Nettoyage de locaux oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 29 janvier 2014

N° de pourvoi : 12-15927

ECLI:FR:CCASS:2014:SO00231

Non publié au bulletin

Cassation

M. Frouin (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 8241-1 du code du travail ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée en décembre 2003 en qualité de femme de ménage par la société Quincaillerie Marine Speg (QM Speg) ; que le 3 décembre 2007, une convention de prestation de services a été signée entre la société QM Speg et la société Louis Hardy aux termes de laquelle la première nommée prenait en charge le nettoyage des locaux de la seconde à raison d’une dizaine d’heures par semaine ; que Mme X... a effectué le nettoyage des locaux de la société Louis Hardy en exécution de cette convention tout en continuant d’assurer les heures de ménage qu’elle faisait auparavant au sein de la société QM Speg ; que le 2 décembre 2008, la société Louis Hardy a mis fin au contrat de prestation de services la liant à la société QM Speg ; que Mme X... a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail la liant à la société Louis Hardy et en paiement de diverses sommes ;

Attendu que pour dire que Mme X... n’a pas fait l’objet d’un prêt de main-d’oeuvre illicite et la débouter par suite de l’ensemble de ses demandes formées en conséquence, l’arrêt retient qu’il convient de se demander si le contrat conclu entre la société QM Speg et la société Louis Hardy a été établi ou non dans un but lucratif, c’est-à-dire s’il révèle la recherche par l’entreprise prestataire ou par l’entreprise bénéficiaire d’un bénéfice, d’un profit ou d’un gain pécuniaire, que selon l’article 2 du contrat le coût de la prestation est égal au coût réel des heures effectuées majoré de 10 % au maximum, qu’il convient donc de s’interroger sur la proportionnalité existant entre ces conditions de rémunération et le coût horaire réel supporté par la société QM Speg du fait de l’emploi de Mme X..., que le coût réel supporté par la société QM Speg du fait de l’emploi de Mme X... était proche du maximum prévu par le contrat pour l’année de signature et que la nécessité pour l’entreprise utilisatrice de supporter des frais de dossier ne permettait pas, compte tenu de la très faible marge, d’escompter réaliser un profit ou un bénéfice du fait de la mise à disposition de sa salariée par la société QM Speg à la société Louis Hardy ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il avait relevé que le coût de la prestation prévue au contrat était égal au coût réel des heures effectuées majoré de 10 %, ce dont il résultait que l’opération, dont l’objet exclusif était la mise à disposition de personnel, avait un but lucratif, le Tribunal supérieur d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 décembre 2011, entre les parties, par le Tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;

Condamne la société Louis Hardy aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à Mme X... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils pour Mme X...

Le moyen fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR dit que Madame X... n’avait pas fait l’objet d’un prêt de main-d’oeuvre illicite, de l’AVOIR par suite déboutée de l’ensemble de ses demandes formées en conséquence, et de l’AVOIR condamnée au paiement des dépens de première instance et d’appel ;

