Cumul oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 13 février 1996

N° de pourvoi : 95-82209

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. Le GUNEHEC, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize février mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de la société civile professionnelle GUIGUET, BACHELLIER et POTIER de la VARDE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 Y... André, contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6ème chambre, du 26 janvier 1995 qui l’a condamné à 1 mois d’emprisonnement avec sursis et 25 000 francs d’amende pour complicité de prêt de main-d’oeuvre illicite et à 10 000 francs d’amende pour infractions délictuelles à la réglementation de la sécurité des travailleurs ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 125-3 du Code du travail et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce qu’André Y... a été déclaré coupable de l’infraction de prêt de main d’oeuvre à but lucratif commise par Jacques X... ;

”aux motifs que Clément B..., chef de chantier de Flisothermi, a déclaré aux enquêteurs, à l’occasion de l’accident de Jean-Pierre A... qu’il avait la “responsabilité des quatre travailleurs intérimaires des sociétés Erain et Ecco” (D 3) ;

 que M.

Acquart, directeur commercial de Erain (ou technico commercial), a indiqué que les ouvriers de l’entreprise avaient été invités à se “mettre au service de Flisothermi” sur le chantier et qu’ils n’avaient apporté que leur “caisse à outils” le reste du matériel étant fourni par Flisothermi ;

 qu’André Y..., lui-même, a précisé que Jean-Pierre A... travaillait “pour le compte de ma société”, ce que Jean-Pierre A... a aussi compris puisqu’il a déclaré : “j’étais sous les ordres de Clément B... (Flisothermi) ... Il n’y avait aucun responsable de ma société ... de la part de ma société, je ne disposais d’aucun matériel ...” ;

 que Jacques X... (D 20) a indiqué que ses ouvriers devaient se mettre “sous la coupe de l’encadrement” de Flisothermi. Ces déclarations incompatibles avec la notion de contrat d’entreprise, établissent, au contraire, les délits reprochés aux prévenus. Ceux-ci seront donc déclarés coupables dans les termes de la prévention, le bon de commande allégué devant s’analyser comme le prix convenu d’un contrat ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre à but lucratif ;

”alors que dans ses conclusions d’appel, André Y... faisait valoir qu’il n’était pas gérant, mais seulement directeur commercial, donc simple préposé de la SARL Flisothermi à laquelle il n’était pas associé, et qu’il n’avait reçu du gérant aucune délégation de pouvoir ;

qu’en le déclarant coupable d’avoir commis l’infraction de prêt de main d’oeuvre à but lucratif sans répondre à ces conclusions, ni même faire apparaître qu’il aurait exercé en fait la direction de l’entreprise et disposé de l’autorité nécessaire pour veiller à l’observation de la loi en matière de réglementation de l’emploi, la Cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de motifs, et privé sa décision de base légale ;

”alors que les juges saisis de poursuites contre un employeur du chef d’opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre doivent rechercher la véritable nature de la convention intervenue entre les parties par l’analyse des éléments de la cause ;

que dès lors en se bornant, pour déclarer André Y..., directeur commercial de la SARL Flisothermi, coupable d’avoir commis une telle infraction, à relever que les trois ouvriers de la société Erain travaillaient sous les ordres d’un chef de chantier de la première de ces sociétés et n’avaient apporté sur le chantier que leur petit matériel, sans répondre aux conclusions d’appel suivant lesquelles la société Erain intervenait ainsi en exécution d’une commande établie pour un prix forfaitaire et pour une prestation technique déterminée relevant de la compétence spécifique en matière d’isolation thermique qu’elle avait déjà exercée comme sous-traitante soit, de la société Flisothermi soit, de nombreuses autres entreprises régionales, la collaboration étroite entre les équipes des deux sociétés résultant des conditions particulières relatives à l’exécution de cette prestation, la cour d’appel n’a pas, par ces motifs insuffisants, légalement constaté que la convention de sous-traitance invoquée avait en réalité le prêt de main-d’oeuvre pour objet exclusif” ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 263-2 du Code du travail et 593 du Code de procédure pénale ;

