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Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 24 février 1998

N° de pourvoi : 97-80236

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LUCAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 TOURNAUX Christian, contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 1er octobre 1996, qui, pour travail clandestin, l’a condamné à 2 mois d’emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 460, 485, 512, 513 et 592 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu (Christian Tournaux, demandeur) coupable de l’infraction de travail clandestin et l’a condamné de ce chef non seulement à deux mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à 100 000 francs d’amende mais, en outre, à indemniser les parties civiles ;

”alors que, d’une part, les énonciations de l’arrêt attaqué ne permettent pas de s’assurer que le ministère public a été entendu en ses réquisitions lors de l’audience des débats ;

”alors que, d’autre part, dès lors qu’il résulte des mentions de l’arrêt que, le jour de son prononcé, la Cour n’avait pu se constituer de la même façon que lors des débats et du délibéré, la Cour de Cassation n’est pas en mesure de vérifier que le président ayant donné lecture de la décision était le même que celui qui avait participé aux débats et au délibéré” ;

Attendu que l’arrêt attaqué mentionne qu’à l’audience des débats, à laquelle était présent M. X..., substitut du procureur général, “les parties en cause ont eu la parole dans l’ordre prévu par les articles 513 et 460 du Code de procédure pénale ;

qu’une telle mention implique que le ministère public a été entendu en ses réquisitions ;

Attendu, par ailleurs, que cet arrêt mentionne que la cour d’appel était présidée, lors des débats et du délibéré, par M. Bouly de Lesdain, et qu’à l’audience ultérieure tenue dans une autre composition, le président a donné lecture de l’arrêt, ainsi que le permet l’article 485 du Code de procédure pénale ;

que la minute de l’arrêt est signée par M. Bouly de Lesdain, président ;

qu’il en résulte donc que c’est ce magistrat qui a donné lecture de l’arrêt ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10-3°, L. 362-3, L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail, des directives n° 74-561 CEE du 12 novembre 1974 et n° 89-438 CE du 21 juin 1989, des décrets n° 86-567 du 14 mars 1986 et n° 92-609 du 3 juillet 1992 ainsi que des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu (Christian Tournaux, demandeur) coupable de l’infraction de travail clandestin et l’a condamné de ce chef non seulement à deux mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à 100 000 francs d’amende mais, en outre, à indemniser les parties civiles ;

”aux motifs que c’était par des considérations exemptes d’insuffisance et que la Cour adoptait que les premiers juges, après avoir analysé les éléments de fait, avaient retenu que les transporteurs sous-traitants mentionnés dans l’acte d’accusation étaient soumis à de nombreuses sujétions qui, conjuguées, faisaient qu’ils se trouvaient dans un lien de subordination avec la SA Y... au même titre qu’un chauffeur salarié et en avaient déduit l’existence d’un contrat de travail sous couvert d’une fausse sous-traitance ;

qu’en vain, il était fait grief aux premiers juges d’avoir retenu le prix de revient au kilomètre avancé par l’Administration bien que le chiffre d’affaires garanti eût fait l’objet d’une réévaluation en 1992 puis 1993, dès lors qu’il ressortait des calculs de l’Administration que l’activité n’était pas viable sur le plan financier - compte tenu des charges inhérentes à la profession - ni au regard de la législation sociale du transport routier ;

qu’il était à cet égard indifférent que la législation française n’exigeât pas une capacité financière du transporteur dès lors que l’activité telle que conçue par la SA Y... se révélait automatiquement déficitaire ;

qu’il y avait lieu à requalification et que le prévenu ne pouvait contester ne pas avoir respecté les obligations de l’article L. 324-10-3° du Code du travail à l’égard de ces salariés, le délit de travail clandestin étant bien caractérisé ;

que le fait que les faux indépendants eussent été régulièrement immatriculés au registre du commerce et des sociétés et payaient leurs cotisations n’était pas de nature à faire disparaître les éléments constitutifs de l’infraction, les obligations sociales qui pesaient sur l’employeur étant différentes de celles d’un chef d’entreprise indépendant ;

