Donneur d’ordre - défaut de vérification déclaration de détachement - défaut de vérification désignation représentant

CAA de DOUAI

N° 19DA00920

Inédit au recueil Lebon

3ème chambre

M. Albertini, président

M. Marc Lavail Dellaporta, rapporteur

M. Cassara, rapporteur public

SCP FROMONT BRIENS, avocat(s)

lecture du mercredi 15 avril 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Prezioso Linjebygg a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie du 7 juin 2016 lui infligeant une amende administrative de 25 000 euros, à titre subsidiaire, de réduire le montant de cette amende et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1605762 du 13 février 2019 le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 7 juin 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie prononçant une amende de 1 000 euros par salarié concerné à l’encontre de la société Prezioso Linjebygg, en tant qu’elle concerne seize salariés de la société Gestifix Servicos e Investismentos, et six salariés de la société Gestifix II, a déchargé la société Prezioso Linjebygg de l’obligation de payer la somme de 22 000 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 avril 2019, la ministre du travail demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement en tant qu’il a annulé partiellement la décision du 7 juin 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie a infligé à la société Prezioso Linjebygg une amende d’un montant total de 22 000 euros en sa qualité de donneur d’ordre ayant recouru au détachement en France de seize salariés de la société Gestifix Servicos e Investimentos et de six salariés de la société Gestifix II, sociétés de droit portugais qui ont leur siège hors du territoire national, et a déchargé la société Prezioso Linjebygg de l’obligation de payer la somme de 22 000 euros ;

2) de rejeter, dans cette mesure, la demande présentée par la société Prezioso Linjebygg devant le tribunal administratif de Lille.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code du travail ;

 le code des relations entre le public et l’administration ;

 l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

 le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendu au cours de l’audience publique :

 le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur ;

 les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;

 et les observations de M. A... C..., représentant la ministre du travail et de Me B... D..., représentant la société Prezioso Linjebygg.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée Prezioso Linjebygg est une entreprise française, spécialisée dans l’application de revêtements techniques, le calorifugeage d’installations industrielles et l’échafaudage. Le 14 mars 2016, le contrôleur du travail de l’unité de contrôle de Douai a effectué un contrôle sur un chantier où cette société effectuait de tels travaux pour le compte de son client, la société Nyrstar, à Auby, au cours duquel il a constaté que la société Prezioso Linjebygg avait recouru pour la réalisation de ces prestations à deux entreprises de travail temporaire de droit portugais, qui avaient chacune détaché des travailleurs portugais sur le chantier. La société Gestifix Servicos e Investimentos, d’une part, avait détaché seize travailleurs portugais, et, d’autre part, la société Gestifix II avait détaché neuf travailleurs portugais. Il a aussi considéré que si la société Gestifix Servicos e Investimentos a effectué une déclaration préalable de détachement pour les seize salariés du 10 mars au 14 mars 2016, elle n’avait en revanche pas mentionné de représentant en France et que la société Gestifix II n’avait accompli aucune déclaration préalable de détachement pour ses neuf salariés. Ces deux sociétés de droit portugais ont, chacune, été sanctionnées par deux amendes administratives, respectivement de 9 000 et 16 000 euros, qu’elles n’ont pas contestées. Parallèlement, par une décision du 7 juin 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, une sanction administrative d’un montant de 25 000 euros, soit 1 000 euros par salarié en cause, a également été infligée à la société Prezioso Linjebygg. Elle a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Lille qui, par un jugement du 13 février 2019, a partiellement fait droit à sa demande, en annulant la décision du 7 juin 2016 en tant qu’elle prononce une amende de 1 000 euros à l’encontre de la société Prezioso Linjebygg concernant seize salariés de la société Gestifix Servicos e Investismentos et six salariés de la société Gestifix II et en la déchargeant, par suite, de l’obligation de payer la somme de 22 000 euros. La ministre du travail relève appel de ce jugement en demandant son annulation et le rejet des demandes présentées par la société Prezioso Linjebygg devant les premiers juges. La société intimée n’a pas formé de conclusions d’appel principal ou incident contre le jugement en litige en tant qu’il a rejeté le surplus de ses demandes de première instance concernant l’amende de 3 000 euros infligée pour l’emploi de trois autres salariés détachés, le jugement étant donc définitif sur ce point.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Prezioso Linjebygg :

