Commerce de détail - bazar - requalification en contrat de travail non

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 mai 2021
N° de pourvoi : 19-18.536
ECLI:FR:CCASS:2021:SO00599
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mercredi 19 mai 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes, du 03 mai 2019

Président
M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
Me Occhipinti, SCP Waquet, Farge et Hazan
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

MA

COUR DE CASSATION


Audience publique du 19 mai 2021

Rejet

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 599 F-D

Pourvoi n° R 19-18.536

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 MAI 2021

Mme [V] [N], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 19-18.536 contre l’arrêt rendu le 3 mai 2019 par la cour d’appel de Rennes (8e chambre prud’homale), dans le litige l’opposant à la société GIFI Mag, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de Me Occhipinti, avocat de Mme [N], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société GIFI Mag, après débats en l’audience publique du 24 mars 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, M. Flores, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 3 mai 2019), Mme [N] a créé, le 12 janvier 2015, la société FFMB qui a conclu avec la société Gifi Mag (la société) une convention de gérance-mandat portant sur l’exploitation d’un magasin à l’enseigne Gifi situé en Loire-Atlantique.

2. Les parties ont mis un terme à la convention le 10 mars 2017.

3. Le 16 juin 2017, Mme [N] a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la relation contractuelle en un contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [N] fait grief à l’arrêt d’écarter l’existence d’un contrat de travail et de constater l’existence d’un contrat de gérance-mandat, pour en déduire que le conseil de prud’hommes était incompétent pour connaître du litige au profit de la compétence du tribunal de commerce, alors :

« 1°/ que le gérant-mandataire est celui qui gère un fonds de commerce lorsque le contrat conclu avec le mandant, leur fixe une mission, en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d’embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité ; qu’en ne recherchant pas si le chiffre d’affaires de la société FFMB n’était pas contrôlé par le logiciel de gestion de la société Gifi Mag, si les paiements des clients n’étaient pas virés sur un compte de la société Gifi Mag, si Mme [N] n’était pas privée de la moindre autonomie dans le choix des fournisseurs et des biens proposés à la vente et si la liberté dans les horaires d’ouverture n’était pas de pure façade, puisque la publicité nationale imposait une ouverture le dimanche, éléments excluant l’existence de l’autonomie d’une véritable gérante-mandataire et impliquant l’existence d’un contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 du code du travail et L. 146-1 du code de commerce ;

2°/ subsidiairement, qu’est gérant de succursale toute personne dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises de toute nature qui lui sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque cette personne exerce sa profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ; qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si Mme [N] ne pouvait pas au moins être qualifiée de gérante de succursale, ce qui impliquait la compétence du conseil de prud’hommes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 7321-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel, qui n’avait pas à entrer dans le détail de l’argumentation des parties, a constaté que l’intéressée procédait essentiellement par affirmations et ne démontrait pas que la société avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner ses manquements.

6. La cour d’appel, devant laquelle l’intéressée réclamait le bénéfice d’un contrat de travail et non le statut de gérant de succursales, n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.

7. En l’état de ses constatations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [N] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mai deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Occhipinti, avocat aux Conseils, pour Mme [N]

Il est reproché à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit qu’il n’existait pas de contrat de travail entre la société FFMB dont Mme [N] était la gérante et la société Gifi Mag, constaté l’existence d’un contrat de gérance-mandat, déclaré le conseil de prud’hommes incompétent au profit du tribunal de commerce d’Agen pour connaître du litige ;

