Déclaration de détachement incomplète, donc irrégulière

CAA de DOUAI

N° 19DA00130

Inédit au recueil Lebon

3ème chambre

M. Albertini, président

M. Paul Louis Albertini, rapporteur

M. Cassara, rapporteur public

lecture du jeudi 9 juillet 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par quatre requêtes distinctes, la société Overeuronet Ldt a demandé au tribunal administratif de Rouen :

 d’annuler la décision du 9 décembre 2015 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Haute-Normandie lui a infligé une amende de 6 000 euros en application de l’article L. 1264-3 du code du travail ;

 d’annuler la décision implicite du 10 avril 2016 par laquelle le ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique dirigée contre cette décision du 9 décembre 2015 ;

 d’annuler le titre de recettes émis le 17 décembre 2015 par la direction spécialisée des finances publiques pour l’étranger pour le recouvrement de l’amende de 6 000 euros prononcée à son encontre ;

 d’annuler la décision implicite de rejet de son recours gracieux dirigée contre le titre de perception.

Par un jugement n° 1602067, 1602154, 1604110 et 1604111 du 15 novembre 2018, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 9 décembre 2015 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Haute-Normandie, le titre de perception du 17 décembre 2015 ainsi que les décisions implicites de rejet et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Overeuronet Ldt.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2019, la ministre du travail demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Overeuronet Ldt. devant le tribunal administratif.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code du travail ;

 l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président-rapporteur,

 et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Lors d’un contrôle effectué le 14 avril 2015 au sein d’une société civile horticole Houdeville, située à Bourdainville, le contrôleur du travail a constaté la présence de trois salariés de nationalité polonaise mis à disposition sous le régime du détachement par la société Overeuronet Ldt, société de droit anglais. Des irrégularités ont été alors relevées dans la déclaration de détachement de ces salariés. Après avoir mis en oeuvre la procédure contradictoire requise, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Haute-Normandie a, par une décision du 9 décembre 2015, infligé à la société Overeuronet Ltd, sur le fondement de l’article L. 1264-1 du code du travail, une amende administrative d’un montant de 6 000 euros pour manquements aux dispositions de l’article L. 1262-2-1 du même code. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le ministre chargé du travail sur le recours hiérarchique formée par la société. Un titre de perception a également été émis le 17 décembre 2015. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l’ordonnateur sur le recours de la société contre ce titre de perception. La société Overeuronet Ltd a contesté l’amende administrative prononcée le 9 décembre 2015, le titre de perception du 17 décembre 2015 ainsi que les décisions implicites de rejet de ses deux recours dirigés contre ces deux décisions. Par un jugement du 15 novembre 2018, le tribunal administratif de Rouen a annulé l’ensemble de ces décisions. La ministre du travail relève appel de ce jugement.

Sur le motif d’annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Ainsi que l’a jugé le tribunal administratif de Rouen, la décision du 4 décembre 2015, produite par l’administration en première instance, et par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Haute-Normandie a donné à son directeur régional adjoint, délégation de signature à l’effet de signer notamment les amendes prononcées en application de l’article L. 1264-1 du code du travail, n’était pas encore régulièrement publiée à la date de la décision en litige. Il résulte néanmoins de l’instruction que par la précédente décision de délégation de signature du 28 octobre 2015 régulièrement publiée d’une part au recueil des actes administratifs n°27-2015-010 de la préfecture de l’Eure du 29 octobre 2015 et d’autre part dans celui n° 112, tome 2, de la préfecture de la Seine-Maritime du 30 octobre 2015, qui était toujours en vigueur à la date de la décision en litige faute de publication de cette nouvelle décision du 4 décembre 2015, le directeur régional avait déjà donné délégation à M. C..., directeur régional adjoint et responsable du pôle “ politique du travail “, à l’effet de signer notamment les décisions prononçant les amendes en cas de manquement pour un employeur établi à l’étranger, à l’obligation de déclaration préalable de détachement. Par suite, nonobstant l’erreur qui figure dans les visas de la décision en litige, la ministre du travail est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 9 décembre 2015, comme entachée d’un vice d’incompétence du signataire de l’acte et par voie de conséquence le titre de perception ainsi que les décisions implicites de rejet de ses recours administratifs.

