Placement de faux travailleur indépendant

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 9 décembre 2008

N° de pourvoi : 08-82843

Non publié au bulletin

Rejet

M. Joly (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° 6892

Statuant sur les pourvois formés par :

 LA SOCIÉTÉ SIDROM,

 X... Jean-François,

contre l’arrêt de la cour d’appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 8 novembre 2007, qui, pour participation à une opération de prêt de main d’oeuvre illicite , les a condamnés, chacun, à 1 500 euros d’amende, dont 1000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1 et 121-2 du code pénal, L. 125-3, L. 152-3, L. 152-3-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ; défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-François X... et la société Sidron coupables de prêt de main d’oeuvre illicite et les a condamnés pénalement et civilement ;

”aux motifs que « la prestation de travail est ici constante ainsi que la rémunération » ; que « le lien de subordination défini comme le pouvoir pour un employeur de donner des ordres et instructions, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements éventuels se trouve également établi en l’espèce par les éléments suivants :

 la recherche initiale par la société SV de travailleurs polonais engagés directement par elle selon contrats à durée déterminée de droit français, avec déclarations régulières à l’URSSAF, mais en méconnaissance des règles sur l’emploi de travailleurs étrangers en France, ce qui a suscité des demandes de pièces complémentaires de la part de l’inspection du travail, puis le congédiement de ses salariés ;

 la recherche ultérieure d’autres travailleurs selon des formules juridiques permettant en apparence de contourner l’obstacle, considéré comme trop contraignant, de recrutement de salariés étrangers, en respectant les formalités légales ;

 le recours à diverses formules juridiques par l’intermédiaire des sociétés Qualité Express Polska (QEP), Lucyna Skorwronska et Sidrom, la première signant une convention de prestation de service pour mise à disposition de personnels moyennant une rémunération forfaitaire, la société QEP signant alors avec ses salariés des contrats d’expatriation, la seconde (Lucyna) signant une convention de coopération pour mise à disposition de main d’oeuvre à prix forfaitaire et engageant des salariés envoyés en France, la troisième (Sidrom) signant une convention de mise en relation avec des ‘artisans’ polonais moyennant une commission sur le chiffre d’affaires réalisé par ceux-ci qui signaient une convention de prestation de services directement avec la société SV3, - le fait qu’en définitive, malgré ces montages juridiques, une fois sur place, ces divers travailleurs polonais se trouvaient intégrés aux équipes de SV, sous les ordres directs de Bernard Y... qui selon ce qu’il en dit lui-même ne faisait aucune différence selon les divers statuts de ces personnels, leur donnait toutes les instructions de travail, les transportait de leur lieu d’hébergement au lieu de travail, limitant ainsi singulièrement la prétendue liberté de ceux qui étaient apparemment des artisans, ces travailleurs oeuvrant sous l’autorité et le contrôle permanent de l’entreprise utilisatrice qui, par son chef de chantier, vérifiait les présences et le travail fait et le cas échéant (c’est arrivé au moins une fois) sanctionnait les manquements en faisant repartir un ouvrier jugé non compétent ;

 le fait que ni les entreprises QEP ou Lucyna, ni les artisans recrutés par Sidrom ne disposaient de leur propre outillage, si ce n’est le tout petit outillage (truelles, fils à plomb…), mais pas des échafaudages, ni ne fournissaient les matériaux mis en oeuvre, lesquels étaient procurés par la société SV ;

