Station service - portée de la requalification sur l’affiliation sécurité sociale
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 juin 2021
N° de pourvoi : 20-13.877
ECLI:FR:CCASS:2021:SO00726
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 16 juin 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Caen, du 31 décembre 2019
Président
Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SCP Piwnica et Molinié
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
SOC.
LM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 16 juin 2021
Cassation partielle
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 726 F-D
Pourvoi n° X 20-13.877
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 JUIN 2021
La société Total Marketing France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 20-13.877 contre l’arrêt rendu le 31 décembre 2019 par la cour d’appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l’opposant à Mme [Q] [J], domiciliée chez Mme [Y] [E], [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ricour, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Total Marketing France, après débats en l’audience publique du 4 mai 2021 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ricour, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Caen, 31 décembre 2019), la société Total Marketing France (la société), a conclu le 25 février 2014 un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce de station-service et un contrat de mandat portant sur la distribution de carburant avec la société [J], dont Mme [J] était la gérante.
2. Par lettre du 24 novembre 2014, la société a résilié le contrat de location-gérance pour non redistribution de recettes de carburant.
3. Le 27 juin 2016, Mme [J] a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail et de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture de celui-ci.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses sept premières branches et en sa neuvième branche, ci-après annexé
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa huitième branche
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l’arrêt de dire que les relations contractuelles existant entre Mme [J] et la société Total Marketing France s’analysent en une relation contractuelle avec un lien de subordination impliquant un contrat de travail et le respect de la législation du travail, de dire que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la condamner à lui payer diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail, d’enjoindre sous astreinte la société Total Marketing France d’avoir à régulariser la situation de Mme [J] auprès des organismes sociaux au bénéfice desquels seront acquittées les cotisations mentionnées sur le bulletin de paie récapitulatif, et d’imposer à la société Total Marketing France la remise de divers documents et notamment une attestation Pôle emploi, le bulletin de paie complémentaire récapitulatif relativement au rappel des salaires et ses accessoires et les congés payés y afférents, à l’indemnité de préavis et les congés payés y afférents, l’indemnité légale de licenciement et l’attestation Pôle emploi définitives, alors « que le gérant de succursale qui a cotisé au régime des travailleurs indépendants antérieurement à la reconnaissance de ce statut, ne peut pas obtenir de régularisation de cotisations auprès d’organismes sociaux relevant d’un autre régime, à quelque titre que ce soit ; qu’en enjoignant à la société Total Marketing France de régulariser la situation de Mme [J] auprès des organismes sociaux au bénéfice desquels seront acquittées les cotisations mentionnées sur le bulletin de paie récapitulatif et par suite notamment, de rembourser des allocations de chômage, sans s’expliquer sur les conclusions de la société Total Marketing France qui avait fait valoir que l’affiliation de Mme [J] au régime social des indépendants n’était pas compatible avec le versement de cotisations à un autre régime pour une même période, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 455 du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
7. La cour d’appel, après avoir jugé que les relations contractuelles existant entre Mme [J] et la société Total Marketing France s’analysent en un contrat de travail, a enjoint, sous astreinte, la société d’avoir à régulariser la situation de Mme [J] auprès des organismes sociaux au bénéfice desquels seront acquittées les cotisations mentionnées sur le bulletin de paie récapitulatif.
8. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société qui faisait valoir qu’ayant été affiliée au régime des indépendants au titre de la période concernée, Mme [J] ne pouvait être affiliée, au titre de la même période, au régime général de la sécurité sociale, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. La cassation prononcée n’atteint pas les chefs du dispositif relatifs à la condamnation de la société à payer à Mme [J] des sommes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés relativement à l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité pour harcèlement moral, ni aux chefs du dispositif relatifs à la condamnation de la société aux dépens et au titre de l’article 700 du code de procédure civile justifiée par les condamnations prononcées par ailleurs.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il enjoint à la société Total Marketing France de régulariser la situation de Mme [J] auprès des organismes sociaux au bénéfice desquels seront acquittées les cotisations mentionnées sur le bulletin de paie récapitulatif, l’arrêt rendu le 31 décembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ;
Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Caen autrement composée ;
Condamne Mme [J] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Total Marketing France
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir dit que les relations contractuelles existant entre Mme [J] et la société Total Marketing France s’analysent en une relation contractuelle avec un lien de subordination impliquant un contrat de travail et le respect de la législation du travail, fixé le salaire mensuel de Mme [J], profession de gérant de succursale, à 4 428 euros bruts (salaire minimal conventionnel au 1er janvier 2015) et les dates de début et de fin des relations contractuelles du 1er mars 2003 au 24 novembre 2014, dit que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit que les parties prendront contact entre elles concernant le calcul du rappel des salaires pour en déterminer un décompte précis, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision et d’avoir condamné la société Total Marketing France à payer et porter à Mme [J] les sommes de 13 284 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis qui sera à parfaire lorsque les parties auront procédé au calcul du rappel des salaires que le bureau de jugement met à leur charge, en prenant la moyenne des trois derniers mois de travail, de 1 328,40 euros bruts au titre des congés payés relativement à l’indemnité compensatrice de préavis qui sera à parfaire lorsque les parties auront procédé au calcul du rappel des salaires que le bureau de jugement met à leur charge, de 11 250,80 euros nets (douze mille deux cent cinquante euros et quatre-vingt centimes) (sic) au titre de l’indemnité légale de licenciement qui sera à parfaire lorsque les parties auront procédé au calcul du rappel des salaires que le bureau de jugement met à leur charge, en prenant la moyenne des trois ou des douze derniers mois de travail, selon la plus favorable au salarié, ces sommes avec intérêts de droit à compter de la convocation en bureau de conciliation et d’orientation conformément à l’article 1231-6 du code civil, de 5 000 euros nets au titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, de 40 000 euros nets au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse outre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, d’avoir ordonné le remboursement par la société Total Marketing France des indemnités de chômage payées aux organismes concernés du jour du licenciement de Mme [J] jusqu’à la date du prononcé du jugement, dans la limite de six (6) mois d’indemnités de chômage, enjoignant sous astreinte la société Total Marketing France d’avoir à régulariser la situation de Mme [J] auprès des organismes sociaux au bénéfice desquels seront acquittées les cotisations mentionnées sur le bulletin de paie récapitulatif, et imposé à la société Total Marketing France la remise de divers documents et notamment une attestation Pôle Emploi, le bulletin de paie complémentaire récapitulatif relativement au rappel des salaires et ses accessoires et les congés-payés y afférents, à l’indemnité de préavis et les congés-payés y afférents, l’indemnité légale de licenciement et l’attestation Pôle Emploi définitives ;
AUX MOTIFS QUE les parties s’accordent à dire que le 1er mars 2003 ont été conclus entre la Sarl [J] dont Mme [J] est la gérante et la société Total Marketing France : - d’une part, un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce de station-service situé [Adresse 3], - d’autre part, un contrat de mandat portant sur la distribution des carburants ; que la Sarl [J] assurait, sur le même site, la commercialisation du carburant et la vente de produits de distribution dans une boutique ;
Que la société Total a mis fin aux relations contractuelles le 24 novembre 2014, pour non redistribution de recettes de carburant ; que la liquidation judiciaire de la Sarl [J] a été prononcée le 17 décembre 2014 ; que c’est dans ce cadre qu’est traitée l’admission de la créance déclarée par la société Total ;
