Bucheron

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 31 mai 2006

N° de pourvoi : 05-16138

Non publié au bulletin

Rejet

Président : Mme FAVRE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Angers, 15 avril 2005), que la société l’Espadon (la société) a acquis des terres agricoles dont elle a entrepris le reboisement avec le concours de M. X... ancien propriétaire d’un domaine agricole, affilié à ce titre en qualité de chef d’exploitation à la caisse de mutualité sociale agricole (CMSA) ; qu’à la suite d’un contrôle concernant la période du 1er janvier 1993 au 30 septembre 1997 et alors que celui-ci avait été nommé gérant de la société le 1er janvier 1997, cet organisme lui a fait application de la présomption de salariat prévue par l’article 1147-1 de l’ancien code rural devenu L. 722-23 du code rural et a notifié à la société, le 22 décembre 1999, un redressement de cotisations sociales sur les sommes versées à ce dernier en rémunération des travaux ; qu’une cour d’appel, après avoir annulé la décision de la commission de recours amiable, a jugé que la CMSA n’apportait pas la preuve que M. X... était intervenu dans le cadre d’un contrat de travail et qu’il ne pouvait être affilié à ce titre ; que cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation (2e Civ, 25 mai 2004, pourvoi n° 02-31.160) ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société fait grief à la juridiction de renvoi d’avoir statué sur son recours étant composée de quatre magistrats s’étant déjà prononcés sur le litige dans une précédente procédure, alors, selon le moyen :

1 / que dans une procédure où était partie son seul gérant, au titre de sa cessation d’activité et à laquelle avait été étrangère la société l’Espadon qui, au cours de cette procédure, n’avait donc pu exercer ses droits de la défense, la cour d’appel d’Angers ayant d’ores et déjà décidé que son gérant de droit, M. X..., n’était pas détenteur des pouvoirs normalement attaché à sa fonction et que M. Y... exerçait en fait les fonctions de gérant, méconnaît les droits de la défense de la société l’Espadon et les règles du procès équitable, en violation de l’article 6 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’arrêt attaqué qui admet que quatre des magistrats qui ont statué dans la procédure susmentionnée puisse dans une procédure ultérieure dans laquelle est partie la société l’Espadon, statuer sur le point de savoir si son gérant de droit, M. X..., était ou non un gérant fictif ;

2 / que la cour d’appel d’Angers qui pour rejeter l’exception d’impartialité, a, après avoir énoncé que le litige dont elle avait eu à connaître -dans sa précédente composition qui comprenait quatre des magistrats appelés à juger l’actuel litige- n’opposait pas les mêmes parties et ne concernait pas le même litige, a constaté que ces deux procès s’inscrivaient dans la construction mise en place par le porteur de parts majoritaire de la société l’Espadon et constituait ce faisant les deux phases successives d’une régularisation de la situation des personnes intervenantes dans le cadre de la société, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles il s’agissait d’un même litige en sorte que ceux des magistrats ayant siégé lors du premier procès ne pouvaient connaître du second sauf à violer l’article 6 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3 / que l’exception d’impartialité était d’autant plus fondée que la formation ayant rendu l’arrêt attaqué a énoncé, pour rejeter le moyen tiré de la prescription, “que l’intention frauduleuse est caractérisée par le montage juridique mis en place pour faire croire à l’exercice indépendant de l’activité d’Albert X... avec le non respect des obligations qui incombent à un employeur” bien qu’une telle constatation sur l’intention frauduleuse ne figurait pas dans la motivation de l’arrêt de la même cour d’appel d’Angers du 24 février 2004 ce qui démontre encore que cette juridiction s’était faite une opinion avant même d’avoir statué, en violation de l’article 6 1 de ladite Convention ;

4 / que la méconnaissance des droits de la défense de la société l’Espadon et des règles du procès équitable et la violation de l’article 6 1 de la Convention précitée sont d’autant plus caractérisées que l’arrêt attaqué a retenu que M. X... était un gérant fictif sans aucune motivation propre et en s’en rapportant seulement à la décision de la cour d’appel d’Angers du 24 février 2004 rendue dans la procédure à laquelle n’avait pas participé la société l’Espadon ;

Mais attendu que par son arrêt du 24 février 2004, la cour d’appel statuant sur le recours de M. Y... ancien gérant de la société, a constaté sa situation d’activité et retenu qu’elle justifiait la suspension du versement de la pension liquidée en sa faveur par la CMSA ; que cette précédente décision n’ayant pas décidé de la contestation sur les droits et obligations en litige, soit l’application à M. X... de la présomption de salariat et les conditions de sa levée telles qu’elles sont fixées par l’article 1147-1 ancien du code rural et son décret d’application, le moyen s’avère dépourvu de tout fondement ;