 le fait par ceux qui sont présentés comme ‘artisans maçons’ qu’ils aient été immatriculés en Pologne à l’organisme équivalent au registre des métiers, immédiatement avec leur recrutement et uniquement pour le permettre, l’un d’entre eux d’ailleurs n’ayant aucune formation de maçon mais de tourneur et un autre de plombier, qu’en réalité, aucun marché n’a été passé entre eux et la société SV, avec laquelle ils auraient du apparaître comme des sous-traitants pour la réalisation d’un ouvrage, mais qu’ils se sont engagés seulement pour des réalisations à la tâche, limitée à la pose de moellons, pour un prix de 7,62 ou 7,69 euros le mètre carré, qu’ils se trouvaient soumis aux mêmes règles de travail que les autres » ; que « ceci conduit à écarter la présomption de non salariat résultant de l’article L. 120-3 du code du travail, le recours à cette sous-traitance prétendue n’étant destiné qu’à échapper aux règles du contrat de travail, quand bien même pour sauver les apparences ces ‘artisans’ ont présenté des factures, dont il est admis devant la cour qu’ils n’en étaient pas les auteurs, celles-ci ayant été rédigées par un interprète de la société Sidrom, selon ce qui est dit à l’audience » ; qu’ « il est pour le moins surprenant que chacun de ces trois artisans, théoriquement indépendants les uns des autres, ait réalisé exactement la même quantité de travail mensuel (au centimètre carré près), aboutissant pour chacun à une rémunération uniforme, ce qui conforte s’il en était besoin leur absence réelle d’autonomie » ; que ces « artisans s’étaient en outre engagés envers Sidrom à ne pas démarcher d’autres entreprises françaises susceptibles de leur fournir du travail ;

 le fait que ces divers sous-traitants prétendus n’étant pas connus du maître de l’ouvrage, ils n’engageaient aucune responsabilité envers celui-ci qui ne connaissait que la société SV ;

 le fait que tous ces ouvriers étaient logés dans le même hôtel et nourris aux frais de la société SV qui ainsi ne leur laissait aucune marge d’autonomie » ; que « les personnes engagées par l’intermédiaire de la SARL Sidrom ayant en apparence le statut d’artisans de droit polonais, il convient préalablement d’établir que malgré cette apparence, ils se trouvaient en fait dans une situation caractérisant un contrat de travail, selon la définition donnée ci-avant » ; que « la cour reprend ici les éléments analysés ci-dessus au paragraphe concernant la société SV, selon lesquels, malgré les apparences ces artisans se trouvaient en fait dans un état de subordination envers celle-ci et sur la preuve contraire à la présomption de non salariat visée à l’article L. 120-3 du code du travail dont les prévenus sollicitent le bénéfice » ; que « Jean-François X... et la société Sidrom soutiennent qu’ils n’ont fait qu’oeuvre d’intermédiaire pour mettre en relations des entreprises indépendantes, les unes de nationalité polonaise et l’autre française, sans être responsables des conditions d’emploi des “artisans” polonais conduisant le cas échéant à requalifier, mais a posteriori, la relation de prestation de service en contrat de travail » ; que, « cependant en assurant une prestation d’intermédiaire mais aussi de traducteur, les prévenus ont été associés non seulement à la mise en relation des parties (artisans polonais et société SV) mais aussi au suivi de l’exécution de cette prestation » ; que « de plus recrutant en Pologne des artisans maçons, ils ne pouvaient ignorer que ceux-ci étaient dans l’incapacité d’assumer les obligations d’un sous-traitant apparent, ne serait-ce qu’en ce qui concerne les outillages et surtout la fourniture des matériaux mis en oeuvre, que la limitation de la simple ‘pose d’agglos’ révèle à elle seule qu’il ne s’agit que d’une simple fourniture de main d’oeuvre, accomplie plutôt sous la forme d’un contrat de travail que d’un contrat d’entreprise » ; qu’ « à cet égard, les clauses du contrat rappelant que ces artisans devaient intervenir avec leur outillage apparaissent dépourvues de sens pratique » ; qu’ « ainsi, dès la conclusion du contrat, il apparaissait peu sérieux de croire que ces personnes seraient de véritables artisans » ; que « la requalification en contrat de travail est bien opposable aux prévenus » ; que « dès lors, Jean-François X..., auteur de ce recrutement en sa qualité de gérant de la société Sidrom, a bien procédé en méconnaissance des règles sur le travail temporaire, de sorte que sa culpabilité doit être retenue, cette manière de faire étant destinée en toute connaissance de cause à tourner les contraintes de l’emploi régulier de travailleurs étrangers et ce à titre lucratif puisqu’une commission lui était versée par l’entreprise utilisatrice » ;

