A-Rosa question préjudicielle CJUE

Cour de cassation

Assemblée plénière

Audience publique du 6 novembre 2015

N° de pourvoi : 13-25467

ECLI:FR:CCASS:2015:AP00624

Publié au bulletin

Renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne

M. Louvel (premier président), président

M. Truchot, assisté de M. Burgaud, auditeur, et de Mme Polèse-Rochard, directeur des services de greffe judiciaires, au service de documentation, des études et du rapport, conseiller apporteur

M. Marin (procureur général), avocat général

SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Arrêt n° 624 P+B+R+I

Pourvoi n° A 13-25.467

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société A-Rosa Flussschiff GmbH, dont le siège est Loggerweg 5, 18055 Rostock (Allemagne),

contre l’arrêt rendu le 12 septembre 2013 par la cour d’appel de Colmar (chambre sociale, section SB), dans le litige l’opposant :

1°/ à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) d’Alsace, dont le siège est 16 rue Contades, 67307 Schiltigheim cedex, venant aux droits de l’URSSAF du Bas-Rhin,

2°/ à la société Sozialversicherunbganstalt des Kantons Graubunden, dont le siège est Ottostrasse 24 Postfach, 70010 Chur (Suisse),

défenderesses à la cassation ;

La deuxième chambre civile a, par arrêt du 13 mai 2015, décidé le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière ;

La demanderesse au pourvoi invoque, devant l’assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société A-Rosa Flussschiff ;

Un mémoire en défense et pourvoi incident ont été déposés au greffe de la Cour de cassation par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) d’Alsace ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, devant l’assemblée plénière, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

La SCP Célice, Blancpain et Soltner a déposé, au greffe de la Cour de cassation, un mémoire en réplique et un mémoire en défense au pourvoi incident ainsi que des observations complémentaires ;

Le rapport écrit de M. Truchot, conseiller, et l’avis écrit de M. Marin, procureur général, ont été mis à la disposition des parties ;

La SCP Gatineau et Fattaccini a déposé, au greffe de la Cour de cassation, des observations complémentaires ;

Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l’audience publique du 23 octobre 2015, où étaient présents : M. Louvel, premier président, Mme Flise, M. Guérin, Mme Batut, M. Frouin, Mme Mouillard, M. Chauvin, présidents, M. Truchot, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, M. Chollet, Mme Bignon, MM. Prétot, Pers, Mmes Fossaert, Dreifuss-Netter, MM. Savatier, Maunand, Fédou, Déglise, conseillers, M. Marin, procureur général, Mme Morin, directeur de greffe adjoint ;

Sur le rapport de M. Truchot, conseiller, assisté de M. Burgaud, auditeur, et de Mme Polèse-Rochard, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, de la SCP Gatineau et Fattaccini, l’avis de M. Marin, procureur général, auquel les parties, invitées à le faire, n’ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en sa première et en ses cinquième à dixième branches :

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société de droit allemand A-Rosa Flussschiff (la société), dont le siège est à Rostock en République fédérale d’Allemagne et qui dispose d’une succursale établie à Coire sur le territoire de la Confédération helvétique, exploite deux bateaux de croisière (Luna et Stella) en France, sur le Rhône et la Saône, entre Chalon-sur-Saône et Port-Saint-Louis-du-Rhône ; qu’à la suite d’un contrôle inopiné sur ces deux bateaux alors amarrés à Avignon, autorisé par le ministère public et diligenté par l’inspection du travail, la gendarmerie fluviale, les services fiscaux et l’URSSAF du Vaucluse, cette dernière a procédé à la vérification de la période courant du 1er avril 2005 au 30 septembre 2007 et relevé des irrégularités affectant la situation des salariés occupant des fonctions hôtelières ; que l’URSSAF du Bas-Rhin, aux droits de laquelle vient l’URSSAF d’Alsace (l’URSSAF), compétente pour le recouvrement des cotisations et contributions dues par les entreprises étrangères ne disposant pas d’un établissement en France, a notifié à la société, le 22 octobre 2007, les chefs de redressement retenus, puis, le 26 février 2008, une mise en demeure pour le recouvrement d’une somme de 2 024 123 euros ; que la société a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que la société fait grief à l’arrêt de rejeter ce recours alors, selon le moyen :

1°/ qu’en vertu du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l’article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre ; que, selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres informe de cette situation l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat (E 101) attestant qu’elle est soumise à sa législation ; qu’aussi longtemps que le certificat E 101 n’est pas retiré ou déclaré invalide, l’institution compétente de l’Etat membre dans lequel sont détachés les travailleurs doit tenir compte du fait que ces derniers sont déjà soumis à la législation de sécurité sociale de l’Etat où l’entreprise qui les emploie est établie et cette institution ne saurait, par conséquent, soumettre les travailleurs en question à son propre régime de sécurité sociale (CJCE, 26 janvier 2006 aff. 2/05, 4e ch., Rijksdienst voor Sociale Zekerheid c/ Herbosch Kiere NV, Rec. I-1079) ; qu’une juridiction de l’Etat membre d’accueil desdits travailleurs n’est donc pas habilitée à vérifier la validité d’un certificat E 101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels un tel certificat a été délivré, notamment l’existence d’un lien organique, au sens des articles 14, paragraphes 1 et 2 du règlement n° 1408/71 ; qu’en l’espèce la société A-Rosa a versé aux débats des certificats de détachement (E 101) délivrés par l’administration suisse pour une très grande partie des salariés de nationalité étrangère travaillant de manière saisonnière sur ses deux bateaux Luna et Stella exploités en France ; que par application de la réglementation européenne, ces certificats, valides et non retirés, attestaient de l’affiliation des salariés concernés au régime de sécurité sociale suisse, ce qui, au regard du principe de territorialité, interdisait à l’URSSAF de les assujettir également en France ; qu’en décidant néanmoins que les salariés visés par ces certificats devaient être assujettis au régime français de sécurité sociale, la cour d’appel a violé les articles 13 et 14 paragraphe 2 a) i) du règlement communautaire n° 1408/71, et 11 et 12 bis paragraphes 1 a) et 2 a) du règlement communautaire n° 574/72 pris pour son application, et la décision n° 381 de la commission administrative du 13 décembre 2000 et l’article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;

(...)

