Décision de principe - vente de produits téléphoniques - le statut d’ordre public de gérant de succursale qui est reconnu interdit la compensation financère

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 février 2020, 18-10.790 18-10.842, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre commerciale

N° de pourvoi : 18-10.790, 18-10.842
ECLI:FR:CCASS:2020:CO00202
Publié au bulletin
Solution : Cassation partielle

Audience publique du mercredi 12 février 2020
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 11 octobre 2017

Président
Mme Mouillard
Avocat(s)
SCP Bénabent, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

COMM.

LG

COUR DE CASSATION


Audience publique du 12 février 2020

Rabat d’arrêt et Cassation partielle
sans renvoi

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 202 FP-P+B+R

Pourvois n°
A 18-10.790
H 18-10.842 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 FÉVRIER 2020

I. 1°/ M. E... H..., domicilié [...],

2°/ la société Electronique occitane, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...],

ont formé le pourvoi n° A 18-10.790 contre l’arrêt (n° RG : 15/22922) rendu le 11 octobre 2017 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l’opposant à la Société française du radiotéléphone (SFR), société anonyme, dont le siège est [...],

défenderesse à la cassation.

II. La Société française du radiotéléphone (SFR), société anonyme, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° H 18-10.842 contre le même arrêt rendu dans le litige l’opposant :

1°/ la société Electronique occitane, société à responsabilité limitée,

2°/ M. E... H...,

défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs au pourvoi n° A 18-10.790 invoquent, à l’appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi n° H 18-10.842 invoque, à l’appui de son recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la Société française du radiotéléphone, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. H... et de la société Electronique occitane, et l’avis de Mme Beaudonnet, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s’ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l’audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, M. Guérin, Mmes Vallansan, Darbois, Poillot-Peruzzetto, M. Remeniéras, Mmes Graff-Daudret, Vaissette, Bélaval, Pomonti, Fontaine, Champalaune, Daubigney, Sudre, Mme Michel-Amsellem, Mme Fèvre, M. Riffaud, Mme Boisselet, M. Mollard, conseillers, Mme Le Bras, M. Guerlot, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, M. Blanc, Mmes Kass-Danno, Lion, conseillers référendaires, Mme Beaudonnet, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre.

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Sur le rabat d’office de l’arrêt n° 972 FP P+B+R rendu le 11 décembre 2019 par la chambre commerciale, financière et économique

Vu les avis donnés aux parties et au ministère public :

1. Cet arrêt est entaché d’une erreur de procédure, non imputable aux parties, en ce que l’avis qui a été délivré aux parties en application de l’article 1015 du code de procédure civile ne faisait état que de la possibilité qu’un moyen soit relevé d’office, sans préciser qu’en ce cas, il était envisagé de casser l’arrêt sans renvoi et de statuer au fond sur la demande formée par la Société française du radiotéléphone.

2. Il y a lieu de rabattre cet arrêt et de statuer à nouveau.

Jonction

3. En raison de leur connexité, les pourvois n° 18-10.790 et 18-10.842 sont joints.

Faits et procédure

4. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 octobre 2017), la Société française du radiotéléphone (la société SFR) a conclu les 31 mai 1996, 11 janvier 2002 et 30 décembre 2005 des contrats de distribution de ses produits et services avec la société Electronique occitane, dont le gérant est M. H.... Il a été mis fin à ce groupe de contrats le 31 décembre 2008. Un arrêt du 25 septembre 2012, devenu irrévocable sur ce point, a reconnu à M. H... le statut de gérant de succursale et a condamné la société SFR à lui payer diverses sommes, notamment des rappels de salaire de janvier 2004 à décembre 2005 et les congés payés afférents ainsi que des indemnités de rupture. La société SFR a assigné la société Electronique occitane et M. H... en annulation des contrats de distribution, à titre subsidiaire, en résolution de ces contrats pour inexécution par la société Electronique occitane de ses obligations contractuelles et, plus subsidiairement, en réparation du préjudice causé par les manquements contractuels de la société Electronique occitane, facilités par M. H..., correspondant au montant des sommes versées à ce dernier en exécution des décisions de justice.

