Désossage - travail de la viande

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 27 janvier 1998

N° de pourvoi : 97-81720

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de Me BARADUC-BENABENT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GERONIMI ;

Statuant sur les pourvois formés par :

"-" Z... X... Martine,

"-" Y... Jean-François, contre l’arrêt de la cour d’appel de REIMS, chambre correctionnelle, en date du 26 février 1997, qui, pour outrage envers un inspecteur du travail, prêt illicite de main-d’oeuvre et marchandage, les a condamnés, chacun, à 30 000 francs d’amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail, et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, a déclaré Jean-François Y... et Martine Z..., veuve X..., coupables de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandages et les a condamnés à une peine d’amende de 30 000 francs ;

1°)”aux motifs que s’il est exact que les ouvriers de la société Bouchers Services, dont Jean-François Y... est président-directeur général et Martine Z..., directeur général, sont spécialisés exclusivement dans le désossage et le parage de la viande, qui sont des tâches particulières par rapport à toutes les autres, le dossier et les débats ont établi aussi que chacune des entreprises cocontractantes de leur société avait bien en permanence ses propres salariés spécialisés dans ces mêmes domaines ; que s’il est vrai que le désossage et le parage sont des opérations spécifiques dans le processus du traitement de la viande et que les contrats invoqués par les prévenus y font référence, force est de constater que l’examen des contrats en cause révèle qu’aucun d’entre eux, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, n’a comporté de définition de la tâche spécifique pour laquelle ils auraient été spécialement conclus et qui aurait été justiciable de l’emploi du terme de sous-traitance, c’est-à-dire désignée et quantifiée à l’avance, et à assumer dans tel délai et pour tel prix ; qu’il ressort, au contraire, du dossier et des débats que les contrats dont s’agit, conclus soit expressément pour une durée indéterminée, soit pour un an et, dans ce cas, stipulés comme renouvelables par tacite reconduction, n’ont eu pour objet, nonobstant leur présentation sous forme de conditions générales, conditions particulières et cahiers des charges, que de permettre aux sociétés clientes de Bouchers Services, de pouvoir, en cas de surcharge d’activités dans les domaines du désossage et du parage de la viande, faire appel à l’intervention de salariés de Bouchers Services, et de servir de cadre aux modalités de mise à disposition de ces salariés ; que les constatations effectuées par les

inspecteurs du travail et qui, consignées dans leurs différents procès-verbaux, n’ont pas été contredites, ou démenties, ont démontré que, selon des modalités pratiquement identiques et sur le fondement des contrats dont s’agit, les clients de Bouchers Service indiquaient à celle-ci, d’une semaine sur l’autre, en tonnage ou en nombre de coches seulement (voir pièce annexée au contrat avec LBC D. 68), leurs besoins, pour la semaine suivante, en précisant les types de postes à pourvoir ; qu’au vu de ces indications, la société Bouchers Services mettait à disposition du client un certain nombre de salariés, la rationalisation des opérations en cause permettant une conversion entre les quantités annoncées comme prévisibles et le nombre de salariés nécessaires ;

que la facturation étant contractuellement prévue pour s’effectuer chaque semaine, les factures étaient établies en fonction des quantités effectivement traitées, comptabilisées salarié par salarié ; qu’il ne s’agissait donc pour la société Bouchers Services et ses dirigeants, lesquels n’ont pas justifié, de manière tangible et objective, avoir fourni à leurs clients d’autres prestations que de leur apporter de la main-d’oeuvre, ainsi que l’aurait fait n’importe quelle entreprise de travail temporaire, dès lors que celle-ci se serait spécialisée dans le domaine du désossage et du parage de la viande ; que les prévenus invoquent la mention figurant dans les différents contrats en cause relative à une obligation de résultat, qui caractériserait également la sous-traitance dans laquelle ils auraient entendu se placer ; que l’obligation de résultat invoquée doit s’apprécier au regard des engagements auxquels celle-ci se rapporte ; qu’en l’absence de définition à l’avance d’une tâche désignée et quantifiée, à assumer dans tel délai et à tel prix, l’obligation de résultat à laquelle était tenue la société Bouchers Services était seulement de fournir en temps et en heure le personnel compétent et en nombre suffisant pour répondre à la demande de la cliente ;

”alors qu’aux termes de leurs conclusions, les prévenus faisaient valoir que l’intervention des salariés de la société Bouchers Services sur le site des entreprises utilisatrices est uniquement dictée par des impératifs d’hygiène, la viande ne pouvant quitter la chaîne de transformation, que la tâche de la société Bouchers Services est spécifique et objectivement décrite comme consistant exclusivement en des travaux de parage et de désossage de la viande et, enfin, que cette société supporte des pénalités en cas de mauvaise qualité de sa prestation ou de retard dans sa réalisation et voit sa responsabilité contractuelle, au demeurant garantie par une assurance, engagée en cas de sinistre ; qu’en omettant de répondre à ces conclusions péremptoires de nature à établir, comme les premiers juges l’avaient retenu, que l’obligation de la société Bouchers Services portait sur une tâche objective, définie avec précision et constituait une obligation de résultat caractérisant l’existence d’un contrat de sous-traitance, la Cour a violé les textes susvisés ;