Que Mme [J] a saisi la juridiction prud’homale afin de requalifier la relation contractuelle apparente d’une location-gérance et d’un mandat conclus avec la Sarl [J] en un contrat de travail à son profit et d’en voir tirer les conséquences tant sur le plan de l’exécution du contrat de travail (rappels de salaire, dommages-intérêts pour harcèlement moral...), que sur le plan de la rupture du contrat de travail qui vaudra licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Que comme l’a relevé avec pertinence la société appelante, Mme [J] a visé expressément dans ses écritures l’article L.7321-1 du code du travail qui est placé dans une section relative aux gérants de succursales et non pas les dispositions de l’article L.7322-2 relatif aux gérants non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire dont s’est emparé le conseil de prud’hommes ;
Que l’article L.7321-2 du code du travail dispose : « Est gérant de succursale toute personne :
1° Chargée, par le chef d’entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l’entreprise, en vue de recevoir d’eux des dépôts de vêtements ou d’autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;
2° Dont la profession consiste essentiellement :
a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;
b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise » ;
Qu’il est admis que si les conditions posées par cet article sont réunies, la personne bénéficiaire d’un contrat de location gérance que ce soit à titre individuel ou à certaines conditions d’interposition d’une personne morale sera considérée comme un gérant de succursale ;
Que le gérant salarié ne peut, en raison de l’absence de lien de subordination, se voir appliquer l’intégralité des dispositions du code du travail, en raison des conditions particulières de ce contrat ; que seules certaines dispositions sont applicables ;
Qu’à cet égard, l’article L.7321-3 du code du travail dispose que « Le chef d’entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter n’est responsable de l’application aux gérants salariés de succursales des dispositions du livre 1er de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s’il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ;
Que dans le cas contraire, ces gérants sont assimilés à des chefs d’établissement ; que leur sont applicables, dans la mesure où elles s’appliquent aux chefs d’établissement, directeurs ou gérants salariés, les dispositions relatives :
1° Aux relations individuelles de travail prévues à la première partie ;
2° A la négociation collective et aux conventions et accords collectifs de travail prévues au livre II de la deuxième partie ;
3° A la durée du travail, aux repos et aux congés prévus au livre 1er de la troisième partie ;
4° Aux salaires prévus au livre II de la troisième partie ;
5° A la santé et à la sécurité au travail prévues à la quatrième partie » ;
Qu’aux termes de cet article, l’application des dispositions du code du travail régissant la durée du travail ainsi que les conditions d’hygiène et de sécurité ne sont applicables que si celui qui fournit les marchandises fixe les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement ou si celles-ci sont soumises à son accord ;
Qu’il incombe donc à Mme [J] qui veut s’extraire du cadre de la société commerciale dont elle est la gérante de démontrer que nonobstant le contrat de location gérance conclu avec la société Total, les véritables conditions d’exploitation étaient celles d’un gérant de succursale et surtout de démontrer que c’est la société Total qui fixe les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité si elle veut bénéficier en outre de la réglementation avantageuse du code du travail sur la durée du travail, l’hygiène et la sécurité ;
Qu’il ne lui suffit donc pas d’indiquer qu’en sa qualité d’exploitant personne physique de la station-service, elle a entretenu un lien effectif, direct et régulier avec la société Total en exécutant personnellement les prestations découlant de l’exécution du contrat de mandat : réception de la marchandise, affichage des prix dictés par le pétrolier, tenue de la caisse, établissement journalier des comptes carburant, le dépôt en espèces ;
Qu’il est également inopérant de soutenir que la société Total lui a imposé un cadre contractuel fictif en lui imposant de constituer une société commerciale aux seules fins de régulariser un contrat de mandat pour la distribution de carburant et un contrat de location gérance pour exploiter la station-service y compris la boutique ce que Mme [J] dit avoir fait en créant la Sarl [J] avec son époux dont elle a été nommée gérante, ce d’autant plus que la société appelante relève, à juste titre, que Mme [J] n’apporte aucun élément sur les circonstances entourant la signature de ces deux conventions démontrant qu’elle n’a pas librement contracté ;
