garantie par le traité FUE, une telle entreprise ne saurait, en revanche, bénéficier de l’avantage offert, en matière de sécurité sociale, par l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, qui consiste à conserver l’affiliation de ces travailleurs à la législation de l’État membre dans lequel elle est établie, cet avantage étant subordonné à l’exercice, par cette entreprise, d’une partie significative de ses activités de mise à disposition de travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités sur le territoire de l’État membre dans lequel elle est elle-même établie.

67 Par conséquent, l’exercice par une entreprise de travail intérimaire d’activités, fussent-elles significatives, de sélection et de recrutement de travailleurs intérimaires dans l’État membre dans lequel elle est établie, est insuffisant, en lui-même, pour qu’il puisse être considéré qu’une telle entreprise « exerc[e] normalement ses activités » dans cet État membre, au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, tel que précisé à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, et puisse, partant, se prévaloir de la règle dérogatoire prévue à la première de ces dispositions.

68 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 doit être interprété en ce sens qu’une entreprise de travail intérimaire établie dans un État membre doit, pour être considérée comme « exerçant normalement ses activités », au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, dans cet État membre, effectuer une partie significative de ses activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités sur le territoire dudit État membre.

Sur les dépens

69 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 14, paragraphe 2, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu’une entreprise de travail intérimaire établie dans un État membre doit, pour être considérée comme « exerçant normalement ses activités », au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, dans cet État membre, effectuer une partie significative de ses activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités sur le territoire dudit État membre.