5°/ qu’en se fondant - pour refuser de faire application des certificats E 101 délivrés au visa exprès de l’article 14.2 a) i) du règlement n° 1408/71 rattachant les salariés concernés au régime de sécurité sociale suisse - sur la circonstance selon laquelle « les seuls certificats E 101 produits ont été délivrés au visa exprès exclusif de l’article 14.2) a) dudit règlement européen n° 1408/71. Ils ne peuvent emporter application de l’exception prévue à l’article 14.1) a) du même règlement que revendique la société appelante », cependant que la société se prévalait en appel des dispositions de l’article 14.2) a) i) dudit règlement n° 1408/71, et non de l’article 14.1) a) du règlement européen n° 1408/71, pour justifier le rattachement des salariés au régime de sécurité sociale suisse, la cour d’appel a dénaturé les conclusions d’appel de la société A-Rosa et a violé l’article 4 du code de procédure civile ;

6°/ qu’en se fondant encore, pour écarter les certificats E 101 délivrés par l’Etat suisse visant l’article 14.2) a) i), sur la circonstance selon laquelle la société A-Rosa s’est également prévalue des dispositions de l’article 14.1 a) du règlement n° 1408/71, cependant que cette circonstance était inopérante et n’était pas de nature à priver lesdits certificats E 101 de leur valeur légale, la cour d’appel a violé les articles 13 et 14 paragraphe 2 a) du règlement communautaire n° 1408/71, et 12 bis paragraphes 1 a) et 2 a) et b du règlement communautaire n° 574/72 ;

7°/ qu’en se fondant encore sur le motif tout aussi inopérant selon lequel les certificats E 101 produits aux débats ne mentionnaient pas le nom des bateaux concernés, cependant que cette exigence n’était pas impérative, le formulaire, rédigé par l’administration, devant viser les « nom(s) ou raison(s) sociale(s) de l’entreprise ou du navire », la cour d’appel a encore violé les articles 13 et 14 paragraphe 2 a) du règlement communautaire n° 1408/71, et 12 bis paragraphes 1 a) et 2 a) et b) du règlement communautaire n° 574/72 pris pour son application ;

8°/ qu’une juridiction de l’Etat membre d’accueil n’est pas habilitée à vérifier la validité d’un certificat E 101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels un tel certificat a été délivré, notamment l’existence d’un lien organique entre l’entreprise qui détache un travailleur et le travailleur détaché (CJCE, 26 janvier 2006, aff. 2/05, 4e ch., Rijksdienst voor Sociale Zekerheid c/ Herbosch Kiere NV, point 32) ; qu’en conséquence en décidant, après avoir pourtant constaté qu’« il n’y a pas lieu de mettre en doute la validité des certificats E 101 qui sont produits aux débats », que « dès lors que les personnels en cause n’ont été en définitive employés que pour des croisières en France, la société appelante ne peut bénéficier du régime dérogatoire prévu en matière de transports internationaux de personnes », remettant ainsi en cause la validité des certificats E 101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels ils ont été délivrés, notamment l’existence d’un lien organique entre la succursale suisse A-Rosa Flussschiff GmbH et le personnel des bateaux Luna et Stella, la cour d’appel a encore violé les articles 13 et 14 paragraphe 2 a) du règlement communautaire n° 1408/71, 12 bis paragraphes 1 a) et 2 a) et b) du règlement n° 574/72, la décision n° 381 de la commission administrative du 13 décembre 2000 et l’article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009, ensemble l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale ;

9°/ qu’en vertu de l’article 14, paragraphe 2, point a) i) du règlement n° 1408/71, le personnel roulant ou navigant des entreprises de transport internationaux est soumis à la législation déterminée comme suit « i) la personne occupée par une succursale ou une représentation permanente que ladite entreprise possède sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel cette succursale ou représentation permanente se trouve » ; que travaillant pour une entreprise de transport fluvial réalisant des transports internationaux et étant rattaché à la succursale suisse de cette société, le personnel naviguant des bateaux Luna et Stella devait être rattaché à la législation de l’Etat membre sur le territoire sur lequel cette succursale se trouvait, c’est à dire la Suisse ; qu’en décidant le contraire et en refusant subséquemment de faire application des dispositions de l’article 14, paragraphe 2, point a) i) du règlement communautaire n° 1408/71, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale ;

10°/ qu’en vertu de l’article 49 du Traité instituant la Communauté européenne, « les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation » ; que constituent les destinataires de prestations de service les touristes qui se rendent dans un Etat membre pour bénéficier d’un service (CJCE, 31 janvier 1984, Luisi et Carbone, affaire 286/82) ; qu’en l’espèce la société A-Rosa n’ayant aucun établissement en France, effectuant une prestation de service de tourisme au profit de clients résidants dans d’autres Etats membres et cotisant pour ses salariés auprès des organismes de sécurité sociale suisses, par application du principe de droit communautaire de liberté de prestation de service, et en l’absence de nécessité impérieuse, elle ne pouvait se voir imposer le paiement en France des charges sociales dues par les entreprises nationales ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 49 et 50 du Traité instituant la Communauté européenne, ensemble l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale ;

Attendu que, selon l’article 13, paragraphe 2, a) du règlement n° 1408/71/CEE du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leurs familles qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, rendu applicable à la Confédération helvétique par l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, conclu le 21 juin 1999 et publié, en ce qui concerne la République française, par le décret n° 2002-946 du 25 juin 2002, la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat même si elle réside sur le territoire d’un autre Etat membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre Etat membre ;