2. Le mémoire d’appel, qui ne constitue pas, en l’espèce, la reproduction littérale d’un mémoire de première instance, énonce, de manière précise et suffisamment motivée, les critiques adressées au jugement dont l’annulation partielle est demandée à la cour. En l’espèce, la critique qui est faite par la société Prezioso Linjebygg, intimée, émane du défendeur de première instance, qui ne peut confondre le caractère suffisamment motivé de la requête d’appel et la critique de la régularité du jugement, la ministre du travail n’étant pas obligée de soulever des moyens tirés de l’irrégularité du jugement pour que sa requête soit recevable. La fin de non-recevoir opposée par la société Prezioso Linjebygg ne peut, dès lors, qu’être écartée.

Sur les motifs d’annulation retenus par le jugement attaqué :

3. Aux termes de l’article L. 1264-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige : “ La méconnaissance par l’employeur qui détache un ou plusieurs salariés d’une des obligations mentionnées à l’article L. 1262-2-1 ou à l’article L. 1263-7 est passible d’une amende administrative, dans les conditions prévues à l’article L. 1264-3 “. Aux termes de l’article L 1264-2 du même code : “ La méconnaissance par le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre d’une des obligations mentionnées à l’article L. 1262-4-1 est passible d’une amende administrative, dans les conditions prévues à l’article L. 1264-3, lorsque son cocontractant n’a pas rempli au moins l’une des obligations lui incombant en application de l’article L. 1262-2-1. “ Aux termes de l’article L. 1262-2-1 du même code, dans sa version applicable au litige : “ I.- L’employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l’inspection du travail du lieu où débute la prestation. / II. -L’employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l’entreprise sur le territoire national, chargé d’assurer la liaison avec les agents [de l’inspection du travail] (...) pendant la durée de la prestation “. Aux termes de l’article L. 1262-4-1 du même code : “Le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage qui contracte avec un prestataire de services qui détache des salariés, dans les conditions mentionnées aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, vérifie auprès de ce dernier, avant le début du détachement, qu’il s’est acquitté des obligations mentionnées aux I et II de l’article L. 1262-2-1. /A défaut de s’être fait remettre par son cocontractant une copie de la déclaration mentionnée au I de l’article L. 1262-2-1, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre adresse, dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement, une déclaration à l’inspection du travail du lieu où débute la prestation. Un décret détermine les informations que comporte cette déclaration. “. En outre, aux termes de l’article L.1264-3 du code précité : “ L’amende administrative mentionnée aux articles L. 1264-1 et L. 1264-2 est prononcée par l’autorité administrative compétente, après constatation par un des agents de contrôle de l’inspection du travail mentionnés aux articles L. 8112-1 et L. 8112-5. /Le montant de l’amende est d’au plus 2 000 euros par salarié détaché et d’au plus 4 000 euros en cas de réitération dans un délai d’un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 500 000 euros. /Pour fixer le montant de l’amende, l’autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges. /Le délai de prescription de l’action de l’administration pour la sanction du manquement par une amende administrative est de deux années révolues à compter du jour où le manquement a été commis... “ Enfin, aux termes de l’article R.1263-2-l du code du travail : “ Le représentant de l’entreprise sur le territoire national mentionné au II de l’article L. 1262-2-1 accomplit au nom de l’employeur les obligations qui lui incombent en application de l’article R. 1263-1. / La désignation de ce représentant est effectuée par écrit par l’employeur. Elle comporte les nom, prénoms, date et lieu de naissance, adresse électronique et postale en France, le cas échéant la raison sociale, ainsi que les coordonnées téléphoniques du représentant. Elle indique l’acceptation par l’intéressé de sa désignation ainsi que la date d’effet et la durée de la désignation, qui ne peut excéder la période de détachement. /Elle est traduite en langue française. / Elle indique pour les documents prévus à l’article R. 1263-1 soit le lieu de conservation sur le territoire national, soit les modalités permettant d’y avoir accès et de les consulter depuis le territoire national “.

