Gérant de station - service

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 5 mars 2014

N° de pourvoi : 12-27050

ECLI:FR:CCASS:2014:SO00493

Non publié au bulletin

Cassation partielle

Mme Vallée (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par contrat du 1er décembre 1983, la société Total raffinage distribution, aux droits de laquelle se trouve la société Total raffinage marketing, a confié l’exploitation d’une station-service à la société X... ; que cette dernière a mis fin au contrat le 1er mars 1985 ; que M. et Mme X... cogérants de cette société, ont saisi la juridiction prud’homale en revendiquant le bénéfice de l’article L. 781-1 du code du travail, alors applicable, devenu les articles L. 7321-2 et suivants du même code, pour obtenir le paiement par la société Total raffinage marketing de diverses sommes à titre de rappel de salaires, d’indemnités et de dommages-intérêts, ainsi que leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l’arrêt de déclarer prescrites leurs demandes en paiement de créances de nature salariale, alors, selon le moyen :

1°/ que toute personne a le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables lui assurant notamment « la rémunération qui procure au minimum à tous les travailleurs¿ un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale¿ le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés » ; que méconnaît ce droit à des conditions de travail justes et à la perception de la rémunération y afférente la loi nationale qui édicte une prescription quinquennale de ces rémunérations à compter de leur échéance, sans considération d’une éventuelle renonciation du travailleur à les percevoir, des conventions conclues entre les parties, ni du comportement du bénéficiaire de la prestation de travail ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ;

2°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ; que n’est pas de nature à assurer l’effectivité de ce droit la législation nationale qui édicte une prescription quinquennale de l’action en paiement des créances afférentes à la reconnaissance d’un statut protecteur, privant ainsi de facto le bénéficiaire de ce statut de la possibilité de faire utilement valoir ces droits devant un tribunal ; que n’assure pas davantage le respect de ces droits fondamentaux l’unique réserve d’une impossibilité absolue d’agir ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 6 § 1er et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; qu’en appliquant au bénéfice de la société Total une prescription ayant pour effet de priver les époux X... des rémunérations constituant la contrepartie de l’activité déployée pour son compte, acquises à mesure de l’exécution de leur prestation de travail, la cour d’appel leur a infligé une privation d’un droit de créance disproportionnée avec l’objectif légal de sécurité juridique et a, partant, porté une atteinte excessive et injustifiée au droit de ces travailleurs au respect de leurs biens, en violation de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu’en appliquant à des travailleurs n’ayant jamais été reconnus comme ses salariés par la compagnie pétrolière mais devant, pour bénéficier des dispositions légales et conventionnelles applicables dans cette entreprise, faire judiciairement reconnaître leur droit au bénéfice du statut réservé aux gérants de succursales, une prescription destinée à éteindre les créances périodiques de salariés régulièrement tenus informés de leurs droits par la délivrance, notamment, d’un bulletin de salaire mensuel, la cour d’appel a édicté entre les différents travailleurs concourant à l’activité de la compagnie pétrolière une différence de traitement injustifiée, en violation de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

5°/ qu’en énonçant que « même si la jurisprudence qui s’est développée à partir de ce texte, devenu l’ article L. 7321-2 du code du travail, était encore peu développée en 1985, ils étaient en mesure de faire valoir qu’ils se trouvaient dans une situation de dépendance économique au sens du même texte, et de revendiquer le bénéfice de la protection due aux salariés avec toutes les conséquences qui en découlent » ce dont il résultait que ces gérants de station service devaient connaître pendant le délai d’écoulement de la prescription, entièrement acquise en mars 2000, cinq ans après la rupture, l’inefficacité de l’interposition entre eux et la compagnie pétrolière, à l’initiative de cette dernière, d’une personne morale seule titulaire des droits et obligations issus des contrats de gérance, interprétation non seulement imprévisible mais directement contraire au droit positif applicable pendant l’exécution de la relation de travail, la cour d’appel a violé derechef les textes susvisés ;