Attendu que, selon l’article 14 du même règlement, la règle énoncée à l’article 13, paragraphe 2, a) est appliquée compte tenu des exceptions et particularités concernant, notamment, la personne qui, exerçant une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement, et détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre Etat membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de son détachement (paragraphe 1, a), et la personne qui, exerçant normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres et faisant partie du personnel roulant ou naviguant d’une entreprise effectuant pour le compte d’autrui ou pour son propre compte, des transports internationaux de passagers ou de marchandises par voies ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un Etat membre, est soumise à la législation de ce dernier (paragraphe 2, a) ;

Attendu que, selon l’article 11, paragraphe 1er, du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre dont la législation reste applicable délivre, à la demande du travailleur salarié ou de son employeur dans les cas visés à l’article 14, paragraphe 1er, du règlement n° 1408/71, un certificat (dit certificat E 101) attestant que le travailleur salarié demeure soumis à celle-ci et indiquant jusqu’à quelle date ;

Attendu que, selon l’article 12 bis, paragraphe 1 bis, du règlement n° 574/72, si, conformément aux dispositions de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, une personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant des transports internationaux est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel se trouve, selon le cas, soit le siège ou le domicile de l’entreprise, soit la succursale ou la représentation permanente qui l’occupe, soit le lieu où elle réside et est occupée de manière prépondérante, l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre concerné lui remet un certificat attestant qu’elle est soumise à sa législation ;

Attendu qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE, 10 février 2000, C-202/97, Fitzwilliam Executive Search ; 30 mars 2000, C-178/97, Barry Bank, et 26 janvier 2006, C-2/05, Herbosch Kiere) qu’aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide par les autorités de l’Etat membre qui l’a délivré, le certificat E 101, qui atteste de l’application de la législation de ce dernier au travailleur salarié ainsi qu’à son employeur, lie l’autorité compétente et les juridictions de l’Etat membre dans lequel le travailleur exerce son activité ;

Attendu qu’il ressort des constatations opérées par l’arrêt que si la société invoquait le bénéfice de certificats E 101 délivrés, sur le fondement des dispositions de l’article 14, paragraphe 2, sous a), par l’institution désignée par l’autorité compétente de la Confédération helvétique, les travailleurs salariés dont la rémunération faisait l’objet du redressement litigieux n’exerçaient leur activité que sur le territoire français ; que ces certificats ont été produits en deux lots, le premier obtenu de l’institution helvétique lors des opérations de contrôle de l’URSSAF, le second postérieurement à la décision des premiers juges ;

Attendu que la solution du litige dépend ainsi du point de savoir si la délivrance d’un certificat E 101 par l’institution compétente d’un autre Etat membre est assortie des effets que lui attache d’ordinaire la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne lorsque les modalités selon lesquelles le travailleur salarié exerce son activité sur le territoire d’un Etat membre n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matériel des règles dérogatoires de l’article 14 du règlement n° 1408/71 ; que la question se pose à présent dans de nombreux litiges en raison de l’internationalisation de l’activité des entreprises et de l’adoption des stratégies d’optimisation fiscale et sociale, de nature à remettre en cause les principes de la libre circulation des travailleurs, de la libre prestation des services et l’existence d’une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur ;

Qu’il y a lieu de renvoyer, dès lors, la question à la Cour de justice de l’Union européenne ;

PAR CES MOTIFS :

RENVOIE à la Cour de justice de l’Union européenne la question suivante :

L’effet attaché au certificat E 101 délivré, conformément aux articles 11, paragraphe 1, et 12 bis, paragraphe 1 bis, du règlement n° 574/72/CEE du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71/CEE du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leurs familles qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, par l’institution désignée par l’autorité de l’Etat membre dont la législation de sécurité sociale demeure applicable à la situation du travailleur salarié, s’impose-t-il, d’une part, aux institutions et autorités de l’Etat d’accueil, d’autre part, aux juridictions du même Etat membre, lorsqu’il est constaté que les conditions de l’activité du travailleur salarié n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matériel des règles dérogatoires de l’article 14, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 ?

SURSOIT à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

Réserve les dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le six novembre deux mille quinze par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Moyens annexés au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société A-Rosa Flussschiff GmbH

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la société A-Rosa Flussschiff à verser à l’URSSAF d’Alsace la somme de 1 755 040 euros à titre de rappel de cotisation ;