4. Il résulte de ces dispositions combinées que l’obligation de vigilance mise à la charge du donneur d’ordre n’excède pas la vérification, avant début du détachement, de ce que le prestataire étranger s’est formellement acquitté de la communication, à l’administration, de la déclaration de détachement des salariés et de la désignation de son représentant en France. A défaut d’une telle communication, il appartient au donneur d’ordre d’adresser, dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement, une déclaration à l’inspection du travail. Le manquement à l’obligation de vigilance du donneur d’ordre est en outre constitutif d’une seule incrimination qui ne saurait se dédoubler en fonction du nombre de documents non communiqués et n’est passible, par opération, que d’une seule amende, dont le tarif unitaire ne peut être multiplié que par le nombre de salariés. Enfin, la matérialité du manquement est constituée au début de l’opération et, réserve faite du tarif unitaire qui doit tenir compte du comportement de l’entreprise, l’amende peut être prononcée alors même qu’une régularisation a été recherchée au cours de l’opération.

5. Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration a prononcé une amende sanctionnant la méconnaissance du régime d’emploi de travailleurs détachés en France, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur le bien-fondé et le montant de l’amende fixée par l’administration. S’il estime que l’amende a été illégalement infligée, dans son principe ou son montant, il lui revient, dans la première hypothèse, de l’annuler et, dans la seconde, de la réformer en fixant lui-même un nouveau quantum proportionné aux manquements constatés et aux autres critères prescrits par les textes en vigueur. S’agissant de mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose aussi que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’elle en fait la demande.

6. Il résulte de l’instruction, d’une part, s’agissant des seize travailleurs détachés par la société Gestifix Servicos e Investimentos, que l’administration a reproché à la société Prezioso Linjebygg de n’avoir pas vérifié que la société Gestifix Servicos e Investimentos n’avait pas désigné de représentant de l’entreprise sur le territoire national. La ministre du travail verse au dossier trois versions de la même déclaration, effectuée par la société Gestifix Servicos e Investimentos. La première version est celle adressée par la société à l’inspection du travail de Douai, reçue par cette dernière le 10 mars 2016, comme l’atteste la date apposée avec le tampon de cette inspection. C’est sur la base de ce document, qui ne comporte pas les indications relatives au représentant en France de la société Gestifix Servicos e Investimentos, que cette société a été sanctionnée et que l’inspection du travail a aussi adressé la première série de griefs à la société Prezioso Linjebygg. Une deuxième version du document est constituée par un fac-similé, adressé par la société Prezioso Linjebygg à l’administration le 18 mars 2016, à la suite des opérations de contrôle effectuées le 14 mars 2016, pour indiquer qu’il s’agissait de la déclaration que lui avait transmise la société Gestifix Servicos e Investimentos. Cette deuxième version de la déclaration est identique à la première si ce n’est qu’elle comporte, quant à elle, les renseignements relatifs au représentant en France de la société Gestifix Servicos e Investimentos. La troisième version de la déclaration est encore un fac-similé d’une déclaration adressée cette fois par la société Gestifix Servicos e Investimentos à la direction régionale des entreprises, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie le 18 avril 2016, revêtu du tampon de l’entreprise, qui ne comporte pas de renseignements relatifs à son représentant en France. Il ressort de ces éléments concordants que la société Prezioso Linjebygg a tenté de régulariser la situation, postérieurement à la date du détachement des travailleurs en cause, le 10 mars 2016, et au constat des manquements aux obligations prévues par les dispositions citées au point 3, lors des opérations de contrôle du 14 mars 2016, en produisant le fac-similé d’un document qui n’est pas le document adressé par la société Gestifix Servicos e Investimentos le 10 mars 2016 à l’inspection du travail de Douai. Il ne résulte pas non plus de l’instruction que la société Gestifix Servicos e Investimentos, qui n’a pas contesté l’amende administrative qui lui a été infligée, ait adressé, ce jour-là, une version incomplète de sa déclaration à l’administration et une version complète à la société Prezioso Linjebygg, qui ne peut, dès lors, être regardée comme ayant rempli ses obligations de vérification quant à la désignation, par la société Gestifix Servicos e Investimentos, employeur des travailleurs détachés, d’un représentant en France.

7. En outre, la société Prezioso Linjebygg, donneur d’ordre, aurait dû d’elle-même relever cette omission manifeste et a donné des explications contradictoires, puisque, comme le relève la ministre du travail, elle n’a transmis que le 18 mars 2016 à la direction régionale des entreprises, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie un document comportant des renseignements sur l’identité du représentant en France de la société Gestifix Servicos e Investimentos, mais a aussi écrit le 24 mars 2016 au directeur régional, pour lui faire part de son intention de demander sans délai à la société Gestifix Servicos e Investimentos de fournir l’information manquante, tout en indiquant cette fois un autre nom pour le représentant, en France, de cette société. Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la société Préciozo Linjebygg n’avait effectivement pas respecté ses obligations à la date du 10 mars 2016 et qu’elle a, ensuite, tenté de démontrer qu’elle s’en était acquittée, postérieurement aux opérations de contrôle effectuées le 14 mars 2016.