2°)” aux motifs que les prévenus font grand cas de ce que, sur chaque site concerné, les ouvriers de Bouchers Services étaient, par le truchement de chefs d’équipe, maintenus sous la subordination hiérarchique et disciplinaire de leur employeur, ce qui ne serait pas conçu si celui-ci avait été une entreprise de travail temporaire ; qu’ils soulignent que chez SOCOPA ainsi que chez KERMENE, selon le représentant responsable de la production de cette société, les ouvriers de Bouchers Services pouvaient occuper toute une ligne de travail, sans être dispersés en différents endroits au milieu des salariés de l’entreprise utilisatrice ; que, cependant, s’il est vrai que chez SOCOPA, les ouvriers de Bouchers Services étaient plus spécialement requis pour assurer le traitement de la viande hachée réfrigérée ou surgelée, l’ensemble des visites effectuées par les inspecteurs du travail chez des clients de la société ont eu lieu alors que les ouvriers de celle-ci étaient indistinctement répartis parmi les salariés de chacune des entreprises utilisatrices ; que les déclarations recueillies par ces fonctionnaires, tant auprès des salariés concernés de Bouchers Services qu’auprès des chefs d’atelier appartenant au personnel des dites entreprises utilisatrices, ont unanimement fait ressortir que ces derniers exerçaient sans partage et sur tout le personnel placé sous leur responsabilité, qu’il soit de l’entreprise ou personnel extérieur, toutes les prérogatives attachées à leurs fonctions, le chef d’équipe de Bouchers Services, chargé au demeurant d’accomplir sous l’autorité du chef d’atelier les mêmes types de tâches que celles confiées par ce dernier à ses collègues et soumis, comme tous ceux-ci, aux horaires de travail pratiqués sur leur site d’affectation, ne jouant qu’un simple rôle de relais, ou de courroie de transmission, sans autonomie, ni pouvoir d’organisation ou marge d’appréciation ;

”alors que, d’une part que la qualification de contrat de sous-traitance doit être retenue lorsque les salariés demeurent sous la responsabilité du prestataire de services qui encadre et dirige l’accomplissement de leur tâche ; qu’en considérant que les salariés de la société Bouchers Services étaient encadrés par ceux des entreprises utilisatrices, alors que, comme cela résulte du procès-verbal de synthèse du 11 octobre 1993 dressé sur commission rogatoire du juge d’instruction, les chefs d’équipe de la société Bouchers Services étaient seuls investis du pouvoir de faire directement des remarques aux ouvriers quant à l’exécution de leur travail ainsi que du pouvoir disciplinaire inhérent à la qualité d’employeur, ce qui excluait qu’ils puissent jouer le rôle d’une simple courroie de transmission, la Cour n’a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité ;

”alors, d’autre part, qu’en tout état de cause les délits de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage sont des délits intentionnels ; qu’en déclarant les prévenus coupables des délits qui leur étaient imputés sans caractériser l’élément intentionnel de ceux-ci, la Cour a violé les textes susvisés ;

3°)”aux motifs que les procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail, au titre des relations entre Bouchers Services et les sociétés KERMENE, LUISSIER BORDAU CHESNEL et MADRANGE ont établi que les opérations incriminées avaient causé préjudice aux salariés concernés ; qu’il s’est ainsi révélé, dans le cas des salariés mis à la disposition de la société LUISSIER BORDEAU CHESNEL, que, faute de bénéficier du statut de travailleur intérimaire, ceux-ci ne bénéficiaient pas de la rémunération à laquelle ils auraient eu droit, s’ils avaient été embauchés par l’utilisateur, à qualification et à postes de travail égaux ; qu’il s’est aussi révélé, dans le cas des salariés mis à la disposition de KERMENE et MADRANGE, que faute d’un affichage approprié, ceux-ci étaient restés dans l’ignorance des droits découlant de la convention collective dont la société Bouchers Services prétendait relever (Entreprises de l’Industrie et des Commerces en Gros des Viandes) et du non-respect fait à ces droits notamment en matière de prime d’ancienneté, d’indemnités de grands déplacements ainsi qu’en matière de fourniture et d’entretien par l’employeur des vêtements et équipements professionnels ; il importe peu, à cet égard, que certaines des rémunérations allouées à tel ou tel aient dépassé “le maximum conventionnel” dès lors que la rémunération était basée en réalité sur le seul rendement physique du salarié ; que fonctionnant au siège de l’entreprise, les instances collectives comme le comité d’entreprise et le CHSCT étaient insusceptibles de pouvoir servir de relais effectifs face à la dissémination des chantiers ; que, dans tous les cas, et faute pour eux de connaître avec certitude le statut à eux effectivement applicable, les ouvriers prêtés n’étaient pas mis en mesure, ni de revendiquer l’ensemble des avantages de la convention collective visée plus haut, ni de pouvoir prétendre au bénéfice du statut collectif des travailleurs intérimaires, ni même de découvrir qu’en fait, il existait entre les désosseurs de Bouchers Services, des disparités, selon le chantier d’affectation, illustrant l’arbitraire fait au sort de chacun ; que, dès lors, le jugement doit être infirmé également du chef du délit de marchandage

 ;

”alors que, en déclarant constitué le délit de marchandage au seul vu de l’existence d’un préjudice causé aux salariés sans rechercher si, comme l’avait constaté le tribunal dans son jugement dont les prévenus demandaient confirmation, le fait que les salariés de la société Bouchers Services bénéficient de divers avantages - accord de participation, actions de formation interne et externe - et d’un salaire mensuel moyen de 9 500 francs majoré des frais de déplacement qui, quel que soit son mode de fixation, était supérieur à celui prévu à la convention collective nationale des entreprises de l’industrie et des commerces en gros de la viande, n’excluait pas l’existence d’un tel préjudice, la Cour n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué, partiellement reproduites au moyen, mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance et de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré les deux prévenus coupables ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Chanet, Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Desportes, Mme Karsenty, M. Sassoust conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Géronimi ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de REIMS, chambre correctionnelle du 26 février 1997