AUX MOTIFS QUE « 1. Sur les contestations de la régularité du redressement en la forme : Selon l’article R. 243-59 du code de sécurité sociale, à l’issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l’employeur un document daté et signé par eux mentionnant l’objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de fin de contrôle. Il est jugé qu’ensuite, la mise en demeure qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation, doit à peine de nullité être notifiée au débiteur même. En l’espèce, au premier soutien de sa contestation de la régularité du redressement, la société appelante fait grief à l’URSSAF de ne pas lui avoir adressé la lettre d’observations et la mise en demeure en Suisse où elle affirme que se situe l’employeur redevable des cotisations sociales. Mais, comme en atteste le registre du commerce du Canton des Grisons et comme l’admet l’appelante, la société A-Rosa Flussschiff ne possède en Suisse, à Coire, qu’une succursale qui n’a pas d’autre personnalité juridique que celle de la société appelante ayant son siège à Rostock. Au surplus, en application de l’article L. 243-1-2 du code de sécurité sociale relatif aux modalités d’accomplissement des obligations de déclaration et de versement par un employeur qui n’a pas d’établissement en France, la société A-Rosa Flussschiff a constitué pour mandataire la SNC Sogestion sise au Havre par un acte qu’elle a remis à l’URSSAF du Bas-Rhin le 19 mai 2005 et dans lequel elle s’est elle-même présentée comme ayant son siège à Rostock (Allemagne), sans se référer à un établissement en Suisse. Il s’en suit que l’URSSAF a satisfait à ses obligations de notification en adressant la lettre d’observations et la mise en demeure au siège social de la société A-Rosa Flussschiff à Rostock. Au second soutien de sa contestation de la régularité du redressement, la société appelante fait grief à l’URSSAF d’avoir manqué aux dispositions de l’article R. 244-1 du code de sécurité sociale selon lesquelles la mise en demeure doit préciser “la cause, la nature et le montant des sommes réclamés ainsi que la période à laquelle elles se rapportent”. Or, en réalité, la mise en demeure du 26 février 2008 se réfère d’une part à la notification des chefs de redressement faite par lettre recommandée du 22 octobre 2007, de sorte que la société A-Rosa Flussschiff était informée dans le détail de la cause et de la nature du redressement, comme des bases et modalités de calcul des montants qui lui étaient réclamés. D’autre part, la mise en demeure du 26 février 2008 comporte elle-même le rappel de la cause du redressement comme étant la vérification opérée sur la période du 1er avril 2005 au 30 septembre 2007 et la notification faite par lettre recommandée du 22 octobre 2007, de la nature des montants réclamés comme étant des cotisations au régime général de sécurité sociale, de la période à laquelle les montants se rapportaient en précisant ce qui était dû au titre de chacune des années 2005, 2006 et 2007 et des montants eux-mêmes en détaillant ce qui restait dû en cotisations et ce qui était réclamé à titre de majorations. Il s’ensuit que l’URSSAF a exactement et entièrement satisfait aux prescriptions de l’article R. 244-1 du code de la sécurité sociale. Comme l’ont considéré les premiers juges, la société A-Rosa Flussschiff est mal fondée en sa prétention à l’annulation du redressement pour irrégularité de forme. 2. Sur les contestations du bien-fondé du redressement : Comme l’admet la société appelante, le versement de cotisations de sécurité sociale est soumis à un principe de territorialité, tel qu’il résulte : - d’une part de l’article L. 311-2 du code de sécurité sociale selon lequel sont obligatoirement affiliées aux assurances sociales du régime général toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ; - d’autre part de l’article 13.2) a) du règlement européen 1408/71 du 14 juin 1971 selon lequel un travailleur occupé sur le territoire d’un Etat membre est soumis à la législation de cet Etat, même s’il réside sur le territoire d’un autre Etat ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre Etat membre. Ce principe de territorialité s’applique à la situation des personnels d’hôtellerie dont la vérification diligentée par l’inspecteur de l’URSSAF du Vaucluse a révélé la présence comme étant employés par la société A-Rosa Flussschiff sur ses bateaux de croisière fluviale en France. Il incombe à l’employeur de justifier des exceptions lui permettant de se soustraire au principe de territorialité et de contester le bien fondé du redressement qui a été opéré. Au premier chef, la société appelante cherche à se prévaloir de l’exception de l’article 14.1) a) i) dudit règlement européen 1408/71 selon lequel la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre Etat membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier Etat membre à condition que la durée prévisible n’excède pas douze mois. Mais la société appelante ne démontre pas avoir employé les salariés en cause ailleurs que sur le territoire français. Les contrats de travail que l’inspecteur du recouvrement de l’URSSAF du Vaucluse a pu examiner, et qui sont versés aux débats, révèlent qu’au contraire, les personnels ont été spécialement et exclusivement recrutés pour des prestations saisonnières sur les bateaux Luna et Stella, lesquels n’ont été exploités qu’en France. Sans établir la matérialité de détachements de travailleurs qu’elle aurait employés à l’étranger, la société appelante se limite aux effets attachés à des formulaires dits certificats E 101. Elle souligne qu’en application du règlement européen 987/2009 du 16 septembre 2009 relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale et applicable à la Suisse, ces documents établis par l’institution d’un Etat membre s’imposent aux institutions des autres Etats membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’Etat membre où ils ont été établis, et qu’en cas de doute sur leur validité, il appartient à l’institution d’un Etat membre de demander leur retrait à l’institution émettrice avec saisine, en cas de désaccord, de la commission administrative ad hoc. La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé que le certificat E 101 lie l’institution compétente de l’Etat membre dans lequel le travailleur se rend (arrêt du 30 mars 2009 Barry Banks, Théâtre royal de la Monnaie) et qu’il emporte présomption de régularité de l’affiliation dans l’Etat de l’institution émettrice. La société appelante ne verse cependant aux débats que deux lots de certificats E 101, qu’elle a certes obtenus de l’institution helvétique SVA mais qu’elle se dispense de mettre précisément en relation avec les emplois auxquels elle admet avoir affecté des salariés de nationalités étrangères sur ses bateaux Luna et Stella. En outre, il doit être observé que dans le premier lot (annexe 29) délivré le 6 septembre 2007 en cours de contrôle pour l’année 2007, comme dans le second lot (annexe 46) délivré a posteriori le 14 mai 2012 pour les années 2005 et 2006, en dépit de la rubrique invitant à préciser le nom du navire du détachement allégué, aucune indication n’a été portée. Il s’ensuit que sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur la validité des certificats E 101, la société appelante ne peut se prévaloir de ces documents dans les circonstances du contrôle auquel elle a été soumise. Au surplus, les seuls certificats E 101 produits ont été délivrés au visa exprès exclusif de l’article 14.2) a) dudit règlement européen 1408/71. Il ne peuvent emporter application de l’exception prévue à l’article 14.1) a) du même règlement que revendique la société appelante. Il en résulte que la société appelante ne peut bénéficier du régime dérogatoire appliqué aux détachements de personnel. En deuxième lieu, la société appelante cherche à se prévaloir de l’article 14.2) a) i) dudit règlement européen qui a effectivement été visé dans les certificats E 101 délivrés, selon lequel la personne qui fait partie du personnel navigant d’une entreprise effectuant des transports internationaux de passagers, lorsqu’elle est occupée par une succursale ou une représentation permanente que ladite entreprise possède sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où l’entreprise a son siège, est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel se trouve cette succursale ou représentation permanente. Mais d’une part, comme il est dit ci-dessus, les seules attestations E 101 produites ne sont pas mises en relation avec les emplois effectivement occupés à bord des navires Luna et Stella, et le nom de ces bateaux n’est pas même indiqué. D’autre part et au surplus, la société appelante ne rapporte pas avoir employé les personnels en cause en dehors des fonctions hôtelières sur ses navires Luna et Stella. Comme elle le précise, elle n’exploitait ces deux navires de croisière que sur le Rhône et la Saône du mois d’avril au mois de novembre, et elle les maintenait à l’amarre à Lyon en période hivernale. Il s’ensuit que même si la clientèle a pu être démarchée à l’étranger et avoir contracté avec la société appelante en dehors du territoire