Mais attendu, d’abord, que M. et Mme X... n’ayant pas été dans l’impossibilité d’agir en requalification de ces contrats, lesquels ne présentaient pas de caractère frauduleux, et ne justifiant pas d’une cause juridiquement admise de suspension du délai de prescription, c’est sans méconnaître les dispositions des instruments internationaux visés par les trois premières et la dernière branches du moyen que la cour d’appel a appliqué la règle légale prévoyant une prescription quinquennale des actions en justice relatives à des créances de nature salariale ;

Attendu, ensuite, que la prescription quinquennale s’appliquant à l’ensemble des demandes de nature salariale, la cour d’appel a à bon droit exclu toute discrimination ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l’article L. 781-1, devenu les articles L. 7321-1, L. 7321-2, L. 7321-3 et L. 7321-4 du code du travail ;

Attendu que pour débouter M. et Mme X... de leurs demandes d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que la relation contractuelle avec la société Total a été rompue à l’initiative de la société X... ;

Qu’en se déterminant ainsi, alors que les règles gouvernant la rupture du contrat de travail sont applicables à la rupture de la relation de travail entre un gérant de succursale et l’entreprise fournissant les marchandises distribuées, et qu’il lui appartenait de dire à qui la rupture du contrat de travail était imputable et d’en tirer les conséquences juridiques à l’égard des gérants de succursale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

Sur le troisième moyen :

Vu les articles L. 7321-2 et L. 7321-3 du code du travail, ensemble l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour rejeter les demandes de M. et Mme X... tendant à ce que la société Total raffinage marketing soit condamnée à procéder à leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale, l’arrêt retient que M. et Mme X... ne dénient pas leur qualité de gérants majoritaires de la société X... et l’obligation où ils se trouvaient en cette qualité de cotiser au régime social des indépendants ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans constater l’existence d’une affiliation antérieure régulière au régime des travailleurs non salariés faisant obstacle à l’immatriculation rétroactive de M. et Mme X... au régime général de la sécurité sociale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le quatrième moyen :

Vu les articles L. 4121-1 du code du travail, 330, 601 et 604 de la convention collective des industries du pétrole du 3 septembre 1985 ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; que, selon le deuxième, il est tenu compte de tous les impératifs propres à assurer la santé et la sécurité des travailleurs ; que, selon le troisième, les salariés employés à des opérations nécessitant la mise en oeuvre de produits susceptibles d’occasionner des maladies professionnelles et dans des conditions d’emploi où ces produits sont nocifs, seront l’objet d’une surveillance médicale particulièrement attentive ; que, selon le dernier de ces textes, pour les travaux où le personnel est exposé aux vapeurs, poussières, fumées ou émanations nocives, la direction fournira des effets de protection efficaces (masques, scaphandres) et des vêtements spéciaux (blouses, combinaisons, tabliers, gants, bottes, lunettes, etc.) ;

Attendu que pour débouter M. et Mme X... de leur demande de dommages-intérêts pour exposition à des substances dangereuses, l’arrêt retient qu’ils ne démontrent pas, alors que l’exploitation de la station-service a cessé en 1985, avoir contracté une maladie ou subi un préjudice physique résultant de leur exposition à des agents nocifs ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de l’absence de maladie professionnelle ou de troubles de santé du travailleur, alors qu’elle avait constaté que les intéressés avaient été exposés à l’inhalation de vapeurs toxiques sans surveillance médicale, ni protection, ce dont il résultait que la société Total raffinage marketing avait commis un manquement à son obligation de sécurité de résultat causant nécessairement un préjudice au travailleur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de M. et Mme X... tendant à ce que la société Total raffinage marketing soit condamnée à procéder à leur inscription au régime général de la sécurité sociale pour la période de relations contractuelles et les déboute de leurs demandes de dommages-intérêts pour exposition à des substances dangereuses, d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt rendu le 29 août 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz ;

Condamne la société Total raffinage marketing aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Total raffinage marketing et condamne celle-ci à payer à M. et Mme X... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR déclaré prescrites les demandes en paiement de créances de nature salariale présentées par les époux X... ;

