Absence de démonstration du lien de subordination juridique - salarié non

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 30 novembre 2021, 21-80.665, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 21-80.665
ECLI:FR:CCASS:2021:CR01455
Non publié au bulletin
Solution : Cassation

Audience publique du mardi 30 novembre 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Besançon, du 21 janvier 2021

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Waquet, Farge et Hazan
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° P 21-80.665 F-D

N° 01455

SM12
30 NOVEMBRE 2021

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 30 NOVEMBRE 2021

La société [1] et M. [W] [Z] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 21 janvier 2021, qui, a condamné la première, pour travail dissimulé et blessures involontaires, à 50 000 euros d’amende et à la fermeture de son établissement, et le second, pour travail dissimulé, blessures involontaires et infraction à la législation du travail, à quinze mois d’emprisonnement, 2 000 euros d’amende ainsi qu’à une interdiction de gérer définitive.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [1] et M. [W] [Z], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 8 septembre 2017, M. [R] [T] a été grièvement blessé en chutant du toit de la maison d’habitation sur lequel il effectuait des travaux de nettoyage. L’enquête a établi qu’il était monté sur le toit sans équipement de sécurité et de protection, et qu’il effectuait ces travaux à la demande de la société [1], dont le gérant est M. [W] [Z], laquelle avait conclu la veille, un contrat de réalisation de divers travaux de toiture avec la propriétaire de la maison.

3. La société [1] a été poursuivie devant le tribunal correctionnel des chefs d’exécution de travail dissimulé et blessures involontaires par personne morale avec incapacité supérieure à 3 mois par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail.

4. M. [Z] a également été poursuivi des mêmes chefs, ainsi que pour mise à disposition de travailleur d’équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité.

5. Par jugement du 7 février 2019, le tribunal a déclaré les prévenus coupables et les a condamnés à certaines peines.

6. La société [1], M. [Z] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

7. Le premier moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [Z] et la société [1] coupables du délit de travail dissimulé, alors :

« 1°/ que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que la seule fourniture de matériel et le versement d’une rémunération calculée sur la base d’un temps de travail de deux jours ne constituent pas des indices suffisants pour caractériser un lien de subordination ; qu’en retenant l’existence d’un tel lien et donc d’un contrat de travail entre M. [T] et la société [1], dont M. [Z] est le gérant, sans autrement caractériser sa soumission à l’autorité d’un employeur et son absence d’indépendance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard au regard de l’article L. 8221-5 du code du travail et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que la fourniture de matériel et le versement d’une rémunération calculée sur la base d’un temps de travail de deux jours sont des éléments compatibles avec la qualification de contrat de sous-traitance que la cour d’appel écarte pourtant ; qu’en retenant l’existence d’un lien de subordination et donc d’un contrat de travail entre M. [R] [T] et la société [1] gérée, dont M. [Z] est le gérant, sans autrement caractériser sa soumission à l’autorité d’un employeur et son absence d’indépendance, la cour d’appel s’est contredite et a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8221-5 du code du travail et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que l’infraction de travail dissimulé prévue par l’article L. 8221-5 du code de travail est intentionnelle ; qu’il ne ressort nullement des mentions de l’arrêt attaqué que M. [Z], dont il apparait qu’il a cru confier une mission de nettoyage sur deux jours à un auto-entrepreneur, se soit soustrait intentionnellement aux obligations de l’employeur mentionnés par l’article L 8221-5 du code du travail ; qu’en retenant l’infraction de travail dissimulé à l’encontre de M. [Z] et de la société [1], M. [Z] ayant agi en tant que gérant et pour le compte de cette dernière, sans caractériser l’élément moral de l’infraction, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8221-5 du code du travail, de l’article 121-3 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

8. Le deuxième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [Z] et la société [1] coupables du délit de blessures involontaires ayant entrainé une incapacité temporaire de travail de plus de trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement à l’employeur, alors :

« 1°/ que la faute qualifiée, qui permet d’engager la responsabilité de l’auteur indirect personne physique d’un dommage, repose sur l’existence d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que les obligations dont le manquement est reproché à M. [Z] sont des obligations dont seul est tenu l’employeur en vertu de dispositions du code du travail ; qu’en entrant en voie de condamnation à l’encontre de M. [Z] sans avoir suffisamment caractérisé l’existence d’un lien de subordination entre la société [1], dont M. [Z] est le gérant, et M. [T], la cour d’appel a privé sa décision de base légale, en violation des articles 121-3 et 222-19 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l’arrêt attaqué retient que M. [Z] avait mis à disposition de M. [T] du matériel, dont du matériel de sécurité, pour caractériser l’existence d’un lien de subordination ; que, dans ces conditions, l’arrêt attaqué ne pouvait retenir l’existence d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement au motif qu’il était établi que M. [T] est monté sur le toit de l’immeuble à une hauteur de plus de trois mètres sans disposer d’un matériel de sécurité conforme", sans s’expliquer sur la teneur du matériel de sécurité mis à la disposition de M. [T] dans le véhicule ; qu’en se prononçant de la sorte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale, en violation des articles 121-3 et 222-19 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la faute qualifiée, qui permet d’engager la responsabilité de l’auteur indirect d’un dommage, repose sur l’existence d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que le caractère délibéré de la violation doit être établi par les juges ; que l’arrêt attaqué conclut à l’existence d’une telle faute uniquement dans la mesure où il est établi que M. [T] est monté sur le toit de l’immeuble à une hauteur de plus de trois mètres sans disposer d’un matériel de sécurité conforme" ; qu’en ne caractérisant pas le caractère délibéré de ce manquement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale, en violation des articles 121-3 et 222-19 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que si les personnes morales sont responsables pénalement de toute faute non intentionnelle de leurs organes ou représentants ayant entrainé une atteinte à l’intégrité physique, même en l’absence de faute délibérée ou caractérisée de la personne physique, il demeure nécessaire qu’une faute ordinaire soit caractérisée ; qu’une telle faute ne saurait résulter du seul fait que M. [T] « est monté sur le toit de l’immeuble à une hauteur de plus de trois mètres sans disposer d’un matériel de sécurité conforme », dès lors que l’arrêt attaqué, qui a insuffisamment caractérisé l’existence d’un lien de subordination entre M. [T] et la société [1], a relevé que M. [Z] avait mis à disposition de M. [T] un véhicule de la société [1] contenant du matériel de sécurité, sans plus s’expliquer sur la teneur de celui-ci ; qu’en entrant en voie de condamnation à l’encontre de la société [1] dans ces conditions, la cour d’appel a privé sa décision de base légale, en violation des articles 121-3 et 222-19 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
24. Le troisième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [Z] coupable, en sus du délit de blessures involontaires, du délit prévu par l’article L. 4741-1 du code du travail, au titre de la mise à disposition à travailleur d’équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité, alors :