”et aux motifs adoptés que les transporteurs indépendants étaient tous inscrits au registre du commerce et des sociétés et cotisaient donc à une caisse d’assurance maladie pour profession libérale, mais travaillaient dans des conditions révélatrices d’un lien de subordination vis-à-vis de leur donneur d’ordre au même titre qu’un chauffeur salarié ;

que chacun d’eux travaillait en fait selon un régime de rémunération forfaitaire annuelle garantissant un chiffre d’affaires hors taxes de 450 000 francs pour un kilométrage annuel de 12 000 km, soit un prix de revient au kilomètre de 3,75 francs, inférieur au prix pratiqué par les professionnels ;

que l’existence d’une relation de travail salarié ne dépendait ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles avaient donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles était exercée l’activité des travailleurs ;

qu’en l’espèce, le stratagème mis en place par la SA Y... et imposé par elle à l’ensemble de ses partenaires n’avait pas d’autre objet que d’éviter les contraintes et sujétions de la législation applicable en matière de contrat de travail et que, de ce fait, il y avait une véritable clandestinité au sens de l’article L. 324-9 du Code du travail, la SA Y... employant des salariés sans avoir effectué au moins deux des formalités prévues aux articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail ;

que, conformément aux dispositions de l’article L. 120-3 du même Code, l’existence d’un contrat de travail pouvait être établie lorsque les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou auprès des unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales fournissaient directement ou par personne interposée des prestations à un donneur d’ouvrage dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ;

”alors que, d’une part, en condamnant le demandeur du chef d’emploi de travailleurs clandestins parce que les transporteurs avec lesquels il était en relations d’affaires n’auraient pas eu la capacité financière nécessaire à la viabilité de leur entreprise, la cour d’appel, qui a prononcé une sanction pénale sur le fondement d’une directive communautaire non transposée en droit interne dans les délais impartis, a ainsi permis à l’Etat français de se prévaloir de sa propre carence puisqu’à l’époque des faits reprochés, contrairement aux prescriptions des directives communautaires qui avaient été adoptées, la législation française n’exigeait pas encore que les entreprises désireuses d’exercer la profession de transporteur possédassent la capacité financière appropriée ;

”alors que, d’autre part, en déclarant le demandeur coupable d’avoir employé comme travailleurs clandestins des transporteurs indépendants régulièrement immatriculés de leur propre chef au registre du commerce et des sociétés, cotisant aux organismes de sécurité sociale dont ils relevaient et justifiant en outre de leur inscription obligatoire au registre spécial des transporteurs, la cour d’appel a fait une fausse application de la loi qui incrimine seulement l’utilisation occulte par un employeur de personnel exerçant une activité normalement salariée” ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10-3°, L. 362-3, L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu (Christian Tournaux, demandeur) coupable de l’infraction de travail clandestin et l’a condamné de ce chef non seulement à deux mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à 100 000 francs d’amende mais, en outre, à indemniser les parties civiles ;

”aux motifs que, par des motifs exempts d’insuffisance que la Cour adoptait, les premiers juges avaient, après avoir analysé les éléments de fait, retenu que les transporteurs sous-traitants étaient soumis à de nombreuses sujétions qui faisaient qu’ils se trouvaient dans un lien de subordination avec la SA Y... au même titre qu’un chauffeur salarié et en avaient déduit l’existence d’un contrat de travail sous couvert d’une fausse sous-traitance ;

qu’il importait peu qu’à l’occasion l’un ou l’autre des transporteurs sous-traitants eût fait preuve d’une certaine indépendance en refusant un transport, voire n’eût pas respecté l’exclusivité à laquelle il était tenu ou, encore, eût le sentiment d’être maître de son affaire, dès lors que l’économie générale des contrats révélait cette dépendance ;

qu’il y avait donc lieu à requalification et que le prévenu ne pouvait contester ne pas avoir respecté les obligations de l’article L. 324-10-3° du Code du travail à l’égard de ces salariés, le délit de travail clandestin étant bien caractérisé ;

que le fait que les faux indépendants eussent été régulièrement immatriculés au registre du commerce et des sociétés et payaient leurs cotisations n’était pas de nature à faire disparaître les éléments constitutifs de l’infraction, les obligations sociales qui pesaient sur l’employeur étant différentes de celles d’un chef d’entreprise indépendant ;

”et aux motifs adoptés que les transporteurs indépendants travaillaient avec un camion pris en location auprès de la SA Y..., étaient assurés auprès de l’assureur choisi par le loueur de véhicules, achetaient le carburant auprès des fournisseurs agréés par la SA Y..., faisaient entretenir les véhicules dans les ateliers de la SA Y... qui en facturait le coût à chacun des utilisateurs ;

que, pour le fret, chaque négociation avec le client était menée par la SA Y..., le transporteur affrété n’intervenant jamais dans la détermination du prix ;

qu’une liaison permanente permettait quotidiennement à cette dernière de donner les instructions aux pseudo sous-traitants pour effectuer le transport demandé par les clients ;

que les transporteurs concernés travaillaient exclusivement pour la SA Y... selon un régime de rémunération forfaitaire annuelle avec un prix de revient inférieur à celui pratiqué par les professionnels ;

que même s’ils avaient disposé antérieurement d’un fonds de commerce, les transporteurs concernés se trouvaient désormais subordonnés à un donneur d’ordres au même titre qu’un chauffeur salarié ;

qu’ils étaient, en effet, liés par une clause d’exclusivité, astreints au respect d’une discipline organisée par la SA Y... et soumis à des sujétions nombreuses et importantes non seulement quant à l’horaire et à l’itinéraire mais aussi pour la représentation extérieure du véhicule et son contrôle ;

que le stratagème ainsi mis en place et imposé par la SA Y... aux transporteurs affrétés n’avait pas d’autre objet que d’éviter la législation applicable en matière de contrats de travail et de créer une véritable clandestinité ;

