Désosseur

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 14 avril 1992

N° de pourvoi : 91-82634

Non publié au bulletin

Rejet

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatoze avril mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DUMONT, les observations de la société civile professionnelle Michel et Christophe NICOLAY et de LANOUVELLE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

Y... René,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 11 février 1991, qui, pour travail clandestin, l’a condamné à 5 000 francs d’amende ; d

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10 et L. 362-3 du Code du travail, 1315 du Code civil, 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d’avoir eu recours aux services d’un travailleur clandestin et l’a condamné à une amende de 5 000 francs ;

”aux motifs que la société anonyme Y... a procédé le 19 septembre 1988 à une déclaration de cessation des paiements ; qu’elle a été admise au bénéfice du redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Créteil en date du 29 septembre 1988 ; que c’est en période d’observation sous le contrôle de Me A..., administrateur judiciaire que se sont situés les faits ; que ce point soulevé par la défense n’a pas d’incidence sur la responsabilité pénale éventuelle du prévenu ; que Y... reconnaît avoir fait appel à M. X... mais parce que celui-ci était connu comme artisan indépendant, régulièrement inscrit en tant que tel à la chambre des métiers de Paris ; qu’à supposer que les parties aient voulu contracter sur le fondement du contrat d’entreprise, il appartenait au responsable de la SA René Y... de vérifier que M. X... était réellement inscrit au répertoire des métiers comme artisan, sauf à être considéré que la bonne foi du prévenu ne peut être retenue et qu’il a cherché intentionnellement comme le relève l’inspecteur du travail à échapper aux conséquences du statut de salarié tout en bénéficiant des services de M. X... suite à une conjoncture économique néfaste pour l’entreprise ; qu’en l’espèce, il s’agit bien d’un travail clandestin puisqu’il concerne un emploi non déclaré, ni l’inspection du travail ni à l’URSAFF, et non mentionné ni au registre du personnel ni au livre de paie ; que par cette fraude l’employeur ne payait ni les cotisations patronales, ni assurance chômage, ni indemnités de rupture inhérentes à l’emploi de M. X... ; que d’autre part, M. X... ne pouvait prétendre à la qualité d’artisan au moment des faits, dès lors que radié du registre des métiers de Paris, dès le 16 septembre 1987, il n’avait pas obtenu sa réinscription lors du contrôle effectué par l’inspecteur du travail (p. 2 à 5) ;

d “alors que, d’une part, tout prévenu étant présumé innocent, la charge de la preuve de sa culpabilité incombe au ministère public ; qu’en l’espèce l’article L. 324-9 du Code du travail prévoit que l’employeur qui a fait effectuer du travail clandestin n’est puni

que s’il a agi sciemment, mais ce texte n’a institué aucune présomption de mauvaise foi à la charge du prévenu et ne déroge pas, en conséquence, au principe de la charge de la preuve de la culpabilité ; qu’en retenant que le prévenu devait vérifier que le travailleur en cause était réellement inscrit au répertoire des métiers comme artisan, sauf à être considéré comme ayant recours sciemment à un entrepreneur clandestin, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et a violé les textes susvisés ;

”alors que, d’autre part, la seule imprudence commise par le prévenu en omettant de vérifier que le travailleur auquel il a eu recours était réellement inscrit au répertoire des métiers, n’est pas de nature à établir sa mauvaise foi en l’absence, dans l’arrêt attaqué, d’éléments permettant de prouver que cette omission était volontaire ; qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 324-9 du Code du travail ;

”alors qu’en outre, en affirmant que la procédure de redressement judiciaire dont bénéficiait la SA Y... n’avait aucune incidence sur la responsabilité pénale éventuelle du prévenu et en déclarant ensuite que le prévenu avait cherché intentionnellement à échapper aux conséquences du statut du salarié tout en bénéficiant de ses services, en raison d’une conjoncture économique néfaste pour l’entreprise, la cour d’appel s’est contredite et a violé l’article 593 du Code de procédure pénale ;

”que de plus, la cour d’appel s’est encore contredite en retenant que le prévenu avait eu recours à un entrepreneur clandestin et en le condamnant pour emploi irrégulier de salarié après avoir qualifié de contrat de travail le contrat litigieux” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du procès-verbal de l’inspecteur du travail, base de la poursuite, que dans un atelier de découpe de viande de la société anonyme Y... , dont René Y... préside le directoire, travaillait, avec plusieurs bouchers régulièrement déclarés comme salariés, un désosseur se disant tâcheron artisan, bien qu’il ne fût pas inscrit au registre des métiers ; que, selon les constatations d du fonctionnaire précité, il ne jouissait d’aucune autonomie et se trouvait sous la subordination juridique de ladite société qui le payait à la tâche ; que René Y..., qui n’avait pas inscrit ce désosseur sur le registre du personnel ni sur le livre de paie et ne lui délivrait pas de bulletins de paie, a été poursuivi en application des dispositions de l’article L. 324-10, 3° du Code du travail, pour avoir exercé une activité à but lucratif et employé un salarié en s’étant soustrait aux obligations prévues par les articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 6203 du dit Code ; qu’il a été déclaré coupable ;