Sur le premier moyen du pourvoi n° 18-10.842

Enoncé du moyen

5. La société SFR fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’annulation pour erreur sur la personne alors « que l’erreur qui tombe sur la personne avec laquelle on a l’intention de contracter est une cause de nullité de la convention dès lors que la considération de cette personne est la cause principale de la convention ; que l’erreur sur la personne peut porter sur les qualités essentielles de celle-ci ; que la qualité de personne morale est essentielle lorsqu’une partie a eu intention de contracter avec une société en raison de sa réputation et de son expérience ; qu’en l’espèce, après avoir observé qu’il ressortait des dispositions contractuelles liant la société SFR et la société Electronique occitane « que la société SFR [avait] entendu souscrire les contrats de distribution avec la société Electronique occitane, représentée par M. E... H..., son gérant », la cour d’appel a néanmoins cru pouvoir en déduire qu’aucune erreur sur la personne de son cocontractant n’avait vicié le consentement de la société SFR lorsqu’elle avait contracté avec Electronique occitane ; qu’en statuant ainsi, lorsqu’il s’inférait de ses propres constatations que la société SFR n’avait pas entendu contracter avec M. H..., pris en sa qualité de personne physique, mais uniquement avec la société Electronique occitane représentée par son gérant M. H..., la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 1110 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir énoncé que les conditions de l’exécution ultérieure du contrat ne peuvent constituer un élément caractérisant l’erreur sur le consentement au moment de la conclusion du contrat et relevé que le contrat de distribution conclu entre la société SFR et la société Electronique occitane stipulait qu’il était « conclu intuitu personae en considération de la personne morale de la société [Electronique occitane] ainsi qu’en considération de son dirigeant » et qu’en conséquence, il « ne pourra[it] être cédé en tout ou partie, sans l’accord préalable, exprès et écrit de SFR », l’arrêt retient que la société SFR a entendu souscrire les contrats de distribution avec la société Electronique occitane, représentée par M. H..., son gérant.

7. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel a exactement déduit qu’aucune erreur n’avait été commise par la société SFR sur la personne de son cocontractant.

8. Par conséquent, le moyen n’est pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d’office

9. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l’article 620, alinéa 2, du code de procédure civile.

Vu les articles L. 7321-1 à L. 7321-5 du code du travail :

10. Lorsqu’un fournisseur a conclu avec une personne morale un contrat pour la distribution de ses produits et que le statut de gérant de succursale est reconnu au dirigeant de cette personne, le fournisseur, condamné à payer à ce dernier les sommes qui lui étaient dues en application de ce statut d’ordre public, auquel il ne peut être porté atteinte, même indirectement, n’est pas admis à réclamer à la personne morale, fût-ce pour partie, le reversement des sommes ayant rémunéré les prestations qu’elle a effectuées en exécution du contrat de distribution.

11. Pour condamner la société Electronique occitane à payer à la société SFR des dommages-intérêts correspondant aux rappels de salaires et congés payés versés par cette dernière à M. H..., outre les charges patronales, en exécution de l’arrêt rendu le 25 septembre 2012 lui ayant reconnu le statut de gérant de succursale, l’arrêt retient que la société SFR a ainsi dû payer deux fois les mêmes prestations et que si la société Electronique occitane avait exécuté l’ensemble des obligations qui lui revenaient, le statut de gérant de succursale n’aurait pas été reconnu à son gérant et la société SFR n’aurait pas été condamnée au paiement de ces sommes.

12. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. En effet, la cassation prononcée n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond par une cour d’appel.

