Station service - assujetti code du travail oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 22 mars 2006

N° de pourvoi : 05-42233

Publié au bulletin

Rejet.

M. Sargos., président

Mme Mazars., conseiller apporteur

M. Allix., avocat général

SCP Célice, Blancpain et Soltner., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu que, selon deux contrats successifs, la société Esso a confié à la société X..., constituée à cet effet, l’exploitation d’une station-service ; que la société Esso a procédé à la rupture anticipée de la relation contractuelle ; que M. et Mme X..., cogérants de la société X..., ont saisi la juridiction prud’homale sur le fondement de l’article L. 781-1 du Code du travail ; que la société Esso a conclu à l’irrecevabilité de la demande des époux X... en soutenant que les dispositions de l’article L. 781-1 étaient inapplicables aux personnes morales et aux gérants des personnes morales et en faisant valoir que la société X... ayant préalablement saisi la juridiction commerciale, les gérants ne pouvaient cumuler le bénéfice des dispositions du droit commercial et du droit du travail ;

Sur les premier et troisième moyens, réunis :

Attendu que la société Esso fait grief à l’arrêt attaqué (Bordeaux, 1er mars 2005) d’avoir “déclaré recevable en l’état la demande des époux X...” et d’avoir déclaré la juridiction prud’homale compétente alors, selon le premier moyen :

1 / qu’en affirmant que la société locataire-gérante serait une société de façade laissant place à un rapport direct entre la personne physique de ses gérants et la société Esso dans le cadre de l’article L. 781-1 du Code du travail, la cour d’appel a tranché le fond du litige et n’a nullement statué sur la question préalable de l’irrecevabilité de la demande du fait de l’instance antérieurement introduite devant la juridiction commerciale par les mêmes personnes agissant en qualité de gérants de cette société, de sorte qu’en statuant comme elle l’a fait, sans aucunement se prononcer sur la connexité, la cour d’appel a violé l’article 101 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu’il résulte des termes mêmes de l’arrêt attaqué que la juridiction prud’homale a été saisie postérieurement à la juridiction commerciale des conséquences de la résiliation du contrat de location-gérance et que méconnaît son office le juge prud’homal qui, faute de pouvoir dessaisir la juridiction commerciale, laisse se créer les conditions d’une contrariété de décisions et d’un cumul d’indemnisations, de sorte qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a également violé les articles 12 et 100 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / que de toute façon prive sa décision de toute base légale au regard des articles 1134 du Code civil et L. 781-1 du Code du travail, l’arrêt attaqué qui estime que la saisine par la société X... de la juridiction commerciale ne caractériserait pas par elle-même une renonciation de ses gérants à exercer les droits qu’ils tiennent de l’article L. 781-1 du Code du travail, sans s’expliquer sur les conclusions de la société Esso qui faisaient valoir que la résiliation du contrat de la société X... avait été négociée dans les conditions prévues par l’accord interprofessionnel, que la saisine du tribunal de commerce était intervenue postérieurement à cette résiliation à un moment où les gérants étaient entièrement maîtres de leurs droits, et que, dans ces conditions, ils étaient irrecevables à faire abstraction de la personne morale de la société pour saisir ultérieurement la juridiction prud’homale dans le cadre d’un prétendu contentieux personnel ;

et, selon le troisième moyen, que les gérants d’une SARL locataire-gérante d’une station service ne peuvent cumuler dans leurs rapports avec la société pétrolière propriétaire du fonds de commerce le bénéfice de la qualité de commerçante de la personne morale et le bénéfice des dispositions de l’article L. 781-1-2 du Code du travail à titre individuel ; que viole le principe du non cumul et l’article 1134 du Code civil l’arrêt attaqué qui admet que les époux X... puissent tout à la fois saisir la juridiction commerciale en leur qualité de gérants de la SARL X... et la juridiction prud’homale à titre personnel pour tenter d’obtenir deux fois la réparation du même préjudice ;

Mais attendu que la répartition des compétences entre le tribunal de commerce et le conseil de prud’hommes, en cas de différends entre les locataires-gérants et les sociétés propriétaires du fonds, ne pouvait priver M. et Mme X... du droit de saisir le conseil de prud’hommes en invoquant le bénéfice des dispositions de l’article L. 781-1 du Code du travail ; qu’il appartenait aux juges du fond, saisis de demandes formées en application de la législation sociale, d’une part, d’apprécier si les gérants avaient, comme ils le prétendaient, exercé leur activité professionnelle pour le compte de la société pétrolière dans les conditions fixées par l’article L. 781-1, 2, et, d’autre part, si, comme le soutenait la société Esso, les gérants avaient valablement renoncé à se prévaloir du statut de salarié ;