français, les transports de personnes par voie fluviale, auxquels les personnels en cause ont été affectés, n’ont été réalisés qu’à l’intérieur des frontières nationales et ils n’ont pas de caractère international. La société appelante s’est certes fait délivrer des certificats E 101 au visa de l’article 14.2) a) i) du règlement européen 1408/71 étant observé qu’elle a veillé à ne préciser ni les lieux d’exécution des prestations de travail, ni les bateaux d’affectation. Elle s’est ainsi réservé la faculté d’employer les personnels recrutés à des transports internationaux, notamment sur les navires qu’elle déclare par ailleurs exploiter sur le Rhin et sur le Danube, et il n’y a pas lieu de mettre en doute la validité des certificats E 101 qui sont produits aux débats. Mais, dès lors que les personnels en cause n’ont été en définitive employés que pour des croisières en France, la société appelante ne peut bénéficier du régime dérogatoire prévu en matière de transports internationaux de personnes. En troisième lieu, la société appelante invoque le principe de libre prestation des services tel qu’il est consacré par les articles 49 et 50 du traité instituant la Communauté européenne. Elle rappelle qu’il est jugé que ce principe fait obstacle à ce qu’un Etat membre contraigne un employeur, établi dans un autre Etat membre et exécutant temporairement, par le moyen de ressortissants de pays tiers, des travaux dans le premier Etat, à verser la part patronale des cotisations de sécurité sociale du chef de ces travailleurs, alors que cet employeur est déjà redevable de cotisations comparables du chef des mêmes travailleurs et pour les mêmes périodes d’activité, en vertu de la législation de son Etat d’établissement, et que les cotisations versées dans l’Etat où s’effectue cette prestation n’ouvrent droit à aucun avantage social pour ces travailleurs (CJCE, 3 février 1982, société Seco). Elle affirme qu’elle propose, dans plusieurs Etats en Europe, des croisières à ses clients, qu’elle souscrit des contrats de prestations de service exécutées dans les pays traversés par le Rhin et le Danube, et qu’elle détache du personnel pour l’exécution des croisières dans les pays concernés. Mais en l’espèce, il a été constaté que les personnels visés par le contrôle avaient été spécialement et exclusivement recrutés pour des prestations exécutées uniquement en France, à bord des bateaux Luna et Rosa en empruntant le Rhône et la Saône entre Port-Saint-Louis-du-Rhône et Chalon-sur-Saône. Au surplus, la société appelante ne justifie d’aucune disposition la contraignant aux affiliations qu’après le début du contrôle engagé le 7 juin 2007, elle a souscrit auprès de la Caisse suisse SVA alors qu’aucun des salariés en cause n’a la nationalité de la Confédération Helvétique, qu’aucun n’est domicilié dans cet Etat, et qu’aucun n’y a fourni une prestation de travail. Il s’ensuit que la société appelante est mal fondée à invoquer une atteinte au principe de libre prestation des services. En quatrième et dernier lieu, la société appelante conteste l’application du droit français en faisant valoir qu’elle n’a pas d’établissement sur le territoire français, qu’elle payait des cotisations à l’URSSAF du Bas-Rhin pour ses salariés de nationalité française, et que ses salariés de nationalités étrangères ont été pris en charge par la sécurité sociale suisse. Mais, d’une part, le redressement ne concerne pas les salariés de nationalité française, tous affectés à des fonctions techniques de navigation, pour certains desquels la société appelante était à jour de ses cotisations à l’URSSAF du Bas-Rhin alors chargée du recouvrement des sommes dues par les entreprises n’ayant pas d’établissement en France, étant précisé que pour les autres, elle a été admise à régulariser sa situation. D’autre part, concernant les salariés de nationalités étrangères, tous affectés à des emplois à caractère hôtelier, la société appelante ne justifie d’aucune disposition la contraignant à les affilier à un régime suisse de sécurité sociale. Si, après l’engagement du contrôle débuté le 7 juin 2007, la société appelante a souhaité faire profiter ses salariés d’un régime suisse de sécurité sociale, comme le montrent les attestations E 101 délivrées le 6 septembre 2007 pour l’année 2007, et le 14 mai 2012 pour les années 2005 et 2006, au demeurant après l’appel interjeté le 10 mars 2011, cette démarche volontaire ne la dispense pas de ses obligations au regard du régime français de sécurité sociale auquel les salariés en cause devaient être soumis en vertu du principe de territorialité de l’article 13.2) a) du règlement européen du 14 juin 1971. Comme l’ont considéré les premiers juges, le redressement s’avère bien fondé en ce qu’il a soumis la société appelante au principe de territorialité. 3. sur les contestations du montant du redressement : au premier chef, la société appelante conteste le recours à la taxation forfaitaire prévue à l’article R. 242-5 du code de sécurité sociale lorsque la comptabilité d’un employeur ne permet pas d’établir le chiffre exact des rémunérations servant de base au calcul des cotisations dues. Elle affirme que l’inspecteur du recouvrement a pu consulter les fiches de paie, la liste des salariés, les pointages horaires et les contrats de travail. Mais, d’une part, comme il est énoncé à la lettre d’observations, l’inspecteur du recouvrement n’a reçu communication que de la liste des salariés au jour du 7 juin 2007, les pointages horaires pour les mois de mars et avril 2007, des contrats de travail pour 2007 et des bulletins de paie pour les mois de mai et avril 2007. Ces seuls documents ont révélé une minoration des heures effectivement travaillées, confirmée par une analyse opérée le 19 juillet 2007 avec l’inspection du travail des transports, et admise par les capitaines des bateaux qui ont reconnu que n’étaient pas comptabilisées toutes les heures supplémentaires. L’insincérité des documents présentés justifie à elle seule le recours à la taxation d’office. D’autre part et au surplus, la société appelante n’a pas présenté et ne présente pas l’ensemble des éléments comptables relatifs à la masse salariale en cause. Elle ne verse encore aux débats que des bulletins de salaire pour les seuls mois d’avril et mai 2007. Dès lors qu’elle se garde de produire des éléments sur les salaires qu’elle a versés pendant toute la période soumise à vérification, à savoir du 1er avril 2005 au 30 septembre 2007, le recours à la taxation d’office est aussi justifié. Au deuxième chef, la société appelante conteste les calculs opérés. Mais si elle critique le nombre de salariés et le nombre d’heures de travail retenus par l’inspecteur du recouvrement, elle n’apporte elle-même aucun élément en vue de meilleurs calculs. Il doit en revanche être observé que l’inspecteur du recouvrement a détaillé les bases de la taxation forfaitaire en précisant le nombre de mois de salaires par an, le nombre moyen de salariés concernés, le nombre d’heures de travail par salariés et les taux de rémunération qu’il retenait, ce qui a mis l’employeur en mesure d’apprécier la teneur et l’étendue de ses obligations, ainsi que la pertinence du calcul des montants qui lui sont réclamés pour un total de 1 755 040 euros en rappel de cotisations. Au troisième chef, la société appelante conteste le taux des majorations qui lui ont été appliquées en vertu de l’article R. 243-18 du code de sécurité sociale et, au quatrième et dernier chef, elle soutient que dans l’annexe à la mise en demeure, l’URSSAF a indiqué un taux de 2 % par trimestre à la fraction de trimestre qui était erroné. Pour la période de contrôle en cause, les dispositions de l’article R. 243-18 du code de sécurité sociale ont été modifiées par le décret 2007-546 du 11 avril 2007 avec effet au 1er janvier 2008. Jusqu’à cette date, il était appliqué une majoration de retard de 10 % du montant des cotisations, augmentée de 2 % du montant des cotisations dues par trimestre ou fraction de trimestre écoulé après l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la limite d’exigibilité des cotisations. Depuis le 1er janvier 2008, une majoration de retard de 5 % est appliquée aux cotisations qui n’ont pas été versées aux dates limites d’exigibilité, à laquelle est ajoutée une majoration complémentaire de 0,4 % par mois à la fraction de mois écoulé à compter de la date d’exigibilité. Or l’URSSAF intimée n’indique pas les taux des majorations de retard qu’elle a notifiés à la société appelante. Ni dans la mise en demeure du 26 février 2008, ni même dans ses observations devant la cour d’appel, l’URSSAF ne justifie des calculs opérés pour réclamer des majorations totales de 269 083 euros, ni des taux qu’elle a entendus appliquer. Dès lors que la société appelante a été laissée dans l’ignorance des bases de calcul des majorations, et qu’un doute persiste sur le fondement réglementaire des taux appliqués, le redressement doit être annulé quant aux majorations de retard. Le redressement reste justifié pour le rappel de cotisations, et la société appelante sera donc condamnée à verser le montant de 1 755 040 euros » ;

