Faux mandat de gérance

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 21 septembre 1999

N° de pourvoi : 98-88103

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. GOMEZ, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un septembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de X... ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 KLEBOTH René,

contre l’arrêt de la cour d’appel de RIOM, chambre correctionnelle, en date du 25 novembre 1998, qui, pour travail clandestin, l’a condamné à 2 mois d’emprisonnement avec sursis et à 100 000 francs d’amende, a ordonné l’affichage et la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 143-3, L. 320, L. 324-9 et suivants, L. 362-3 et suivants du Code du travail, 1842, 1984 du Code civil, 121-2 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré René Kleboth coupable du délit de travail clandestin et l’a condamné pénalement et civilement ;

”aux motifs que “René Kleboth apparaît ainsi comme le gérant de fait de la SARL CDC alors que les cogérants ne sont en réalité que des salariés de la SARL, élevés à ces fonctions pour dissimuler le montage juridique réalisé ; que René Kleboth est donc bien leur employeur et est responsable de l’infraction poursuivie, les personnes affublées du titre fictif de cogérant de la SARL étant amenées, en violation des dispositions des articles 324-9 et 324-10 du Code du travail, à travailler en qualité de salarié, sans bénéficier des protections correspondantes, sans recevoir de bulletins de salaires tels que prévus aux articles L. 132 et suivants du Code du travail, sans que leur nom ne figure sur le registre du personnel et sur le livre d’embauche, et sans déclaration d’embauche en tant que salarié auprès des organismes sociaux, ainsi qu’il ressort du procès-verbal dressé par l’inspection du travail” ;

”alors que nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; que l’existence d’un contrat de mandat entre deux sociétés ne suffit ni à établir le caractère fictif de la société mandataire, ni à lui faire perdre son autonomie juridique et à rendre les dirigeants de la société mandante pénalement responsables de ses agissements ; qu’en déclarant le président-directeur général de la SA Eurotextile pénalement responsable des agissements de la SARL CDC en raison de l’existence d’un contrat de mandat entre ces deux sociétés, l’arrêt attaqué a privé sa décision de base légale” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, par contrat de mandat, la société Eurotextile, ayant pour objet le commerce de vêtements, a confié à la SARL Centre Distribution Cournon (CDC), créée à son initiative, la tâche de vendre des marchandises dans l’un des magasins de la société mandante ; que le fonctionnement de ce magasin a été assuré par les neuf cogérants de la SARL CDC, déclarés comme travailleurs indépendants ; qu’à la suite d’un contrôle effectué par l’inspection du travail et l’URSSAF, René Kleboth, président de la société Eurotextile, a été poursuivi pour travail clandestin pour avoir, de 1993 à 1997, employé des salariés sans avoir effectué aucune des formalités prévues par l’article L. 324-10, 3 , ancien, du Code du travail ; qu’il a relevé appel du jugement l’ayant déclaré coupable de ce chef ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, les juges du second degré retiennent que, sous le couvert du contrat du mandat conclu entre les deux sociétés, les cogérants de la SARL CDC avaient été placés à l’égard du prévenu dans une situation de subordination caractérisant l’existence d’un contrat de travail, le montage juridique réalisé n’ayant eu d’autre objet que d’éluder la législation sociale applicable aux travailleurs salariés ; que les juges énoncent que les prétendus gérants n’exerçaient pas les fonctions attachées à cette qualité mais qu’ils étaient en réalité employés comme chefs de rayon ou vendeurs, le contrat de mandat ne leur laissant “aucune marge de manoeuvre” à l’égard de la société Eurotextile ; que les juges précisent que celle-ci choisissait les marchandises qui demeuraient sa propriété, en fixait le prix, contrôlait les embauches et les licenciements et déterminait les jours et heures d’ouverture du magasin ; que les juges ajoutent que les cogérants ne détenaient que fictivement une part du capital, qu’ils ne profitaient pas des bénéfices et ne contribuaient pas aux pertes, leur rémunération étant fixée par l’assemblée générale de la société, qui se réunissait uniquement à cette fin ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, les juges, auxquels il appartenait de restituer, comme ils l’ont fait, leur véritable nature aux relations contractuelles entre les parties, ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le moyen de cassation relevé d’office et pris de la violation des articles 111-3 et 131-35 du Code pénal, L. 362-4, 4 , du Code du travail ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu’aux termes de l’article 111-3, alinéa 2, du Code pénal nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ;

Attendu que, par l’arrêt attaqué, la cour d’appel, après avoir condamné le prévenu pour travail clandestin, a ordonné l’affichage de la décision ainsi que sa publication par voie de presse en application de l’article L. 362-4, 4 , du Code du travail ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que ce dernier texte ne prévoit que l’affichage “ou” la diffusion de la décision, dans les conditions prévues par l’article 131-35 du Code pénal, l’arrêt encourt la cassation, laquelle sera limitée aux peines complémentaires prononcées contre le demandeur ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Riom, en date du 25 novembre 1998, mais en ses seules dispositions concernant les peines complémentaires prononcées contre le prévenu, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Limoges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Riom, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Milleville conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de RIOM, chambre correctionnelle du 25 novembre 1998