15. Le principe énoncé ci-avant conduit au rejet des demandes formées par la société SFR.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

RABAT l’arrêt n° 972 FP P+B+R rendu le 11 décembre 2019 ;

Et statuant à nouveau :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Electronique occitane à payer à la Société française du radiotéléphone la somme de 92 473,43 euros au titre du préjudice subi et statue sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 11 octobre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande formée par la Société française du radiotéléphone en réparation de son préjudice ;

Condamne la Société française du radiotéléphone aux dépens, incluant ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société française du radiotéléphone et la condamne à payer à la société Electronique occitane et à M. H... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt rabattu ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. H... et la société Electronique occitane pour les demandeurs au pourvoi n° A 18-10.790

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné la société Electronique Occitane à verser à la société SFR la somme de 92 473,43 euros en réparation du préjudice subi ;

AUX MOTIFS QUE la société SFR sollicite le paiement de la somme de 155 637,18 euros :
 au titre de la perte subie à l’occasion des condamnations prononcées à son encontre par les juridictions sociales :
• 68 884 euros à titre de rappel de salaires majoré des intérêts au taux légal (1 176,62 euros),
• 6 888 euros au titre des congés payés afférents,
• 9 567,22 euros (8 697,48 + 869,74) au titre du préavis non donné et des congés payés afférents,
• 18 724,98 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
• 9 393,27 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
 au titre des charges sociales patronales supportées par elle dans le cadre de l’exécution des arrêts de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation : 16 701,43 euros ;
qu’il ressort des éléments du dossier que la société Electronique Occitane a été rémunérée par la société SFR, en vertu du contrat de distribution signé entre elles, pour des prestations qui ont justifié par ailleurs les salaires et primes perçues par Monsieur E... H... en exécution de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25 septembre 2012, reconnaissant à ce dernier le statut de gérant de succursale ; que la société Electronique Occitane a perçu des rémunérations de la société SFR pour l’exécution de prestations réalisées pour partie par une personne dont le statut de gérant de succursale de la société SFR a été reconnu ; qu’en effet, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris du 25 septembre 2012 a retenu que Monsieur E... H... assurait la gestion du magasin pour distribuer des services SFR ; que ces prestations, pour lesquelles il a perçu des salaires, ont fait l’objet d’une rémunération, par la société SFR, également de la société Electronique Occitane ; que la société SFR a ainsi payé pour la réalisation des mêmes prestations des salaires et une rémunération de la société ; que la société Electronique Occitane doit donc restituer à la société SFR les sommes qu’elle a acquittées à titre de paiement des salaires et charges sociales patronales, versées en exécution de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25 septembre 2012, alors qu’elle avait déjà rémunéré ces prestations auprès de la société Electronique Occitane, en vertu du contrat les liant ; qu’en conséquence, il y a lieu de condamner la société Electronique Occitane à verser à la société SFR la somme de 92 473,43 euros, correspondant aux sommes acquittées par la société SFR au titre des salaires et congés payés, à savoir les somme de :
 68 884 euros à titre de rappel de salaires majoré des intérêts au taux légal (1 176,62 euros),
 6 888 euros au titre des congés payés afférents,
 16 701,43 euros au titre des charges sociales patronales ;

ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTES QUE par arrêts du 25 septembre 2012 et du 12 février 2014, la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ont reconnu à Monsieur H... le statut de gérant de succursale et lui ont alloué une somme totale de 155 637,18 € à titre de rappel de salaires et de charges afférentes ; que les contrats de distribution ont été exécutés et que les factures correspondantes ont été réglées en contrepartie du travail d’Occitane et de Monsieur H... ; que Monsieur H..., en sa qualité de gérant et d’actionnaire important d’Occitane, ne pouvait ignorer les conséquences financières d’une procédure de requalification qui lui reconnaîtrait le statut de gérant de succursale SFR, alors même qu’il avait été rémunéré pour ses fonctions de gérant au sein d’Occitane ; qu’en exécution des deux arrêts précités, SFR a déboursé la somme de 155 637,18 € au bénéfice de Monsieur H... et que la principale conséquence non prévue par les parties lors de la signature du contrat distributeur entraîne un déséquilibre du contrat initial, SFR ayant payé Occitane et Monsieur H... deux fois pour les mêmes prestations sans que cela soit justifié par une obligation contractuelle différente de celle issue du contrat distributeur, alors que nul ne peut s’enrichir sans cause ; qu’il n’est pas contestable que si Occitane avait exécuté l’ensemble des obligations qui lui revenaient, les hautes juridictions n’auraient pas reconnu à son gérant le statut de gérant de succursale et n’auraient pas condamné SFR ; que la responsabilité contractuelle d’Occitane est engagée pour non-exécution de ses obligations contractuelles ;

