Levage - manutention sur site industriel

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 24 mai 2005

N° de pourvoi : 04-85028

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre mai deux mille cinq, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller PALISSE, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CHEMITHE ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Christian,

contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 22 juin 2004, qui, pour marchandage, l’a condamné à 10 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1, L. 125-3 et L. 152-3 du Code du travail, 121-1 du Code pénal, de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, 388, 485, 567 et 593 du même Code, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que la cour d’appel déclare Christian X... coupable des faits poursuivis du chef des délits prévus et réprimés par les articles L. 125-1, L.125-3 et L. 152-3 du Code du travail et le condamne à une peine d’amende de 10 000 euros, outre, sur l’action civile du syndicat CGT Sollac, au paiement de la somme d’un euro symbolique à titre de dommages et intérêts ;

”aux motifs que, “le 14 avril 1999, un inspecteur du Travail a dressé un procès-verbal à l’encontre du responsable pénal de la société Montalev, et de celui de la société Sollac après avoir relevé les délits de prêt illicite de main-d’oeuvre prévu par l’article L. 125-3 du Code du travail, et de marchandage prévu par l’article L. 125-1 du Code du travail ; qu’il a constaté les 14 avril et 28 mai 1999, la présence d’un salarié de l’entreprise Montalev employé en qualité de pontier dans l’atelier des cylindres de l’établissement Solllac Dunkerque, et a appris que depuis le 23 février 1998, des mécaniciens et des pontiers de Montalev y travaillaient ; que Jean- Pierre Y..., chef du département Train Continu à chaud de l’usine de Sollac Dunkerque, dont dépendait l’atelier dans lequel étaient employés les salariés Montalev, soutenait n’avoir reçu en 1998 puis en 2001, que des délégations de pouvoir dans les domaines de l’hygiène et de la sécurité, et contestait les infractions relevées à son encontre par l’inspection du Travail en affirmant qu’il y avait un contrat de sous- traitance entre les deux sociétés ; que Christian X..., directeur régional de l’entreprise Montalev, soutenait n’avoir reçu une délégation de pouvoir qu’à partir du 6 avril 1999, et contestait l’existence de toute infraction entre le 6 avril et le 31 mai 1999 dans la mesure où les salariés de Montalev travaillant au sein de la société Sollac étaient des intérimaires employés par cette dernière ; que, selon l’article L. 125-3 du Code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite dès lors qu’elle n’est pas effectuée dans le cadre des dispositions qui régissent le travail temporaire ; que les salariés de Montalev étaient placés sous l’autorité des contremaîtres de Sollac, qui organisaient leur travail tout au long de leurs horaires de travail ; qu’ils n’avaient aucune compétence spécifique, et n’effectuaient aucune tâche particulière par rapport aux salariés de Sollac ;

qu’ils utilisaient le matériel, sauf le petit outillage, les installations et les locaux de Sollac ;

que selon les bons d’attachement, leur prestation ne portait que sur les heures effectuées, sans aucune obligation de résultat, et seules les heures de travail accomplies étaient rémunérées ; que l’absence d’autorité de la société Montalev sur ses salariés mis à disposition de Sollac, le caractère non spécifique du travail effectué par les salariés de Montalev, qui peuvent être remplacés par du personnel ou les enfants du personnel Sollac recrutés pendant les vacances, l’absence d’apport technique particulier, d’obligation de résultat, et de rémunération forfaitaire, excluent l’existence d’un contrat d’entreprise entre les deux sociétés, et démontrent l’existence d’un prêt illicite de main-d’oeuvre à but lucratif ; que selon l’article L. 125-1 du Code du travail, le délit de marchandage est constitué lorsqu’une opération de fourniture de main-d’oeuvre à but lucratif cause un préjudice aux salariés concernés, ou permet d’éluder l’application de lois, règlements ou conventions collectives ; que jusqu’en mai 1999, l’établissement Montalev appliquait une convention collective moins avantageuse que celle en vigueur dans la société Sollac, laquelle appliquait la convention collective de la sidérurgie du Nord et les accords du groupe Usinor, notamment en ce qui concerne les primes d’ancienneté, les primes spéciales de licenciement, et le régime d’indemnisation spécial en cas de maladie ou d’accidents non professionnels, dont ne bénéficiaient pas les salariés Montalev ; que les dispositions légales sur le prêt de personnel dans le cadre du travail temporaire telles que prévues par les articles L. 124-2, L. 124-3, L. 124-7 du Code du travail ont été éludées par la société Sollac ; que le prêt lucratif de salariés de l’entreprise Montalev a permis à la société Sollac de ne pas employer des salariés bénéficiaires des dispositions légales régissant le travail temporaire, et a causé un préjudice aux salariés de l’entreprise Montalev dans la mesure où ces derniers n’ont pas bénéficié de la convention de la sidérurgie du Nord et des accords du groupe Usinor, plus avantageux que la convention collective applicable dans leur entreprise, qu’en conséquence le délit de marchandage est constitué ; que la délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité reçue le 1er janvier 1998 par Jean-Pierre Y... lui rappelle qu’en sa qualité de chef du département Train Continu à Chaud de l’usine de Dunkerque, il est responsable de tout le personnel placé sous son autorité, et qu’il est responsable du recours à des entreprises extérieures pour les opération d’entretien ne pouvant être prises en charge par les services d’entretien de l’usine, qu’en conséquence en vertu des pouvoirs qu’il a reçus, Jean- Pierre Y... est bien responsable du recours aux salariés de l’entreprise Montalev, et des infractions pénales qui en découlent ;