Que Mme [J] soutient essentiellement que la Sarl [J] ne disposait d’aucune autonomie de direction, de gestion et d’aucune autonomie financière en ce que c’était la société Total : - qui lui avait choisi son expert-comptable, un cabinet juridique et un assureur, - qui lui imposait les licenciements parfois contre son avis, - qui était titulaire des abonnements téléphoniques et EDF, qui contrôlait à distance l’informatique et qui recevait un loyer, - qui encaissait directement les recettes de la distribution carburant payées par carte bancaire et recevait par virement dans les deux jours les autres paiement en chèques de carburant ou les recettes de la boutique et lui versait en début de mois une commission carburant fixe et qui lui imposait l’agencement des produits en boutique ;
Que la société Total soutient que l’exclusivité était circonscrite à la distribution de carburants ; qu’elle ne critique pas le jugement en ce qu’il a retenu que dans ce domaine, elle fixait les prix et encaissait directement les paiements par carte bancaire et que la détaillante était rémunérée par une commission fixe ; qu’elle ne discute pas le fait que cette distribution de carburant se fait dans un local fourni par elle ce qui justifie selon elle que les abonnements d’électricité soient à son nom ;
Qu’afin de faire échec au statut de gérant de succursale, la société Total entend surtout démontrer que l’intimée disposait d’une large autonomie pour la vente des autres produits en boutique qui n’étaient pas fournis par la société Total et que cette vente représentait une part non négligeable de son chiffre d’affaires ;
Que la cour relève que cette affirmation de l’appelante est contredite par les stipulations contractuelles liant les parties ;
Qu’en effet, alors que la société Total assure que la société [J] « vendait des produits et articles pour l’automobile et les automobilistes, produits alimentaires et alcool étrangers à la société Total Marketing France, acquis librement auprès de tiers, référencés ou non par cette dernière, sans obligation de s’approvisionner auprès des fournisseurs référencés » et que l’exploitant est libre de fixer ses prix pour les produits qu’il revend, l’article 3.4.1 du contrat de location-gérance impose à l’exploitant de se fournir exclusivement auprès de la société Total non seulement pour les carburants mais aussi pour les lubrifiants et autres produits pétroliers ; que l’exploitant n’a donc pas le libre choix de ses fournisseurs de lubrifiants ;
Qu’il en est de même pour les produits non pétroliers puisque cette clause stipule que ceux-ci ne doivent pas être commercialisés sous la marque principale d’une société concurrente de la société Total ; que de même sous couvert de préserver sa marque, d’unifier son réseau et de prêter assistance aux membres du réseau, la société Total encadre de fait très fortement la vente de produits non exclusifs ;
Que la société Total convient d’ailleurs imposer un concept boutique et la mise en place d’un matériel et d’une signalétique uniformes et suggérer des fournisseurs référencés dans un catalogue dans le but dit-elle d’offrir des prix compétitifs ;
Que l’intimée communique une instruction donnée le 9 octobre 2014 par la chef de secteur commerce qui illustre la manière dont la société Total impose ses normes d’organisation dans un domaine censé relever de la liberté de l’exploitant : Mme [J] est sommée de fermer la boutique en contravention avec la totale liberté alléguée de fixer ses horaires d’ouverture pour réaménagement de la boutique ; elle se voit imposer la disposition des produits classés selon une liste de produits dits essentiels, un module obligatoire et un module des produits souhaités. Mme [J] est invitée à faire appel à ses commerciaux et à un de ses employés pour épauler le chef de secteur ;
Qu’une seconde illustration du pouvoir de la société Total d’imposer les horaires d’ouverture est fournie par une instruction de travaux relatifs à la distribution de carburant le 29 octobre 2014 ;
Qu’à cet égard, les échanges entre Mme [J] et le cabinet juridique qu’elle a choisi sur les conseils de la société Total mettent en évidence une immixtion de la société dans le pouvoir de direction de la gérante, au-delà du devoir de conseil entre un exploitant et un détaillant puisque la gérante prend contact avec ce cabinet pour connaître le mode d’emploi de dénonciation des majorations de férié que lui a réclamé la société Total ;
Que la cour fait sienne les observations retenues par le premier juge sur le concept de vente imposé par la société Total, la gamme de produits, la présentation de la comptabilité et le port permanent d’une tenue ;
Que contrairement à ce que la société appelante soutient, elle a imposé des normes d’organisation à la société dirigée par Mme [J] non seulement pour la distribution des carburants par application de la clause d’exclusivité mais aussi pour les autres secteurs sous couvert de protection de sa marque en encadrant les sources d’approvisionnement de lubrifiants et de produits non pétroliers, peu important alors que cette part oscille entre 20 % ou 26,4 % du chiffre d’affaire de la société, ce mode de management aboutissant à priver de fait la société [J] de toute autonomie dans l’organisation de la station-service mais aussi de la boutique et à traiter sa dirigeante comme un gérant de succursale placée sous un lien de subordination pour ce qui est de la fixation des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité et donc de lui permettre de bénéficier de la législation applicable aux salariés sur la durée du travail, le repos, les congés, l’hygiène et la sécurité ;
