Rémunération inférieure oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 23 février 1993

N° de pourvoi : 92-83262

Non publié au bulletin

Rejet

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois février mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DUMONT, les observations de Me BLONDEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GALAND ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 Z... Rémi contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 16 mars 1992 qui, pour marchandage, l’a condamné à une amende de dix mille francs ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 122-3 du Code du travail, ensemble méconnaissance des exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale de ce que les droits de la défense postulent et de l’article 1787 du Code civil ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Remi Z... coupable du délit de marchandage prévu par l’article L. 125-1 du Code du travail et l’a en répression condamné à une amende de 10 000 francs ;

”aux motifs propres que les premiers juges ont retenu, pour entrer en voie de condamnation, que la convention conclue ne pouvait être qualifiée de sous-traitance, puisqu’un contrat de cette nature suppose que le chef d’entreprise offre à son cocontractant un travail ou un service réalisé par son propre personnel qui reste placé sous sa direction et sa responsabilité, et qu’un tel contrat a pour objet l’exécution d’une tâche objective, définie avec précision, habituellement rémunérée de façon forfaitaire ; que dans des conclusions régulièrement déposées, le conseil du prévenu soutient que cette appréciation n’est pas justifiée dès lors qu’il a été noté que M. André X... se servait de son petit outillage personnel ; qu’il est aussi soutenu que les ordres de service précisaient très exactement la nature et le délai d’exécution, la facturation cumulative établie correspondant à des situations de travaux ; qu’il est enfin rappelé qu’il appartenait à M. André X... de régler toutes les primes dues à M. Miguel A..., qui était son salarié et non celui de la société Soprema ;

”et aux motifs que cette argumentation ne saurait être accueillie ; qu’en effet, il appartient à la juridiction répressive saisie des poursuites exercées contre un employeur sur le fondement de l’article L. 1251 du Code du travail de rechercher, par l’analyse des éléments de la cause, la véritable nature de la convention intervenue entre les parties ; qu’en l’espèce, par des motifs pertinents qu’il convient d’adopter, les premiers juges ont à juste titre estimé, en tenant compte de l’ensemble des éléments du procès-verbal de l’inspection du travail ci-dessus analysés, que le contrat de sous-traitance conclu constituait en réalité une opération de fourniture de main d’oeuvre à but lucratif ayant eu pour effet d’éluder l’application des dispositions applicables aux salariés ;

”et aux motifs des premiers juges que Rémi Z..., ès-qualité de

directeur d’agence de la SA Soprema, est poursuivi du chef du délit de marchandage ; que ladite société a notamment pour activité l’étanchéité des toitures-terrasses des bâtiments en constuction et a conclu avec M. Manuel André Y... une convention de sous-traitance est une convention par laquelle une première entreprise offre à une seconde, l’entreprise utilisatrice, un travail ou un service réalisé par son propre personnel, resté placé sous la direction et la responsabilité de la première entreprise et qui a pour objet l’exécution d’une tâche objective, définie avec précision, habituellement rémunérée de façon forfaitaire ;

”et aux motifs encore que lors d’un premier contrôle en date du 26 avril 1989, l’inspecteur du travail constatait la présence de M. Manuel André X..., artisan, qui déclarait avoir conclu un contrat de sous-traitance avec la société Soprema ; qu’il utilisait le matériel (bouteilles de gaz, chalumeaux, couteaux...) et les matériaux (rouleaux de matières isolantes, gravillons) de la société Soprema et indiquait que son travail était dirigé par le commis de cette dernière société ; que lors d’un second contrôle en date du 3 mai 1989, le même salarié, M. Manuel André X... était accompagné d’un salarié, M. Miguel A..., son salarié depuis la veille, les mêmes matériaux et matériels jusqu’aux gants et spatules étant fournis par la société Soprema, et c’est le commis de cette société qui donne toute directive à MM. Manuel André X... et Miguel A... et qui contrôle régulièrement leur travail ; qu’il résulte des investigations de l’inspecteur travail que le contrat de sous-traitance est signé “à l’année” et non pour des travaux définis à l’avance ; que des ordres de service pour chaque chantier indiquent le genre de travail à effectuer, sans précision des chantiers qui n’apparaissent qu’au moment de la facturation ; qu’enfin la société Soprema fournit tous les matériaux et matériels et assure l’encadrement des chantiers par un chef d’équipe relevant lui-même d’un conducteur de travaux Soprema ; qu’au vu de ces données, on peut affirmer que le recours à l’emploi de M. A... constitue une opération de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif, que seules les entreprises de travail temporaire peuvent organiser, si bien qu’aux termes d’une jurisprudence bien établie, Rémi Z... sera retenu en qualité de coauteur du délit de marchandage ;

”et aux motifs enfin que cette opération porte préjudice à M. A... et qui ne perçoit aucune prime (salissure ou rendement) attribuée aux salariés de la société Soprema et ne peut bénéficier des avantages dont disposent les ouvriers appartenant à cette dernière société du fait de la constitution d’un comité d’entreprise ;