1° ALORS QUE les motifs d’une décision juridictionnelle doivent permettre de déterminer, suivant une interprétation raisonnable, son fondement juridique ; qu’en condamnant l’exposante à restituer à la société SFR les sommes que celle-ci avait été condamnée à verser à M. H... en application de son statut de gérant de succursale, sans que sa motivation ne permette de déterminer si elle s’est fondée sur les règles relatives à la responsabilité contractuelle, à la répétition de l’indu ou à l’enrichissement, la cour d’appel a violé les articles 12 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

2° ALORS QU’en toute hypothèse, seules les sommes payées sans être dues ou devenues indues sont sujettes à restitution ; qu’en condamnant l’exposante à restituer à la société SFR les sommes que celle-ci avait été condamnée à verser à M. H... en application de son statut de gérant de succursale, quand elle constatait pourtant elle-même que ces sommes avaient été mises à la charge de la société SFR par une décision de justice irrévocable ayant reconnu à M. H... le statut de gérant d’une succursale de la société SFR, de sorte que leur paiement, qui trouvait sa cause dans la loi dont cette décision avait fait application, ne pouvait incomber qu’à cette dernière, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1235 et 1376 du code civil, dans leur version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3° ALORS QU’en toute hypothèse, l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut être dirigée que contre celui dont il est prétendu qu’il s’est enrichi ; qu’en retenant, pour condamner l’exposante à restituer à la société SFR les sommes que celle-ci avait été condamnée à verser à M. H... en application de son statut de gérant de succursale que « SFR a[vait] payé Occitane et Monsieur H... deux fois pour les mêmes prestations sans que cela soit justifié par une obligation contractuelle différente de celle issue du contrat distributeur, alors que nul ne peut s’enrichir sans cause » (jugement, p. 9, al. 4), quand il n’était pas contesté que l’exposante n’avait pas bénéficié des sommes que la société SFR avait été condamnée à verser à M. H..., la cour d’appel a violé l’article 1371 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4° ALORS QU’en toute hypothèse, seule est source de responsabilité la faute qui a causé un dommage ; qu’en se bornant à retenir, pour condamner la société Electronique Occitane à indemniser la société SFR du montant des rappels de salaires, congés payés et charges patronales que celle-ci avait été personnellement condamnée à payer à son gérant, M. H..., en exécution de la décision de justice irrévocable lui ayant reconnu le statut de gérant de succursale, que la société SFR avait ainsi dû payer deux fois les mêmes prestations, sans constater que la reconnaissance de ce statut et la condamnation prononcée sur ce fondement aurait résulté d’un manquement imputable à l’exposante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

5° ALORS QU’en toute hypothèse, l’application du statut de gérant de succursale au gérant de la personne morale ayant contracté avec un fournisseur n’est pas subordonnée à l’inexécution, par la personne morale, de ses obligations contractuelles ; qu’en retenant par motifs adoptés, que « si Occitane avait exécuté l’ensemble des obligations qui lui revenaient, les hautes juridictions n’auraient pas reconnu à son gérant le statut de gérant de succursale et n’auraient pas condamné SFR » (jugement, p. 9, al. 5), quand une telle reconnaissance n’impliquait pas légalement l’inexécution de ses obligations contractuelles par la société Electronique Occitane, la cour d’appel a violé l’article L. 7321-2 du code du travail ;

6° ALORS QU’en toute hypothèse, seule est source de responsabilité la faute qui a causé un dommage ; qu’en affirmant, pour condamner la société Electronique Occitane à indemniser la société SFR du montant des rappels de salaires, congés payés et charges patronales que celle-ci avait été personnellement condamnée à payer à son gérant, M. H..., en exécution de la décision de justice irrévocable lui ayant reconnu le statut de gérant de succursale, que « si Occitane avait exécuté l’ensemble des obligations qui lui revenaient, les hautes juridictions n’auraient pas reconnu à son gérant le statut de gérant de succursale et n’auraient pas condamné SFR », sans rechercher si la société SFR n’était pas seule à l’origine du montage ayant justifié l’application du statut de gérant de succursale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

