Hypermarché

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 15 février 2005

N° de pourvoi : 04-80806

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze février deux mille cinq, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MOUTON ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" LA SOCIETE CARREFOUR FRANCE,

contre l’arrêt de la cour d’appel de CHAMBERY, chambre correctionnelle, en date du 9 octobre 2003, qui, pour participation à une opération de prêt illicite de main d’oeuvre, l’a condamnée, à 60 000 euros d’amende, a ordonné la publication et l’affichage de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1, L. 125-3 du Code du travail, 121-2 du Code pénal, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Carrefour France coupable du délit de marchandage, en usant de la fourniture illégale de main d’oeuvre à but lucratif, l’a condamnée à la peine de 60.000 euros d’amende et a ordonné à ses frais la publication de la décision par voie de presse ainsi que l’affichage aux portes des magasins Carrefour de Bassens et de Chamnord pendant un mois, et en ce qu’il l’a condamnée au paiement de dommages-intérêts au profit des parties civiles ;

”aux motifs que les 1er novembre et 10 décembre 1997, la direction départementale du travail de Chambéry a procédé à un contrôle dans les magasins de Carrefour Chamnord et de Carrefour Bassens ; que les inspecteurs du travail ont relevé la présence au sein de ces deux magasins de personnes occupées à la mise en rayon de produits divers qui déclaraient ne pas être salariées de la société Carrefour, mais employées par des entreprises extérieures dites de marchandising, qui les mettaient à disposition de la société Carrefour pour effectuer, dans les mêmes conditions que le personnel de cette dernière, l’approvisionnement des rayons ; que ces salariés ont déclaré qu’ils étaient sous l’autorité de la maîtrise de Carrefour, en particulier des chefs de rayons, qu’ils mettaient en rayon des produits de marque Carrefour ou d’autres marques qui ne sont pas celles pour lesquelles ils avaient été embauchés, qu’ils remplaçaient du personnel Carrefour absent, qu’ils travaillaient dans des conditions de travail similaires à celles des salariés de Carrefour et ne réalisaient en aucun cas une prestation de service spécifique ;

que les investigations diligentées ont confirmé que les fournisseurs Carrefour mettaient à la disposition de Carrefour, par l’intermédiaire de sociétés de marchandising, du personnel pour mettre en rayon des produits achetés à ces fournisseurs par Carrefour, que ce personnel effectuait le même travail que le personnel Carrefour mais à moindre coût pour Carrefour, avec un salaire inférieur à celui du personnel Carrefour et sans bénéficier du statut du personnel Carrefour, que ces salariés cumulaient les contrats avec les marques et que leurs heures payées étaient effectuées dans le magasin, sous contrôle du chef de rayon ; que les directeurs de magasin n’ont pas contesté la pratique incriminée, faisant valoir qu’il s’agissait d’un usage ancien en vigueur dans la grande distribution et initié par les fournisseurs de produits marketés qui souhaitaient optimiser leurs linéaires et la rotation de leurs produits, qu’ils ont convenu que, dans le cadre d’une convention commerciale négociée au niveau national entre la société Carrefour et certains fournisseurs, ces derniers mettaient à la disposition des magasins Carrefour du personnel dont la mission était la mise en rayon de leur produit et dans ce but s’adressaient à des sociétés spécialisées qui recrutaient, employaient et rémunéraient du personnel, appelé marchandiseur, toujours dans le cadre de contrats à temps partiel ;

que cette pratique s’analyse en une fourniture de main d’oeuvre, dès lors que les tâches auxquelles sont affectées les salariés mis à disposition n’ont aucune spécificité et relèvent de l’activité normale et permanente de la société Carrefour ; qu’en faisant supporter à des entreprises extérieures la rémunération des personnels mis à sa disposition la société Carrefour retire de cette opération un avantage financier indiscutable ; qu’en effet, en agissant ainsi, elle diminue sa masse salariale, échappe au paiement des taxes, charges et impôts divers assis sur ces salaires , minore sa contribution aux dépenses de fonctionnement de son comité d’entreprise ; que de surcroît, les personnes mises à disposition par les entreprises extérieures perçoivent, à qualification équivalente et emploi de même nature, un salaire inférieur à celui attribué aux salariés Carrefour et ne bénéficient ni des primes, ni des dispositions conventionnelles ; que cette pratique s’analyse donc bien en une opération de fourniture de main d’oeuvre à but lucratif ;

”alors que le délit de marchandage suppose qu’une entreprise exerce les prérogatives de l’employeur, ce qui implique un lien de subordination, sur une main d’oeuvre mise à sa disposition par une autre entreprise ; qu’en se bornant à affirmer, pour décider que la société Carrefour avait commis le délit de marchandage, que les salariés employés par des sociétés spécialisées, en vue d’optimiser la présentation de leurs produits dans les linéaires, exerçaient leur activité sous le contrôle du chef de rayon, sans constater que la société Carrefour aurait disposé d’un véritable pouvoir de direction sur ces salariés, qui se seraient ainsi trouvés placés sous sa subordination, la cour d’appel a privé sa décision de base légale” ;

Attendu que le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus dont ils ont déduit, par des motifs exempts d’insuffisance, comme de contradiction, que la mise à disposition, par les fournisseurs, de salariés dits “marchandiseurs”, occupés à placer les produits dans les rayons de deux magasins exploités par la société Carrefour, dissimulait en réalité une opération illicite de prêt de main d’oeuvre à but lucratif ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 111-3, 131-39 du Code pénal, L. 152-3-1 du Code du travail et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a ordonné, aux frais de la société Carrefour France, la publication de la décision par voie de presse ainsi que l’affichage aux portes des magasins Carrefour de Bassens et de Chamnord pendant un mois ;

”alors que nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ; que le délit de marchandage est puni d’une peine d’affichage de la décision prononcée ou de la diffusion de celle-ci par voie de presse ; que ces peines sont alternatives et non cumulatives ; qu’en décidant néanmoins d’ordonner la publication de la décision à intervenir dans la presse, ainsi que l’affichage aux portes des magasins Carrefour de Bassens et de Chamnord, la cour d’appel a exposé sa décision à la cassation” ;

Vu les articles 111-3, 131-39 du Code pénal et L. 152-3-1 du Code du Travail ;

Attendu qu’aux termes de l’article 111-3, alinéa 2, du Code pénal, nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ;

Attendu que, par l’arrêt attaqué, la cour d’appel, après avoir condamné la société Carrefour France, prévenue pour prêt illicite de main d’oeuvre, a ordonné l’affichage de la décision ainsi que sa publication par voie de presse en application de l’article L.152-3 du Code du Travail ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que l’article L. 152-3-1, applicable aux personnes morales, renvoit aux dispositions de l’article 131-39, 9 , du Code pénal, lequel ne prévoit que l’affichage “ou” la diffusion de la décision, l’arrêt encourt la cassation, laquelle sera limitée aux peines complémentaires prononcées contre la demanderesse ;

Par ces motifs ;

CASSE ET ANNULE l’arrêt précité de la cour d’appel de Chambéry, en date du 9 octobre 2003, en ses seules dispositions concernant les peines complémentaires, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu’il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Chambéry, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de CHAMBERY, chambre correctionnelle du 9 octobre 2003