Montage d’échafaudages

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 12 mai 2015

N° de pourvoi : 12-87594

ECLI:FR:CCASS:2015:CR01610

Non publié au bulletin

Rejet

M. Guérin (président), président

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 La société Altrad Soframat Etem,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 6-1, en date du 13 novembre 2012, qui, pour prêt illicite de main-d’oeuvre, marchandage et infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs, l’a condamnée à deux amendes de 4 000 euros, et a ordonné une mesure de publication d’affichage ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 17 mars 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Straehli, conseiller rapporteur, M. Finidori, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LIBERGE ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 8241-1, L. 8231-1, L.4741-1 al.1, L.4111-1, L.4111-6 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Altrad Soframat Etem coupable de prêt de main-d’oeuvre, de marchandage et d’infraction à la réglementation générale sur l’hygiène et la sécurité du travail et s’est en conséquence prononcé sur la peine ;

”aux motifs propres qu’il sera rappelé que, le 27 mai 2009, les services de police et l’inspection du travail procédaient au contrôle d’un chantier de rénovation d’un café situé à Paris, dans le 4earrondissement, à l’angle des rues Jarente et Caron, sur lequel l’entreprise Jigual procédait à des travaux de couverture nécessitant un échafaudage loué à la société Altrad qui en effectuait également le montage ; que le contrôle opéré permettait de constater la présence de trois salariés de la société Mexoya procédant au montage de l’échafaudage ; que l’un d’entre eux se trouvait au sol, le deuxième, à une hauteur de 1,80m, sur un plancher trop étroit et démuni de garde du corps, le troisième portait une moise sous le bras, à 3,40m de hauteur, sur le deuxième plancher comportant deux planchons jointifs, sans aucune protection, ni garde-corps, ni harnais amarre ; que les deux salariés travaillant en hauteur portaient des casques sans jugulaires, les longes de leur harnais étaient trop longues, l’une d’elle étant de surcroît usée ; que la gérante, de la société Mexoya, Mme X..., expliquait travailler dans le cadre d’un contrat de sous-traitance pour la société Altrad, dont M. Bruno Y... était le président du conseil d’administration ; que l’enquête menée par l’inspection du travail, qui dressait un procès-verbal n° 09/135, et par les services de police, permettait de comprendre que, le 15 juillet 2008, la société Altrad, ayant pour activité le coffrage, l’étaiement, les échafaudages, avait passé un contrat de sous-traitance avec la société Mexoya pour le montage et le démontage des échafaudages ; que ce contrat était un “contrat cadre” d’un an renouvelable, par tacite reconduction, un bon de commande étant établi à chaque chantier ; qu’à ce contrat était annexé une “charte de sous-traitance”, précisant que M. Z..., salarié d’Altrad, assurait le suivi des chantiers et donnait directives et conseils ; qu’il se déduit des termes de ces documents que le chantier dont s’agit était en réalité conduit sous l’autorité du donneur d’ordre, la société Altrad, laquelle avait le contact exclusif avec le client, établissait un devis sans en discuter avec le sous traitant, assumait l’organisation des chantiers, effectuait la note de calcul de la pose de l’échafaudage, fournissait le matériel, en dehors du petit outillage et des harnais de sécurité, surveillait l’avancement et la qualité de la pose ainsi que la conformité des échafaudages qu’elle réceptionnait ; que cette même société assurait, par le biais d’un commercial, M. Z..., passant tous les jours, le contrôle de l’avancement du montage de l’échafaudage et donnait ses instructions, à la fois pour le plan de montage et pour les consignes de sécurité ; que ce faisant elle assurait le contrôle du travail du “sous-traitant” ; que c’est encore M. Z... qui était l’interlocuteur de l’inspection du travail, tant au moment de l’arrêt du chantier que de société reprise ; qu’en outre, dans ce contexte de travail, la société Mexoya n’avait aucune autonomie et était économiquement dépendante de la société Altrad qui était son seul donneur d’ordre ; que d’ailleurs la société Mexoya, dont la gérante admettait ne fournir que de la main-d’oeuvre, n’avait pas de savoir-faire spécifique dont n’aurait pas disposé la société Altrad, laquelle comprend dans ses effectifs cinquante monteurs ; que M. Y... reconnaissait également recourir à la sous-traitance à cause des problèmes de gestion de main-d’oeuvre ; qu’enfin, une telle opération était rémunérée à la société Mexoya 462 euros HT, par journée de travail, ce qui correspond à sept heures de travail pour trois monteurs ; que d’ailleurs, le montant du chantier litigieux s’élève à 1 386 euros, ce qui représente, ainsi qu’il était prévu, trois jours de travail ; qu’il s’en déduit que la rémunération s’effectuait en fait au temps passé par les salariés ; qu’il a également été relevé que les salariés de la société Mexoya ne bénéficiaient ni des indemnités de repas, ni de frais de transport et de trajet, tels que prévus par la convention collective du bâtiment de la région parisienne ; qu’ainsi, de telles minorations, ajoutées au fait que la société Altrad n’assure pas la gestion administrative du personnel, et que notamment elle économise les charges diverses liées au recrutement de salariés ainsi que les charges salariales pendant les périodes de congés, caractérisent le but lucratif de l’opération litigieuse et sont à l’origine d’un préjudice pour les salariés concernés ; que dès lors, le prêt de main-d’oeuvre et le marchandage tels que définis respectivement par les articles L. 8241-1 et L 8231-1 du code du travail, sont caractérisés à l’égard de la société Altrad Soframat Etem ; que par ailleurs, deux salariés de la société Mexoya , MM. B... et C..., ont été exposés, alors qu’ils travaillaient en hauteur, à un risque de chute, faute d’avoir été protégés par des garde-corps, fussent-ils provisoires, alors même que leurs casques étaient démunis de jugulaires et que leurs harnais, également non conformes, n’étaient pas amarrés ; qu’il convient, s’agissant des infractions relevées en matière d’hygiène et de sécurité, de retenir la culpabilité de la société Altrad Soframat Etem, laquelle, bénéficiaire d’un prêt de main-d’oeuvre, se comportait comme le véritable employeur et se devait d’assurer la sécurité des salariés concernés ; qu’il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité ;