AUX MOTIFS QUE Madame Nathalie X... a été embauchée par la société QM SPEG, en décembre 2003 ; que, le 3 décembre 2007, une convention de prestation de service a été signée entre la société QM SPEG et la SARL LOUIS HARDY, aux termes de laquelle la première nommée prenait en charge le nettoyage des locaux de la seconde ; que l’article 2 de ladite convention prévoyait : « le client versera au prestataire la somme correspondant au coût réel des heures effectuées pour son compte majoré de 10 % au maximum, soit vingt euros de l’heure à la signature du contrat » ; que Madame X... soutenait en première instance que son salaire, perçu pour le travail effectué pour le compte de la SARL LOUIS HARDY, s’étant élevé à la somme de 11,91 € de l’heure, il s’ensuivrait, nécessairement, que le contrat conclu entre la société QM SPEG et la société LOUIS HARDY, consistant en un prêt de main-d’oeuvre, aurait, en outre, un but lucratif ; que la SAS LOUIS HARDY, dans ses conclusions intervenant au soutien de son appel incident, conteste le but lucratif de la prestation de main-d’oeuvre et plus encore le délit de marchandage mais soutient, au contraire que le contrat signé entre elle-même et la SARL QM SPEG, le 3 décembre 2007 était un contrat de prestation de service ; qu’il n’a aucunement été rapporté, dans la procédure, que le contrat, dit « de prestation de services » signé, le 3 décembre 2007 entre la SARL QM SPEG et la SAS LOUIS HARDY, contrat aux termes duquel Madame Nathalie X... a été mise à disposition de la dernière entreprise nommée aux fins d’y assurer l’entretien des locaux a eu pour effet de causer un préjudice à la salariée concernée ou même d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; que le seul préjudice dont se prévaut l’appelante consiste en des troubles de santé consécutifs au licenciement dont elle a fait l’objet ; que ce préjudice n’a pas de lien direct avec le contrat de prestation de service conclu entre les deux sociétés ; que le délit de marchandage, tel que défini par l’article L.8231-1 du Code du Travail, n’est donc pas établi ; que la société LOUIS HARDY conteste que le contrat visé ait eu pour objet un prêt de main-d’oeuvre à but lucratif mais soutient, au contraire qu’il s’agissait d’un contrat d’entreprise ; qu’il convient, dans ces conditions, de s’interroger si le contrat signé le 3 décembre 2007 couvrait une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre, au sens de l’article L.8241-1 du Code du Travail ; qu’il ressort de l’article 1, intitulé « Objet du contrat » et ainsi rédigé : « le client commandite le prestataire pour réaliser le nettoyage de ses locaux commerciaux et administratifs, ci-après dénommé « la prestation de service », que ladite convention portait sur la fourniture d’un service, à savoir la prise en charge du nettoyage des locaux de la SAS LOUIS HARDY et non pas exclusivement sur la mise à disposition d’une salariée, en l’occurrence, Madame Nathalie X... ; que l’on peut en déduire que le contrat n’a pas pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre ; que la tâche à effectuer, clairement identifiée par le contrat, ne relève, en revanche, pas d’une technicité particulière et ne fait pas davantage appel à un savoir faire spécifique détenu par la société prestataire, s’agissant d’heures de ménage au bénéfice de l’entreprise utilisatrice ; qu’il ressort, également, de l’article 4 du contrat que les moyens nécessaires à la réalisation de la prestation sont mis à disposition par la SAS LOUIS HARDY et non par le prestataire ; qu’en application des dispositions de l’article 2 du contrat, la rémunération de celui-ci était fonction du temps travaillé par l’employée mise à disposition et consistait en la contrepartie du coût horaire réel majoré de 10 % maximum, soit vingt euros de l’heure à la signature du contrat ; qu’il apparait, en revanche, que la salariée a continué, jusqu’au terme de son contrat, d’être rémunérée par la SARL QM SPEG qui refacturait le coût de la prestation à la SAS LOUIS HARDY ; que la même entreprise prestataire a conservé le pouvoir de direction sur sa salariée qui intervenait, dans l’entreprise utilisatrice, en dehors des heures ouvrables et n’avait aucun lien de subordination à l’égard de cette dernière ; qu’il s’ensuit de ce qui précède que l’ensemble des critères qui permettent d’identifier un contrat d’entreprise n’étant pas simultanément réunis, le contrat, dit « de prestation de services », signé entre la SARL QM SPEG et la SAS LOUIS HARDY ne peut se voir qualifier de contrat d’entreprise ; qu’il convient alors de s’interroger si ledit contrat a été établi - ou non - dans un but lucratif, c’est-à-dire s’il révèle la recherche, par l’entreprise prestataire, ou par l’entreprise bénéficiaire, d’un bénéfice, d’un profit ou d’un gain pécuniaire ; que, selon l’article 2 du contrat, le coût de la prestation est égal au coût réel des heures effectuées majoré de 10% au maximum, soit vingt euros de l’heure à la signature du contrat ; qu’il convient donc de s’interroger sur la proportionnalité existant entre ces conditions de rémunération et le coût horaire réel supporté par la SARL QM SPEG, du fait de l’emploi de Madame Nathalie X... ; que l’examen des fiches de paie de l’intéressée, au titre des années 2006 à 2009, enseigne que le coût horaire était de 17, 95 € en 2009, de 22,87 € en 2008, de 18,59 € en 2007 et de 19,64 € en 2006 ; soit des montants proches du maximum prévu par le contrat pour l’année de signature ; qu’au surplus, la nécessité, pour l’entreprise utilisatrice, de supporter des frais de dossier, ne permettait pas, compte tenu de la très faible marge, d’escompter réaliser un profit, un bénéfice ou un gain pécuniaire du fait de la mise à disposition de sa salariée par l’entreprise QM SPEG, à la SAS LOUIS HARDY ; que le jugement de première instance sera, sur ce point, infirmé et Madame Nathalie X... déboutée de l’ensemble de ses demandes ;

ALORS QU’aux termes de l’article L.8241-1 du code du travail, « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite » (si ce n’est dans le cadre des dispositifs spécifiques autorisés par la loi), le texte précisant qu’ « une opération de prêt de main-d’oeuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition » ; que partant, le but lucratif est caractérisé dès lors que l’entreprise qui met son personnel à disposition majore le montant des salaires versés, des charges sociales afférentes et des frais professionnels, d’un montant correspondant à des frais de gestion ; que le contrat de prestation de service, signé le 3 décembre 2007 entre la SARL QM SPEG et la SARL LOUIS HARDY, prévoyait le nettoyage des locaux de cette dernière moyennant un prix « correspondant au coût réel des heures effectuées pour son compte majoré de 10% au maximum, soit vingt euros de l’heure à la signature du contrat » ; que Madame X... déduisait de cette dernière disposition que le prêt de main-d’oeuvre était nécessairement lucratif, et donc illicite, à l’instar du Conseil de prud’hommes qui avait retenu que « cette majoration dont avait bénéficié la société QM SPEG pendant l’exécution du contrat de prestation de services avait constitué un profit véritable pour cette entreprise qui avait ainsi contrevenu aux dispositions de l’article L.8241-1 du code du travail » ; que néanmoins, le Tribunal supérieur d’appel a estimé que ledit prêt de main-d’oeuvre n’avait pas eu de but lucratif, au motif « qu’il convenait de s’interroger sur la proportionnalité existant entre ces conditions de rémunération et le coût horaire réel supporté par la SARL QM SPEG du fait de l’emploi de Madame Nathalie X..., que l’examen des fiches de paie de l’intéressée » « enseignait que le coût horaire était » « proche du maximum prévu par le contrat pour l’année de signature », et « qu’au surplus, la nécessité, pour l’entreprise utilisatrice, de supporter des frais de dossier, ne permettait pas, compte tenu de la très faible marge, d’escompter réaliser un profit, un bénéfice ou un gain pécuniaire du fait de la mise à disposition de sa salariée par l’entreprise QM SPEG, à la SAS LOUIS HARDY » ; qu’en statuant ainsi, le Tribunal supérieur d’appel a violé l’article L. 8241-1 du code du travail.

Décision attaquée : Tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon , du 23 décembre 2011