Et sur le deuxième moyen :

Attendu que la société fait encore grief à la cour d’appel d’avoir réformé le jugement déféré en ce qu’il a annulé la décision de la commission de recours amiable, alors, selon le moyen :

1 / que l’annulation d’un arrêt, quelque généraux et absolus que soient les termes dans lesquels elle a été prononcée, sauf dans les cas où les chefs non attaqués se rattachent au chefs cassé par un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire, laisse subsister comme passées en force de chose jugée toutes les parties de la décision qui n’ont pas été attaquées par le pourvoi ; que l’arrêt de cassation du 25 mai 2004 étant intervenu sur un moyen unique de cassation de la CMSA de Loire Atlantique contestant seulement l’arrêt du 9 octobre 2002 de la cour d’appel de Rennes en ce qu’il avait déclaré mal fondé le redressement du 22 décembre 1999, viole l’article 624 du nouveau code de procédure civile, l’arrêt attaqué qui retient que la cassation prononcée aurait porté sur le chef du dispositif de l’arrêt du 9 octobre 2002 de la cour d’appel de Rennes, non attaqué, relatif à l’irrégularité de la décision de la commission de recours amiable du 8 février 2000 et de la procédure antécédente ;

2 / que la CMSA de Loire Atlantique ayant, dans ses conclusions, sollicité la confirmation du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale agricole de Nantes du 27 avril 2001 qui avait annulé la décision de la commission de recours amiable du 8 février 2000, méconnaît les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du nouveau code de procédure civile, l’arrêt attaqué qui réforme ledit jugement en ce qu’il avait annulé ladite décision de la commission de recours amiable ;

3 / que la CMSA de Loire Atlantique ayant, dans ses conclusions, sollicité la confirmation du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale agricole de Nantes du 27 avril 2001 qui avait annulé la décision de la commission de recours amiable du 8 février 2000 et déclaré la procédure antécédente irrégulière, méconnaît les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du nouveau code de procédure civile, l’arrêt attaqué qui statue sur la base d’une procédure préalable nulle et de documents figurants dans celle-ci ;

Mais attendu que si le juge du contentieux général de la sécurité sociale peut constater la nullité de la décision de la commission de recours amiable à raison de son irrégularité, il doit néanmoins trancher le litige au fond, cette nullité n’affectant pas le redressement notifié par l’organisme social ; que la société l’Espadon dont la demande a été examinée au fond est donc sans intérêt à critiquer les dispositions de l’arrêt relatives à la décision de la commission de recours amiable ; que le moyen est irrecevable ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses sept branches :

Attendu que la société fait également grief à l’arrêt d’avoir maintenu le redressement alors, selon le moyen :

1 / que l’article L. 722-3 du code rural dispose que la présomption de salariat qu’il institue est levée pour les chefs d’exploitation agricole effectuant des travaux forestiers, à titre secondaire, dans les forêts d’autrui ; que la CMSA de Loire Atlantique ayant dans ses conclusions reconnu que M. X... avait été affilié auprès d’elle de 1970 au 1er novembre 1996 en qualité de chef d’exploitation agricole, et, dans le rapport d’enquête du 1er octobre 1997 indiqué que M. X... avait été en maintien de droits Amexa jusqu’au 31 octobre 1997, ne justifie pas légalement sa décision au regard du texte susvisé, l’arrêt attaqué qui retient que l’intéressé bénéficiait de la présomption de salariat, sans vérifier si sa qualité de chef d’exploitation agricole pendant la quasi-totalité de la période couverte par le redressement (du 1er janvier 1993 au 1er novembre 1996) puis son maintien de droit jusqu’au 31 octobre 1997, ne le faisait pas échapper à ladite présomption ;

2 / que viole l’article 455 du nouveau code de procédure civile, l’arrêt attaqué, qui justifie sa solution par la simple affirmation que M. X... n’étant qu’un exécutant, intervenant sur les consignes, et pour le compte de la société l’Espadon, n’était pas inscrit au registre du commerce et des sociétés, n’employait pas de main d’oeuvre pour son activité, n’était pas inscrit auprès d’un centre de gestion agréé pour la tenue de sa comptabilité, n’était pas propriétaire de l’outillage ni locataire permanent de l’outillage et n’était pas affilié à un régime social de protection ;

