Bâtiment - subordination juridique permanente
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du 31 mars 1998
N° de pourvoi : 97-81873
Non publié au bulletin
Rejet
Président : M. MILLEVILLE conseiller, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente et un mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de Y... ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– B... Michel, contre l’arrêt de la cour d’appel de RENNES, 3ème chambre, en date du 13 mars 1997, qui, pour travail clandestin, l’a condamné à 5 000 francs d’amende ;
Vu le mémoire ampliatif produit et les observations complémentaires ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation, pris de la violation des articles L. 120-3, L. 143-5, L. 362-3, L. 362-4 et L. 362-5 du Code du travail, 131-27, 131-30 et 131-35 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
”en ce que l’arrêt attaqué, infirmatif du jugement entrepris, a déclaré Michel B... coupable des faits qui lui étaient reprochés et en répression, l’a condamné à la peine d’amende de 5 000 francs ;
”aux motifs qu’en l’espèce, il est constant que M. X... est régulièrement inscrit auprès du répertoire des métiers en qualité d’entrepreneur en couverture et étanchéité ;
qu’il est couvert par une police d’assurance responsabilité professionnelle et cotise tant pour lui-même que pour son salarié M. A... auprès des caisses de sécurité sociale et d’allocations familiales ;
que les travaux d’étanchéité réalisés par lui sur le chantier de “Villa de la Guerinais” relèvent bien de l’activité donnant lieu à immatriculation ;
qu’il doit en conséquence être présumé ne pas être lié par un contrat de travail avec la SEO d’autant plus que M. X... a conclu avec celle-ci le 1er février 1994 un contrat de sous-traitance ;
que lors de son audition par les services de gendarmerie, M. X... a déclaré “pour trouver du travail, je vais voir la SEO et l’autre société... je leur demande s’il y a des travaux d’étanchéité à faire. Lorsqu’il y a un travail pour moi à la SEO, je vais dans les locaux de cette société, on me montre les plans, on me dit ce qu’il y a à faire. Ensuite, la SEO achète la marchandise, la livre sur le chantier et un conducteur de travaux me montre le travail juste au début du chantier. Je vais donc sur le chantier avec ma camionnette et mes outils et je me mets au travail. Mon travail est contrôlé par la SEO... Lorsque je travaille avec la SEO, je dépends de cette société du début à la fin des travaux. A la fin des travaux, je fais une facture au vu du bon de commande... Il est bien exact que les travaux que j’ai à faire sont indiqués sur le bon de commande avec en face le prix de la main-d’oeuvre, prix qui m’est imposé. Je reconnais que dans ce contexte je n’apporte que ma main-d’oeuvre et mon outillage au travail...” ;
que ces propos révèlent une absence d’autonomie complète par rapport à la SEO, et caractérisent le lien de subordination juridique prévu par l’article L. 120-3 du Code du travail ;
que, contrairement à ce qui est prévu par l’article 2 du contrat de sous-traitance, M. X... ne dirige nullement les travaux qui lui sont confiés, cette direction étant en fait assurée par la SEO ;
que, d’ailleurs, lors du contrôle de l’inspecteur du travail qui avait relevé l’absence de mise en place du matériel de sécurité, M. X... a pris soin de demander à un responsable de la SEO ce qu’il devait faire ;
qu’au surplus, M. X... ne possède que le petit outillage, le matériel professionnel nécessaire pour l’exécution de travaux ainsi que le matériel de sécurité et les matériaux étant fournis par la société SEO ;
qu’ainsi, il est démontré que M. X... accomplit les travaux pour le compte du donneur d’ouvrage à savoir la SEO, sous son autorité et sous son contrôle ;
qu’il est exact que l’activité de M. X... n’était pas exclusivement réservée à la SEO ;
que l’intéressé a, en effet, déclaré travailler de la même façon pour le compte d’autres sociétés mais que c’est la subordination juridique qui doit être permanente et non le lien ;