AUX MOTIFS QUE “¿ La société Total invoque ¿ la prescription quinquennale des salaires et de leurs accessoires en application des articles L.3245-1 du code du travail et 2224 du code civil, précisant qu’en saisissant le Conseil de prud’hommes, le 13 décembre 2004, les époux X... ont formé leur demande plus de dix-neuf ans après que le contrat a pris fin ; que ces derniers répliquent qu’ils se sont trouvés dans l’impossibilité d’agir puisque, non liés à la société Total par un contrat de travail, ils ne se sont vu reconnaître la protection du code du travail, en application de l’article L.781-1 de ce code, que par l’arrêt rendu le 26 septembre 2006 par la Cour d’appel de Nancy ;

QUE toutefois, l’article L.781-1 du code du travail n’étant que la transcription dans ce code de dispositions contenues dans la loi du 21 mars 1941, il convient de constater que les textes sur lesquels les époux X... se sont fondés, en 2004, pour solliciter la protection du droit du travail existaient lors de la rupture de la relation contractuelle, en 1985 ; qu’ainsi, même si la jurisprudence qui s’est développée à partir de ce texte, devenu l’article L.7321-2 du code du travail , était encore peu développée en 1985, ils étaient en mesure de faire valoir qu’ils se trouvaient dans une situation de dépendance économique au sens du même texte, et de revendiquer le bénéfice de la protection due aux salariés avec toutes les conséquences qui en découlent ; qu’à cet égard, dans son arrêt du 29 janvier 2003, la chambre commerciale de la Cour d’appel de Nancy avait relevé que contrairement à d’autres gérants de station-service se trouvant dans une situation similaire, les époux X... n’avaient pas demandé à voir qualifier de contrat de travail leur relation avec la société Total ;

QUE les appelants soutiennent encore que la prescription quinquennale n’atteint les créances qui y sont soumises que lorsqu’elles sont déterminées, et qu’il n’en est plus ainsi lorsque leur fixation fait l’objet d’un litige entre les parties ; que cependant, entre le 25 avril 1985 et le 13 décembre 2004, il n’a existé entre les parties aucun litige relatif à la fixation d’une créance de salaire, et les époux X... n’ont formé que le 13 décembre 2004 leur requête tendant à se voir reconnaître le bénéfice des dispositions de l’ article L.781-1 du code du travail avec sa conséquence qui est le droit à des rappels de salaire ; qu’il convient en conséquence de constater que sont irrecevables comme tardives les demandes des époux X... en paiement de salaires et de remise de bulletins de salaire pour la période du 2 décembre 1983 au 25 avril 1985, et leurs demandes en paiement d’accessoires des salaires, relatives aux repos hebdomadaires et jours fériés, aux congés annuels, au non-respect du temps de travail hebdomadaire ; que le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté l’ensemble de ces demandes ;

QUE les appelants sont mal fondés à remettre en cause la conformité à la Constitution des textes relatifs à la prescription quinquennale qui leur est opposée dans la mesure où, par arrêts des 25 juin et 11 octobre 2010 relatifs à d’autres espèces, du 28 septembre 2010 dans la présente espèce, la Cour de cassation a dit qu’il n’y avait pas lieu à renvoi devant le Conseil Constitutionnel, parce qu’elle ne présentait pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s’attachent aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle, la question ainsi posée : “La limitation à cinq ans de la prescription des actions en paiement des salaires, prévue par les actuels articles L.3245-1 du code du travail et 2224 du code civil, applicable aux actions introduites sur le fondement des actuels articles L.7321-1 à L.7321-5 du code du travail , porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ?” ;

QUE les appelants font valoir que le fonctionnement du système juridique français, et notamment la jurisprudence de la Cour de cassation sur la prescription quinquennale, viole les droits et principes garantis par la convention européenne des droits de l’homme, plus précisément le droit à un procès équitable (article 6), le droit à un recours effectif (article 13), le droit de propriété (protocole 1 article 1 de la convention), l’interdiction de toute discrimination (article 14) ;