7° ALORS QU’en toute hypothèse une société est fondée à confier à son gérant l’exécution des obligations qu’elle a souscrites, de sorte que l’exécution de ses obligations par celui-ci est valable ; qu’en retenant que « si Occitane avait exécuté l’ensemble des obligations qui lui revenaient, les hautes juridictions n’auraient pas reconnu à son gérant le statut de gérant de succursale et n’auraient pas condamné SFR », quand la seule faute qui lui était reprochée par la société SFR était d’avoir confié à M. H..., son gérant, l’exécution des prestations mises à sa charge par les contrats de distribution conclus par les parties, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’existence d’une faute imputable à l’exposante, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la Société française du radiotéléphone (SFR), demanderesse au pourvoi n° H 18-10.842

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, d’avoir débouté la SA Société Française du Radiotéléphone – SFR de sa demande tendant à voir prononcer la nullité des contrats de distribution pour erreur sur la personne.

AUX MOTIFS QUE : « Sur la nullité pour erreur sur la personne

que la société SFR soutient qu’en concluant les contrats de distribution, elle avait l’intention de contracter avec la société Electronique Occitane, en considération de ses qualités affichées, et en aucun cas avec Monsieur H... ; qu’elle en conclut que seule la société Electronique Occitane devait exécuter le contrat ; qu’elle relève qu’elle n’aurait pas conclu les contrats de distribution si elle avait été informée que ceux-ci ne seraient pas exécutés par la société Electronique Occitane mais par une personne physique non partie au contrat, tel que cela ressort de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 septembre 2012, confirmé par la Cour de cassation ;

que la société Electronique Occitane indique que le contrat a été conclu en considération de Monsieur E... H..., dès lors que son engagement était prépondérant dans l’exécution du contrat et que sa personnalité était essentielle dans la formation du contrat ; qu’elle relève par ailleurs que la société SFR n’a pas été trompée sur la personne avec laquelle elle a contracté ; qu’elle ajoute que le contrat a été rédigé par la société SFR ;

que l’article 1110 ancien du code civil, applicable aux contrats dont il est question, dispose que l’erreur "n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a l’intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention" ;

qu’en l’espèce, le contrat liant les parties précise clairement les rôles et fonctions de chacun ; que les différents contrats mentionnent que la société Electronique Occitane est représentée par Monsieur E... H..., son gérant ; que par ailleurs, aux articles 18 du contrat ESE et du contrat distributeur, il est stipulé que "le présent contrat est conclu intuitu personae en considération de la personne morale de l’ESPACE ENTREPRISES ainsi qu’en considération de son dirigeant ; qu’en conséquence, le présent contrat ne pourra être cédé en tout ou partie, sans l’accord préalable, exprès et écrit de SFR" ;

qu’il ressort de ces dispositions contractuelles que la société SFR a entendu souscrire les contrats de distribution avec la société Electronique Occitane, représentée par Monsieur E... H..., son gérant ; qu’aucune erreur n’a été commise sur le cocontractant de la société SFR ; qu’en outre, les conditions de l’exécution ultérieure du contrat ne peuvent constituer un élément caractérisant l’erreur sur le consentement au moment de la conclusion du contrat ;

qu’il y a donc lieu de rejeter la demande de ce chef ;

qu’il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « Occitane était le seul contractant de SFR, comme le démontre clairement le contrat distributeur signé entre SFR et la société Electronique Occitane "représentée par son gérant M. H... en qualité de gérant, ci-après dénommé le distributeur" ;

que si le contrat a été conclu "intuitu personae en considération de la personne morale du distributeur ainsi qu’en considération de son dirigeant", la volonté de SFR était bien de conclure avec Occitane, en tenant compte de la personnalité du dirigeant ;

que SFR, ayant l’intention de conclure avec Occitane et non avec Monsieur H... pris individuellement, n’a pas été victime d’une erreur sur la personne morale contractante ni sur la cause de son engagement ;

que le tribunal déboutera SFR de sa demande de prononcer la nullité des contrats de distribution pour erreur sur la personne et défaut de cause » ;