que cette permanence s’apprécie en conséquence pendant la durée de la relation de travail et non par rapport à celle-ci ;
qu’ainsi, qu’il vient d’être rappelé, M. X... a signalé être sous la dépendance de SEO du début à la fin des travaux ;
que la subordination juridique existe en conséquence pendant toute la durée de la prestation pour le compte du donneur d’ouvrage ;
qu’elle est donc bien permanente ;
que dans ces conditions, la présomption de non-salariat édictée par l’article L. 120-3 du Code du travail doit être renversée ;
qu’ainsi, MM. X... et Z... ne figurant ni sur les registres du personnel, ni sur les livres de paye et ne recevant pas le bulletin de salaire, Michel B... s’est rendu coupable de l’infraction d’exécution de travail clandestin ;
”alors, d’une part, que les personnes physiques immatriculées au répertoire des métiers sont présumées ne pas être liées par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à cette immatriculation à moins qu’elles ne fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ouvrage dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard de celui-ci ;
qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que M. X... avait travaillé sur un chantier de la société SEO, le 25 février 1994, dans le cadre d’un contrat de sous-traitance régulièrement conclu le 1er février 1994, qu’il était immatriculé au répertoire des métiers depuis le 6 décembre 1993 en qualité d’artisan en étanchéité (n° 3888 41 258 RM 350), qu’il était régulièrement inscrit auprès de l’URSSAF d’Ille-et-Vilaine en qualité de travailleur indépendant, entrepreneur de couverture et d’étanchéité, et titulaire depuis le 10 novembre 1993 d’une police d’assurance responsabilité civile chef d’entreprise, n° 04435528 souscrite auprès de la Caisse Mutuelle d’Assurance et de Prévoyance, qu’il était employeur d’un salarié, M. Z..., engagé depuis le 8 décembre 1993 et régulièrement déclaré auprès des organismes fiscaux, qu’il se déplaçait sur les chantiers avec ses outils et sa propre camionnette, qu’il était rémunéré au vu de ses factures et encore, qu’il ne travaillait pas exclusivement pour la société SEO mais aussi, avec l’aide de son salarié, pour d’autres sociétés ;
qu’en estimant, néanmoins, qu’il était placé sous la subordination juridique permanente de la société SEO, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations ;
”et alors, d’autre part, que l’exécution de travaux sous le contrôle et l’autorité du donneur d’ouvrage ne peut suffire à écarter la qualification de contrat d’entreprise ;
que dans le contrat d’entreprise, si les ordres du maître d’ouvrage concernent l’orientation générale et le but à atteindre, l’entrepreneur conserve son indépendance quant aux moyens d’exécution ;
que dans le contrat de travail, les ordres portent directement sur l’exécution du travail, dont les méthodes et les moyens ne sont pas abandonnés à l’initiative du salarié ;
qu’en ne recherchant pas si, en l’espèce, la société SEO déterminait unilatéralement, dans le cadre d’un service organisé et par des ordres précis, les conditions d’exécution du travail de M. X... et de son salarié, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision” ;
Attendu qu’en l’état des constatations et énonciations de l’arrêt attaqué, reproduites au moyen, desquelles il résulte que l’artisan et l’ouvrier déclaré comme étant son salarié, effectuant les travaux d’étanchéité pour le compte de la société d’Etanchéité de l’Ouest (SEO) dans le cadre d’un prétendu contrat de sous-traitance, fournissaient en réalité leurs prestations dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de ladite société, la cour d’appel a justifié sa décision au regard des articles L. 120-3 et L. 324-10 du Code du travail ;
D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mme Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Desportes, Mme Karsenty, MM. Soulard, Sassoust conseillers référendaires ;
Avocat général : M. de Gouttes ;
Greffier de chambre : Mme Ely ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : cour d’appel de Rennes, 3ème chambre du 13 mars 1997