QUE ces moyens doivent être rejetés dans la mesure où les règles qui gouvernent la prescription de l’action ne touchent pas à l’organisation du procès, et ne remettent en cause ni le droit du salarié ou de la personne bénéficiaire de la protection du droit du travail de disposer d’un recours effectif, et de voir sa cause entendue équitablement et publiquement par une juridiction indépendante dans un délai raisonnable, ni l’existence de son droit de créance fondé sur la relation de travail ou la relation de dépendance économique ; qu’enfin, le fait que la personne qui invoque l’article L.781-1 du code du travail et le bénéfice de la protection du droit du travail soit soumise, comme les salariés eux-mêmes, à la règle de la prescription des salaires n’est constitutif ni d’une discrimination au regard d’un critère, que les époux X... ne précisent pas, ni d’une inégalité de traitement ; qu’au contraire, ce texte permet aux personnes qui se trouvent dans une situation de dépendance économique d’être soumis aux mêmes règles que les salariés” ;

1°) ALORS QUE toute personne a le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables lui assurant notamment “la rémunération qui procure au minimum à tous les travailleurs¿un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale¿ le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés “ ; que méconnaît ce droit à des conditions de travail justes et à la perception de la rémunération y afférente la loi nationale qui édicte une prescription quinquennale de ces rémunérations à compter de leur échéance, sans considération d’une éventuelle renonciation du travailleur à les percevoir, des conventions conclues entre les parties, ni du comportement du bénéficiaire de la prestation de travail ; qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a violé les articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ;

2°) ALORS QUE toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ; que n’est pas de nature à assurer l’effectivité de ce droit la législation nationale qui édicte une prescription quinquennale de l’action en paiement des créances afférentes à la reconnaissance d’un statut protecteur, privant ainsi de facto le bénéficiaire de ce statut de la possibilité de faire utilement valoir ces droits devant un tribunal ; que n’assure pas davantage le respect de ces droits fondamentaux l’unique réserve d’une impossibilité absolue d’agir ; qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a violé les articles 6 §.1er et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°) ALORS QUE toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; qu’en appliquant au bénéfice de la Société Total une prescription ayant pour effet de priver les époux X... des rémunérations constituant la contrepartie de l’activité déployée pour son compte, acquises à mesure de l’exécution de leur prestation de travail, la Cour d’appel leur a infligé une privation d’un droit de créance disproportionnée avec l’objectif légal de sécurité juridique et a, partant, porté une atteinte excessive et injustifiée au droit de ces travailleurs au respect de leurs biens, en violation de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

4°) ALORS QU’en appliquant à des travailleurs n’ayant jamais été reconnus comme ses salariés par la Compagnie pétrolière mais devant, pour bénéficier des dispositions légales et conventionnelles applicables dans cette entreprise, faire judiciairement reconnaître leur droit au bénéfice du statut réservé aux gérants de succursales, une prescription destinée à éteindre les créances périodiques de salariés régulièrement tenus informés de leurs droits par la délivrance, notamment, d’un bulletin de salaire mensuel, la Cour d’appel a édicté entre les différents travailleurs concourant à l’activité de la Compagnie pétrolière une différence de traitement injustifiée, en violation de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

5°) ALORS enfin QU’en énonçant que “même si la jurisprudence qui s’est développée à partir de ce texte, devenu l’ article L.7321-2 du code du travail, était encore peu développée en 1985, ils étaient en mesure de faire valoir qu’ils se trouvaient dans une situation de dépendance économique au sens du même texte, et de revendiquer le bénéfice de la protection due aux salariés avec toutes les conséquences qui en découlent” ce dont il résultait que ces gérants de station service devaient connaître pendant le délai d’écoulement de la prescription, entièrement acquise en mars 2000, cinq ans après la rupture, l’inefficacité de l’interposition entre eux et la Compagnie pétrolière, à l’initiative de cette dernière, d’une personne morale seule titulaire des droits et obligations issus des contrats de gérance, interprétation non seulement imprévisible mais directement contraire au droit positif applicable pendant l’exécution de la relation de travail, la Cour d’appel a violé derechef les textes susvisés.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté les époux X... de leurs demandes d’indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QUE “par arrêt du 26 septembre 2006, la chambre sociale de la Cour d’appel de Nancy a dit que les époux X... remplissaient l’ensemble des conditions leur permettant de revendiquer le bénéfice du statut particulier prévu par l’article L.781-1 du code du travail, devenu les articles L.7321-1 à L.7321-4 du même code, c’est-à-dire qu’ils se trouvaient dans une situation de dépendance économique au sens de ce texte ; que par arrêt du 18 octobre 2007, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre cette décision du 26 septembre 2006 ;

