Site nucléaire

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 3 mai 1994

N° de pourvoi : 93-83104

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. Le GUNEHEC, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois mai mil neuf cent quatre vingt quatorze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DUMONT et les conclusions de M. l’avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 Le PROCUREUR GENERAL près la cour d’appel de LYON, contre l’arrêt de ladite cour d’appel, 4ème chambre, en date du 4 février 1993 qui a relaxé Jean Y... et Rémi X... du chef de prêt de main-d’oeuvre illicite et a mis hors de cause les sociétés TNEE et SCN ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles L. 125-3 du Code du travail et 593 du Code de procédure pénale ;

”en ce que pour prononcer la relaxe de Jean Y... et Rémi X..., la Cour, ayant repris les constatations opérées par l’inspecteur des TPE, a jugé que les entreprises SCN et GEC Alsthom ne fournissaient pas exclusivement, et à but lucratif, de la main d’oeuvre, mais apportaient également un savoir-faire spécifique par du personnel ayant suivi une formation particulière pour travailler en zone nucléaire, habilité par électricité de France et soumis à de stricts contrôles d’irradiation, à l’aide de dosimètres ;

”alors qu’il résulte précisément des termes du procès-verbal, repris de manière détaillée dans l’arrêt ;

”qu’un seul chef de chantier de la société TNEE assurait effectivement l’encadrement des salariés de basse classification des entreprises GEC Alsthom et SCN ;

”que cette opération n’avait donné lieu qu’à la signature d’attachements entre les entreprises TNEE, SCN et GEC Alsthom ;

”que les conventions ne portaient que sur la location de main-d’oeuvre ;

”que les tarifs, déclarés forfaitaires, ne concernaient en fait que la location de main-d’oeuvre ;

”que les documents comptables produits démontraient, par comparaison avec les bulletins de salaire des salariés employés, que les tarifs indiqués ne concernaient que la main d’oeuvre, et dépassaient la somme des salaires et charges afférentes, prouvant de ce fait que ce prêt de main-d’oeuvre n’était pratiqué que dans un but lucratif” ;

Vu lesdit articles ;

Attendu que s’il appartient aux juridictions répressives d’apprécier les circonstances qui peuvent dépouiller les faits de leur caractère délictueux, leurs appréciations à cet égard ne sont souveraines qu’autant qu’elles ne sont pas en contradiction avec les faits constatés ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’il a été constaté sur le site d’un centre de production nucléaire de l’Electricité de France, en révision, que l’entreprise de maintenance TNEE utilisait les services de salariés appartenant à deux autres sociétés, SCN et GEC Alsthom, sous-traitantes prétendues ; que l’ingénieur de la direction régionale de l’industrie a relevé que ces salariés travaillaient sous les seules directives du chef de chantier de l’entreprise TNEE avec des salariés de cette dernière ; que ce chef de chantier établissait les attachements concernant les heures de main-d’oeuvre et les adressait ensuite au service comptable de la société TNEE qui les transmettait pour facturation aux “sous-traitants” ; que des documents fournis par les trois sociétés il apparaissait que les conventions ne portaient que sur la fourniture de main-d’oeuvre et que les tarifs, déclarés forfaitaires, ne portaient que sur cette fourniture ; qu’enfin les documents comptables produits comparés aux bulletins de salaires, démontraient que le prêt de main-d’oeuvre était pratiqué dans un but lucratif ; que pour ces faits les responsables des trois entreprises ont été poursuivis pour avoir participé à une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre en dehors des règles sur le travail temporaire ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et relaxer les prévenus appelants, la juridiction du second degré, énonce notamment qu’il ressort des pièces versées aux débats que les entreprises SCN et GEC Alsthom ne fournissent pas exclusivement et à but lucratif de la main-d’oeuvre mais apportent également un savoir-faire spécifique par du personnel ayant suivi une formation particulière pour travailler en zone nucléaire, habilité par l’EDF ; qu’elle observe que l’exposition des salariés aux risques d’irradiation impose de disposer d’un effectif plus important que celui qui est strictement nécessaire et que le volant de salariés ne peut être fourni que par des sous-traitants spécialisés et agréés par l’EDF comme tel était le cas ;

Mais attendu que la mise à la disposition d’une autre entreprise d’un personnel spécialisé ne constitue l’apport d’un savoir-faire spécifique que si ce dernier est distinct de celui des salariés de l’entreprise utilisatrice ; que les juges ne pouvaient dire que les sociétés SCN et GEC-Alsthom apportaient un tel savoir-faire alors qu’ils constataient par ailleurs que le personnel par elles fourni devait constituer un volant de personnel pour l’entreprise utilisatrice, ce qui exclut toute spécificité ;

Attendu en outre que le contrat de sous-traitance suppose que le sous-traitant demeure responsable de son personnel ainsi que de l’exécution et de la qualité des travaux accomplis ; que les juges ne pouvaient donc faire droit aux conclusions de la défense sur la régularité de la sous-traitance prétendue, alors qu’ils ne remettaient pas en cause les constatations de l’agent verbalisateur selon lesquelles les ouvriers mis à disposition travaillaient sous les seules directives des cadres de ladite entreprise, ce qui excluait toute prestation de services des entreprises fournissant la main-d’oeuvre ;

Qu’en se déterminant comme elle a fait, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D’où il suit que la censure est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE ET ANNULE l’arrêt de la cour d’appel de LYON en date du 4 février 1993 en toutes ses dispositions ;

Et pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de LYON, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Dumont conseiller rapporteur, MM. Fontaine, Milleville, Alphand, Guerder, Pinsseau, Joly, Schumacher conseillers de la chambre, Mmes Batut, Fossaert-Sabatier, Fayet conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon du 4 février 1993