Droit à l’image et TVA due par l’agence de mannequins

Cour Administrative d’Appel de Paris

N° 04PA03365

Inédit au recueil Lebon

2ème Chambre - formation B

M. ESTEVE, président

Mme Cécile ISIDORO, rapporteur

M. BATAILLE, commissaire du gouvernement

DHALUIN, avocat(s)

lecture du vendredi 2 février 2007

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 8 septembre 2004, présentée pour la société FORD MODEL’S FRANCE, dont le siège est situé 142, Green Street 10012 à New-York (Etats-Unis), par la SCP Dhalluin Maubant Vibert ; la société FORD MODEL’S FRANCE demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n°9717000 du 8 juin 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1995 par avis de mise en recouvrement du 9 août 1996 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions contestées et des pénalités y afférentes ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat les dépens en application de l’article R. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n°99-1173 du 30 décembre 1999 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 19 janvier 2007 :

"-" le rapport de Mme Isidoro, rapporteur,

"-" et les conclusions de M. Bataille, commissaire du gouvernement ;

Considérant que la société FORD MODEL’S FRANCE relève régulièrement appel du jugement en date du 8 juin 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1995 par avis de mise en recouvrement du 9 août 1996 ;

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

Considérant qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement… par un tribunal… qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;

Considérant qu’aux termes de l’article R.*256-1 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : « L’avis de mise en recouvrement prévu à l’article L. 256 comporte : 1°Les indications nécessaires à la connaissance des droits, taxes, redevances, impositions ou autres sommes qui font l’objet de cet avis ; 2°Les éléments du calcul et le montant des droits et des pénalités, indemnités ou intérêts de retard, qui constituent la créance. Toutefois, les éléments du calcul peuvent être remplacés par le renvoi au document sur lequel ils figurent lorsque ce document a été établi ou signé par le contribuable ou son mandataire ou lui a été notifié antérieurement. De même, ils n’ont pas à être portés lorsque le contribuable n’a pas fait la déclaration nécessaire au calcul des droits. » ; et qu’aux termes de l’article 25 de la loi du 30 décembre 1999 susvisée : « II. … B. Sont réputés réguliers, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les avis de mise en recouvrement émis à la suite de notifications de redressement effectuées avant le 1er janvier 2000 en tant qu’ils seraient contestés par le moyen tiré de ce qu’ils se référeraient, pour ce qui concerne les informations mentionnées à l’article R.*256-1 du livre des procédures fiscales, à la seule notification de redressement. » ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que l’avis de mise en recouvrement en date du 9 août 1996 adressé à la société FORD MODEL’S FRANCE se réfère, pour les informations mentionnées à l’article R.*256-1 du livre précité, à la notification de redressements en date du 11 décembre 1995 qui a régulièrement été notifiée à la société ; qu’ainsi, il est réputé régulier au sens du II-B de l’article 25 de la loi du 30 décembre 1999 susvisée,

Considérant, en deuxième lieu, que les litiges relatifs à l’assiette des impôts et taxes ne sont pas visés par les stipulations précitées de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’ainsi, la société FORD MODEL’S FRANCE ne peut utilement invoquer ces stipulations en tant que sa contestation porte sur les droits principaux de taxe sur la valeur ajoutée compris dans l’avis de mise en recouvrement du 9 août 1996 ;

Considérant, en troisième lieu, que les stipulations précitées de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne font pas obstacle à l’application à des litiges en cours d’instance juridictionnelle de dispositions législatives à portée rétroactive dont la conséquence est la validation d’actes faisant l’objet de ces litiges, lorsque l’intervention desdites dispositions est justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général ; qu’eu égard au montant très élevé des droits et pénalités ayant donné lieu à l’émission d’avis de mise en recouvrement renvoyant à la seule notification de redressement initiale, alors que les éléments figurant dans celle-ci avaient ultérieurement été réduits, ainsi qu’au trouble susceptible de résulter, pour les services publics fiscaux et juridictionnels, d’une multiplication des réclamations motivées par l’irrégularité de ces avis au regard des prescriptions de l’article R.*256-1 du livre des procédures fiscales, l’intervention des dispositions plus haut citées du II-B de l’article 25 de la loi du 30 décembre 1999, validant lesdits avis de mise en recouvrement, a été justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants pour que leur application ne soit pas contraire aux exigences du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, la société FORD MODEL’S FRANCE n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le II-B de l’article 25 de la loi susvisée est contraire au paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur le bien-fondé de l’imposition :

