Hôtesse d’accueil d’entreprise

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 28 janvier 1997

N° de pourvoi : 96-80727

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. Le GUNEHEC, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FOSSAERT-SABATIER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de Y... ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" X... Géraldine, épouse GRAVIS,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 8 janvier 1996, qui l’a condamnée, pour prêt illicite de main-d’oeuvre, à une amende de 10 000 francs ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 388, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Géraldine Z... coupable du délit de marchandage prévu par l’article L. 125-1 du Code du travail ;

”aux motifs que l’infraction de prêt de main-d’oeuvre exclusif à but lucratif prévue à l’article L. 125-3 du Code du travail est caractérisée à l’égard de Géraldine Z... ;

”alors, d’une part, que Géraldine Z... n’ayant été citée à la requête du procureur de la République que du chef de prêt de main-d’oeuvre exclusif à but lucratif, infraction prévue par l’article L. 125-3 du Code du travail, la cour d’appel a, en déclarant la prévenue coupable de marchandage, infraction prévue par l’article L. 125-1 du Code du travail, outrepassé les limites de sa saisine et ainsi violé l’article 388 du Code de procédure pénale ;

”alors, d’autre part, que l’incertitude quant à l’infraction retenue qui résulte d’une contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ;

”alors enfin que l’infraction de marchandage suppose que l’opération de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif ait eu pour effet de causer un préjudice aux salariés concernés ou d’éluder l’application des dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ; qu’en ne précisant pas en quoi les hôtesses employées par la SARL AAVI auraient subi un préjudice quelconque ni quelles dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles auraient été éludées par la prévenue, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 125-1 du Code du travail” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que Géraldine X... a été poursuivie pour prêt illicite de main-d’oeuvre sur le fondement de l’article L. 125-3 du Code du travail ; que les juges concluent la motivation de leur décision en indiquant que “l’infraction prévue par l’article L. 125-3 du Code du travail est ainsi caractérisée à la charge de Géraldine X..., épouse Z..., tant en son élément matériel qu’en son élément intentionnel” ;

Attendu que le visa, erroné mais surabondant, de l’article L. 125-1 du Code du travail, dans le dispositif de l’arrêt attaqué ne saurait donner ouverture à cassation dès lors qu’il n’existe aucune incertitude sur la qualification retenue ni sur la déclaration de culpabilité ;

Que, par ailleurs, la prévenue étant poursuivie non pour infraction aux dispositions de l’article L. 125-1 du Code du travail mais pour infraction à celles de l’article L. 125-3 du même Code, les juges n’avaient pas à rechercher si un préjudice avait été causé aux salariés ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Géraldine Z... coupable du délit de marchandage pour avoir affecté des hôtesses à l’accueil du siège social de la société TOTAL, et sur des salons PEUGEOT CYCLES et SITL ;

”aux motifs que l’accueil des visiteurs constitue une tâche peu spécialisée relevant du fonctionnement quotidien d’une grande entreprise ; que la société TOTAL précisait ses instructions aux hôtesses ; que le coût de la prestation était essentiellement fonction du coût de la main-d’oeuvre et de ses variations ; qu’il n’importait que la prévenue ait conservé certaines des obligations de l’employeur ;

”alors, d’une part, que ne constitue pas un prêt exclusif de main-d’oeuvre, prohibé par l’article L. 125-3 du Code du travail, la convention par laquelle une entreprise confie à un prestataire l’exécution d’un ensemble cohérent de tâches déterminées pouvant être réalisées de façon autonome au sein de l’entreprise utilisatrice ;

que la cour d’appel, qui a relevé que la société AAVI était chargé par la société TOTAL de l’organisation et de la gestion de l’accueil des visiteurs à son siège social et ainsi caractérisé une opération portant sur un ensemble cohérent de tâches déterminées impliquant pour sa réalisation la mise à disposition d’hôtesses, a dès lors violé le texte précité ;

”alors, d’autre part, qu’en retenant, pour décider que la convention s’analysait comme un prêt de main-d’oeuvre illicite, qu’elle portait sur des tâches peu spécialisées relevant du fonctionnement régulier de toute entreprise, la cour d’appel a statué par un motif inopérant et ainsi privé sa décision de base légale au regard du même texte ;

”alors, de troisième part, que la mise à disposition de personnel est licite dès lors que ce personnel reste sous la subordination de l’entreprise prestataire qui conserve ses attributions d’employeur ; qu’en relevant que la société TOTAL précisait à intervalles réguliers ses instructions aux hôtesses de la société AAVI en présence de sa gérante Géraldine Z..., circonstance qui à elle seule n’excluait pourtant nullement que les hôtesses aient exécuté leur mission sous l’autorité de la société AAVI et que cette société ait eu exclusivement le pouvoir de les recruter, de les affecter sur telle ou telle mission, de les promouvoir ou de les licencier, la cour d’appel, qui n’a pas véritablement recherché qui exerçait le pouvoir hiérarchique sur les hôtesses et à l’égard de qui elles étaient dans un lien de subordination, et qui a, à tort, considéré comme inopérant le fait que le sous-traitant conservait ses prérogatives et ses obligations de l’employeur sur ses salariés, a encore violé le même texte ;