« 1°/ qu’en vertu du principe « ne bis in idem », les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu’en l’espèce, la cour d’appel est entrée en voie de condamnation à l’encontre de M. [Z] du chef de blessures involontaires ayant entrainé une incapacité temporaire de travail supérieure à 3 mois par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement à l’employeur, en l’espèce les articles L. 4321-1 à L. 4321-3 du code du travail ensemble avec les articles R. 4321-1, R. 4322-1, R. 4534-85, R. 4534-95 et R. 4323-61 du même code, et du chef de méconnaissance, par sa faute personnelle et en tant qu’employeur, des dispositions du livre III de la quatrième partie (équipement de travail et moyens de protection) du code du travail et des décrets en Conseil d’Etat pris pour leur application ; qu’en statuant ainsi alors que les faits retenus procèdent d’une action unique caractérisée par une seule intention, à savoir le fait que M. [Z] a omis de mettre à disposition de M. [T] un matériel de sécurité conforme, la chambre de l’instruction a méconnu le principe susvisé ;

2°/ que l’article L. 4741-1 du code du travail n’est applicable qu’à l’employeur ou à son subordonné ; qu’en entrant en voie de condamnation à l’encontre de M. [Z] sans avoir suffisamment caractérisé l’existence d’un lien de subordination entre la société [1], dont M. [Z] est le gérant, et M. [T], la cour d’appel a privé sa décision de base légale, en violation de l’article L. 4741-1 du code du travail et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que l’arrêt attaqué retient que M. [Z] a mis à disposition de M. [T] du matériel, dont du matériel de sécurité, pour s’efforcer de caractériser l’existence d’un lien de subordination ; que dans ces conditions l’arrêt attaqué ne pouvait retenir, inversant la charge de la preuve, que M. [Z], dirigeant de l’entreprise [1] qui employait M. [T], n’établissant pas avoir mis à la disposition de ce dernier un matériel de sécurité approprié pour monter sur le toit de l’immeuble qu’il devait nettoyer, la cour confirmera le jugement déféré l’ayant déclaré coupable de cette infraction", sans s’expliquer sur la teneur du matériel de sécurité mis à la disposition de M. [T] dans le véhicule ; qu’en se prononçant de la sorte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale et a violé le principe de la présomption d’innocence, en violation des articles 6, de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaires, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour

Les moyens sont réunis.

Vu les articles L.8221-1, L.8221-5 et L.4111-1 du code du travail, et 593 du code de procédure pénale :

31. Selon les deux premiers de ces textes, la caractérisation du délit de travail dissimulé par dissimulation de salariés suppose l’existence d’un contrat de travail.

32. Selon le troisième, les dispositions du code du travail relatives à la santé et à la sécurité au travail, sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu’aux travailleurs.

33. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

34. Pour déclarer les prévenus coupables des délits d’exécution de travail dissimulé, blessures involontaires et mise à disposition de travailleur d’équipement ne permettant pas d’assurer sa sécurité, l’arrêt attaqué écarte la conclusion d’un contrat de sous-traitance entre la société [1] et M. [T], le contrat produit étant antérieur à la réalisation des travaux, imprécis dans son objet, M. [T] contestant l’avoir jamais signé et la signature qui y est apposée ne ressemblant pas à celle figurant sur son procès-verbal d’audition.

35. Les juges relèvent encore une absence d’autonomie de M.[T], révélée par la mention du même contrat selon laquelle « le client met à la disposition du prestataire l’intégralité des pièces du matériel (véhicule équipé ainsi que tout le matériel de sécurité obligatoire) et outillage nécessaires à l’exécution du présent contrat » et le mode de rémunération « 200 euros par journée entière de prestations » qui se rapproche manifestement d’un taux horaire, plus que d’un forfait.

36. Les juges ajoutent que M. [T] ne disposait d’aucune compétence particulière pour travailler sur les toitures d’immeuble, que l’auto-entreprise de nettoyage de façades et toiture qu’il avait créée a été radiée le 31 décembre 2015, circonstance que M. [Z] n’a pas vérifiée alors qu’il déclare n’avoir jamais travaillé avec lui auparavant.

37. Ils en concluent que l’ensemble de ces éléments permet de caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique et de qualifier le contrat de contrat de travail.

38. En se déterminant ainsi, sans établir, pour caractériser le lien de subordination et la relation de travail salariée qu’elle retient, que M. [T] agissait sous l’autorité des prévenus, ni que ceux-ci aient eu le pouvoir de lui donner des ordres et des directives et de sanctionner ses manquements, et partant, que les obligations qui leur sont reprochées leur incombaient, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

39. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Besançon, en date du 21 janvier 2021, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Besançon, et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente novembre deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR01455