8. D’autre part, s’agissant des six travailleurs détachés par la société Gestifix II, il ressort de l’instruction que la société Prezioso Linjebygg soutient avoir réceptionné la copie de la déclaration préalable de détachement de six intérimaires en mission en France du 1er février 2016 au 1er juillet 2016, qui aurait été adressée par la société Gestifix II à l’inspection du travail, dès le 27janvier 2016. Le bordereau de télécopie versé au dossier, censé démontrer que la société Gestifix II avait bien effectué ses obligations déclaratives et que la société Prezioso Linjebygg s’en serait assurée, comporte des mentions en caractères estompés, à l’exception du numéro de téléphone de l’administration destinataire, qui seul est parfaitement lisible et apparaît dans une police de caractères différente de celle employée pour l’édition de ce bordereau, dont l’authenticité n’est pas démontrée. Il ne permet pas, dès lors, d’établir de manière certaine les date et heure d’envoi et de réception d’une déclaration de détachement réalisée par la société Gestifix II le 27 janvier 2016, ni qu’une copie de la déclaration de détachement aurait effectivement été transmise par ses soins à la société Prezioso Linjebygg avant le 1er février 2016, date de début du détachement de six salariés intérimaires portugais, le destinataire mentionné par le bordereau d’envoi de télécopies étant seulement, ainsi qu’il a été dit, l’inspection du travail. La socité Gestifix II ne s’est dès lors pas acquittée de ses obligations déclaratives résultant des dispositions de l’article L. 1262-4-1 du code du travail, ce dont la société Prezioso Linjebygg, qui tente en vain de démontrer postérieurement au détachement des salariés et aux opérations de contrôle qu’elle n’avait pas failli à ses obligations, ne s’était pas plus assurée.

9. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la ministre du travail est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 7 juin 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi prononçant une amende de 1 000 euros par salarié concerné à l’encontre de la société Prezioso Linjebygg, en tant qu’elle concerne seize salariés de la société Gestifix Servicos e Investismentos et six salariés de la société Gestifix II, et en déchargeant la société Prezioso Linjebygg de l’obligation de payer la somme de 22 000 euros.

10. Il appartient toutefois à la cour, saisie dans cette mesure par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la société Prezioso Linjebygg tant en première instance qu’en cause d’appel.

Sur les autres moyens soulevés par la société Prezioso Linjebygg :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

11. En premier lieu, aux termes de l’article R. 8115-2 du code du travail : “ Lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi décide de prononcer une amende administrative, il indique à l’intéressé par l’intermédiaire du représentant de l’employeur mentionné au II de l’article L. 1262-2-1 le montant de l’amende envisagée et l’invite à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. / A l’expiration du délai fixé et au vu des observations éventuelles de l’intéressé, il notifie sa décision et émet le titre de perception correspondant. / (...) “.

12. La société Prezioso Linjebygg soutient que la décision en litige méconnaît les dispositions de l’article R. 8115-2 du code du travail, la procédure préalable ayant été menée, selon elle, par une autorité incompétente, à savoir le directeur du travail, en lieu et place du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Il est exact que le courrier du 28 avril 2016 reçu par la société intimée, indiquant le montant de l’amende envisagée et sollicitant aussi ses observations dans le cadre de la procédure contradictoire préalable, a été signé par le directeur du travail de l’unité départementale Nord-Lille, en lieu et place du directeur régional. Toutefois, cette circonstance n’a pu avoir aucune incidence sur le sens de la décision prise par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, à l’issue de la procédure contradictoire et n’a privé l’entreprise d’aucune garantie, alors que, d’une part, ce courrier invitait expressément la société intimée à adresser ses observations au directeur régional, et d’autre part, que ses observations, formulées par courrier du 11 mai 2016, lui ont bien été adressées, ce qui ressort des motifs de sa décision en litige, qui y fait expressément référence. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

13. En deuxième lieu, aux termes de l’article R. 8115-1 du code du travail : “ Lorsqu’un agent de contrôle de l’inspection du travail constate l’un des manquements aux obligations mentionnées à la section II du présent chapitre, il transmet au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi un rapport sur le fondement duquel ce dernier peut décider de prononcer une amende administrative. “.