ALORS QUE l’erreur qui tombe sur la personne avec laquelle on a l’intention de contracter est une cause de nullité de la convention dès lors que la considération de cette personne est la cause principale de la convention ; que l’erreur sur la personne peut porter sur les qualités essentielles de celle-ci ; que la qualité de personne morale est essentielle lorsqu’une partie a eu intention de contracter avec une société en raison de sa réputation et de son expérience ; qu’en l’espèce, après avoir observé qu’il ressortait des dispositions contractuelles liant la société SFR et la société Electronique Occitane « que la société SFR [avait] entendu souscrire les contrats de distribution avec la société Electronique Occitane, représentée par Monsieur E... H..., son gérant » (v. arrêt attaqué p. 8, § 6), la Cour d’appel a néanmoins cru pouvoir en déduire qu’aucune erreur sur la personne de son cocontractant n’avait vicié le consentement de la société SFR lorsqu’elle avait contracté avec Electronic Occitaine ; qu’en statuant ainsi, lorsqu’il s’inférait de ses propres constatations que la société SFR n’avait pas entendu contracter avec Monsieur H..., pris en sa qualité de personne physique, mais uniquement avec la société Electronique Occitane représentée par son gérant Monsieur H..., la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 1110 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait condamné in solidum la SARL Electronique Occitane et M. E... H... à payer à la société SFR la somme de 155 637,18 euros au titre du préjudice subi et, statuant à nouveau de ce chef, d’avoir condamné la SARL Electronique Occitane à payer à la société SFR la seule somme de 92 473,43 euros au titre du préjudice subi et rejeté les demandes formées par SFR à l’encontre de M. H... ;

AUX MOTIFS QUE sur le fond : la société SFR sollicite le paiement de la somme de 155 637,18 euros :

 au titre de la perte subie à l’occasion des condamnations prononcées à son encontre par les juridictions sociales :

*68 884 euros à titre de rappel de salaires majoré des intérêts au taux légal (1 176,62 euros),
*6 888 euros au titre des congés payés afférents,
*9 567,22 euros (8 697,48 + 869,74) au titre du préavis non donné et des congés payés afférents,
*18 724,98 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
*9 393,27 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

 au titre des charges sociales patronales supportées par elle dans le cadre de l’exécution des arrêts de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation, 16 7.01,43 euros,

qu’elle explique que sa condamnation à payer des salaires à M. E... H... pour réaliser les prestations qu’elle a payées en vertu des contrats de distribution, a pour conséquence de permettre à M. E... H... d’avoir perçu un double salaire pour une seule et même prestation, la société Electronique Occitane lui ayant versé des salaires au titre de ces prestations ;

que la société Electronique Occitane conteste que des fautes aient été commises, et précise que la rémunération perçue de sa part par M. E... H... ne correspond qu’à l’exercice de son mandat social ; qu’elle relève que seule la somme de 68 884 euros a été versée par la société SFR, en vertu de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, à titre de salaire ;

qu’il ressort des éléments du dossier que la société Electronique Occitane a été rémunérée par la société SFR, en vertu du contrat de distribution signé entre elles, pour des prestations qui ont justifié par ailleurs les salaires et primes perçues par M. E... H... en exécution de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25 septembre 2012, reconnaissant à ce dernier le statut de gérant de succursale ;

que la société Electronique Occitane a perçu des rémunérations de la société SFR pour l’exécution de prestations réalisées pour partie par une personne dont le statut de gérant de succursale de la société SFR a été reconnu ; qu’en effet, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25 septembre 2012 a retenu que M. E... H... assurait la gestion du magasin pour distribuer des services SFR ; que ces prestations, pour lesquelles il a perçu des salaires ont fait l’objet d’une rémunération, par la société SFR, également de la société Electronique Occitane ; que la société SFR a ainsi payé pour la réalisation des mêmes prestations des salaires et une rémunération de la société ;

que la société SFR reproche à M. E... H... d’avoir participé à la réalisation de son préjudice ; qu’or, la reconnaissance ultérieure du gérant de succursale ne peut constituer une faute ayant causé le préjudice reconnu à la société SFR dans le cadre de cette instance ;

que la société Electronique Occitane doit dont restituer à la société SFR les sommes qu’elle a acquittées à titre de paiement des salaires et charges sociales patronales, versées en exécution de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25 septembre 2012, alors qu’elle avait déjà rémunéré ces prestations auprès de la société Electronique Occitane, en vertu du contrat les liant ;

qu’en conséquence, il y a lieu de condamner la société Electronique Occitane à verser à la société SFR la somme de 92 473,43 euros, correspondant aux sommes acquittées par la société SFR au titre des salaires et congés payés, à savoir les sommes de :