3. Toutefois il appartient à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la société Overeuronet Ltd devant le tribunal administratif.

Sur la légalité de la décision du 9 décembre 2015 et celle du rejet implicite de son recours hiérarchique :

4. Aux termes de l’article L. 1264-3 du code du travail : “ L’amende administrative mentionnée aux articles L. 1264-1 et L. 1264-2 est prononcée par l’autorité administrative compétente, après constatation par un des agents de contrôle de l’inspection du travail mentionnés aux articles L. 8112-1 et L. 8112-5 “. Aux termes de l’article L. 8112-5 du même code applicable en l’espèce : “ Les contrôleurs du travail chargés de contrôles, d’enquêtes et de missions dans le cadre de l’inspection du travail exercent leur compétence sous l’autorité des inspecteurs du travail. “.

5. Il résulte de l’instruction, et en particulier de la décision du 25 mars 2015 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Haute-Normandie, relative à la nomination des responsables des unités de contrôle et à l’affectation des agents de contrôle dans les sections d’inspection du travail des unités territoriales de la Seine-Maritime et de l’Eure, que M. A... B..., contrôleur du travail qui a procédé le 14 avril 2015 au contrôle au sein de la société d’horticulture, était affecté dans l’unité régionale d’appui et de contrôle chargée de la lutte contre le travail illégal, et placé sous l’autorité du responsable du pôle “ Politique du travail “. En cette qualité, il était compétent pour procéder au contrôle en litige. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure dont serait entachée la décision du 9 décembre 2015 doit être écarté.

6. Aux termes de l’article L. 1264-1 du code du travail : “ La méconnaissance par l’employeur qui détache un ou plusieurs salariés d’une des obligations mentionnées à l’article L. 1262-2-1, à l’article L. 1262-4-4 ou à l’article L. 1263-7 est passible d’une amende administrative, dans les conditions prévues à l’article L. 1264-3 “. Aux termes de l’article L. 1262-2-1 du même code : “ I. - L’employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article L. 1262-1 et à l’article L. 1262-2 , adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l’inspection du travail du lieu où débute la prestation. II (...) “. Aux termes de l’article R. 1263-6 du même code applicable au jour de la déclaration préalable au détachement : “ Les entreprises de travail temporaire qui détachent un salarié sur le territoire français, dans les conditions prévues à l’article L. 1262-2, adressent à l’inspection du travail du lieu d’exécution de la mission du salarié détaché, ou du premier lieu de l’activité si elle doit se poursuivre dans d’autres lieux, une déclaration comportant les mentions suivantes : 1° Le nom ou la raison sociale et l’adresse de l’entreprise de travail temporaire, la forme juridique de l’entreprise, les références de son immatriculation à un registre professionnel, l’identité du ou des dirigeants, la désignation du ou des organismes auxquels l’entrepreneur de travail temporaire verse les cotisations de sécurité sociale ; 2° L’identité de l’organisme auprès duquel a été obtenue une garantie financière ou une garantie équivalente dans le pays d’origine ; 3° Les nom, prénom, date de naissance et nationalité du salarié mis à disposition, les dates prévisibles du début et de la fin de sa mission, sa qualification professionnelle, l’emploi qu’il occupe, le montant de sa rémunération brute mensuelle durant le détachement, l’adresse du ou des lieux successifs où s’effectue sa mission, la nature du matériel ou des procédés de travail dangereux utilisés ; 4° Le nom ou la raison sociale et l’adresse de l’entreprise utilisatrice ; 5° Les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos des salariés détachés conformément aux dispositions des articles L. 3171-1, premier et deuxième alinéas, et L. 3171-2 ; 6° Le cas échéant, l’adresse du lieu d’hébergement collectif des salariés. “.

7. Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un prestataire de services établi hors de France, qui détache des salariés, une amende administrative prévue par les dispositions de l’article L. 1264-3 du code du travail, de vérifier la matérialité des faits reprochés à ce prestataire de services et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, soit de maintenir ou d’annuler la sanction prononcée, soit d’en diminuer le montant dans le cadre prévu par les dispositions applicables au litige.

8. La société Overeuronet Ldt soutient avoir transmis à l’administration, par courrier électronique du 24 janvier 2015, une déclaration préalable au détachement pour deux premiers salariés, accompagnée d’une annexe comportant la liste nominative des salariés détachés. Toutefois, ainsi que l’établit l’administration, l’adresse électronique utilisée par la société était erronée et celle-ci a nécessairement dû recevoir un message d’erreur, à la suite duquel elle n’a manifestement pas réagi. S’il résulte de l’instruction que l’administration a reçu, en revanche, la veille, cette fois par courrier électronique via la bonne adresse électronique, une déclaration préalable au détachement, les mentions très sommaires de ce courriel et l’affichage des noms des deux pièces jointes ne permettent d’établir que l’annexe obligatoire, contenant les informations prévues au 3° de l’article R. 1263-6 du code du travail, était contenu dans cet envoi. La société ne justifie pas davantage avoir adressé régulièrement par courriel le 6 mars 2015, une nouvelle déclaration de détachement pour le 3ème salarié, dont la mise à disposition a débuté le 9 mars suivant. Les allégations de la société, quant à un changement dans l’intitulé des adresses électroniques, sont dépourvues de tout commencement de preuve, alors d’ailleurs que la société a su adresser à l’administration dès le 23 janvier 2015 une déclaration préalable au détachement. Par suite, la société Overeuronet Ldt n’est fondée à soutenir que la décision contestée repose sur des faits matériellement inexacts.

9. Il résulte de l’instruction que pour prononcer la sanction en litige, l’administration s’est fondée sur le caractère incomplet de la seule déclaration de détachement reçue, aucune annexe avec la liste des salariés détachés n’ayant été fournie par la société Overeuronet Ldt à l’appui du formulaire. Les informations censées être contenues dans cette annexe sont celles prévues au 3° de l’article R. 1263-3 du code du travail et un tel motif pouvait dès lors légalement fonder la sanction. La société ne peut ainsi utilement soutenir que ces annexes étaient complètes, dès lors qu’ainsi qu’il a été dit au point précédent, il n’est pas établi qu’elles auraient été produites et communiquées à l’administration. Dès lors, le moyen tiré de ce que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Haute-Normandie aurait commis une erreur d’appréciation en lui infligeant une sanction au regard du caractère incomplet de la seule déclaration de détachement effectivement reçue doit être écarté.

10. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les conclusions d’annulation dirigées contre la décision du 9 décembre 2015 et celle implicite de rejet du recours hiérarchique de la société Overeuronet Ldt doivent être rejetées.

Sur la légalité du titre de perception et la décision implicite de son recours gracieux :

11. Pour demander l’annulation du titre de perception et la décision implicite de rejet de son recours gracieux, la société Overeuronet Ldt soutient que ces décisions sont privées de base légale en raison de l’illégalité de la décision du 9 décembre 2015, en soulevant les mêmes moyens que ceux précédemment examinés. Par suite, les conclusions d’annulation dirigées contre le titre de perception et la décision implicite de rejet de son recours gracieux ne peuvent être que rejetées.

12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de l’irrégularité du jugement attaqué, que la ministre du travail est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 9 décembre 2015 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Haute-Normandie, et par voie de conséquence le titre de perception du 17 décembre 2015 ainsi que les décisions implicites de rejet du recours hiérarchique et du recours gracieux.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 15 novembre 2018 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par la société Overeuronet Ldt devant le tribunal administratif sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail et à la société Overeuronet Ldt.

Copie sera adressée pour information au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Haute-Normandie et à la direction spécialisée des finances publiques pour l’étranger.