Et attendu que la cour d’appel a examiné si les conditions cumulatives prévues par l’article L. 781-1, 2, étaient ou non réunies puis, répondant aux conclusions, a estimé que les époux X... n’avaient pas manifesté une volonté claire et non équivoque de renoncer aux droits qu’ils tiennent à titre individuel du texte susvisé ;

D’où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Esso fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré la juridiction prud’homale compétente, alors, selon le deuxième moyen :

1 / que le bénéfice des dispositions de l’article L. 781-1 du Code du travail ne s’applique pas à une personne morale, ni aux gérants de cette personne morale ; qu’il s’ensuit que viole le texte susvisé l’arrêt attaqué qui déclare ce texte applicable aux époux X..., gérants de la SARL X... ;

2 / que l’existence d’une société de façade implique une fraude ou une tromperie à l’endroit de tiers ; que ni le fait que la SARL X... ait pu être constituée exclusivement pour exploiter en location-gérance la station-service d’Esso, ni le fait que le contrat de location-gérance ait été conclu en fonction de la personne des époux X..., gérants de la SARL, ni le fait que les gérants n’auraient bénéficié d’aucune autonomie dans l’organisation de leur activité et la détermination de leur politique commerciale, n’étaient à eux seuls de nature à démontrer que la SARL X... n’aurait été qu’une société de façade ; que pour l’avoir admis sans constater l’existence d’une quelconque fraude ou tromperie à l’égard de tiers, l’arrêt attaqué a violé l’article 2268 du Code civil et le principe selon lequel “la fraude ne se présume pas” ;

3 / que subisidiairement, l’existence d’une société de façade impliquant une fraude ou une tromperie et la SARL X... ayant été constituée et gérée par les époux X..., viole le principe nemo auditur propriam turpitudinem allegans l’arrêt attaqué qui admet ces derniers à faire valoir que cette société n’aurait constitué qu’une société de façade ;

Mais attendu que, selon le premier alinéa de l’article L. 781-1 du Code du travail, les dispositions de ce Code, qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs, sont applicables aux personnes dont la profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises ou denrées de toute nature, des titres, des volumes, publications, billets de toute sorte qui leur sont fournis exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par la dite entreprise ;

Et attendu qu’analysant les contrats et appréciant les conditions de fait dans lesquelles la station-service était exploitée, les juges du fond, restituant aux faits et aux actes litigieux leur exacte qualification, ont retenu que si la société X..., dont les époux X... étaient cogérants, était la signataire des contrats de location-gérance et de mandat, les clauses desdits contrats révélaient l’instauration d’un lien direct entre la société Esso et les époux X..., la société X... n’étant qu’une “société de façade” ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que la société Esso fait encore grief à l’arrêt d’avoir déclaré la juridiction prud’homale compétente, alors, selon le moyen :

1 / que si le mandat imposait, par définition, à la société mandataire la vente exclusive des carburants Esso, l’exclusivité inscrite au contrat de location-gérance ne concernait en outre que les lubrifiants utilisés dans la station-service, ce qui plaçait hors exclusivité plus de mille références de produits boutique (dont les pneus, batteries, accessoires destinés aux véhicules et tous produits à usage domestique, les produits alimentaires et boissons, la restauration rapide), les prestations de lavage, graissage, pose, réparations courantes, échanges de pièces et d’accessoires, et les lubrifiants non utilisés dans la station-service ; que, dans la procédure commerciale engagée par la SARL X..., le tribunal de commerce de Paris ayant constaté dans son jugement du 25 mars 2004 que l’activité de vente de carburants n’avait représenté que 55 à 60 % de l’activité de la station-service, viole l’article L. 781-1-2 du Code du travail l’arrêt attaqué qui, en cet état, retient l’existence de la condition de fourniture quasi exclusive ;

2 / que la détermination des parts respectives des activités soumises à exclusivité et des activités non soumises à exclusivité implique une comparaison des recettes respectives à un taux de fiscalité homogène ; que, pour avoir repris à son compte la motivation des premiers juges qui avaient retenu au titre des ventes de carburants des chiffres incluant la taxe intérieure sur les produits pétroliers, l’arrêt attaqué a violé l’article L. 781-1-2 du Code du travail ;

