Enceinte ferroviaire
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 avril 2022
N° de pourvoi : 21-83.925
ECLI:FR:CCASS:2022:CR00485
Non publié au bulletin
Solution : Cassation
Audience publique du mercredi 20 avril 2022
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 20 mai 2021
Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SARL Cabinet Munier-Apaire, SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
N° H 21-83.925 F-D
N° 00485
SL2
20 AVRIL 2022
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 AVRIL 2022
La société nationale [8], venant aux droits de l’établissement public la [7], a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 2-13, en date du 20 mai 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 8 août 2018, n° 17-81.957), pour marchandage, l’a condamnée à 30 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérês civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SARLU Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Nationale [8], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [4], les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat des defendeurs, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l’audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [3], aux droits de laquelle vient la société [4], a conclu avec l’établissement public [7] (la [8]), dont elle était l’une des sous-filiales, une convention-cadre ainsi que des conventions locales confiant à la première des prestations de services en gare, comme l’accueil des voyageurs, l’assistance aux personnes à mobilité réduite, la gestion des salons grands voyageurs, le transfert des bagages.
3. A la suite de plusieurs procès-verbaux dressés par l’inspection du travail constatant l’intégration des salariés de la société [3] au sein de la [8] et après une enquête préliminaire, l’établissement public [8] ainsi que la société [4], ont été cités devant le tribunal correctionnel des chefs de prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage, pour les années 2007 à 2011.
4. Les premiers juges les ont déclarés coupables de ces chefs pour les années 2007 à 2009 et les ont relaxés pour le surplus.
5. Les prévenus, certaines parties civiles et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
6. Le grief n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la société nationale [8] coupable du délit de marchandage de 2007 à 2009 à [Localité 6], [Localité 5], [Localité 1] et [Localité 2], étant précisé pour ce dernier lieu, que les faits s’y sont produits de janvier à juin 2007 et en conséquence l’a condamnée à une amende et au paiement, aux parties civiles, de dommages et intérêts pour préjudice moral et à une somme au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que pour être constitué, le délit de marchandage nécessite notamment la constatation de l’existence d’un prêt de main d’oeuvre à but lucratif ; qu’en l’espèce, pour retenir le délit de marchandage à l’encontre de la société exposante, la cour d’appel s’est bornée à affirmer l’existence d’une fourniture de main d’oeuvre à but lucratif sans aucunement la caractériser ; qu’en statuant ainsi la cour d’appel n’a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 121-2 et suivants du code pénal, L. 8234-1, L. 8231-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu’il y a contrat de sous-traitance licite lorsque l’entreprise sous-traitante intervient en tant qu’entreprise autonome assurant des prestations de service effectuées par des salariés pour effectuer des missions spécifiques relevant de son savoir-faire propre ; qu’en l’espèce, examinant les contrats litigieux, pour se prononcer sur l’infraction de prêt illicite de main d’oeuvre, la cour d’appel après avoir elle-même jugé qu’ils constituaient un contrat de sous-traitance licite, qualification excluant celle de prêt de main d’oeuvre, et par conséquent l’existence d’un délit marchandage, elle ne pouvait affirmer ensuite péremptoirement l’existence d’un contrat à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre pour retenir la culpabilité de la société exposante pour délit de marchandage car en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des articles 121-2 et suivants du code pénal, L. 8234-1, L. 8231-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que le lien de subordination suppose l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’il ne saurait y avoir délit de marchandage en l’absence de lien de subordination entre les salariés de l’entreprise sous-traitante prestataire de service et l’entreprise donneuse d’ordre ; qu’en l’espèce, il résultait des éléments aux débats l’absence de tout lien de subordination des salariés de la société [4] anciennement [3] à l’égard de la société [8], la société [3] ayant conservé la parfaite maîtrise et le contrôle de ses salariés restés sous sa subordination, ceux-ci ayant été seulement mis à disposition de la société [8] ; qu’il s’en inférait qu’il n’y avait pas eu de prêt de main d’oeuvre et que l’infraction de marchandage ne pouvait par conséquent être retenue à l’encontre de l’exposante ; qu’en jugeant le contraire, sans pour autant relever ni caractériser l’existence d’un lien de subordination des salariés de [3] à l’égard de [8], la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des articles 121-2 et suivants du code pénal, L. 8234-1, L. 8231-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 8231-1 du code du travail et 593 du code de procédure pénale :
8. Aux termes du premier de ces textes, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit.
9. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour déclarer la [8] coupable de marchandage, l’arrêt attaqué, après l’avoir relaxée du chef de prêt illicite de main d’oeuvre, énonce que le caractère lucratif de l’opération est établi pour la société [3] par le versement d’une rémunération pour l’exécution des prestations et, pour la [8], par le non recrutement de salariés auxquels elle aurait dû accorder le bénéfice de la convention « relations collectives entre la [8] et son personnel ».
11. Les juges ajoutent que les salariés de la société [3], qui ne bénéficiaient pas des facilités de circulation accordées au personnel contractuel [8], ont dès lors subi un préjudice.
12. En se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.
13. En effet, elle ne pouvait, sans se contredire, entrer en voie de condamnation du chef de marchandage et, à l’appui de la relaxe de la société prévenue du chef de prêt illicite de main d’oeuvre, relever que les tâches sous-traitées à l’entreprise [3] étaient spécifiques et bien définies, que les pièces du dossier ne permettaient pas d’affirmer que le prestataire n’exécutait pas les prestations en toute indépendance et qu’il ne pouvait être démontré que la rémunération forfaitaire ne correspondait qu’au coût de la main d’oeuvre nécessaire à la réalisation des prestations.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l’article 612-1 du code de procédure pénale, et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la cassation aura effet à l’égard de la société [4] qui ne s’est pas pourvue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 20 mai 2021, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt avril deux mille vingt-deux.ECLI:FR:CCASS:2022:CR00485