Désosseur

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 22 mai 1997

N° de pourvoi : 96-80565

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de Me Z... et de la société civile professionnelle CELICE et BLANCPAIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LUCAS ;

Statuant sur les pourvois formés par : - A... René,

 X... Marcel, contre l’arrêt de la cour d’appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 29 septembre 1995, qui a condamné le premier, pour prêt illicite de main d’oeuvre, infraction à la législation sur le travail temporaire et travail clandestin à 2 mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d’amende et le second, pour participation à une opération de prêt illicite de main-d’oeuvre, à 8 000 francs d’amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi formé par Marcel X... :

Attendu qu’aucun moyen n’est produit à l’appui du pourvoi ;

II. Sur le pourvoi formé par René A... :

Vu le mémoire ampliatif produit et les observations complémentaires ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles L. 125-3, L. 152-2, L. 124-1, L. 324-9 et L. 362-3 du Code du travail, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré René A... coupable des chefs de prêt illicite de main-d’oeuvre en récidive, activité illicite de travail temporaire et travail clandestin ;

”aux motifs que la société coopérative artisanale Sodecoup, dirigée par MM. Y... et B..., avait placé aux comptoirs des viandes de l’Est jusqu’en juillet 1988 des travailleurs spécialisés dans le désossage avec le statut d’artisans ;

”que la même coopérative avait poursuivi ses activités en Allemagne pour le compte de l’entreprise Salomon dans les abattoirs d’Offenbach, et avait, en outre, placé des bouchers dans les supermarchés Migros de la région ;

”que la coopérative Sodecoup avait été remplacée au comptoir des viandes par la SARL Sotravia dont la gérante de droit est Mme A..., mais dont René A..., directeur commercial, n’a pas contesté la responsabilité de fait ;

”que René A..., qui avait eu recours en France sans succès à des formules de placement par la société Sotravia, avait monté en Allemagne un groupement artisanal dénommé AZF, qui avait placé au comptoir des viandes sept des onze désosseurs vus par l’inspecteur du travail en mars 1990, les autres étant des salariés de Sotravia et un intérimaire placé chez Sotravia ;

”que l’enquête de police a confirmé généralement les conclusions de l’inspecteur du travail et que l’URSSAF a indiqué que plusieurs travailleurs de la Sodecoup avaient eu fin 1990 et début 1991 le statut de salarié avant d’avoir celui d’artisan ;

”qu’en cet état, la Cour doit reconnaître l’illéicité des conventions passées, qui ne recouvraient bien en réalité que le placement d’une main-d’oeuvre faussement qualifiée d’indépendante, et destinée à compléter temporairement le personnel du comptoir des viandes en cas de surcharge, de même que celui des supermarchés Migros ;

”que les travailleurs placés par la société Sodecoup ne peuvent pas être réellement considérés comme indépendants, aux motifs :

”- qu’ils sont soumis, lors de l’exécution de leur tâche, à un lien de subordination, manifesté par le respect d’horaires stricts, et le contrôle du rendement par les cadres de la coopérative ainsi que la qualité de leur travail par l’utilisateur ;

”- qu’ils n’ont aucune maîtrise quant à leur rémunération, et que leur facturation est entièrement effectuée par la SARL Sodecoup, d’après le rendement estimé par elle ;

”- qu’ils peuvent faire l’objet de sanctions collectives ; que leur rémunération est affectée d’un prélèvement de 4,5% pour la coopérative ;

”- qu’au comptoir des viandes, ils complétaient un personnel salarié, qui comportait un certain nombre de désosseurs volontairement limité au minimum, selon les indications de Marcel X... ;

”- que selon les indications de l’URSSAF, le statut de salarié et le statut d’artisan a été utilisé indifféremment pour douze personnes, circonstances démonstrative de la réalité d’une subordination de fait ;

”- qu’en face de ces signes de subordination existait la possibilité, toute théorique pour les désosseurs, de refuser tel ou tel chantier ;

”- qu’il est évident, cependant, que leur dépendance économique réduisait cette liberté à celle qu’a tout salarié de démissionner ;

”- que les prévenus mettent en avant des liens de sous-traitance qui ne peuvent pas être considérés comme réels, même si le désossage suppose effectivement une certaine technicité et un tour de main particulier ;

”- que l’intégration du personnel prêté au sein du personnel du comptoir des viandes et son contrôle par un cadre du comptoir des viandes sont incompatibles avec l’indépendance d’un sous-traitant et la maîtrise de son personnel ;

” que les mêmes motifs valent pour les opérations de prêt de main-d’oeuvre effectuées par René A... comme dirigeant de la société Sotravia, étant observé que l’illéicité de ces opérations est plus manifeste, puisque lors du contrôle au comptoir des viandes se trouvaient affectés aux mêmes tâches 7 travailleurs réputés indépendants, 3 salariés de la société Sotravia et un véritable intérimaire ;

”que le terme de récidive visé à la prévention, et constitué par une condamnation prononcée le 8 décembre 1989 par le tribunal de Cusset pour prêt illicite de main-d’oeuvre et marchandage n’est pas effacé par l’amnistie conformément aux articles 19 et 25 de la loi du 3 août 1995 (arrêt, pages 4 à 7) ;

”alors que, pour relaxer le demandeur, le tribunal a pris soin de relever que les conventions passées entre les parties avaient pour but de permettre aux artisans bouchers désosseurs de trouver plus facilement des contrats ; que les intéressés - en raison de la technique qui est la leur - s’imposent volontairement et librement des conditions de travail rigoureuses ; que chaque artisan est libre de refuser un contrat, est propriétaire et seul utilisateur de son matériel, demeure responsable, comme tout travailleur indépendant, des malfaçons dans l’exécution de son travail ; que les intéressés sont régulièrement inscrits à la chambre des métiers et paient leurs propres cotisations sociales en qualité de travailleurs indépendants ;

”que, dès lors, en réformant le jugement entrepris pour condamner le demandeur des chefs de prêt de main-d’oeuvre illicite, activité illicite de travail temporaire et travail clandestin, sans réfuter les motifs péremptoires des premiers juges, la cour d’appel a violé l’article 593 du Code de procédure pénale” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, par des motifs exempts d’insuffisance et de contradiction, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits de la cause et de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Karsenty conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pinsseau, Mmes Françoise Simon, Chanet, Garnier conseillers de la chambre, M. Desportes conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de COLMAR, chambre correctionnelle du 29 septembre 1995