”en ce qu’ André Y... a été déclaré coupable d’infraction aux règles d’hygiène et de sécurité du travail ;

”aux motifs qu’André Y..., directeur d’Erain, signataire de la convention de travaux en dépenses contrôlées et du bon de commande du 11 septembre 1989, doit être considéré comme le responsable de la sécurité à raison de la latitude dont il disposait et des responsabilités qu’il exerçait. Il devait d’ailleurs succéder au président-directeur- général à compter de juillet 1990 et aux motifs adoptés des premiers juges que, si André Y... conteste être le gérant de droit de l’entreprise Flisothermi et fournissant un extrait K Bis indiquant “M. C... Georges” comme gérant il n’en résulte pas moins que le co-contractant X... ne connaît qu’André Y..., et que les ouvriers le considèrent comme le seul responsable. Il y a lieu d’appliquer la théorie de l’apparence ;

”alors qu’en statuant ainsi, sans constater que contrairement à ce qu’il indiquait dans ses conclusions d’appel, André Y... aurait reçu du gérant de la SARL Flisothermi délégation de l’autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l’observation des dispositions relatives à la sécurité des travailleurs, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs insuffisants, privant sa décision de base légale” ;

Les moyens étant réunis ;

Sur le premier moyen pris en sa seconde branche ;

Attendu que le moyen se borne à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, dont ils ont déduit que le contrat de sous-traitance invoqué par le prévenu dissimulait en réalité une opération irrégulière de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif ;

Sur le premier moyen pris en sa première branche et sur le second moyen ;

Attendu qu’en retenant la responsabilité pénale du prévenu par les motifs repris aux moyens, d’où il se déduit que celui-ci gérait en fait l’entreprise bénéficiaire du prêt de main-d’oeuvre illicite, la cour d’appel n’a pas encouru les griefs allégués ;

D’où il suit que les moyens ne sauraient être admis en aucune de leurs branches ;

Mais sur le moyen de cassation relevé d’office pris de la violation des articles 5 ancien, 112-1 alinéa 2 et 132-3 du Code pénal et L. 263-2 du Code du travail “ ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle est commise l’infraction lorsqu’elles sont moins sévères que les peines prévues par la loi nouvelle ;

Que par ailleurs, en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits en concours, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, seule la peine la plus forte doit être prononcée ;

Attendu qu’après avoir déclaré André Z... coupable de complicité de prêt de main-d’oeuvre illicite et de deux infractions au décret du 8 janvier 1965, la cour d’appel l’a condamné à 1 mois d’emprisonnement avec sursis et 25 000 francs d’amende pour le premier délit et à une amende de 10 000 francs pour les deux autres, commis courant 1989 ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que les infractions à la réglementation de la sécurité des travailleurs étant punies, en vertu de l’article L. 263-2 du Code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur, d’une peine d’amende d’un maximum de 15 000 francs, la peine la plus forte était celle afférente au délit de prêt de main-d’oeuvre illicite réprimé par l’article L. 152-2 du Code précité alors applicable, lequel prévoyait, hors le cas de récidive légale, non constaté en l’espèce, une seule peine d’amende d’un montant maximum de 20 000 francs, les juges ont méconnu les textes susvisés et les principes sus-énoncés ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions concernant le prononcé des peines l’arrêt de la cour d’appel de Douai, en date du 26 janvier 1995 ;

DIT, en application de l’article 612-1 du Code de procédure pénale, que l’annulation ainsi prononcée aura effet à l’égard tant du demandeur au pourvoi que de Jacques X..., son coprévenu, qui ne s’est pas pourvu ;

Et pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Douai, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Le Gunehec président, Mme Batut conseiller rapporteur, MM. Milleville, Guerder, Pinsseau, Joly, Pibouleau Mme Françoise Simon, M. Challe conseillers de la chambre, Mmes Batut, Fossaert-Sabatier conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de DOUAI 6ème chambre , du 26 janvier 1995

Titrages et résumés : (sur le moyen relevé d’office) CASSATION - Effet - Annulation - Portée - Extension à un co-prévenu ne s’étant pas pourvu.

Textes appliqués :
• Code de procédure pénale 612-1