”et aux motifs éventuellement adoptés qu’il ressort de l’ensemble des pièces du dossier et des débats, que la situation de fausse sous-traitance de la société Mexoya est caractérisée ; qu’elle ne disposait d’aucune autonomie pour la réalisation de ce chantier, ni d’autonomie financière puisque la société Altrad Soframat Etem était son unique client ; que l’encadrement était assuré par la société Altrad Soframat Etem alors qu’un “vrai” sous-traitant assure l’encadrement de ses salariés, et sur les questions techniques, c’était aussi la société Altrad Soframat Etem qui transmettait les directives ; qu’enfin c’est le commercial de la société Altrad Soframat Etem qui gérait en direct les conséquences du contrôle avec les inspecteurs du travail ; que de plus, la prestation du sous-traitant n’était ni bien définie, ni spécifique, le montage d’échafaudages étant l’activité de société Altrad Soframat Etem ; que cette fausse sous-traitance permet de caractériser l’infraction de prêt de main-d’oeuvre illicite dont seront déclarés coupables M. Y... et la société Altrad Soframat Etem en tant que co-auteurs avec Mme X... et la société Mexoya ; que la société Altrad Soframat Etem n’assumant pas un certain nombre de charges comme celles liées au coût des salaires pendant les périodes d’inactivité il conviendra de déclarer M. Bruno Y... et la société Altrad Soframat Etem coupables en tant que co-auteurs avec Mme X... et la société Mexoya de l’infraction de marchandage ; que pour l’ensemble de ces infractions, M. Y... sera condamné à deux amendes de 2 000 euros et la société Altrad Soframat Etem à deux amendes 4 000 euros ; qu’il est en outre ordonné l’affichage de la décision durant sept jours aux portes de l’entreprise et société publication dans le moniteur du bâtiment et des travaux publics ;

”1°) alors que, que le contrat de sous-traitance d’une prestation de service est exclusif de tout prêt ou fourniture de main-d’oeuvre dès lors qu’il n’emporte pas transfert du lien de subordination des salariés du sous-traitant ; que le contrôle de la bonne exécution de la prestation de sous-traitant par le donneur d’ordre qui doit en répondre à l’égard de son propre contractant est inhérent à la sous-traitance d’une prestation de service et ne caractérise pas un prêt ou une fourniture de main-d’oeuvre dès lors que les salariés de l’entreprise sous-traitante restent placés sous la subordination juridique de leur employeur ; que pour juger la société Altrad Soframat Etem coupable de prêt illicite de main-d’oeuvre et marchandage, en présence d’un contrat aux termes duquel la prestation de montage d’échafaudage selon les plans réalisés par le donneur d’ordre avait été sous-traitée à la société Mexoya, aux motifs inopérants que la société Altrad avait le contact exclusif avec le client et qu’un commercial de la société Altrad passait tous les jours contrôler l’avancement du montage et la qualité de la pose et assurait le contrôle du travail du soustraitant sans rechercher, comme il lui était demandé, si les salariés de la société Mexoya n’étaient pas néanmoins demeurés sous la subordination juridique de leur employeur dont le dirigeant intervenait également quotidiennement sur le chantier, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