ALORS, D’UNE PART, QU’en vertu du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l’article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre ; que selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres informe de cette situation l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat (E 101) attestant qu’elle est soumise à sa législation ; qu’aussi longtemps que le certificat E 101 n’est pas retiré ou déclaré invalide, l’institution compétente de l’Etat membre dans lequel sont détachés les travailleurs doit tenir compte du fait que ces derniers sont déjà soumis à la législation de sécurité sociale de l’Etat où l’entreprise qui les emploie est établie et cette institution ne saurait, par conséquent, soumettre les travailleurs en question à son propre régime de sécurité sociale (CJCE, 26 janvier 2006, aff. 2/05, 4e ch., Rijksdienst voor Sociale Zekerheid c/ Herbosch Kiere NV, Rec. I-1079) ; qu’une juridiction de l’Etat membre d’accueil desdits travailleurs n’est donc pas habilitée à vérifier la validité d’un certificat E 101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels un tel certificat a été délivré, notamment l’existence d’un lien organique, au sens des articles 14, paragraphes 1 et 2 du règlement 1408/71 ; qu’en l’espèce la société A-Rosa a versé aux débats des certificats de détachement (E 101) délivrés par l’administration suisse pour une très grande partie des salariés de nationalité étrangère travaillant de manière saisonnière sur ses deux bateaux Luna et Stella exploités en France ; que par application de la réglementation européenne, ces certificats, valides et non retirés, attestaient de l’affiliation des salariés concernés au régime de sécurité sociale suisse, ce qui, au regard du principe de territorialité, interdisait à l’URSSAF de les assujettir également en France ; qu’en décidant néanmoins que les salariés visés par ces certificats devaient être assujettis au régime français de sécurité sociale, la cour d’appel a violé les articles 13 et 14 paragraphe 2 a) i) du règlement communautaire n° 1408/71, et 11 et 12 bis paragraphes 1 a) et 2 a) du règlement communautaire 574/72 pris pour son application, et la décision n° 381 de la commission administrative du 13 décembre 2000 et l’article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE pour écarter la présomption de régularité de l’affiliation des salariés au régime de sécurité sociale suisse la cour d’appel a retenu que « la société appelante ne verse cependant aux débats que deux lots de certificats E 101, qu’elle a certes obtenus de l’institution helvétique SVA mais qu’elle se dispense de mettre précisément en relation avec les emplois auxquels elle admet avoir affecté des salariés de nationalités étrangères sur ses bateaux Luna et Stella » ; qu’en statuant ainsi, pour écarter la force probante des certificats E 101 délivrés par l’Etat suisse, alors que la circonstance que ces certificats E 101 aient concerné les salariés de nationalité étrangère affectés sur les bateaux Luna et Stella n’était contestée par aucune des parties au litige, l’URSSAF du Bas-Rhin ayant elle-même listé dans la lettre d’observations du 22 octobre 2007 les salariés mentionnés dans lesdits certificats E 101, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige et a violé l’article 4 du code de procédure civile ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QU’en reprochant d’office à l’exposante, pour refuser de faire application des certificats E 101 faisant état du rattachement des salariés concernés au régime de sécurité sociale suisse, de ne pas avoir mis ces certificats « en relation avec les emplois auxquels elle admet avoir affecté des salariés de nationalités étrangère sur les bateaux Luna et Stella », sans inviter préalablement les parties à fournir leurs explications sur ce point, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;

