Gérant succursale assujetti oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 23 juin 2015

N° de pourvoi : 13-26361

ECLI:FR:CCASS:2015:SO01071

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Vallée (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Odent et Poulet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 18 septembre 2013), que le 15 octobre 2001, la société Carrefour proximité France, anciennement dénommée Prodim, a conclu avec M. X... un contrat de location-gérance et un contrat de franchise portant sur l’exploitation d’un magasin d’alimentation générale ; que le 4 décembre 2006, les parties ont mis fin amiablement à ces contrats ; que M. X... a saisi la juridiction prud’homale en revendiquant le bénéfice de l’article L. 7321-2 du code du travail pour obtenir le paiement par la société Carrefour proximité France de diverses sommes à titre de rappel de salaires, d’indemnités et de dommages-intérêts ;

Attendu que la société Carrefour proximité France fait grief à l’arrêt statuant sur contredit de déclarer la juridiction prud’homale compétente, alors, selon le moyen :

1°/ que le statut de gérant de succursale ne peut être accordé que si quatre conditions cumulatives sont remplies, dont celle d’un approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif auprès de l’entreprise à laquelle le gérant est lié ; qu’en accordant le statut de gérant de succursale à M. X... , après avoir pourtant constaté qu’il s’approvisionnait auprès d’une société tierce, la société Logidis devenue CSF, entité distincte de la société Carrefour proximité France, peu important, à cet égard, qu’elles appartiennent au même groupe, la cour d’appel a violé l’article L. 7321-2 du code du travail ;

2°/ que la clause d’assortiment minimum, propre au contrat de franchise et visant à préserver l’homogénéité du réseau, n’équivaut pas à une obligation d’approvisionnement exclusif, le franchisé étant libre de « compléter cet assortiment minimum en fonction de son environnement propre » ; qu’en énonçant que M. X... était lié à la société Carrefour proximité France par un engagement d’approvisionnement exclusif, car le franchisé n’avait aucun choix quant à son fournisseur principal qui ne pouvait être qu’une société du groupe Carrefour, quand la clause d’assortiment minimum, habituelle dans les contrats de franchise et tendant seulement à préserver l’homogénéité du réseau, permet au franchisé de compléter son approvisionnement comme il lui plaît, la cour d’appel a violé l’article L. 7321-2 du code du travail ;

3°/ que la clause d’assortiment minimum insérée dans un contrat de franchise n’équivaut pas à une clause d’approvisionnement exclusif ; qu’en accordant le statut de gérant de succursale à M. X... , en retenant que la condition d’approvisionnement exclusif était remplie, au prétexte que la société Carrefour proximité France pouvait résilier les contrats de location-gérance et de franchise si elle considérait que cette obligation n’était pas respectée (ce qui ne concernait que l’assortiment minimum du magasin lié à la nécessité de préserver l’homogénéité du réseau) et qu’une clause de non-adhésion en cours de franchise était imposée au franchisé, quand cette clause, reconnue valable par la réglementation européenne et limitée à la durée de la franchise, vise seulement à préserver l’identité commune et la réputation du réseau du franchiseur, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L. 7321-2 du code du travail ;

4°/ que le statut de gérant de succursale n’est accordé qu’à la condition de prix imposés par l’entreprise à laquelle le commerçant prétendument indépendant est lié ; qu’en énonçant que la condition de prix imposés était remplie, motif pris de ce que si les prix pouvaient théoriquement être modifiés sur le logiciel fourni par le franchiseur, cette modification était complexe et surtout peu réalisable, quand le franchisé était libre de ne pas adhérer au logiciel et qu’il était parfaitement possible de modifier les prix affichés par cet outil, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 7321-2 du code du travail ;

5°/ que l’application du statut de gérant de succursale est subordonnée à l’imposition de conditions d’exploitation ou de vente ; qu’en décidant que cette condition était remplie, quand le respect des normes de la franchise en matière d’achalandage n’équivaut pas à imposer des conditions d’exploitation au franchisé, mais vise seulement à préserver l’unité du réseau ; qu’une assistance comptable spécifique (à laquelle le franchisé est libre de ne pas adhérer) vise seulement à un suivi de gestion destiné à améliorer la rentabilité du magasin en franchise ; et quand le contrat de location-gérance n’imposait nullement des horaires d’ouverture du magasin, le contrat de location-gérance se bornant à rappeler que le magasin devait être ouvert toute l’année, afin de préserver la clientèle du fonds de commerce, la cour d’appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 7321-2 du code du travail ;

