Champ d’application de l’article L.7321-2 du code du travail

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 1 juillet 2020, 17-31.755, Inédit
Cour de cassation - Chambre commerciale

N° de pourvoi : 17-31.755
ECLI:FR:CCASS:2020:CO00380
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mercredi 01 juillet 2020
Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles, du 31 octobre 2017

Président
M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SCP Alain Bénabent , SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

COMM.

MF

COUR DE CASSATION


Audience publique du 1er juillet 2020

Rejet

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 380 F-D

Pourvoi n° T 17-31.755

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUILLET 2020

La Société de restauration d’aéroports congrès tourisme et affaires, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° T 17-31.755 contre l’arrêt rendu le 31 octobre 2017 par la cour d’appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l’opposant à la société Lagardère Travel Retail France, société en nom collectif, dont le siège est [...] , anciennement dénommée Relay France, défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la Société de restauration d’aéroports congrès tourisme et affaires, de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Lagardère Travel Retail France, après débats en l’audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 31 octobre 2017), par des conventions conclues en 2001 et 2005, la société Aéroport de la Côte d’Azur (la société ACA) a concédé à la Société de restauration d’aéroports congrès tourisme et affaires (la société Actair) des autorisations temporaires d’occupation du domaine public pour l’exploitation de restaurants sur le site de l’aéroport de Nice-Côte-d’Azur.

2. Dans le cadre de la procédure d’appel d’offres destinée à la nouvelle attribution de ces autorisations d’exploitation, lancée par la société ACA le 2 juin 2014 , les sociétés Actair et Lagardère Travel Retail France (la société Lagardère), anciennement dénommée Relay France, se sont respectivement portées candidates.

3. La société Lagardère a été déclarée attributaire de l’un des lots, le second étant attribué à un tiers. La société Actair n’a pas formé de recours contre cette décision, portée à sa connaissance le 21 novembre 2014.

4. La société Lagardère a confié la gestion des cinq points de vente de son lot, précédemment exploités par la société Actair, à des gérants de succursales ayant leurs propres salariés, certains d’entre eux étant repris en leur qualité d’anciens salariés de la société Actair.

5. Estimant que le recours à la gérance de succursale était contraire à la législation du travail, la société Actair a assigné la société Lagardère afin de voir juger que les services de restauration n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 7321-2 du code du travail et que le fait, pour la société Lagardère, de confier l’exploitation des points de restauration de l’aéroport à des gérants de succursales, au sens du texte précité, est constitutif d’actes de concurrence illicite et déloyale et, en conséquence, condamner la société Lagardère à des dommages-intérêts et ordonner la publication de la décision de condamnation.

Examen du moyen unique

Il est statué sur ce moyen après avis de la chambre sociale, sollicité en application de l’article 1015-1 du code de procédure civile.

Enoncé du moyen

6. La société Actair fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors que :

« 1°/ qu’aux termes de l’article L. 7321-2, 1°, du code du travail, est gérant de succursale toute personne « chargée, par le chef d’entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l’entreprise, en vue de recevoir d’eux des dépôts de vêtements ou d’autres objets ou de leur rendre des services de toute nature » ; qu’en retenant que les activités de restauration litigieuses entraient dans le champ d’application de ce texte dans la mesure où celui-ci fait référence à « des services de toute nature », cependant que l’activité de restauration concernée n’était pas exercée dans les locaux ou dépendances mêmes de la société Lagardère Travel Retail France, mais dans des locaux fournis ou agréés par cette entreprise, la cour d’appel a violé l’article L. 7321-2, 1° du code du travail, par fausse application de ce texte ;

2°/ qu’aux termes de l’article L. 7321-2, 2°, du code du travail, est gérant de succursale toute personne dont la profession consiste « essentiellement » soit à « vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise », soit à « recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise » lorsque, dans les deux cas, ces personnes exercent leur profession « dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par [elle] » ; qu’en retenant que l’activité de restauration confiée aux gérants salariés de la société Lagardère Travel Retail France entrait dans le champ d’application de ce texte, cependant qu’il s’agissait d’une prestation de service ne correspondant à aucune des activités limitativement énumérées à l’article L. 7321-2, 2° du code du travail, la cour d’appel a violé, par fausse application, ce texte. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 7321-2 du code du travail :

7. Il résulte de ce texte que l’activité professionnelle de restauration peut entrer dans le champ d’application du texte susvisé, peu important qu’elle soit exercée dans des locaux faisant l’objet d’une autorisation temporaire d’occupation du domaine public. Cette activité est de nature à être confiée à un gérant de succursale, dès lors que sont réunies les conditions prévues au 2° du texte précité.