que les bons d’attachement établis entre l’entreprise Montalev et la société Sollac Dunkerque, démontrent que des mécaniciens et des pontiers salariés de Montalev, ont exécuté des travaux de manutention de pièces et de contrôle des empoises dans l’atelier des cylindres n° 1 de la société Sollac tout au long des mois de février et de mars 1999, périodes au cours desquelles Christian X... n’était pas pénalement responsable des infractions commises puisqu’il n’a reçu une délégation de pouvoir en la matière que le 6 avril 1999, qu’il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il l’a relaxé pour la période antérieure au 6 avril 1999 ; que l’inspecteur du Travail a rencontré les 14 avril et 28 mai 1999, un pontier salarié de Montalev, employé depuis 1998 par la société Sollac, tout comme un autre pontier et des mécaniciens, qu’en conséquence Christian X... délégataire depuis le 6 avril 1999 de pouvoirs concernant le respect de la législation du travail, est responsable des infractions constatées le 14 avril 1999 et le 28 mai 1999 ; que les faits sont établis, et que les infractions sont caractérisées dans tous leurs éléments, qu’il convient donc de confirmer le jugement entrepris tant sur la déclaration de culpabilité, que sur les peines prononcées, qui constituent une juste application de la loi pénale, au regard des faits commis et de l’absence d’antécédents judiciaires de Christian X... et de Jean-Pierre Y... ; que le tribunal a fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour la partie civile, des infractions commises par Christian X... et Jean-Pierre Y..., qu’il convient donc de confirmer le jugement tant sur les dommages et intérêts alloués, que sur la somme de accordée sur le fondement de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ; que la demande présentée par la partie civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, est justifiée dans son principe mais doit être ramenée à 500 euros” ;

”1 ) alors que, dans ses conclusions d’appel (pp. 3, 4 et 8), Christian X... rappelait que le réquisitoire introductif, non suivi de réquisitions supplétives et qui ne datait pas la période d’incrimination, se bornait à renvoyer au procès-verbal de l’inspecteur du Travail, base des poursuites, lequel énonçait que les faits incriminés avaient été commis “de février 1998 à mars 1999” ; que, par suite, si l’ordonnance de renvoi énonçait “courant 1999”, elle ne pouvait donc viser que les faits commis au cours de la période “du 1er janvier au 31 mars 1999” ; qu’il s’agissait là d’un chef péremptoire de défense, dès lors qu’il était acquis que Christian X... n’était en charge d’une délégation de pouvoirs en matière d’infractions à la réglementation du travail qu’à compter du 6 avril 1999 ; que, dès lors, en omettant de s’expliquer sur ce qui précède et en retenant la culpabilité de Christian X..., aux motifs, au surplus erronés, que “ l’inspecteur du Travail a rencontré les 14 avril et 28 mai 1999, un pontier salarié de Montalev, employé depuis 1998 par la société Sollac, tout comme un autre pontier et des mécaniciens, qu’en conséquence Christian X... délégataire depuis le 6 avril 1999 de pouvoirs concernant le respect de la législation du travail, est responsable des infractions constatées le 14 avril 1999 et le 28 mai 1999”, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;