”alors que, d’une part, la cour d’appel ne pouvait décider que les transporteurs affrétés se trouvaient assujettis à l’exposante par un lien de subordination, après avoir constaté non seulement qu’ils avaient le sentiment d’être maîtres de leur affaire mais, en outre, qu’ils manifestaient leur indépendance au point de refuser des transports et d’enfreindre l’exclusivité contractuelle, admettant ainsi que les intéressés travaillaient également pour d’autres clients et s’approvisionnaient en carburant auprès d’autres fournisseurs, ce qui caractérisait une activité personnelle exclusive de tout contrat de travail ;

”alors que, d’autre part, la cour d’appel ne pouvait se borner à adopter les motifs des premiers juges ayant retenu que les transporteurs travaillaient avec des véhicules pris en location auprès de leur donneur d’ordres et les faisaient entretenir dans ses ateliers, sans répondre aux conclusions par lesquelles le demandeur objectait, preuves à l’appui, d’abord que plusieurs de ses sous-traitants louaient leur camion à une société de crédit-bail tandis que l’un d’entre eux était une entreprise exploitant deux véhicules dont un lui appartenait et l’autre était conduit par son propre chauffeur salarié, ensuite que l’entretien des camions s’effectuait en réalité tant sur le territoire national qu’européen auprès de divers constructeurs ;

”alors que, en outre, en énonçant péremptoirement que les transporteurs étaient assujettis au respect d’une discipline interne à l’entreprise Y... ainsi qu’à de nombreuses sujétions quant aux horaires de travail et aux itinéraires, l’ensemble étant révélateur d’une soumission à un service organisé, sans préciser sur quels éléments de preuve elle se serait fondée, la cour d’appel a statué par voie de simple affirmation là où elle devait motiver sa décision ;

”alors que, enfin, la juridiction du second degré ne pouvait davantage justifier l’existence d’un lien de subordination par le fait que, selon les premiers juges, c’était avant de travailler avec l’exposante que certains sous-traitants avaient disposé d’un fonds de commerce, quand cette dernière établissait en cause d’appel que plusieurs d’entre eux exploitaient réellement un fonds de commerce en toute indépendance depuis qu’ils étaient entrés en relations d’affaires avec elle” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour déclarer Christian Tournaux, président de la société Tournaux Transports, coupable du délit de travail clandestin par emploi de salariés dissimulés, la cour d’appel, par motifs propres et adoptés, relève que les transporteurs liés par un contrat d’affrètement, étaient tenus de travailler exclusivement pour cette société, avec des camions loués à celle-ci ;

que leur rémunération forfaitaire annuelle, telle que fixée par la société Tournaux Transports, avec un prix de revient au kilomètre inférieur au prix pratiqué dans la profession, ne leur permettait pas d’avoir une activité viable sur le plan financier ;

qu’ils n’étaient jamais invités à négocier avec les clients pour le compte desquels les marchandises étaient transportées et qu’ils recevaient des instructions de la société Tournaux Transports pour l’exécution de cette tâche ;

qu’ils étaient astreints au respect d’une discipline interne à cette société et soumis à de nombreuses sujétions, concernant tant les horaires et itinéraires, que les conditions d’utilisation et d’entretien du véhicule ;

Que les juges déduisent de ces constatations que, s’il est vrai que les transporteurs affrétés étaient inscrits au registre du commerce et des sociétés et cotisaient à une caisse d’assurance maladie pour profession libérale, l’analyse des conditions d’exercice de leur activité démontre qu’ils étaient de véritables subordonnés du donneur d’ordres, au même titre que les chauffeurs salariés, et retiennent que le montage juridique mis en place par la société Tournaux Transports n’avait que pour objet de permettre à celle-ci d’échapper aux obligations liées au statut d’employeur ;

Attendu qu’en l’état de ces constatations et énonciations, les juges, qui n’ont pas fondé leur décision sur une réglementation communautaire, ont, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé la véritable nature des conventions intervenues entre les parties et ainsi donné une base légale à leur décision ;

Que les moyens ne sauraient, dès lors, être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Chanet, Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de DOUAI 6ème chambre , du 1 octobre 1996