QUE les époux X... qui revendiquent à juste titre la protection des dispositions du code du travail font valoir que la rupture des relations contractuelles n’est pas régulière, et qu’elle doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que cependant, si la rupture du contrat de gérance à l’initiative de l’entreprise propriétaire de la succursale constitue un licenciement lorsque les conditions du texte susvisé sont remplies, il convient de constater qu’en l’espèce, c’est la S.A.R.L. X..., et non la société Total, qui a pris l’initiative de la rupture de la relation contractuelle, au mois de mars 1985 ; que dès lors, le grief adressé à la société Total d’avoir licencié les époux X... sans respecter la procédure est dénué de fondement de sorte qu’à juste titre les premiers juges ont rejeté leurs demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnités de rupture, et d’indemnité pour non-respect de la procédure” ;

ALORS QUE les règles protectrices du droit du travail s’appliquent, lorsque sont remplies les conditions prévues à l’article L.7321-2 du Code du travail, à la relation de travail existant entre un gérant de succursale et l’entreprise fournissant les marchandises distribuées indépendamment des conventions conclues entre cette entreprise et la personne morale interposée entre eux ; qu’en retenant, pour débouter les époux X... de leur demande tendant à l’indemnisation, par Total RM, de la rupture de la relation de travail de gérant de succursale, que la SARL X... avait pris l’initiative de la résiliation du contrat de location gérance la liant à cette Compagnie, la Cour d’appel a violé les articles 1165 du Code civil, L.7321-1 et L.7321-3 du Code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté les époux X... de leur demande tendant à la condamnation de la Société Total Raffinage Marketing à procéder à leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale, subsidiairement au paiement de dommages et intérêts pour défaut d’immatriculation ;

AUX MOTIFS QUE “les époux X... font valoir qu’en tant que bénéficiaires de la protection du code du travail, ils auraient dû être immatriculés par la société Total au régime général de la sécurité sociale ; qu’à cet égard, l’article L.311-2 du code de la sécurité sociale prévoit que tous les salariés sont affiliés obligatoirement aux assurances sociales du régime général, et l’article L.311-3-26° précise que sont notamment comprises parmi les personnes auxquelles s’impose cette obligation celles mentionnées au 2° de l’article L.781-1 du code du travail ;

QUE la société Total soutient qu’il résulte de la combinaison de ces textes et de l’article R.312-5 du même code que l’obligation d’affiliation pèse sur les personnes mentionnées au 2° de l’article L.781-1 du code du travail ; que toutefois, son raisonnement procède d’une interprétation erronée des textes dans la mesure où selon l’article R.312-4, l’immatriculation au régime général s’effectue obligatoirement et sous les sanctions prévues aux articles L.244-1 et suivants à la diligence de l’employeur, et où l’article R.312-5 précise qu’en ce qui concerne les travailleurs mentionnés à l’article L.311-3, les obligations incombant à l’employeur sont mises à la charge d’une autre personne dans cinq cas de figure au nombre desquels ne figure pas celui visé à l’article L.311-3-26° ;