Qu’il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a requalifié la relation contractuelle entre la société Total et la société [J] en une relation de travail entre la société Total et Mme [J] du 1er mars 2003 au 24 novembre 2014 ;
Que s’agissant des conséquences tirées de cette requalification, la cour confirme le jugement :
* sur le rappel de salaire sur la base d’une classification conventionnelle : c’est à bon droit que Mme [J] revendique le salaire minimum de 4 428 euros niveau IV de la convention collective de l’industriel du pétrole, ses fonctions de gérante étant assimilables à celles de cadres de direction titulaires d’une importante délégation de pouvoir, la société Total ne peut pas sérieusement soutenir que le revenu mensuel de référence serait le SMIC compte tenu du niveau d’exigences et de missions dévolues à Mme [J] ;
* sur la durée du travail : Mme [J] soutenant que la station-service était ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 affirme qu’avec le concours de deux employés, elle effectuait 80 heures de travail hebdomadaires et revendique un salaire mensuel de 12 714,47 euros et un rappel de salaire pour une durée de trois années de 746 147,66 euros ;
Que faisant application des règles de preuve en matière de durée du travail tirées de l’article L.3171-4 du code du travail, le conseil de prud’hommes ajustement retenu que les pièces communiquées par Mme [J] étayaient sa demande sur la base d’une durée de travail de 70 h par semaine, compte tenu des horaires d’ouverture de la station ; la société Total convient qu’elle n’est pas mesure de donner des éléments contredisant ceux de Mme [J] ;
Que la cour adopte les indications du conseil de prud’hommes pour calculer le rappel de salaire incluant les heures supplémentaires, les repos compensateurs et les déductions de commissions.
* sur la rupture de la relation contractuelle qui doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse faute d’avoir engagé une procédure de licenciement de sorte que la discussion élevée par la société Total sur l’existence d’une faute grave ou le défaut de restitution des recettes de carburant est inopérante ; il y a lieu de confirmer le montant de l’indemnité de préavis, des congés payés y afférents, de l’indemnité légale de licenciement justement calculés sur le salaire de référence conventionnel retenu et de l’indemnité due au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse en retenant l’ancienneté ;
* sur la non reconnaissance du travail dissimulé faute pour Mme [J] de caractériser l’élément intentionnel de dissimulation chez la société Total ;
* la reconnaissance du harcèlement moral : Mme [J] demande la confirmation du jugement ce qui équivaut à s’en approprier les motifs qui sont : - le fait que la société Total se soit comportée comme un véritable employeur ; - les inspections permanentes des stations-services à l’instar d’un propriétaire ; - le retrait brutal et vexatoire de la gestion d’une des deux stations-service ; - des attestations sur la posture harcelante du chef de secteur ;
Que comme le premier juge, la cour considère que ces éléments sont susceptibles de laisser supposer un tel harcèlement moral et qu’il résulte des motifs de la requalification contractuelle que la société Total s’est immiscée dans la gestion de la société [J] d’une manière qui a eu pour effet de dégrader les conditions de travail de Mme [J] et que la société appelante ne justifie pas d’éléments objectifs justifiant de tels agissements ;
1) ALORS QUE le bénéfice du statut de gérant de succursale prévu par l’article L.7321-2 du code du travail est incompatible avec l’existence d’un lien de subordination ; qu’en retenant la mise en oeuvre des dispositions de l’article L.7321-2 du code du travail après avoir relevé l’existence un lien de subordination, la cour d’appel a violé les articles L.7321-2 et L.1121-1 du code du travail ;
2) ALORS QUE subsidiairement, le statut de gérant de succursale est exclusif d’un contrat de travail ; qu’en l’absence de lien de subordination, le gérant de succursale n’est pas un salarié et ne peut relever de dispositions conventionnelles relatives à la classification des emplois, pas plus qu’il ne peut prétendre à un statut de cadre ; qu’en disant que Mme [J] pouvait se prévaloir d’une classification conventionnelle sur le fondement de la convention collective nationale de l’industrie du pétrole, ainsi que d’une rémunération conventionnelle, la cour d’appel a violé les articles L.7321-1 et suivants du code du travail ;