”alors que, d’une part, la Cour tant par ses motifs propres que par les motifs adoptés, ne précise pas en quoi l’opération aurait en elle-même un but lucratif et à l’égard de qui, la simple référence abstraite dans les termes de la loi à l’existence d’une opération de prêt de main d’oeuvre à but lucratif étant insuffisante pour que la chambre criminelle puisse exercer son contrôle sur la légalité de la

décison déférée à son examen ;

”alors que, d’autre part, et en toute hypothèse, la Cour ne s’exprime absolument pas avec la rigueur qui s’impose sur le moyen circonstancié faisant valoir que les rapports entre M. Manuel André X..., artisan, ayant une assurance professionnelle et travaillant avec tel ou tel compagnon et la société Soprema résultaient d’une convention de sous-traitance datée du 14 février 1989 ; que chaque chantier à intervenir et spécialement celui à propos duquel un procès-verbal a été établi par l’inspection du travail, faisait l’objet d’un ordre de service particulier, le contrat de sous-traitance prévoyant notamment les obligations du sous-traitant sur les plans fiscal et social, la responsabilité du seul sous-traitant quant aux modalités d’exécution des travaux à lui confiés, travaux qu’il devait réaliser selon les règles de l’art et achever dans les délais précisés par l’ordre de service, tout retard dans la livraison de l’ouvrage entraînant des pénalités journalières, le sous-traitant devant assumer toute responsabilité en matière de sécurité pour ce qui relevait de son autorité ;

”qu’ainsi ont été méconnues les exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale ;

”alors que de plus le prévenu insistait sur le fait que si le sous-traitant utilisait le matériel appartenant à la société Soprema et des matériaux d’étanchéité que cette dernière fabriquait, M. Manuel André X... fournissait le petit équipement et l’outillage personnel, ainsi que cela s’évinçait d’ailleurs du procès-verbal de l’inspection du travail ; que contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, la convention de sous-traitance était conclue non à l’année mais pour une période indéterminée et contenait l’énoncé des obligations respectives des parties, notamment celles relatives à la délivrance d’une ordre de service pour chaque chantier, ordre de service qui devra préciser “la nature, le prix, le lieu, les délais et les modalités techniques d’exécution” ; étant encore observé que contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, l’ordre de service concernant le chantier en question précise très exactement la nature et la description des travaux à réaliser, la somme payée au titre des mesures de sécurité dont le sous-traitant à la charge, le prix forfaitaire des travaux et le délai d’exécution ; que la criconstance que la société Soprema s’assurait en cours de chantier de la bonne exécution des travaux sous-traités apparaissait sans emport, dès lors que cette dernière reste responsable à l’égard du maître de l’ouvrage des non-façon et malfaçons, responsabilité d’autant plus lourde qu’il s’agit de l’étanchéité ;

”qu’en ne s’exprimant pas davantage sur ce moyen péremptoire critiquant de façon circonstanciée et pertinente l’analyse des premiers juges, la Cour méconnaît derechef les exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale, ensemble ce que les droits de la défense postulent ;

”alors enfin que le prévenu insistait sur le fait qu’on était en présence d’un contrat “de sous-traitance de pose”, contrat

s’analysant en une convention d’entreprise, le sous-traitant ayant à cet égard une obligation de résultat telle que rappelée à l’article 3 de la convention de sous-traitance, contrat s’inscrivant dans la ligne des dispositions de l’article 1787 du Code civil indiquant qu’on peut convenir spécialement avec un sous-traitant que celui-ci fournira seulement son travail ou son industrie et non la matière ; qu’en ne s’exprimant absolument pas sur la pertinence de ce moyen tiré d’une sous-traitance particulière, à savoir une “sous-traitance de pose”, la Cour méconnaît derechef ses obligations au regard des exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu, d’une part, que le moyen tend pour partie à remettre en cause les constatations de fait des juges du fond qu’il n’appartient pas à la Cour de Cassation de réviser et selon lesquelles l’agence de la société Soprema, dont Rémi Z... était le directeur, utilisait sous le couvert d’un contrat de sous-traitance conclu avec un artisan dépourvu de matériel et dont la rémunération était établie, non selon un prix forfaitaire, mais en raison du travail effectué (nombre de m ou unités de pièces), le service d’un ouvrier prêté en dehors des règles du travail temporaire par cet artisan et ne travaillant pas sous l’autorité de ce dernier, mais sous celle d’un commis de l’entreprise utilisatrice ; qu’à cet égard, il est irrecevable ;

Attendu, d’autre part, que, constatant que l’ouvrier en cause était moins rémunéré que ceux de l’entreprise utilisatrice, la cour d’appel a pu en déduire à l’égard de celle-ci le caractère lucratif de l’opération ;

Attendu, enfin, que la cour d’appel n’était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes sur la “sous-traitance de pose” dès lors que, même dans cette situation, le sous-traitant conserve son autorité sur son personnel, ce qui, selon les constatations des juges du fond, n’était pas le cas en l’espèce ;

D’où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 16 mars 1992

Titrages et résumés : TRAVAIL - Infractions - Marchandage - Fourniture de main-d’oeuvre à but lucratif - Fausse convention de sous traitance - Intention coupable - Constatations suffisantes.

Textes appliqués :
• Code de procédure pénale 593
• Code du travail L125-1 L122-3