QUE la société Total ajoute qu’en tout état de cause, les époux X... qui ne peuvent cumuler deux affiliations au titre d’une seule et même activité ont nécessairement, en application de l’article L.622-4 du code de la sécurité sociale , cotisé au régime social des indépendants qui regroupe notamment les commerçants ; qu’à cet égard, si les gérants minoritaires ou égalitaires de S.A.R.L. sont assujettis au régime général de la sécurité sociale, en application de l’article L.311-3 11° du code de la sécurité sociale, les époux X... qui ont seuls créé la S.A.R.L. X... en 1983 ne dénient pas leur qualité de gérants majoritaires et l’obligation où ils se trouvaient en cette qualité de cotiser au régime social des indépendants ; que le jugement mérite donc d’être confirmé en ce qu’il a rejeté ce chef de demande, y compris sa partie subsidiaire tendant au paiement de dommages-intérêts d’un montant équivalent à celui des charges patronales prétendument éludées” ;

ALORS QU’il appartient à l’employeur, débiteur de l’obligation d’immatriculer son salarié au régime général de la sécurité sociale, d’établir l’existence de l’affiliation antérieure dont il se prévaut pour s’exonérer de cette obligation ; qu’en déboutant les exposants de leur demande au motif, inopérant, “que les époux X... qui ont seuls créé la S.A.R.L. X... en 1983 ne dénient pas leur qualité de gérants majoritaires et l’obligation où ils se trouvaient en cette qualité de cotiser au régime social des indépendants”, sans caractériser l’effectivité d’une telle immatriculation antérieure, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.7321-2 et L.7321-3 du code du travail, L.311-2 du code de la sécurité sociale.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté les époux X... de leur demande de dommages et intérêts pour exposition à des substances dangereuses ;

AUX MOTIFS QUE “les travailleurs visés à l’article L.781-1 du Code du travail ¿bénéficient des dispositions de ce code et notamment de celles du titre V livre II relatif aux conventions collectives ; qu’ils bénéficient en conséquence de la convention collective à laquelle est soumis le chef d’entreprise qui les emploie, plus précisément en l’espèce la Convention collective nationale de l’industrie du pétrole ; que cette convention énonce que les salariés employés à des opérations nécessitant la mise en oeuvre de produits susceptibles d’occasionner des maladies professionnelles et dans des conditions d’emploi où ces produits sont nocifs seront l’objet d’une surveillance médicale particulièrement attentive ; que pour les travaux où le personnel est exposé aux vapeurs, poussières, fumées ou émanations nocives, la direction fournira des effets de protection efficace ;

QUE les époux X... rappellent qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise ;

QUE toutefois les époux X... ne démontrent pas qu’à la suite de leur exposition à des agents nocifs, comme des vapeurs d’essence, et tant que gérants de la station service appartenant à la Société Total, ils auraient contracté une maladie ou subi un préjudice physique quelconque ; que par ailleurs, même si certaines maladies ne se déclarent qu’au bout de nombreuses années après la cessation de l’exposition au risque, il convient de relever que celle-ci a cessé en l’espèce le 24 avril 1985 et que l’existence du préjudice d’anxiété allégué n’est pas caractérisée ; que le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande” ;

1°) ALORS QUE tenu d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés, manque fautivement à cette obligation la Compagnie pétrolière qui expose un gérant de succursale à l’inhalation de vapeurs toxiques sans la moindre surveillance médicale ou protection, pourtant spécifiquement imposées par la convention collective applicable ; qu’en déboutant les époux X... de leur demande de dommages et intérêts à ce titre, la Cour d’appel a violé les articles 6-1, 9 et 10 de la Convention OIT C 158 sur le milieu de travail du 20 juillet 1977, 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, L.4121-1 du Code du travail, 330, 601 et 604 de la convention collective des industries du pétrole du 3 septembre 1985 ;

2°) ET ALORS QUE l’exposition d’un salarié sans surveillance ni protection à l’inhalation de vapeurs toxiques lui cause nécessairement un préjudice ; qu’en déboutant les époux X... de leur demande de dommages et intérêts au motif inopérant de l’absence de démonstration d’une maladie professionnelle ou d’un préjudice d’anxiété, la Cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil.

Décision attaquée : Cour d’appel de Nancy , du 29 août 2012