Employeur de fait - dissimulation d’emploi salarié

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 14 décembre 1993

N° de pourvoi : 93-80748

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. DUMONT conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze décembre mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FOSSAERT-SABATIER, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE et de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur les pourvois formés par :

 ALLAIN A...,

 KOKO Z..., contre l’arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES, 7ème chambre, en date du 1er février 1993, qui, pour travail clandestin, a condamné le premier à 15 mois d’emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d’amende et le second à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 francs d’amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par Rémi X... et pris de la violation de l’article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, des articles L. 324-9, L. 324-10 et L. 362-3 du Code du travail, des articles 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré X... coupable d’avoir sciemment eu recours aux services de travailleurs clandestins ;

”aux motifs repris des premiers juges, d’une part, que la société Rapid’Pub exploitée par Rémi X..., spécialisée dans la distribution de prospectus, travaillait sous couvert de prétendus artisans ou soi-disant sous-traitants qui, avec la seule exigence d’une inscription au registre du commerce ou répertoire de métiers, servaient à la fois d’écran en matière de responsabilité quant à l’emploi d’une main d’oeuvre étrangère clandestine et de cadre d’exécution ; qu’ils étaient eux-mêmes, vis-à-vis du responsable de Rapid’Pub, dans une situation de subordination majeure, en ne disposant d’aucun pouvoir de négociation, d’aucune autonomie, ne pouvant que se conformer, au jour le jour, aux directives de Rapid’Pub quant au secteur à couvrir, au nombre d’imprimés à distribuer dans un temps donné -lequel déterminait le nombre des salariés à mettre en oeuvre- enfin le taux et le mode de rémunération, le système du contrôle, des amendes, le tout dans des conditions économiques et de fait inconciliables avec le recours à une main d’oeuvre déclarée ;

”au motif, d’autre part, qu’il appartenait à Rémi X..., demandeur à l’exception de sous-traitance, de rapporter la preuve de l’existence et du contenu de pareilles conventions (sans qu’un écrit soit nécessairement exigé pour y parvenir) et que les factures versées aux débats ne suffisent pas à établir, d’une manière légale, l’absence de dépendance des membres des équipes de ces soi-disant sous-traitants à l’égard de Rapid’Pub ;

”alors que, d’une part, la notion de sous-traitance n’exclut pas toute possibilité de contrôle de l’entrepreneur principal sur la sous-traitance et que l’existence d’un contrat de sous-traitance est par conséquent compatible avec l’existence de directives, même précises, données par l’entrepreneur principal pour l’exécution du travail, directives qui constituent un cahier des charges et ne caractérisent pas un lien de subordination contrairement à ce qu’ont à tort estimé les juges du fond ;

”alors que, d’autre part, la cour d’appel ne pouvait pas rejeter l’exception de sous-traitance invoquée par le prévenu sans s’expliquer sur le contenu des factures régulièrement versées aux débats et sur les raisons de fait et de droit pour lesquelles elle ne permettait pas d’établir l’existence des contrats de sous-traitance” ;

Attendu que le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de preuve soumis au débat contradictoire et d’où ils ont tiré la conviction que, pour distribuer des prospectus, le prévenu employait, sous le couvert de contrats de sous-traitance, des personnes qui lui étaient fournies par des “artisans” inscrits au registre de commerce, et qui travaillaient en réalité sous sa direction et non sous celles desdits artisans ;

D’où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par Marcel Y... et pris de la violation des articles L. 324-9 à 11, L. 143-3 et 5, L. 6230-3 et L. 362-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Y... coupable d’exercice de travail illicite et clandestin ;

”aux motifs propres que le premier juge a, avec exactitude, relevé les indices lui ayant permis d’affirmer que la société Rapid’Pub donnait aux employés irréguliers de ses sous-traitants, dont aucun n’était inscrit au registre professionnel comme distributeur de prospectus, les mêmes instructions directes et contraignantes que celles données à ses propres salariés, membres des équipes de distribution de prospectus ; que, comme à l’audience du premier juge, B... Allain se contente de contester les dires des étrangers tant dirigeants d’équipes de distributeurs de prospectus que membres de ces équipes qui ont affirmé leur complète dépendance à l’égard de Rapid’Pub ; que le même prévenu ne fournit à la Cour aucune contre-preuve des indices de subordination complète des membres des équipes de ses soi-disant sous-traitants à sa société ;

qu’il n’importe encore que seule une minorité de ces sous-traitants n’avaient pas déclaré ces salariés, cette minorité totalement dépendante de Rapid’Pub suffisant à établir sa culpabilité pour travail clandestin ;

”aux motifs encore, sur la culpabilité de Marcel Y..., que le premier juge, par de justes motifs, a déclaré Marcel Y... coupable du délit d’exercice de travail illicite comme distributeur de prospectus en notant qu’il était inscrit au registre du commerce et des sociétés comme artisan louageur, activité distincte, et d’autre part, de celui d’exercice de travail clandestin, alors que, transportant dans sa camionnette un personnage d’ailleurs de nationalité étrangère africaine et en situation irrégulière, il n’avait pu donner aucune explication crédible à la présence de celui-ci ; que le caractère d’organisation permanente de l’activité illicite de Marcel Y... justifie pleinement sa condamnation aux peines de six mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 francs d’amende ;