AUX MOTIFS QUE la question de compétence soumise à la juridiction implique de rechercher, ainsi que l’ont fait les premiers juges, si le litige ouvert devant le conseil de prud’hommes de Saint-Nazaire est né à l’occasion de l’exercice d’un contrat de travail liant les parties. En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve. Il résulte des articles L. 1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération. L’existence d’un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur. En particulier, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. L’existence d’un lien de subordination n’est d’ailleurs pas incompatible avec une indépendance technique dans l’exécution de la prestation. Dans la présente affaire, s’il est avéré que Mme [V] [N] a été engagée par la SAS Gifi Mag par contrat à durée indéterminée en date du 6 octobre 2014 en qualité de responsable de magasin, ce contrat de travail a été rompu avant le terme de la période d’essai de 4 mois. Un contrat de gérance-mandat a en effet été signé le 12 janvier 2015 entre la SAS Gifi Mag et la SARL FFMB créée pour la circonstance par Mme [N] avec son associé. La SAS Gifi Mag établit que cette nouvelle situation correspondait à la demande exprimée par Mme [V] [N] dans un écrit daté du 7 janvier 2015 (pièce n°1) : "Après une formation très enrichissante au sein du groupe Gifi, je souhaite prendre en mandat de gestion le magasin de [Localité 1]. Effectivement en postulant chez Gifi, je pensais déjà qu’à terme je voudrais un mandat. Cette éventualité s’est proposée plus vite que prévu, mais c’est pour moi une vraie opportunité (...)". Le contrat de gérance-mandat portant sur la direction du magasin GIFI de Savenay[Localité 1] s’est inscrit dans le cadre défini par l’article L. 146-1 du code de commerce : "Les personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce ou un fonds artisanal, moyennant le versement d’une commission proportionnelle au chiffre d’affaires, sont qualifiées de "gérants-mandataires" lorsque le contrat conclu avec le mandant, pour le compte duquel, le cas échéant dans le cadre d’un réseau, elles gèrent ce fonds, qui en reste propriétaire et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission, en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d’embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité.La mission précise, le cas échéant, les normes de gestion et d’exploitation du fonds à respecter et les modalités du contrôle susceptible d’être effectué par le mandant. Ces clauses commerciales ne sont pas de nature à modifier la nature du contrat. Le gérant-mandataire est immatriculé au registre du commerce et des sociétés et, le cas échéant, au répertoire des métiers. Le contrat est mentionné à ce registre ou à ce répertoire et fait l’objetd’une publication dans un journal habilité à recevoir des annonces légales."Selon les dispositions particulières de la convention signée par les parties : Le gérant-mandataire a "tous pouvoirs pour réaliser toutes les opérations de gestion relatives à l’exploitation du fonds de commerce". Le gérant-mandataire s’oblige à "respecter les normes d’exploitation de l’enseigne GIFI selon la charte" mais fixe librement les heures et jours d’ouverture du magasin de même que l’effectif présent en tenant compte des usages locaux et de la nécessité d’assurer le service, à charge pour le gérant-mandataire d’en tenir informé le mandant ; celui-ci "s’interdit de s’immiscer dans le choix des jours et heures d’ouverture du magasin comme des effectifs présents", néanmoins le non-respect de ces derniers "qui s’avérerait préjudiciable au bon fonctionnement, à l’image du magasin et de la clientèle, entraînerait la résiliation de plein droit du présent mandat si bon semble à GIFI". Le gérant-mandataire embauche et gère librement le personnel nécessaire à la bonne exploitation du fonds de commerce, fixe les rémunérations, les horaires et conditions de travail, d’hygiène et de sécurité, dispose du pouvoir disciplinaire, tandis que "le mandant ne pourra en aucun cas être impliqué dans les difficultés qui pourraient surgir entre le gérant-mandataire et son personnel, s’interdisant de s’immiscer dans la gestion et le management des ressources humaines du gérant mandataire". Le gérant-mandataire rendra compte de sa gestion et s’engage à communiquer au mandant, sur simple demande de ce dernier, toutes pièces ou documents comptables, ainsi qu’à l’informer de toutes difficultés rencontrées. Le mandant apporte au gérant-mandataire des "conseils en matière de gestion, mais également tous conseils commerciaux ou techniques utiles à l’exploitation du fonds de commerce et au respect de l’enseigne et de la charte GIFI".Les pièces versées aux débats établissent que dans l’application de ce contrat, le gérant-mandataire disposait de son propre expert-comptable (pièces n°7 et 25) et gérait directement la comptabilité du magasin. Aucune des pièces communiquées ne laisse apparaître que les contrôles et directives émanant de la SAS GIFI dans l’exécution de ce contrat auraient excédé ce qui est normalement attendu d’un partenaire contractuel au point de pouvoir être assimilées à l’exercice d’un pouvoir de sanction comparable à celui d’un employeur, ou plus généralement au point de caractériser un lien de subordination dans la gestion du magasin. En particulier, aucune pièce n’indique que les horaires de travail ou la présence du personnel étaient imposés par la SAS Gifi Mag, ce qui ne ressort ni des clauses du contrat de gérance-mandat précédemment rappelées, ni de la "charte GIFI gérants-mandataires" (pièce