”2 ) alors que, au surplus, le procès-verbal de l’inspecteur du Travail, base des poursuites, énonçait que “la cessation progressive de la prestation de Montalev a eu lieu alors que j’avais effectué une visite à l’atelier TI des cylindres le 23 mars 1999 dans le cadre d’un contrôle plus général sur les conditions de travail au train continu à chaud. J’avais à cette occasion rencontré M. Z... et interrogé ce dernier ainsi que les salariés de Sollac sur les conditions d’intervention de Montalev. Le prêt de main-d’oeuvre portait sur 4 à 6 mécaniciens et 2 pontiers de février 1998 à mars 1999” (p. 6), que “Sollac a eu recours à des intérimaires à compter du 1er avril 1999” (p. 9), que “(Christian X...) m’a produit copie de la délégation de pouvoirs qui lui a été attribuée par Jean A... le 4 avril 1999 ; il faut noter que cette délégation est postérieure à la date des faits incriminés et doit donc être écartée” (p. 11) ; que les faits incriminés ainsi constatés dans le procès-verbal base des poursuites étaient donc antérieurs à la délégation de pouvoirs précitée ; que dès lors, en retenant la culpabilité de Christian X..., aux motifs erronés “que l’inspecteur du Travail a rencontré les 14 avril et 28 mai 1999, un pontier salarié de Montalev, employé depuis 1998 par la société Sollac, tout comme un autre pontier et des mécaniciens, qu’en conséquence Christian X... délégataire depuis le 6 avril 1999 de pouvoirs concernant le respect de la législation du travail, est responsable des infractions constatées le 14 avril 1999 et le 28 mai 1999”, la cour d’appel a dénaturé ledit procès-verbal et méconnu les textes susvisés ;

”3 ) alors que, au reste, les délits poursuivis ne peuvent être retenu à l’encontre du préposé directeur régional d’une entreprise qu’autant que les faits incriminés sont établis et qu’il était alors titulaire d’une délégation de pouvoirs ; qu’en l’espèce, il résultait, tant des énonciations précitées du procès-verbal, base des poursuites, que des déclarations de Jackie B..., chef de la sécurité de la société Sollac, entendu lors de la commission rogatoire, que les salariés présents sur le site à compter du 1er avril 1999 étaient employés en qualité de travailleurs intérimaires et non tenus par un lien de subordination à la société Entrepose Montalev Services ; qu’il s’en évinçait que les faits incriminés à compter de cette date n’étaient pas établis ; que, dès lors, en retenant la culpabilité de Christian X..., aux motifs erronés “que l’inspecteur du Travail a rencontré les 14 avril et 28 mai 1999, un pontier salarié de Montalev, employé depuis 1998 par la société Sollac, tout comme un autre pontier et des mécaniciens, qu’en conséquence Christian X... délégataire depuis le 6 avril 1999 de pouvoirs concernant le respect de la législation du travail, est responsable des infractions constatées le 14 avril 1999 et le 28 mai 1999”, sans constater qu’à cette époque les délits poursuivis auraient été encore constitués, la cour d’appel a violé les textes précités” ;

Vu l’article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance des motifs équivaut à leur asbence ; qu’en outre les juges correctionnels sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que Christian X..., directeur régional de l’entreprise Montalev est poursuivi du chef de marchandage, cette société ayant réalisé une opération de prêt lucratif de main-d’oeuvre en fournissant des salariés à la société Sollac sans qu’ils bénéficient des mêmes avantages que ceux de l’entreprise utilisatrice ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant déclaré le prévenu coupable des faits postérieurs au 6 avril 1999, date à laquelle il a été titulaire d’une délégation de pouvoir donnée par le chef d’entreprise, la juridiction du second degré énonce que l’inspecteur du Travail a rencontré les 14 avril et 28 mai 1999, plusieurs salariés de la société Montalev, employés, pour l’un d’eux depuis 1998, par la société Sollac ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi sans répondre aux chefs péremptoires des conclusions de Christian X... qui, se fondant sur les propres constatations du procès-verbal de l’inspecteur du Travail, base de la poursuite, faisaient valoir que les faits incriminés ne concernaient que la période de février 1998 à mars 1999, aucune infraction n’ayant été relevée lors des visites de ce fonctionnaire en date des 14 avril et 28 mai 1999, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Douai, en date du 22 juin 2004, en ses seules dispositions concernant Christian X... ;

Et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Palisse conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de DOUAI 6ème chambre , du 22 juin 2004