3 / que ne justifie pas légalement sa solution au regard de l’article L. 781-1-2 du Code du travail l’arrêt attaqué qui, procédant par simple affirmation, retient que si la vente de produits non fournis par Esso était autorisée, cette vente ne pouvait avoir lieu que dans des conditions marquant “l’emprise” de cette société sur les conditions d’approvisionnement et de vente, sans préciser en quoi aurait consisté cette soi-disant “emprise”, ni s’expliquer sur le moyen des conclusions d’Esso soulignant qu’Esso se bornait, pour faciliter le choix et l’organisation de la locataire-gérante, à lui proposer certains grossistes (conclusions p. 6) ;

4 / que la condition relative à la quasi-exclusivité de fourniture qui vise la détermination du rapport entre les activités soumises à exclusivité et les activités non soumises à exclusivité, est sans relation avec la rentabilité de ces activités, de sorte que viole l’article L. 781-1-2 du Code du travail l’arrêt attaqué qui retient que la condition de fourniture quasi exclusive était remplie au motif inopérant que l’analyse des documents comptables produits aux débats ne permet pas d’établir que les époux X... ont pu retirer de la vente des produits non pétroliers des bénéfices leur assurant une indépendance économique réelle par rapport à la société pétrolière ;

Mais attendu quappréciant souverainement l’ensemble des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel, par motifs propres et adoptés, a déduit de ses constatations que l’activité essentielle des époux X... avait consisté à vendre des produits fournis exclusivement par la société Esso ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Esso aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille six.

Publication : Bulletin 2006 V N° 122 p. 116

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux , du 1 mars 2005

Titrages et résumés : 1° PRUD’HOMMES - Compétence - Compétence matérielle - Travailleurs visés à l’article L. 781-1 du code du travail - Condition.

1° La répartition des compétences entre le tribunal de commerce et le conseil de prud’hommes, en cas de différends entre le locataire-gérant et le propriétaire du fonds, ne peut priver le locataire-gérant du droit de saisir la juridiction prud’homale en invoquant les dispositions de l’article L. 781-1 du code du travail.

Il appartient aux juges du fond saisis de demandes formées en application de la législation sociale, d’une part, d’apprécier si les gérants d’une station-service, comme ils le prétendent, ont exercé leur activité professionnelle, pour le compte de la société pétrolière, dans les conditions fixées par l’article L. 781-1 2° et, d’autre part, si, comme le soutient cette société, les gérants ont valablement renoncé à se prévaloir du statut de salarié.

1° STATUTS PROFESSIONNELS PARTICULIERS - Gérant - Statut du salarié - Bénéfice - Conditions - Appréciation - Portée 1° STATUTS PROFESSIONNELS PARTICULIERS - Travailleurs visés à l’article L. 781-1 du code du travail - Bénéfice - Condition 2° STATUTS PROFESSIONNELS PARTICULIERS - Travailleurs visés à l’article L. 781-1 du code du travail - Lien de subordination - Nécessité (non).

2° Justifie légalement sa décision au regard de l’article L. 781-1 du code du travail, la cour d’appel qui, analysant les contrats et appréciant les conditions de fait dans lesquelles l’activité était exercée, et restituant aux faits leur exacte qualification, retient que, si la société constituée pour l’exploitation de la station-service était la signataire des contrats de location-gérance, les clauses desdits contrats révélaient un lien direct entre la société pétrolière et les cogérants de la société exploitant la station-service, cette société n’étant qu’une “ société de façade “.

2° CONTRAT DE TRAVAIL, FORMATION - Définition - Lien de subordination - Applications diverses - Travailleurs visés à l’article L. 781-1 du code du travail - Appréciation 3° GERANT - Gérant libre - Fonds de commerce - Article L. 781-1 du code du travail - Application - Conditions - Constatations suffisantes.

3° Les juges du fond apprécient souverainement si la condition d’application de l’article L. 781-1 2°, du code du travail relative à la fourniture exclusive ou presque exclusive, par la société, des marchandises vendues par les gérants, était ou non remplie.

Précédents jurisprudentiels :
Sur le n° 2 : Sur l’absence de nécessité d’établir un lien de subordination, dans le même sens que : Chambre sociale, 2001-12-04, Bulletin 2001, V, n° 373, p. 298 (cassation).
Sur le n° 3 : Sur l’appréciation souveraine des juges du fond sur la condition de fourniture exclusive, dans le même sens que : Chambre sociale, 1984-11-28, Bulletin 1984, V, n° 461, p. 339 (rejet).

Textes appliqués :
• 1° :
• 2° :
• Code civil 1134
• Code civil 2268
• Code du travail L781-1
• Nouveau code de procédure civile 101