ALORS, DE QUATRIEME PART, QU’en retenant que l’exposante n’a pas mis les certificats E 101 « en relation avec les emplois auxquels elle admet avoir affecté des salariés de nationalités étrangère sur les bateaux Luna et Stella », cependant que les salariés visés dans lesdits certificats E 101 produits sont pour les deux tiers ceux listés dans la lettre d’observations du 22 octobre 2007, pour lesquels la société A-Rosa a fait l’objet d’un redressement, la cour d’appel a dénaturé les certificats E 101 produits par la société exposante (pièces d’appel 29 et 47), et la lettre d’observations du 22 octobre 2007, respectivement versés aux débats, et a violé l’article 1134 du code civil ;

ALORS, DE CINQUIEME PART, QU’en se fondant - pour refuser de faire application des certificats E 101 délivrés au visa exprès de l’article 14.2 a) i) du règlement 1408/71 rattachant les salariés concernés au régime de sécurité sociale suisse - sur la circonstance selon laquelle « les seuls certificats E 101 produits ont été délivrés au visa exprès exclusif de l’article 14.2) a) dudit règlement européen 1408/71. Ils ne peuvent emporter application de l’exception prévue à l’article 14.1) a) du même règlement que revendique la société appelante », cependant que la société se prévalait en appel des dispositions de l’article 14.2) a) i) dudit règlement 1408/71, et non de l’article 14.1) a) du règlement européen 1408/71, pour justifier le rattachement des salariés au régime de sécurité sociale suisse, la cour d’appel a dénaturé les conclusions d’appel de la société A-Rosa et a violé l’article 4 du code de procédure civile ;

ALORS, DE SIXIEME PART ET A TITRE SUBSIDIAIRE, QU’en se fondant encore, pour écarter les certificats E 101 délivrés par l’Etat suisse visant l’article 14.2) a) i), sur la circonstance selon laquelle l’exposante s’est également prévalue des dispositions de l’article 14.1) a) du règlement 1408/71, cependant que cette circonstance était inopérante et n’était pas de nature à priver lesdits certificats E 101 de leur valeur légale, la cour d’appel a violé les articles 13 et 14 paragraphe 2 a) du règlement communautaire n° 1408/71, et 12 bis paragraphes 1 a) et 2 a) et b) du règlement communautaire 574/72 ;

ALORS, DE SEPTIEME PART, QU’en se fondant encore sur le motif tout aussi inopérant selon lequel les certificats E 101 produits aux débats ne mentionnaient pas le nom des bateaux concernés, cependant que cette exigence n’était pas impérative, le formulaire, rédigé par l’administration, devant viser les « nom(s) ou raison(s) sociale(s) de l’entreprise ou du navire », la cour d’appel a encore violé les articles 13 et 14 paragraphe 2 a) du règlement communautaire n° 1408/71, et 12 bis paragraphes 1 a) et 2 a) et b) du règlement communautaire 574/72 pris pour son application ;

ALORS, DE HUITIEME PART, QU’une juridiction de l’Etat membre d’accueil n’est pas habilitée à vérifier la validité d’un certificat E 101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels un tel certificat a été délivré, notamment l’existence d’un lien organique entre l’entreprise qui détache un travailleur et le travailleur détaché (CJCE, 26 janvier 2006, aff. 2/05, 4e ch., Rijksdienst voor Sociale Zekerheid c/ Herbosch Kiere NV, point 32) ; qu’en conséquence en décidant, après avoir pourtant constaté qu’« il n’y a pas lieu de mettre en doute la validité des certificats E 101 qui sont produits aux débats », que « dès lors que les personnels en cause n’ont été en définitive employés que pour des croisières en France, la société appelante ne peut bénéficier du régime dérogatoire prévu en matière de transports internationaux de personnes », remettant ainsi en cause la validité des certificats E 101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels ils ont été délivrés, notamment l’existence d’un lien organique entre la succursale suisse A-Rosa Flussschiff-GmbH et le personnel des bateaux Luna et Stella, la cour d’appel a encore violé les articles 13 et 14 paragraphe 2 a) du règlement communautaire n° 1408/71, 12 bis paragraphes 1 a) et 2 a) et b) du règlement 574/72, la décision n° 381 de la commission administrative du 13 décembre 2000 et l’article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ensemble l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale ;

ALORS, DE NEUVIEME PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QU’en vertu de l’article 14, paragraphe 2, point a) i) du règlement n° 1408/71 le personnel roulant ou navigant des entreprises de transport internationaux est soumis à la législation déterminée comme suit « i) la personne occupée par une succursale ou une représentation permanente que ladite entreprise possède sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel cette succursale ou représentation permanente se trouve » ; que travaillant pour une entreprise de transport fluvial réalisant des transports internationaux et étant rattaché à la succursale suisse de cette société, le personnel naviguant des bateaux Luna et Stella devait être rattaché à la législation de l’Etat membre sur le territoire sur lequel cette succursale se trouvait, c’est à dire la Suisse (conclusions p. 23 à 26) ; qu’en décidant le contraire et en refusant subséquemment de faire application des dispositions de l’article 14, paragraphe 2, point a) i) du règlement communautaire n° 1408/71, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale ;