Attendu que le prévenu ayant prétendu que le désosseur n’était lié à l’entreprise que par un contrat de louage d’ouvrage, et qu’il ignorait le défaut d’inscription du tâcheron au registre des métiers, la juridiction du second degré, pour confirmer le jugement entrepris sur la culpabilité, énonce notamment que le désosseur étant soumis aux mêmes obligations que les autres salariés, il ne devait pas être considéré comme un travailleur indépendant et que le prévenu aurait dû déclarer son emploi et l’inscrire sur le livre de paie et le registre du personnel ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié légalement sa décision au regard de l’article L. 324-10, 3°

précité sans encourir les griefs allégués ; que le prévenu n’étant pas poursuivi pour avoir eu recours aux services d’un travailleur indépendant clandestin mais pour s’être soustrait à des obligations prévues lors de l’emploi d’un salarié, les motifs de l’arrêt relatifs au défaut d’inscription au registre des métiers sont surabondants ; qu’il n’existe aucune contradiction entre le fait de constater, d’une part, que la fraude de l’employeur se situait dans une conjoncture économique difficile, l’entreprise étant en redressement judiciaire, et, d’autre part, que la nomination d’un administrateur judiciaire n’exonérait pas le prévenu de sa responsabilité pénale ;

D’où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10 et L. 362-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d’avoir eu recours aux services d’un d travailleur clandestin et l’a condamné à une amende de 5 000 francs ;

”aux motifs que le prévenu reconnaît que M. X... était appelé 24 h à l’avance et qu’il se présentait sur les lieux du travail à la même heure que les deux salariés bouchers-désosseurs de l’entreprise ; qu’il y a lieu d’ajouter que ses tâches lui étaient précisées par le responsable de l’atelier, M. Z..., lequel contrôlait l’exécution, le pesage afin de calculer la rémunération à la tâche ; que M. X... disposait au surplus d’une armoire individuelle dans le local vestiaire destiné aux salariés et s’estimait tenu d’appliquer le règlement intérieur en ce qui concerne la règlementation sanitaire ; que le mode de rémunération dépendait directement du contrôle fourni, dans le cadre du service organisé, ce qui est bien constitutif d’un lien de subordination juridique liant le salarié à son employeur ; que le fait que M. X... soit propriétaire d’un équipement professionnel d’une valeur marchande à neuf d’environ 2 000 francs n’est pas de nature à exclure l’existence d’un contrat de travail entre la société Y... et lui, alors que la possession personnelle d’un équipement professionnel est couramment constaté chez des salariés de toutes catégories socio-professionnelles parmi lesquelles figurent les ouvriers professionnels ; qu’il résulte de l’ensemble de ces circonstances de fait, de l’examen des conditions maérielles d’exécution de travail, du comportement de l’employeur aussi bien que celui de l’employé et du mode de calcul de rémunération, que M. X... était travailleur salarié de la SA Y... et non prestataire de service indépendant (arrêt p. 2 à 5) ;

”alors qu’il y a contrat d’entreprise lorsque le matériel ou l’outillage nécessaire à l’exécution du travail est fourni par l’artisan indépendant et non par la société contractante ; que tel est le cas en l’espèce, ainsi que le constate expressément l’arrêt attaqué ; qu’en refusant donc de tirer de ses propres constatations les conséquences juridiques qui s’imposent, la cour d’appel a violé les articles L. 324-9 et L. 324-10 ;

”alors que, d’autre part, le fait pour un artisant indépendant de se conformer pour des raisons de commodité aux horaires d’ouverture des locaux de l’entreprise utilisatrice ne suffit pas à conclure à

l’existence d’un travail clandestin ; qu’il en est de même de l’exécution du travail en coordination avec les d responsables de l’entreprise ; que dès lors en retenant ces seuls éléments pour qualifier la situation du travailleur en cause, au sein de l’entreprise, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 324-9 et L. 324-10 du Code du travail

”alors qu’en outre, il y a indice de contrat d’entreprise lorsque la rémunération est fixée selon un prix déterminé à l’avance tenant compte du coût des diverses prestations ; que tel est le cas en l’espèce, la rémunération de M. X... dépendant chaque fois des tâches exécutées et non des seules heures de travail fourni et de qualification ; qu’en se bornant à déclarer que le mode de rémunération dépendait directement du contrôle fourni dans le cadre du service organisé pour en déduire un lien de subordination juridique, l’arrêt attaqué n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 324-9 et L. 324-10 du Code du travail” ;

Attendu, d’une part, que le moyen, en ce qu’il tend pour partie à remettre en cause l’appréciation souveraine faite par les juges du fond des éléments de preuve soumis au débat contradictoire et d’où ils ont tiré la conviction de l’existence d’un lien de subordination, n’est pas recevable ;

Attendu, d’autre part, que ne sont pas exclusifs d’un contrat de travail, la possession par l’ouvrier de son petit outillage et le mode de rémunération à la tâche ;

Que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux dépens ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Zambeaux conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Dumont conseiller rapporteur, MM. Dardel, Fontaine, Milleville, Alphand, Guerder, Jorda conseillers de la chambre, Mmes Batut, d Ferrari conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Paris, 11ème chambre du 11 février 1991