8. Il en résulte, d’une part, que, le 1° de l’article L. 7321-2 susvisé étant inapplicable à l’activité de restauration, il importe peu que ladite activité, confiée par la société Lagardère à des gérants de succursales, ne soit pas exercée dans les locaux ou dépendances mêmes de cette société, mais dans des locaux fournis ou agréés par elle.

9. D’autre part, contrairement à ce que postule la seconde branche du moyen, l’activité de restauration confiée par la société Lagardère à des gérants de succursales entre dans le champ d’application du 2° de l’article L. 7321-2 susvisé.

10. Le moyen, inopérant en sa première branche, n’est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Société de restauration d’aéroports congrès tourisme et affaires aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société de restauration d’aéroports congrès tourisme et affaires, et la condamne à payer à la société Lagardère Travel Retail France la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la Société de restauration d’aéroports congrès tourisme et affaires.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement rendu le 19 février 2016 par le tribunal de commerce de Nanterre ayant débouté la société Actair de ses demandes tendant à voir juger que les services de restauration n’entrent pas dans le champ d’application des dispositions de l’article L. 7321-2 du code du travail et, en conséquence, voir juger qu’en confiant à des gérants de succursales l’exploitation des points de restauration de l’aéroport Nice-Côte d’Azur, la société Lagardère Travel Retail France a commis des actes de concurrence déloyale, voir ordonner la cessation de cette pratique déloyale, obtenir la condamnation de la société Lagardère Travel Retail au paiement d’une somme d’un euro symbolique à titre de dommages et intérêts et voir ordonner la publication de la décision dans trois journaux ou périodiques au choix de la société Actair et aux frais avancés de la société Lagardère Travel Retail ;

AUX MOTIFS PROPRES QU’ « il résulte de l’article L. 7321-2 du code du travail qu’ :

"Est gérant de succursale toute personne :

1° Chargée, par le chef d’entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l’entreprise, en vue de recevoir d’eux des dépôts de vêtements ou d’autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;

2° Dont la profession consiste essentiellement :

a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise
" ;

que la société Actair reproche à la société Lagardère d’avoir commis une faute en ayant recours – en contradiction avec les dispositions de l’article L. 7321-2 du code du travail – à des gérants salariés de succursale, lui permettant ainsi de "s’affranchir des charges d’exploitation et en particulier des charges du personnel, particulièrement importantes en matière de restauration de concession", ce qui serait à l’origine du trouble commercial allégué ; que la société Actair soutient que l’article L. 7321-2 du code du travail, en ce qu’il s’agit d’un texte d’exception, doit être interprété de manière stricte comme ne concernant que certaines activités ; que la société Lagardère prétend au contraire que la possibilité de recourir au statut de gérant salarié ne fait aucun doute, qu’il s’agisse de vente de marchandises ou même de prestation de service de restauration ; que la cour observe en premier lieu que la société Actair ne conteste pas que la vente de marchandises (sandwichs, boissons
) puisse être exercée sous forme de gérance salariée de succursale (en application du 2° de l’article L. 7321-2 du code du travail), sa contestation portant uniquement sur les prestations de service (en application du 1° de l’article L. 7321-2 du code du travail) ; que la société Actair allègue que les activités de restauration de la société Lagardère relèvent plus de la prestation de services que de la vente de marchandises, ce qui n’est au demeurant pas contesté par la société Lagardère ; qu’elle affirme ensuite que, dans le silence du texte, il faut l’interpréter de manière stricte, en ce que seules certaines prestations de services entrent dans le champ d’application de la gestion salariée de succursale, à l’exception des prestations de restauration ; que force est toutefois de constater que l’article L. 7321-2 est parfaitement clair et qu’il ne nécessite aucune interprétation ; qu’il est en effet précisé qu’est gérant de succursale toute personne chargée, par le chef d’entreprise
de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l’entreprise, en vue de
leur rendre des services de toute nature ; que si le législateur a envisagé l’application du texte à des prestations de service de toute nature, il n’y a pas à distinguer selon la nature de la prestation de service, les prestations de service de restauration entrant bien dans le champ d’application des dispositions précitées, de sorte que rien n’empêchait la société Lagardère de recourir à la gérance salariée de succursale ; que la preuve d’actes de concurrence déloyale imputables à la société Lagardère n’étant pas rapportée, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Actair de l’ensemble de ses demandes » ;