6°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes d’un contrat de location-gérance ; qu’en énonçant que le contrat de location-gérance fixait les « horaires du magasin », quand il se bornait à préciser que le magasin devait être ouvert toute l’année, afin de préserver la clientèle du fonds, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;

Mais attendu, d’abord, qu’ayant constaté que les contrats de franchise et de location-gérance conclus avec la société Prodim imposaient à M. X..., qui exploitait un fonds de commerce d’alimentation générale, un « assortiment » minimum, lui interdisaient d’adhérer à un groupement de distribution autre que le groupe Carrefour et pouvaient être résiliés discrétionnairement en cas de non-respect de cette condition d’approvisionnement et relevé que de fait l’intéressé ne pouvait s’approvisionner qu’auprès des sociétés de ce groupe, la cour d’appel, faisant ressortir que ces contrats étaient interdépendants, en a exactement déduit que la condition de fourniture exclusive posée par l’article L. 7321-2 du code du travail était satisfaite à l’égard de la société Prodim ;

Et attendu qu’ayant relevé que M. X... n’était pas libre de fixer les conditions et le prix de vente des marchandises, le franchiseur définissant l’achalandage du magasin et la disposition des linéaires, fournissant et mettant à jour les tarifs de vente et recevant communication d’états de gestion mensuels, elle a pu décider que les autres conditions requises par l’article L. 7321-2 du code du travail était remplies ;

D’où il suit que le moyen, qui en sa sixième branche s’attaque à un motif surabondant, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Carrefour proximité France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société Carrefour proximité France.

II est fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR confirmé le jugement, en ce qu’il avait considéré que le conseil de prud’hommes était compétent pour connaître des demandes rndemnitaires présentées par M. X... à l’encontre de la société Carrefour Proximité France ;

AUX MOTIFS QUE, pour ce qui était des conditions fixées par l’article L. 7321-2 du code du travail pour que soit appliqué le statut de gérant salarié, c’est-à-dire, d’une part, la condition liée au local et, d’autre part, celles d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif et de vente dans des conditions de prix imposés, la première condition était sans conteste remplie ; qu’en ce qui concernait les trois suivantes, il apparaissait que, même si l’approvisionnement se faisait suivant un contrat distinct auprès d’une société tierce, la société LOGIDIS devenue CSF, il n’était nullement contesté que ces sociétés étaient ou sont des filiales à 100 % du Groupe Carrefour ; qu’en outre, M. X... ne pouvait, de fait, s’approvisionner qu’auprès de ces sociétés, puisqu’il existait dans les contrats signés avec PRODIM des conditions d’approvisionnement minimum et que cette société PRODIM pouvait, de façon discrétionnaire, résilier les contrats de location-gérance et de franchise, si elle considérait que cette condition d’approvisionnement n’était pas respectée ; qu’en effet si, ni le contrat de location-gérance, ni le contrat de franchise ne faisaient expressément référence à l’obligation de souscrire un contrat d’approvisionnement auprès de la société LOGIDIS devenue CSF, le contrat de franchise imposait « un assortiment » défini par le franchiseur auquel le franchisé ne pouvait se soustraire que pour « compléter cet assortiment minimum en fonction de son environnement propre », que donc le franchisé n’avait aucun choix sur son fournisseur principal qui devait être nécessairement une société du groupe Carrefour, d’autant que le contrat de franchise lui interdisait aussi d’adhérer à tout autre organisation ou groupement commercial ou de distribution ; que, pour ce qui concernait les conditions de vente, l’achalandage du magasin et même la disposition des linéaires étaient définis par le franchiseur et les horaires d’ouverture du magasin imposés par le bailleur qui disposait à ce titre, selon le contrat de locationgérance, d’un pouvoir de sanction spécifique ; que si les prix pouvaient, théoriquement, être modifiés sur le logiciel fourni par le franchiseur, qui selon le contrat fournissait et mettait à jour les tarifs de vente, cette modification était complexe et peu réalisable, vu l’obligation de « respecter la politique de la marque » ; qu’en conséquence, les conditions d’application des articles L. 7321-1 et suivants du code du travail étaient réunies ; qu’elles l’étaient d’autant plus qu’il apparaissait que tous les contrats auxquels M. X... devait souscrire, et notamment celui relatif à l’expert-comptable, puisque la lettre de mission était manifestement une lettre type destinée à assurer le contrôle complet de son activité par la société Carrefour Proximité France à qui tous les documents comptables devaient être communiqués et notamment « les états de gestion mensuels établis selon les normes exigées par PRODIM », le mettaient dans des conditions d’exercice sous l’entière dépendance de cette société ; que, dès lors, le statut de gérant de succursale devait s’appliquer à M. X... et l’éventuelle indemnisation de la rupture, comme l’examen des conditions dans lesquelles il avait réalisé son travail, relevaient de la compétence du conseil de prud’hommes de Rennes devant qui le présent dossier devait être renvoyé ;