3 / que l’existence d’un contrat de travail implique un lien de subordination qui se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que la présomption de salariat posée par l’article 1147-1 (devenu L. 722-23) du code rural, tombe nécessairement en cas de démonstration d’un défaut de lien de subordination ; que, la société l’Espadon ayant fait valoir dans ses conclusions que M. X... ne recevait aucun ordre d’elle, qu’il était libre de ses horaires et jours de congé, assorti de factures de taxe sur la valeur ajoutée d’un montant éminemment variable et qu’elle ne disposait d’aucun pouvoir de sanction, de direction et de contrôle sur l’exécution de ses missions, ne justifie pas légalement sa solution au regard des articles L. 121-1 et suivants du code du travail et 1147-1 (devenu L. 722-23) du code rural, l’arrêt attaqué qui retient l’existence d’un contrat de travail entre l’intéressé et la société l’Espadon, sans s’expliquer sur ces moyens des conclusions de la société et sans vérifier ni constater l’existence du moindre lien de subordination ;

4 / que le redressement ayant porté sur la période du 1er janvier 1993 au 30 septembre 1997, méconnaît les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du nouveau code de procédure civile, l’arrêt attaqué qui considère que M. X... se trouvait au cours de cette période dans les liens d’un contrat de travail au motif qu’il n’était affilié à aucun régime de protection sociale, bien que la CMSA de Loire Atlantique ait elle-même reconnu dans ses conclusions que l’intéressé avait été affilié auprès d’elle en qualité de chef d’exploitation agricole de 1970 au 1er novembre 1996 et que le rapport d’enquête du 1er octobre 1997 indiquait que M. X... avait été en maintien de droit Amexa jusqu’au 31 octobre 1997 ;

5 / que ne justifie pas légalement sa solution au regard des articles L. 121-1 et suivants du code du travail et 1147-1 (devenu L. 722-23) du code rural, l’arrêt attaqué, qui retient que les factures de M. X... variaient de 6 000 francs (914,69 euros) à 8 000 francs (1 219,59 euros) mensuels, ce qui correspondait à la moyenne mensuelle d’un salarié agricole, sans s’expliquer sur le moyen des conclusions de la société l’Espadon faisant valoir que les variations des facturations de l’intéressé étaient beaucoup plus marquées, comme cela a été démontré par l’examen des tableaux établis par la CMSA de Loire Atlantique elle-même en première instance (variation de 1 680 francs à 22 000 francs en 1993, de 2 560 francs à 14 740 francs en 1994, de 5 320 francs à 8 340 francs en 1995, de 4 005 francs à 8 946 francs en 1996 et de 5 697 francs à 7 764 francs en 1997) ;

6 / que ne justifie pas légalement sa solution au regard des articles L. 121-1 et suivants du code du travail et 1147-1 (devenu L. 722-23) du code rural, l’arrêt attaqué, qui fonde sa solution sur la simple affirmation que M. X... n’aurait pas reversé au Trésor public la TVA qui lui était payée par la société l’Espadon, ni tenu compte du fait que cette circonstance qui révélait l’existence d’un vrai travailleur indépendant, à la supposer exacte, ne pouvait en aucune façon être imputée à la société l’Espadon ;

7 / que viole l’article 455 du nouveau code de procédure civile, l’arrêt attaqué, qui retient par seule référence à une décision judiciaire rendue entre d’autres parties, dont elle ne rapporte même pas la motivation, que le gérant de droit de la société l’Espadon, M. X..., aurait été un gérant fictif pour fonder sa prétendue qualité de salarié ;

Mais attendu que la présomption de salariat instituée par l’article 1147-1 du code rural ancien, (devenu L. 722-23) du code rural, bénéficie à toute personne occupée moyennant rémunération, à des travaux forestiers ; que cette présomption n’est levée que dans le cas où l’intéressé satisfait aux conditions cumulatives de capacité ou d’expérience professionnelle et d’autonomie fixées par les articles 1 et 2 du décret n° 86-949 du 6 août 1986 devenus les articles D. 722-32 et D. 722-33 du code rural ;

Et attendu qu’après avoir constaté qu’au cours de la période litigieuse, M. X... avait été rémunéré par la société l’Espadon pour l’exécution de tels travaux, de sorte qu’il était présumé avoir bénéficié d’un contrat de travail, les juges du fond appréciant souverainement les éléments de preuve soumis à leur examen, ont estimé que cette société n’établissait pas les conditions nécessaires à la levée de cette présomption ; que la cour d’appel, qui n’était pas tenue d’une recherche, en l’espèce inopérante, sur l’existence ou non d’un lien de subordination, en a exactement déduit que le redressement opéré par la CMSA était justifié, peu important l’affiliation de l’intéressé au régime des chefs d’exploitation agricole ; qu’elle a ainsi, sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société l’Espadon aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société l’Espadon ; la condamne à payer à la CMSA de Loire Atlantique la somme de 2 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mai deux mille six.

Décision attaquée : cour d’appel d’Angers (chambre sociale) , du 15 avril 2005