n°6 de Mme [N]), laquelle mentionne seulement (page 4) des horaires d’usage avec possibilité d’adaptation selon les spécificités régionales. Mme [N] qui procède essentiellement par affirmations, ne démontre pas qu’elle exécutait son travail sous l’autorité d’un employeur ayant le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner ses manquements, les conditions d’exécution de son travail n’étant pas directement déterminées par la SAS Gifi Mag, Mme [N] gérant en outre seule son emploi du temps personnel sans contrainte de présence ou d’horaire. Il ne résulte pas davantage des pièces produites que la SAS GIFI avait le pouvoir de sanctionner la SARL FFMB ou Mme [N] personnellement, si ce n’est indirectement au travers de sa qualité d’associée du gérant-mandataire en cas de manquement contractuel à la convention conduisant à une éventuelle résiliation de la convention de gérance-mandat. Dans ces circonstances, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a constaté que le litige ne porte pas sur l’exécution ou la rupture d’un contrat de travail et en a tiré les conséquences en renvoyant l’affaire devant le tribunal de commerce d’Agen compétent pour statuer sur le litige opposant les parties, par application de l’article L. 721-3 du code de commerce et de l’article 17 du contrat de gérance-mandat ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le respect du contrat de gérance-mandat ne constitue pas un lien de subordination, mais indique les conditions inhérentes à l’activité et répond à une volonté de l’enseigne d’homogénéisation commerciale de ses points de vente ; D’où en outre l’existence d’une charte commune ou le passage régulier d’un animateur de réseau. Les obligations mises à la charge de Mme [N] étaient celles du fonctionnement normal d’un réseau de distribution -nom de l’enseigne, uniforme pour le personnel, choix produits, fixation des prix de vente, campagne publicitaire. etc..Parallèlement. Mme [N] n’apporte aucune preuve d’un contrôle du mandant qui dépasserait son rôle habituel. Les documents (bilans et comptes de résultats de la société FFMB, délibérations des AG rapports de bulletins de paie des salariés, DADS, extrait Kbis) fournis par Mme [N] à la suite du bureau de conciliation démontrent d’une part l’absence d’un lien de subordination juridique entre les deux sociétés et attestent ensuite de la gestion indépendante et autonome de Mme [N] pour sa société FFMB. C’est dans ces conditions qu’ elle a pu créer la société FAB, puis modifier la répartition du capital social de la société, transférer le siège social de son entreprise à l’adresse de son domicile, disposer de son propre expert-comptable, le cabinet Adexia. à [Localité 2] : pour établir les bilans et comptes de résultat de la société FFMB ; Par le biais de sa société FFMB Mme [N] gérait en totale autonomie l’ensemble du personnel et organisait leurs conditions de travail : recrutement, embauche et rupture de contrat, DADS, fixation des salaires (y compris le sien) : gestion des congés payés et des bulletins de paie). Par ailleurs, comme en attestent les comptes rendus d’assemblées générales de la société FFMB, Mme [N] choisissait ses associées et tout aussi librement fixait et validait l’augmentation de sa propre rémunération. En ce qui concerne ses horaires. Mme [N]’en apporte nullement la preuve. Les horaires d’ouverture de l’entreprise ne constituent pas une preuve d’heures travaillées. Enfin, Mme [N] n’apporte aucune preuve de la pression qu’elle, et ses co-gérantes auraient subi pour rédiger et signer le document mettant fin à son mandat. Par conséquent, le conseil de prud’hommes constate en l’espèce, l’absence de lien de subordination et donc l’absence d’un contrat de travail entre Mme [V] [N] via sa société FFMB et la société Gifi Mag. L’autonomie dont disposait Mme [N] correspondant â celle d’un mandat de gérance. Il ressort des éléments fournis au conseil de prud’hommes qu’il y a lieu de déclarer le conseil de prud’hommes matériellement incompétent ;

1°) - ALORS QUE le gérant-mandataire est celui qui gère un fonds de commerce lorsque le contrat conclu avec le mandant, leur fixe une mission, en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d’embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité ; qu’en ne recherchant pas si le chiffre d’affaires de la société FFMB n’était pas contrôlé par le logiciel de gestion de la société Gifi Mag, si les paiements des clients n’étaient pas virés sur un compte de la société Gifi Mag, si Mme [N] n’était pas privée de la moindre autonomie dans le choix des fournisseurs et des biens proposés à la vente, et si la liberté dans les horaires d’ouverture n’était pas de pure façade, puisque la publicité nationale imposait une ouverture le dimanche, éléments excluant l’existence de l’autonomie d’une véritable gérante-mandataire et impliquant l’existence d’un contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 du code du travail et L. 146-1 du code de commerce ;

2°) - ALORS SUBSIDIAIREMENT QU’est gérant de succursale toute personne dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises de toute nature qui lui sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque cette personne exerce sa profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ; qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si Mme [N] ne pouvait pas au moins être qualifiée de gérante de succursale, ce qui impliquait la compétence du conseil de prud’hommes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 7321-2 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00599