”2°) alors que, que le contrat de sous-traitance est exclusif de tout prêt ou fourniture de main-d’oeuvre ; que l’autonomie du sous-traitant se caractérise notamment par l’exécution d’une tâche spécifique dont la responsabilité lui est confiée et qu’il exécute avec son propre matériel ; qu’en retenant qu’il y avait prêt et fourniture de main-d’oeuvre illicites dès lors que la société Altrad fournissait l’échafaudage, quand la prestation sous traitée était seulement la pose d’un échafaudage réalisée exclusivement par la société Mexoya qui, comme l’a constaté la cour d’appel, fournissait le matériel nécessaire à l’exécution de la seule prestation dont elle avait la responsabilité, à savoir le petit outillage et les harnais de sécurité nécessaire à la pose de l’échafaudage, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

”3°) alors que le contrat de sous-traitance est exclusif de tout prêt ou fourniture de main-d’oeuvre ; que pour retenir le prêt de main-d’oeuvre illicite et le marchandage, la cour d’appel a encore jugé que la société Mexoya n’avait aucune autonomie et était économiquement dépendante de la société Alstrad qui était son seul donneur d’ordre ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher s’il ne résultait pas du fait que la société Mexoya était un société sans lien avec la société Altrad autre que le contrat de sous-traitance, régulièrement inscrite au registre de commerce et des sociétés (RCS), qui employait cinq salariés dont seuls trois d’entre eux travaillaient sur le chantier litigieux, que le contrat de sous-traitance ne prévoyait aucune exclusivité ni aucune obligation pour le sous-traitant d’accepter un nombre déterminé de chantier, que la société Mexoya était une société autonome, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

”4°) alors que le contrat de sous-traitance est exclusif de tout prêt ou fourniture de main-d’oeuvre ; qu’une entreprise est en droit de sous-traiter une prestation de service qu’elle serait en mesure de réaliser ; qu’en retenant l’opération de sous-traitance devait s’analyser en un prêt et une fourniture de main-d’oeuvre illicite au motif inopérant que la société Mexoya n’avait pas de savoir-faire spécifique dont n’aurait pas disposé la société Altrad laquelle comprenait dans ses effectifs cinquante monteurs, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

”5°) alors que le contrat de sous-traitance est exclusif de tout prêt ou fourniture de main-d’oeuvre ; qu’il est notamment caractérisé par le paiement forfaitaire de la prestation ; qu’il résulte du bon de commande que le marché litigieux était convenu pour un montant forfaitaire de 1 386 euros, sans la moindre référence au nombre d’heures de travail à réaliser par les salariés de la société Mexoya ; qu’en jugeant qu’une telle opération était rémunérée à la société Mexoya 462 euros HT, par journée de travail, ce qui correspond à sept heures de travail pour trois monteurs et que d’ailleurs, le montant du chantier litigieux s’élève à 1 386 euros, ce qui représente, ainsi qu’il était prévu, trois jours de travail sans rechercher si le forfait n’était pas fixé par référence aux volumes d’échafaudage à monter, laissant la liberté à la société Mexoya de déterminer le nombre de salariés qu’elle souhaitait faire travailler et lui assurant une rémunération identique, donc forfaitaire, quelle qu’ait été la vitesse de réalisation effective du chantier et le nombre d’heures effectivement travaillées par ses salariés pour réaliser la prestation due, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

”6°) alors que, en toute hypothèse, le marchandage est défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; qu’en retenant le délit de marchandage dès lors que les salariés de Mexoya ne bénéficiaient ni des indemnités de repas, ni des frais de transport et de trajet tels que prévus par la convention collective du bâtiment de la région parisienne, sans répondre aux conclusions de la société Altrad qui faisait valoir que l’absence d’indemnité de repas était due aux horaires de travail réalisés par les salariés de la société Mexoya qui ne travaillaient que jusqu’à quatorze heures et qu’il résultait de leurs bulletins de paie que les salariés de Mexoya étaient indemnisés des frais de transport et de trajet, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériel qu’intentionnel, les délits de prêt illicite de main-d’oeuvre, marchandage et infraction à la sécurité des travailleurs dont elle a déclaré la société Altrad Soframat Etem coupable ;

D’où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze mai deux mille quinze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 13 novembre 2012