Trm

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 5 janvier 1995

N° de pourvoi : 93-84923

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq janvier mil neuf cent quatre vingt quinze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Richard, contre l’arrêt de la cour d’appel de BORDEAUX, 3ème chambre, en date du 28 septembre 1993, qui, pour travail clandestin, l’a condamné à 50 000 francs d’amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 400 et 512 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué ne constate pas la publicité de l’audience du 15 juin 1993 durant laquelle se sont déroulés les débats au fond ;

”alors que, selon l’article 400 du Code de procédure pénale rendu applicable en cause d’appel par l’article 512 du même Code, les audiences sont publiques ;

que l’omission de cette constatation substantielle prive l’arrêt attaqué des conditions essentielles de son existence légale” ;

Attendu qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que celui-ci a été rendu par la cour d’appel statuant publiquement ;

qu’une telle mention générale constate non seulement la publicité de l’audience où la décision a été rendue mais aussi celle de l’audience précédente où ont eu lieu les débats ;

Que, dès lors, le moyen, qui manque par le fait sur lequel il prétend se fonder, doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 510, 511, 591 et 592 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué ne donne aucune précision quant à la composition de la Cour lors du délibéré ;

qu’en présence de compositions différentes lors des débats et du prononcé de l’arrêt, il n’est pas possible à la Cour de Cassation de vérifier que ce sont les mêmes magistrats ayant assisté aux débats qui ont délibéré” ;

Attendu que les mentions de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que les mêmes magistrats ont assisté aux débats et participé au délibéré, et qu’il a été fait application de l’article 485, dernier alinéa, du Code procédure pénale ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11 et L. 362-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Richard X... coupable du délit d’emploi de travailleurs clandestins ;

”alors, d’une part, que Richard X... faisait valoir que les contrats conclus avec les artisans transporteurs prévoyaient une clause d’exclusivité qui ne s’appliquait qu’au véhicule loué et non pas à l’activité des chauffeurs, lesquels demeuraient libres d’exercer leur activité pour le compte d’autres entrepreneurs, cette circonstance étant de nature à établir l’absence de tout lien de subordination entre les parties ;

qu’en estimant que la clause d’exclusivité du matériel englobait également l’activité des chauffeurs, la cour d’appel a donc violé l’article 1134 du Code civil et les textes susvisés ;

”alors, d’autre part, que les seules obligations souscrites par les artisans transporteurs auxquels faisait appel la société Transports Villar consistaient dans l’acceptation d’une clause d’exclusivité liée au matériel loué, d’instructions quant au programme de livraison de la clientèle ainsi que d’un système de rémunération forfaitaire permettant au chauffeur, simple locataire du camion, de déduire le prix de cette location des sommes versées par la société Transports Villar ;

que ces seules obligations n’excédant pas celles qu’un entrepreneur principal peut demander à un sous-traitant, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé d’autres circonstances susceptibles de faire apparaître l’existence d’un lien de subordination entre les parties, n’a pas légalement justifié sa décision ;

”alors, enfin, que le délit d’emploi de travailleurs clandestins est une infraction intentionnelle ;

qu’en se bornant à énoncer que Richard X... aurait ainsi employé les transporteurs en qualité de salariés sans accomplir les formalités légales qui s’imposent à tout employeur, la cour d’appel n’a pas caractérisé l’élément intentionnel de l’infraction poursuivie résultant de la conscience, chez l’employeur, d’enfreindre les dispositions légales applicables en cas d’emploi de travailleurs salariés et se trouve, de ce fait, privé de toute base légale au regard des textes susvisés” ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu, chef de l’entreprise de Transports X... , spécialisée dans les transports routiers de marchandises en zone longue, coupable de travail clandestin, la cour d’appel relève que l’intéressé louait les véhicules poids-lourds appartenant à la société à des artisans ou entrepreneurs, en vertu de contrats comportant, au profit de celle-ci, une clause d’exclusivité concernant tant le matériel loué que le personnel de conduite ;

que la juridiction du second degré ajoute que la société Transports Villar recevait les commandes de la clientèle, donnait les ordres aux chauffeurs, assurait les formalités administratives, arrêtait seule les sommes, après déduction du prix de location des véhicules, qu’elle versait en fin de mois aux conducteurs, lesquels n’avaient pas la possibilité de facturer leurs prestations ;

que la cour d’appel précise que les cocontractants de la société ne respectaient pas, pour la plupart, les obligations légales inhérentes au statut d’artisan transporteur, et que du fait de leurs contraintes horaires, ils se trouvaient dans un état d’indisponibilité vis à vis de toute autre clientèle ;

Attendu que les juges déduisent de ces énonciations que les prétendus artisans se trouvaient placés dans un état de dépendance économique et de subordination juridique caractérisant l’existence de contrats de travail, et que leurs rapports avec la société Transports Villar étaient ceux de salariés à employeur ;

que le prévenu était dès lors tenu d’effectuer les déclarations et formalités prévus à l’article L. 324-10 du Code du travail ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, qui restituent aux contrats liant les parties leur véritable nature juridique, et dont il se déduit que le prévenu avait sciemment employé des salariés de façon clandestine, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués au moyen, lequel ne saurait, dès lors, être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Batut conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pinsseau, Joly, Martin, Grapinet conseillers de la chambre, Mme Fossaert-Sabatier, M. de Larosière de Champfeu conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Bordeaux, 3ème chambre du 28 septembre 1993