Considérant qu’aux termes de l’article 256 du code général des impôts : « I. Sont soumise à la taxe sur la valeur ajoutée … les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (…) » et qu’aux termes de l’article 256 A du même code : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités mentionnées au troisième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. (…) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (…). Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien meuble corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. » ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société FORD MODEL’S FRANCE exploite, notamment en le vendant, le droit à l’image de mannequins qui le lui concèdent moyennant rémunération ; que, dès lors, et nonobstant le fait que les contrats qui lient la société FORD MODEL’S FRANCE aux mannequins placeraient ces derniers dans une situation de dépendance à l’égard de la société pour ce qui est de l’exploitation de ce droit, la nature des droits concédés par les mannequins, similaires à des droits d’auteur, et la nature des prestations effectuées par les mannequins, assimilables à des prestations de services effectuées à titre onéreux, emportent imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, en application des dispositions des articles 256 et 256 A du code général des impôts précitées, des sommes versées, à ce titre, aux mannequins ;

Considérant qu’aux termes de l’article 267 du code général des impôts : « (…). II. Ne sont pas à comprendre dans la base d’imposition : …2° Les sommes remboursées aux intermédiaires, autres que les agences de voyage et organisateurs de circuits touristiques, qui effectuent des dépenses au nom et pour le compte de leurs commettants dans la mesure où ces intermédiaires rendent compte à leurs commettants, portent ces dépenses dans leur comptabilité dans des comptes de passage, et justifient auprès de l’administration des impôts de la nature ou du montant exact des débours. (…) » ;

Considérant que si la société FORD MODEL’S FRANCE demande le bénéfice des dispositions de l’article 267-II-2° précitées du code général des impôts, ces dispositions ne lui sont pas applicables dès lors qu’il résulte de l’instruction, et en particulier du « contrat cadre » qu’elle a produit, qu’elle n’agit pas en tant qu’intermédiaire des mannequins lorsqu’elle vend leur droit à l’image mais qu’elle agit alors pour son propre compte en tant que concessionnaire desdits droits ;

Considérant qu’aux termes de l’article 259 B du code général des impôts : « Par dérogation aux dispositions de l’article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France lorsqu’elles sont effectuées par un prestataire établi hors de France et lorsque le preneur est un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée qui a en France le siège de son activité ou un établissement stable pour lequel le service est rendu ou, à défaut, qui y a son domicile ou sa résidence habituelle : 1° Cessions et concessions de droits d’auteur (…). Le lieu des prestations est réputé ne pas se situer en France même si le prestataire est établi en France, lorsque le preneur est établi hors de la communauté économique européenne ou qu’il est assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée dans un autre Etat membre de la communauté. » ;

Considérant que la société FORD MODEL’S FRANCE ayant eu, au titre de la période litigieuse, le siège de son activité en France, les sommes qu’elle a versées aux mannequins établis hors de France, en rémunération de l’utilisation de leur droit à l’image étaient imposables à la taxe sur la valeur ajoutée en France en application des dispositions susmentionnées de l’article 259 B du code précité, la société FORD MODEL’S FRANCE ; qu’ainsi, l’administration a pu à bon droit imposer la société requérante, qui avait la qualité de preneur, à la taxe sur la valeur ajoutée sans qu’il en résulte une double imposition ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société FORD MODEL’S FRANCE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L . 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société FORD MODEL’S FRANCE la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Sur les conclusions tendant à la condamnation aux dépens :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : « Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties » ;

Considérant qu’aucun dépens n’a été exposé au cours de l’instance d’appel ; que les conclusions susanalysées ne peuvent donc qu’être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société FORD MODEL’S FRANCE est rejetée.