ALORS, ENFIN DE DIXIEME PART, QU’en vertu de l’article 49 du Traité instituant la Communauté européenne « les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation » ; que constituent les destinataires de prestations de service les touristes qui se rendent dans un Etat membre pour bénéficier d’un service (CJCE, 31 janvier 1984, Luisi et Carbone, affaire 286/82) ; qu’en l’espèce la société A-Rosa n’ayant aucun établissement en France, effectuant une prestation de service de tourisme au profit de clients résidants dans d’autres Etats membres et cotisant pour ses salariés auprès des organismes de sécurité sociale suisses, par application du principe de droit communautaire de liberté de prestation de service, et en l’absence de nécessité impérieuse, elle ne pouvait se voir imposer le paiement en France des charges sociales dues par les entreprises nationales ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 49 et 50 du Traité instituant la Communauté européenne, ensemble l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale.

Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour l’URSSAF d’Alsace

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR annulé le redressement en ce qui concerne les majorations de retard imposés à la société A-Rosa Flussschiff par l’URSSAF Alsace ;

AUX MOTIFS QUE la société appelante conteste le taux des majorations qui lui ont été appliquées en vertu de l’article R. 243-18 du code de la sécurité sociale et elle soutient que dans l’annexe à la mise en demeure, l’URSSAF lui a indiqué un taux de 2 % par trimestre ou fraction de trimestre qui était erroné ; que pour la période en cause, les dispositions de l’article R. 243-18 du code de la sécurité sociale ont été modifiées par le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 avec effet au 1er janvier 2008 ; jusqu’à cette date, il était appliqué une majoration de retard de 10 % du montant des cotisations, augmentée de 2 % du montant des cotisations dues par trimestre ou fraction de trimestre écoulé après l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la limite d’exigibilité des cotisations ; depuis le 1er janvier 2008, une majoration de retard de 5 % est appliquée aux cotisations qui n’ont pas été versées aux dates limites d’exigibilité, à laquelle est ajoutée une majoration complémentaire de 0,4 % par mois ou fraction de mois écoulé à compter de la date d’exigibilité ; or l’URSSAF intimée n’indique pas les taux des majorations de retard qu’elle a notifiés à la société appelante ; ni dans la mise en demeure du 26 février 2008, ni même dans ses observations devant la cour d’appel, l’URSSAF ne justifie des calculs opérés pour réclamer des majorations totales de 269 083 euros ni des taux qu’elle a entendus appliquer ; dès lors que la société appelante a été laissée dans l’ignorance des bases de calcul des majorations, et qu’un doute persiste sur le fondement réglementaire des taux appliqués, le redressement doit être annulé quant aux majorations de retard ;

1. - ALORS QUE le juge qui doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu’en l’espèce, la société A-Rosa Flussschiff reconnaissait que le taux de majorations applicable en cas de travail dissimulé était, depuis le 1er janvier 2008, de 10 % (article R. 243-18 al. 3), mais reprochait à l’URSSAF de ne pas avoir détaillé ses calculs dans la mise en demeure ; que la cour d’appel, pour sa part, a considéré que les dispositions de l’article R. 243-18 du code de la sécurité sociale relatif aux taux de majorations applicables avaient été modifiées par le décret du 11 avril 2007 à compter du 1er janvier 2008, qui avait fait passer le taux de majoration de 10 % augmentée de 2 % par trimestre écoulé après un délai de trois mois, à un taux de 5 % augmentée de 0,4 % par mois à compter de la date d’exigibilité (article R. 243-18 al. 1 et 2), et a reproché à l’URSSAF de ne pas avoir indiqué les taux des majorations de retard qu’elle avait appliqués ; qu’en relevant d’office ce moyen pris du changement de taux applicable à compter du 1er janvier 2008 -qui au demeurant ne concerne pas les hypothèses de travail dissimulé-, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d’appel a méconnu l’article 16 du code de procédure civile ;

2. - ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer le sens clair et précis des documents soumis à leur appréciation ; que la mise en demeure délivrée par l’URSSAF à la société A-Rosa Flussschiff le 26 février 2008 contenait un tableau mentionnant année par année le montant des cotisations et majorations réclamées et précisait, à la fin du document, le montant des majorations applicables, à savoir : « majoration de 10 % des cotisations non acquittées à la date limite de versement, augmentée de 2 % par trimestre ou fraction de trimestre si le retard est supérieur à 3 mois (article R. 243-18 du code de la sécurité sociale) » ; qu’en dépit de ces mentions, la cour d’appel a cru pouvoir indiquer que l’URSSAF n’avait pas indiqué les taux de majorations appliqués « dans la mise en demeure du 26 février 2008 » ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a dénaturé, par omission, les termes de ce document et méconnu le principe selon lequel les juges ne peuvent dénaturer les documents de la cause ;

3. ¿ ALORS QUE la mise en demeure adressée par l’union de recouvrement à l’employeur est régulière dès lors qu’elle permet à celui-ci de connaître la nature, la cause et l’étendue de son obligation ; qu’à ce titre est parfaitement valable la mise en demeure qui fait référence à la notification du redressement notifié le 22/10/2007 « conformément à l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale », contient la mention « contrôle - chefs de recouvrement notifiés le 22/10/2007 » et précise le montant des cotisations et majorations dues pour chacune des années concernées, sans avoir à préciser le mode de calcul de ces cotisations et majorations ; qu’en jugeant que l’absence d’indication des calculs opérés et des taux appliqués pour chiffrer les majorations de retard justifiait la nullité du redressement quant aux majorations de retard, la cour d’appel a violé l’article L. 244-2 du code de la sécurité sociale ;
Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Colmar , du 12 septembre 2013