1°) ALORS QUE le statut de gérant de succursale ne peut être accordé que si quatre conditions cumulatives sont remplies, dont celle d’un approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif auprès de l’entreprise à laquelle le gérant est lié ; qu’en accordant le statut de gérant de succursale à M. X... , après avoir pourtant constaté qu’il s’approvisionnait auprès d’une société tierce, la société LOGIDIS devenue CSF, entité distincte de la société Carrefour Proximité France, peu important, à cet égard, qu’elles appartiennent au même groupe, la cour d’appel a violé l’article L. 7321-2 du code du travail ;

2°) ALORS QUE la clause d’assortiment minimum, propre au contrat de franchise et visant à préserver l’homogénéité du réseau, n’équivaut pas à une obligation d’approvisionnement exclusif, le franchisé étant libre de « compléter cet assortiment minimum en fonction de son environnement propre » ; qu’en énonçant que M. X... était lié à la société Carrefour Proximité France par un engagement d’approvisionnement exclusif, car le franchisé n’avait aucun choix quant à son fournisseur principal qui ne pouvait être qu’une société du groupe Carrefour, quand la clause d’assortiment minimum, habituelle dans les contrats de franchise et tendant seulement à préserver l’homogénéité du réseau, permet au franchisé de compléter son approvisionnement comme il lui plaît, la cour d’appel a violé l’article L. 7321-2 du code du travail ;

3°) ALORS QUE la clause d’assortiment minimum insérée dans un contrat de franchise n’équivaut pas à une clause d’approvisionnement exclusif ; qu’en accordant le statut de gérant de succursale à M. X... , en retenant que la condition d’approvisionnement exclusif était remplie, au prétexte que la société Carrefour Proximité France pouvait résilier les contrats de location-gérance et de franchise si elle considérait que cette obligation n’était pas respectée (ce qui ne concernait que l’assortiment minimum du magasin lié à la nécessité de préserver l’homogénéité du réseau) et qu’une clause de non-adhésion en cours de franchise était imposée au franchisé, quand cette clause, reconnue valable par la réglementation européenne et limitée à la durée de la franchise, vise seulement à préserver l’identité commune et la réputation du réseau du franchiseur, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L. 7321-2 du code du travail ;

4°) ALORS QUE le statut de gérant de succursale n’est accordé qu’à la condition de prix imposés par l’entreprise à laquelle le commerçant prétendument indépendant est lié ; qu’en énonçant que la condition de prix imposés était remplie, motif pris de ce que si les prix pouvaient théoriquement être modifiés sur le logiciel fourni par le franchiseur, cette modification était complexe et surtout peu réalisable, quand le franchisé était libre de ne pas adhérer au logiciel et qu’il était parfaitement possible de modifier les prix affichés par cet outil, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 7321-2 du code du travail ;

5°) ALORS QUE l’application du statut de gérant de succursale est subordonnée à l’imposition de conditions d’exploitation ou de vente ; qu’en décidant que cette condition était remplie, quand le respect des normes de la franchise en matière d’achalandage n’équivaut pas à imposer des conditions d’exploitation au franchisé, mais vise seulement à préserver l’unité du réseau ; qu’une assistance comptable spécifique (à laquelle le franchisé est libre de ne pas adhérer) vise seulement à un suivi de gestion destiné à améliorer la rentabilité du magasin en franchise ; et quand le contrat de location-gérance n’imposait nullement des horaires d’ouverture du magasin, le contrat de location-gérance se bornant à rappeler que le magasin devait être ouvert toute l’année, afin de préserver la clientèle du fonds de commerce, la cour d’appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 7321-2 du code du travail ;

6°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes d’un contrat de location-gérance ; qu’en énonçant que le contrat de location-gérance fixait les « horaires du magasin », quand il se bornait à préciser que le magasin devait être ouvert toute l’année, afin de préserver la clientèle du fonds, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil.

Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes , du 18 septembre 2013