14. Ni les dispositions précitées, ni aucun autre texte réglementaire ou législatif, n’imposent à l’administration de transmettre le rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail à l’auteur des manquements. Toutefois, s’agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et qu’elle puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’elle en fait la demande. D’ailleurs, l’article L. 122-2 du code des relations entre le public et l’administration, entré en vigueur le 1er janvier 2016, précise désormais que les sanctions “ n’interviennent qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant “. En l’espèce, le courrier du directeur du travail du 28 avril 2016, dont la société Prezioso Linjebygg était destinataire, indiquait avec une précision suffisante les griefs qui étaient formulés à son encontre, de nature à justifier la sanction administrative envisagée et faisait aussi expressément référence aux constats effectués le 14 mars 2016 par le contrôleur du travail. En outre, au cours de la procédure contradictoire, et notamment à l’occasion de sa lettre d’observations adressée le 11 mai 2016 au directeur régional des entreprises, la société Prezioso Linjebygg n’a pas demandé à avoir communication de ce rapport ni sollicité d’informations complémentaires quant aux manquements qui lui étaient reprochés, alors qu’elle fait expressément référence, dans cette lettre, aux constats réalisés par le contrôleur du travail, dont elle connaissait avec précision la teneur. Le moyen tiré de la violation des droits de la défense doit, par suite être écarté.

15. En troisième lieu, la décision en litige du 7 juin 2016, qui vise les dispositions applicables du code du travail, comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, et qui permettent, à sa simple lecture d’en comprendre les motifs et de les discuter utilement, ce que la société Prezioso Linjebygg n’a pas manqué de faire. Le moyen tiré du vice de forme résultant du caractère prétendument insuffisant de la motivation de la décision en litige doit, dès lors, être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction et de l’obligation de payer la somme de 22 000 euros :

16. Le décret n° 2015-364 du 30 mars 2015 relatif à la lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs et à la lutte contre le travail illégal n’a été annulé par la décision n° 389745 du 8 juillet 2016 du Conseil d’Etat qu’en tant que son entrée en vigueur n’avait pas été différée d’un mois. Par suite, à la date du 14 mars 2016, à laquelle a été opéré le contrôle de l’inspection du travail, les dispositions de ce décret, alors codifiées notamment aux articles R. 1263-2-1 et R. 8115-2 du code du travail, étaient applicables. Le moyen tiré du défaut de base légale de la décision en litige, motif pris de ce que le décret précité aurait été annulé par le Conseil d’Etat, ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne les conclusions présentées à titre subsidiaire :

17. Aux termes de l’article L. 1264-3 du code du travail : “ L’amende administrative mentionnée aux articles L. 1264-1 et L. 1264-2 est prononcée par l’autorité administrative compétente, après constatation par un des agents de contrôle de l’inspection du travail mentionnés aux articles L. 8112-1 et L. 8112-5. / Le montant de l’amende est d’au plus 2 000 euros par salarié détaché et d’au plus 4 000 euros en cas de réitération dans un délai d’un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 500 000 euros. / Pour fixer le montant de l’amende, l’autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges. / (...) “.

18. Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, dans sa décision du 7 juin 2016, a fixé à 1 000 euros pour chaque salarié détaché le montant de l’amende prononcée à l’encontre de la société Prezioso Linjebygg. En se bornant à faire valoir qu’elle n’a pas commis d’autres infractions, l’intimée, qui ne fournit en appel aucun élément d’appréciation supplémentaire, ne démontre pas en quoi ce montant unitaire serait excessif. Dans ces conditions, et en l’absence de précisions sur la situation financière de l’entreprise, le montant de la sanction retenue par l’administration de 1 000 euros par salarié, adapté aux circonstances et à la gravité des manquements ainsi qu’au comportement de leur auteur, comme à ses ressources et à ses charges, n’apparaît pas disproportionné.

Sur les frais de l’instance :

19. La société Prezioso Linjebygg ayant la qualité de partie perdante, ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du 13 février 2019 du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par la société Prezioso Linjebygg devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions présentées devant la cour administrative d’appel de Douai sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail et à la société Prezioso Linjebygg.

Copie en sera adressée pour information au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi des Hauts-de-France.