”et aux motifs, adoptés, que Marcel Y..., soi-disant sous-traitant, n’avait aucun contrat écrit permettant de considérer que toutes les conditions d’une réelle sous-traitance étaient remplies, et bien au contraire était inscrit au registre du commerce et des sociétés comme artisan louageur et non comme distributeur de prospectus ; que B... Allain ne peut ainsi soutenir qu’il avait vérifié sa situation régulière ;

”alors que ne peut être déclaré coupable de travail illicite ou clandestin que celui qui est tenu aux obligations prévues à l’article L. 324-10 et non le salarié d’une entreprise elle-même tenue à ces obligations ; qu’il appartient au juge, sans s’arrêter à la dénomination que peuvent y avoir donnée les parties, qui ne peuvent se soustraire au statut social découlant nécessairement de l’exercice de leur tâche, de redonner aux faits et contrats leur exacte qualification ; que la cour d’appel, par ses motifs propres comme par ceux adoptés, a constaté que les sous-traitances étaient fausses ; que les dirigeants d’équipes étaient sous l’entière dépendance d’X..., tant sur le plan de l’organisation du travail que de leur rémunération ; qu’ils étaient mis dans l’impossibilité du fait du montant de celle-ci, d’assumer régulièrement leurs obligations d’employeur ;

que les membres des équipes étaient souscette même dépendance, ce dont il résultait qu’ils étaient des salariés d’X... et non des artisans, lesquels n’avaient pas la qualité d’employeurs de travailleurs clandestins et n’étaient pas tenus aux obligations des articles L. 143-3 et 5 et L. 620-3 du Code du travail, ni à requérir leur propre immatriculation puisqu’ils travaillaient en qualité de salariés ; qu’ainsi, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen ;

”et alors, en outre, qu’en prononçant une peine au regard du caractère d’organisation permanente de l’acitivité illicite de Y..., sans relever aucun indice de cette permanence, seule une unique interpellation étant constatée en ce qui le concerne, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Attendu que Marcel Y... a été poursuivi du chef de travail clandestin, d’une part, pour avoir exercé la distribution de prospectus sans avoir requis son immatriculation au registre du commerce ou au répertoire des métiers et, d’autre part, pour avoir omis de procéder, pour les salariés qu’il employait, à deux au moins des formalités prévues par les articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail ;

Attendu que, pour le déclarer coupable, la juridiction du second degré énonce par motifs propres et adoptés des premiers juges qu’aucun contrat écrit ne permettait de considérer le prévenu comme un sous-traitant d’X... et que s’il était inscrit au registre du commerce comme “louageur”, il ne l’était pas comme distributeur de prospectus ; qu’elle relève ensuite que lorsqu’il a été interpellé dans son véhicule contenant plusieurs milliers de prospectus, il était accompagné d’une personne dont il s’est borné à affirmer qu’il la transportait à la gare, sans expliquer comment il aurait pu distribuer seul tous les prospectus ;

Attendu que s’il est vrai que les juges ne pouvaient à la fois considérer que Marcel Y... n’exerçait pas l’activité de sous-traitant qu’il prétendait avoir et le déclarer coupable de ne pas s’être inscrit au registre du commerce pour cette activité et s’ils ne pouvaient non plus lui reprocher de ne pas avoir déclaré des salariés dont ils constataient qu’ils étaient en réalité sous la subordination de Rémi X..., la censure n’est cependant pas encourue dès lors qu’il résulte des constatations des juges qu’en prenant la qualité de sous-traitant pour la distribution de prospectus fournis par Rémi X..., Marcel Y... a fourni les moyens à ce dernier de dissimuler l’emploi de salariés non déclarés et qu’il s’est ainsi rendu complice du délit de travail clandestin commis par X... ; que la peine prononcée est donc justifiée ;

Qu’en outre, le demandeur critique vainement les motifs de l’arrêt relatifs à la permanence de l’activité illicite du prévenu et justifiant le montant de la peine, dès lors que les juges disposent pour l’application de celle-ci, dans les limites prévues par la loi, d’un pouvoir dont ils ne doivent aucun compte ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation proposé par Rémi X... et pris de la violation de l’article 593 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt a omis de répondre à la demande de restitution des pièces saisies au siège de l’entreprise formulée par le prévenu dans ses conclusions” ;

Attendu que l’omission par la cour d’appel de répondre à la demande de restitution des objets saisis n’est pas de nature à entraîner la cassation de l’arrêt dès lors que le procureur général est compétent en vertu de l’article 41-1 du Code de procédure pénale pour décider de la restitution de ces objets en l’absence de contestation sérieuse sur leur propriété ;

Qu’ainsi le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Dumont conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Fossaert-Sabatier conseiller rapporteur, MM. Fontaine, Milleville, Alphand, Guerder, Pinsseau, Joly conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Poisot conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles du 1 février 1993

Titrages et résumés : (sur le moyen proposé par M. K.) TRAVAIL - Travail clandestin - Distributeur de prospectus - Conditions - Constatations suffisantes.

Textes appliqués :
• Code du travail L143-3, L143-5 et L620-3