ET AUX MOTIFS, EVENTUELLEMENT ADOPTES, QU’ « Actair reproche à Relay le non-respect par Relay des dispositions de l’article 7321-2 du code du travail qui ne prévoient pas les activités de restauration gérées sous la forme de gérance salariée de succursale ; que cet article donne la définition suivante :

" Est gérant de succursale toute personne :

1° Chargée, par le chef d’entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l’entreprise, en vue de recevoir d’eux des dépôts de vêtements ou d’autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;

2° Dont la profession consiste essentiellement :

a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;

b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise" ;

que les activités de restauration ne sont pas expressément citées par le législateur, qu’Actair ne rapporte pas la preuve que les ventes de produits de restauration rapide ou de vente de produits alimentaires ne sont pas comprises dans le champ d’application dudit article ; qu’il n’y a donc pas lieu d’exclure les activités de restauration de ce champ ; que de plus Actair et Relay ont participé à la procédure d’appels d’offres laquelle ne comportait aucune indication ou interdiction quant au mode de gestion des points de vente ; que le dossier intitulé "consultation restauration terminaux 1 et 2" qui a pour titre "Exploitation d’une activité de Restauration" précise comme obligation en ce qui concerne le personnel que "le candidat retenu sera responsable de la continuation des contrats de travail en cours
" ; qu’aucun mode d’organisation et de management du personnel ancien ou nouveau n’est prescrit ; que d’ailleurs M. le Professeur W..., juriste éminent de la Faculté de Montpellier, consulté par Relay termine ainsi son étude datée du 19/06/2015 "on ne saurait donc, au vu des dispositions de l’article 7321-2 du code du travail, exclure le statut de gérant salarié pour l’activité de restauration quelles que soient ses diverses formes d’exercice" ; que tant la réglementation précitée que les conditions de l’appel d’offres permettaient à Relay d’adopter et d’appliquer les modalités de la gérance salariée de succursale, qu’aucune faute ne peut être reprochée à la société Lagardère Travel Retail France (Relay) eu égard aux conditions fixées par l’article 7321-2 du code du travail, la société Actair, qui n’en rapporte pas la preuve, sera déboutée de ses demandes au titre de la concurrence déloyale » ;

1°/ ALORS QU’aux termes de l’article L. 7321-2, 1°, du code du travail, est gérant de succursale toute personne « chargée, par le chef d’entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l’entreprise, en vue de recevoir d’eux des dépôts de vêtements ou d’autres objets ou de leur rendre des services de toute nature » ; qu’en retenant que les activités de restauration litigieuses entraient dans le champ d’application de ce texte dans la mesure où celui-ci fait référence à « des services de toute nature », cependant que l’activité de restauration concernée n’était pas exercée dans les locaux ou dépendances mêmes de la société Lagardère Travel Retail France, mais dans des locaux fournis ou agréés par cette entreprise, la cour d’appel a violé l’article L.7321-2, 1° du code du travail, par fausse application de ce texte ;

2°/ ALORS QU’aux termes de l’article L. 7321-2, 2°, du code du travail, est gérant de succursale toute personne dont la profession consiste « essentiellement » soit à « vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise », soit à « recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise » lorsque, dans les deux cas, ces personnes exercent leur profession « dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par [elle] » ; qu’en retenant que l’activité de restauration confiée aux gérants salariés de la société Lagardère Travel Retail France entrait dans le champ d’application de ce texte, cependant qu’il s’agissait d’une prestation de service ne correspondant à aucune des activités limitativement énumérées à l’article L. 7321-2, 2° du code du travail, la cour d’appel a violé, par fausse application, ce texte.