*68 884 euros à titre de rappel de salaires majoré des intérêts au taux légal (1 176,62 euros),
*6 888 euros au titre des congés payés afférents,
*16 701,43 euros au titre des charges sociales patronales ;

qu’en revanche, s’agissant des demandes formées au titre du préavis non donné et des congés payés afférents, d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d’indemnité conventionnelle de licenciement, ces sommes ne sont pas liées à l’exécution par M. E... H... de prestations payées par la société SFR en vertu du contrat, mais sont la conséquence d’un licenciement reconnu entre la société SFR et M. E... H..., qui ne concerne pas la société Electronique Occitane ;

qu’en conséquence, il y a lieu d’infirmer le jugement en ce qu’il a condamné in solidum la SARL Electronique Occitane et M. E... H... à payer à la société SFR la somme de 155 637,18 euros à titre du préjudice subi ;

que, statuant à nouveau, il y a lieu de condamner la SARL Electronique Occitane à payer à la société SFR la somme de 92 473,43 euros à titre du préjudice subi ;

que compte-tenu du sens de la décision, il n’y a pas lieu d’ordonner la communication des pièces sollicitées par la SARL Electronique Occitane et M. E... H... ;

1°/ ALORS QUE toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction ; qu’en l’espèce, pour infirmer le jugement entrepris en ce qu’il avait retenu que M. H... avait engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de la société SFR, la Cour d’appel s’est bornée à observer que « la reconnaissance ultérieure du [statut de] gérant de succursale ne peut constituer une faute ayant causé le préjudice reconnu à la société SFR dans le cadre de cette instance » (v. arrêt attaqué, p. 12, § 2) ; qu’en se bornant ainsi à retenir que la procédure en requalification intentée par M. H... ne pouvait engager sa responsabilité délictuelle à l’égard de la société SFR, sans aucunement s’expliquer sur le concours M. H... aux inexécutions contractuelles de la société Electronique Occitane invoqué par la société SFR (v. production n° 2, pp.48-49), la Cour d’appel a statué par des motifs impropres à exclure l’existence d’une faute de Monsieur H..., privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article 1382 [devenu 1240] du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause.

2°/ ALORS QUE l’inexécution d’une convention expose le débiteur à réparer les préjudices du créancier qui en sont la conséquence immédiate et directe ; qu’en l’espèce, après avoir constaté que la société Electronique Occitane avait perçu de la société SFR des rémunérations pour des prestations en réalité exécutées par M. H..., lequel avait de ce fait obtenu du Conseil des Prud’hommes le statut de gérant de succursale et la condamnation de la société SFR à lui verser des rappels de salaire et de congés payés, des indemnités au titre du préavis non donné et des indemnités de licenciement, la Cour d’appel a néanmoins débouté la société SFR de sa demande de dommages et intérêts formée au titre des sommes versées à M. H... pour le préavis non donné, les congés afférents et les indemnités de licenciement, en se bornant à affirmer que : « ces sommes ne sont pas liées à l’exécution par M. E... H... de prestations payées par la société SFR en vertu du contrat, mais sont la conséquence d’un licenciement reconnu entre la société SFR et M. E... H..., qui ne concerne pas la société Electronique Occitane » (v. arrêt attaqué, p. 12, § 5) ; qu’en statuant ainsi, sans préciser en quoi les préjudices allégués n’étaient pas suffisamment liés à l’exécution, par M. H..., des prestations que la société Electronique Occitane s’était contractuellement engagée à exécuter, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1151 du code civil, dans leurs rédactions applicables à la cause.