”alors que, d’une part, le prêt de main d’oeuvre illicite implique nécessairement que les salariés mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice sont employés par une autre qui les met à sa disposition ; qu’en l’espèce, dès lors que la société Sidrom n’était pas l’employeur même seulement apparent des quatre personnes de nationalité polonaise qu’elle avait mises en relation avec la société SV et que la cour d’appel ne l’a pas prétendu, l’infraction de prêt de main d’oeuvre illicite ne pouvait être retenue à l’encontre de la société Sidrom et de Jean-François X..., son dirigeant ;

”alors que, d’autre part, le prêt de main d’oeuvre illicite implique la conscience de fournir à une entreprise des personnes qui vont être placées sous sa subordination juridique ; qu’en prenant en compte le fait que le dirigeant de la société Sidrom avait été associé au suivi de l’exécution de la prestation par les maçons polonais pour caractériser le prêt de main d’oeuvre illicite, la cour d’appel qui prend ainsi en compte des faits postérieurs à la fourniture alléguée de main d’oeuvre, a méconnu l’article L. 125-1 du code du travail ;

”alors que, de troisième part, la seule constatation du fait que les prévenus avaient assuré une activité d’intermédiaire, par la mise en relation initiale des travailleurs polonais et de l’entreprise SV, mais aussi par une activité de traducteur ne permettait pas d’établir la conscience de fournir des personnes qui ne pourraient organiser leur activité comme travailleur indépendant ; que, de même, en affirmant péremptoirement, sans s’en expliquer, qu’alors que le contrat prévoyait que les travailleurs fourniraient leur propre outillage, les prévenus ne pouvaient ignorer que cette condition ne pourrait être remplies par des travailleurs venant de Pologne et en affirmant qu’ils ne pouvaient pas plus ignorer que la pose d’agglos relève « plutôt » d’une activité salariée que d’un contrat d’entreprise par des motifs dubitatifs, la cour d’appel n’a pu caractériser la conscience de fournir des personnes qui allaient travailler sous la subordination de la société SV ;

”alors qu’à tout le moins, à supposer que l’infraction soit constituée lorsque le fournisseur de main d’oeuvre ne prend aucune mesure pour mettre fin à une situation illicite, la seule constatation du fait que les prévenus avaient assuré une activité d’intermédiaire, par la mise en relation initiale des travailleurs polonais et de l’entreprise SV, mais aussi de traducteur, laquelle aurait consister dans la traduction des factures des artisans polonais, sans constater que les prévenus connaissaient effectivement les conditions concrètes dans lesquelles la prestation de service pour laquelle il avait été fait appel à ces travailleurs avait été exécutée et ayant conduit la cour d’appel à retenir le lien de subordination à l’égard de la société SV, à savoir, d’une part, l’absence d’outils de travail nécessaires pour réaliser la prestation, d’autant que la cour d’appel reconnaissait que le contrat passé avec la société prévenue prévoyait que les artisans devaient fournir leur outillage, d’autre part, l’hébergement dans le même hôtel que le chef de chantier de l’entreprise SV et les instructions données par ce dernier à ces travailleurs , la cour d’appel n’a pu caractériser le fait que le dirigeant de la société Sidrom avait conscience de l’existence d’un lien de subordination entre les travailleurs polonais et la société SV lorsqu’il avait mis en relation ces travailleurs avec la société SV et ultérieurement, lors de la rédaction des factures des trois artisans polonais qu’aurait fourni la société Sidrom ;

”alors qu’enfin, en déduisant de la qualité de dirigeant de la société Sidrom que Jean-François X... avait procédé au recrutement des travailleurs polonais et qu’il était responsable à ce titre de l’infraction, sans rechercher s’il connaissait effectivement les termes de ce contrat qu’il n’avait pas signé et qui lui auraient permis de connaître la véritable situation des travailleurs, la cour d’appel a méconnu le principe selon lequel nul n’est pénalement responsable que de son propre fait” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que le moyen, qui ne tend qu’à remettre en question l’appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, dont ils ont déduit que, sous le couvert d’une prétendue activité d’intermédiaire entre des artisans polonais et une société française oeuvrant dans le domaine du bâtiment, les prévenus se bornaient à fournir à celle-ci, en dehors des règles du travail temporaire, des travailleurs placés vis à vis d’elle dans un état permanent de subordination juridique et économique caractérisant un salariat, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Straehli conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : Cour d’appel de Grenoble du 8 novembre 2007