3) ALORS QUE l’activité essentielle de celui qui invoque le bénéfice des articles L.7321-1 et suivants du code du travail, et qui permet d’apprécier son degré de dépendance économique, se détermine au regard des seuls revenus de l’exploitant, au regard de la proportion des revenus tirés de l’activité relevant du champ d’application des dispositions précitées, comparée à ceux tirés des activités de diversification et non exclusives ; qu’en retenant que, s’agissant des produits autres que le carburant, à savoir les lubrifiants et produits non pétroliers, il importait peu que la part du chiffre d’affaires de la société [J] oscille entre 20 % ou 26,4 % du chiffre d’affaire de la société, quand cette constatation était de nature à exclure l ?application du statut de gérant de succursale, la cour d’appel a statué par une motivation inopérante et violé l’article L.7321-2 du code du travail ;
4) ALORS QUE subsidiairement, les bénéficiaires du statut de gérant de succursales peuvent notamment revendiquer l’application des dispositions du livre 1er de la troisième partie du code du travail relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relative à la santé et à la sécurité au travail, pour autant que le chef d’entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; qu’en se bornant à énoncer que des normes d’organisation avaient été imposées à Mme [J] et que cette dernière avait en conséquence été traitée comme un gérant de succursale placée sous un lien de subordination pour ce qui est de la fixation des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité , sans constater que les conditions de santé et de sécurité au travail avaient effectivement été imposées par la société Total Marketing France, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.7321-3 du code du travail ;
5) ALORS QUE subsidiairement, l’article L.7321-3 alinéa 1 du code du travail n’est applicable que dans l’hypothèse où le chef d’entreprise qui fournit les marchandises, a fixé les conditions de travail, de santé, et de sécurité du travail dans l’établissement, ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; que la société Total Marketing Services avait fait valoir dans ses conclusions d’appel que Mme [J] recrutait son personnel et qu’elle était libre d’organiser ses congés et son temps de repos, ainsi que ses heures de présence, ses jours de travail, ou encore la répartition du travail entre elle et les salariés de la société [J] (conclusions, p. 30 à 32) ; qu’en ne s’expliquant pas sur ces moyens, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civil ;
6) ALORS QUE subsidiairement, la société Total Marketing France avait soutenu qu’il n’était pas démontré que Mme [J] était dans l’impossibilité d’exercer son droit à congé annuel, notamment du fait de la présence de salariés au sein de l’exploitation, pour en déduire qu’elle ne pouvait réclamer ni une indemnisation au titre d’une impossibilité d’exercer ses congés, ni une indemnité de congés payés qui n’est due que quand des congés prévus n’ont pas été pris (conclusions p. 36) ; qu’en ne s’expliquant pas sur ce moyen, la cour d’appel a encore méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
7) ALORS QUE subsidiairement, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que la société Total Marketing France avait valoir que Mme [J] était seule à l’origine de ses dettes d’exploitation ; qu’en retenant une dégradation des conditions de travail de Mme [J], sans constater qu’il avait été porté atteinte à ses droits et à sa dignité, ou que sa santé physique ou mentale avaient été altérées ou que son avenir professionnel avait été compromis, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.1152-1 du code du travail ;
8) ALORS QUE le gérant de succursale qui a cotisé au régime des travailleurs indépendants antérieurement à la reconnaissance de ce statut, ne peut pas obtenir de régularisation de cotisations auprès d’organismes sociaux relevant d’un autre régime, à quelque titre que ce soit ; qu’en enjoignant à la société Total Marketing France de régulariser la situation de Mme [J] auprès des organismes sociaux au bénéfice desquels seront acquittées les cotisations mentionnées sur le bulletin de paie récapitulatif et par suite notamment, de rembourser des allocations de chômage, sans s’expliquer sur les conclusions de la société Total Marketing France qui avait fait valoir que l’affiliation de Mme [J] au régime social des indépendants n’était pas compatible avec le versement de cotisations à un autre régime pour une même période (conclusions, p. 38), la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
9) ALORS QUE la société Total Marketing France avait fait valoir dans ses conclusions que le gérant de succursale est personnellement responsable de la restitution des recettes, fondant sur ce principe la demande de compensation entre lesdites recettes et les sommes qu’elle pourrait être condamnée à payer sur le fondement du statut de gérant de succursale s’il était accordé à Mme [J] (conclusions, p. 49) ; qu’en ne s’expliquant pas sur ce moyen, la cour d’appel a derechef méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00726