”et alors, enfin, que le prix versé à l’entreprise prestataire peut être un indice d’un prêt de main-d’oeuvre illicite lorsqu’il est fonction des seules heures de travail effectuées et du nombre et de la qualification des salariés détachés ; que la cour d’appel, qui a relevé que le contrat conclu entre la société TOTAL et la société AAVI prévoyait une rémunération forfaitaire éventuellement révisable en fonction du coût de la main-d’oeuvre dans un secteur d’activité dont ne relevait ni l’entreprise utilisatrice ni l’entreprise prestataire, mais a néanmoins retenu, pour décider que l’infraction était constituée, que le coût de la prestation était essentiellement fonction du prix de le main-d’oeuvre et de ses variations, a entaché sa décision d’une contradiction de motifs équivalente à un défaut de motifs” ;

Attendu que Géraldine X..., dirigeante de la SARL AAVI, est poursuivie pour avoir, en mettant de manière permanente à la disposition de la société Total des hôtesses d’accueil, effectué un prêt de main-d’oeuvre à but lucratif hors des règles régissant le travail temporaire ;

Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable de ce chef, l’arrêt attaqué retient “qu’au cours de la période visée à la prévention, l’exécution des tâches confiées à la SARL AAVI ne comportait aucune spécificité particulière” et que “la SA TOTAL précisait ses instructions, à intervalles réguliers, aux hôtesses de la société AAVI ; que les juges ajoutent que “sous le couvert d’une prétendue sous-traitance, la société AAVI effectuait de façon durable et dans des conditions définies par la société bénéficiaire de la prestation, des tâches d’accueil peu spécialisées, trouvant normalement leur place dans le fonctionnement quotidien de toute entreprise de taille importante, et que le coût de la prestation était essentiellement fonction du prix de la main-d’oeuvre et de ses variations, même si le payement se faisait apparemment sous une forme forfaitaire” ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de leur appréciation souveraine des circonstances de l’espèce, les juges ont justifié leur décision au regard de l’article 125-3 du Code du travail ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail, de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Géraldine Z... coupable de délit de marchandage pour avoir affecté des hôtesses sur les salons PEUGEOT CYCLES et SITL ;

”aux motifs que les contrats que la société AAVI a conclu avec les sociétés PEUGEOT CYCLES et SITL pour assurer l’accueil des visiteurs sur des salons tenus respectivement le 2 mars 1992 et du 7 au 10 avril 1992, appelaient les mêmes observations que celles faites à propos de l’entreprise TOTAL nonobstant le caractère temporaire de ces opérations ;

”alors, d’une part, que ne constitue pas un prêt de main-d’oeuvre illicite l’exécution par un prestataire d’une tâche nettement définie et correspondant à une activité ponctuelle de l’entreprise utilisatrice ; qu’en décidant que la mise à disposition par la société AAVI d’hôtesses d’accueil, à l’occasion de manifestations ne durant que quelques jours et organisées annuellement par la société PEUGEOT CYCLES et le SITL, constituait un prêt de main-d’oeuvre illicite, la cour d’appel a violé les articles L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail ;

”et alors, d’autre part, que, si la Cour de Cassation devait juger que l’infraction est constituée par la mise à disposition d’hôtesses d’accueil auprès de la société TOTAL, la peine infligée à Géraldine Z... ne serait pas susceptible d’être considérée comme légalement justifiée puisqu’elle a été prononcée en considération expresse de l’ensemble des agissements retenus par les juges du fond” ;

Attendu que Géraldine X... est également poursuivie, en la même qualité et sous la même prévention, pour avoir fourni des hôtesses lors de foires ou salons d’exposition, pour Peugeot-cycles et le salon international des transports et logistique ;

Attendu que, pour la déclarer coupable de ce second chef, l’arrêt attaqué énonce que ces prestations appellent les mêmes observations que celles faites au sujet des services fournis à la société Total, nonobstant leur caractère temporaire ;

Attendu qu’en dépit de l’insuffisance de tels motifs, alors qu’étaient visées des prestations ponctuelles, n’entrant pas dans le champ des compétences habituelles de l’entreprise utilisatrice, l’arrêt attaqué n’encourt pas la censure dès lors que la peine prononcée est justifiée par la déclaration de culpabilité pour prêt illicite de main-d’oeuvre par la SARL AAVI à la société Total ;

Qu’ainsi le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Le Gunehec, président, Mme Fossaert-Sabatier conseiller rapporteur, MM. Milleville, Guerder, Pinsseau, Joly, Mmes Françoise Simon, Chanet, M. Blondet, conseillers de la chambre, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Ely

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Paris, 11ème chambre du 8 janvier 1996