Marchandage - prêt illicite de main d’oeuvre - utilisateur et ETT oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 12 décembre 2017

N° de pourvoi : 16-86244

ECLI:FR:CCASS:2017:CR02981

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

 La société D...Electronics,

 La société Samsic Intérim Aquitaine,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 20 septembre 2016, qui, pour prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage, les a condamnées, la première à 70 000 euros d’amende, la seconde à 60 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 31 octobre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle BOUTET et HOURDEAUX, de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAGAUCHE ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour la société Samsic Intérim Aquitaine, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 8241-1, L. 8231-1 du code du travail, 121-3 du code pénal, 388, 551, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Samsic Intérim Aquitaine coupable des délits de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage ;

” aux motifs que les délits de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage sont parfaitement établis à l’encontre de la société D...et à l’encontre de la société Samsic ; que les éléments précis, détaillés et circonstanciés, fournis par l’inspection du travail, et rappelés ci-dessus, démontrent à l’évidence que, sur cette période du 8 décembre 2007 au 8 décembre 2010, la société D...et la société Samsic ont recouru massivement au travail temporaire, alors que celui-ci ne peut être utilisé comme un mode habituel et normal de gestion du personnel, sachant que l’affectation de salariés temporaires à des tâches permanentes constitue une fraude à la loi (crim. 22 juin 1999) ; que ce recours massif au travail précaire n’a pas été réalisé dans le respect des dispositions relatives au travail temporaire, ce qui caractérise une opération de prêt illicite de main-d’oeuvre, entrant dans les prévisions de l’article L. 8243-1 du code du travail, cette opération ayant donc été effectuée en dehors des dispositions de l’article L. 8241-1 du code du travail ; qu’il doit être à nouveau souligné que les salariés travaillant en intérim ou en CDD pour le compte de la société D..., et mis à disposition par la société Samsic, occupaient toujours des tâches similaires, celles d’un opérateur d’atelier, sans aucune spécificité et sans aucune prestation présentant un caractère propre, et dans des conditions de travail identiques ; que ces salariés venaient pourvoir des postes liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise, sans que cette dernière ne justifie d’une quelconque manière de l’accroissement temporaire d’activité ; que ce recours massif au travail précaire n’a pas été réalisé conformément à l’intérêt des salariés, puisque cette fourniture de main-d’oeuvre a eu pour effet de causer un préjudice certain à ces salariés, lesquels ont été maintenus abusivement dans un statut de précarité, et ont été moins bien rémunérés que les salariés permanents, de sorte que, sous couvert de contrats successifs, ils ont occupé des emplois permanents, faisant ainsi échec aux dispositions de l’article L. 1251-5 du code du travail, au terme duquel le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour effet ni pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ; qu’il suffit d’ajouter, comme cela a été suffisamment démontré par l’inspection du travail, au regard de la société D..., que les effectifs de son site de Saint-Loubes étaient, presque en permanence, constitués de 50 à 60 % de travailleurs temporaires, et que les motifs de recours au travail temporaire étaient presque systématiquement toujours les mêmes, et, au regard de la société Samsic, qu’une très grande majorité des travailleurs temporaires était fournie par cette société à la société D..., ce qui, à l’évidence, démontre tout l’intérêt économique que la première avait à fournir une telle quantité de travailleurs temporaires à la seconde ; que les représentants de ces deux sociétés n’ont pas à proprement parler contesté les faits qui leur sont reprochés, ni dans leurs déclarations initiales, ni dans leurs déclarations à la cour : ils ont tenté de justifier leurs agissements par les obligations du marché du travail, par les exigences économiques actuelles et par la nécessité d’une certaine flexibilité dans le travail ; qu’il suffit d’ajouter que les dirigeants de la société D...ont expliqué que ce recours massif au travail temporaire se justifiait par la plus grande efficacité des travailleurs temporaires par rapport aux travailleurs permanents, se justifiait aussi par la nécessite d’éviter les coûts d’un licenciement et se justifiait enfin par l’intérêt qu’il y avait à éviter une éventuelle fermeture de l’établissement ou une éventuelle délocalisation vers l’étranger, que, enfin, il est amplement démontré que les dirigeants de la société D...ont été, à de nombreuses reprises, alertés par l’inspection du travail sur les risques qu’il y avait à poursuivre dans cette voie, mais n’ont rien changé à leurs manières d’opérer : que la société Samsic en a été nécessairement informée et là non plus n’a rien changé à ses pratiques, considérant, comme son directeur l’a affirmé, qu’une société de travail temporaire ne devait guère se préoccuper de conseiller ses clients, pas plus qu’elle ne devait se préoccuper de la réalité du travail des salariés mis à la disposition de l’entreprise utilisatrice ; que c’est à tort que la société D...évoque à nouveau les questions de la nullité du procès-verbal de l’inspection du travail et des auditions réalisées par le ministère public, et la question de l’impartialité et de la neutralité des inspecteurs du travail, toutes questions définitivement tranchées par la cour de céans ; que c’est à tort également qu’elle affirme, sans le démontrer, que le procès-verbal de l’inspection du travail ne bénéficierait d’aucune force probante ; que c’est à tort enfin qu’elle limite son examen aux seuls douze salariés énumérés à la prévention, dès lors que cette dernière contient le terme « notamment », qui impose évidemment une étude plus globale ; que c’est à tort que la société Samsic limite son examen aux seuls six salariés énumérés à la prévention, dès lors que cette dernière contient le terme « notamment », qui impose évidemment une étude plus globale ;

” 1°) alors que la cassation à intervenir sur le pourvoi connexe formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 mars 2015 ayant rejeté l’exception de nullité du procès-verbal du 8 décembre 2010 et des auditions effectuées par le parquet, entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l’arrêt objet du présent pourvoi ;

” 2°) alors que les juges ne peuvent statuer que dans les limites de leur saisine, définie dans la citation ; que pour demander sa relaxe des chefs de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage, la société Samsic faisait valoir qu’aux termes de la citation, ces deux infractions auraient été commises au moyen de recours illicites et irréguliers à des contrats de travail temporaires multiples et successifs pour pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice, notamment à l’égard de Mmes X..., Y..., Z..., A..., B...et C...et « de s’être ainsi rendue complice de six infractions distinctes » ; qu’au titre du recours illégal à des salariés intérimaires, la citation ne visait ainsi que six infractions commises à l’égard de six salariées nommément désignées ; qu’après avoir démontré que le recours illégal à des contrats de mise à disposition pour ces six salariées n’était pas démontré par l’autorité de poursuite, la société Samsic a soutenu qu’elle ne pouvait être déclarée coupable des délits de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage ; qu’en retenant néanmoins que la société Samsic avait à tort limité son examen aux six salariées énumérées à la prévention, dès lors que cette dernière contenait le terme « notamment », qui imposait une analyse globale quand les termes de la citation indiquaient clairement que l’exposante était poursuivie pour six infractions distinctes à l’égard de six salariés, la cour d’appel a statué au-delà des limites de sa saisine ;

” 3°) alors qu’il n’y a pas de délit sans intention de le commettre ; que l’exposante faisait valoir (v. ses concl. pp. 32 al. 1er et 33 dern. al.) qu’en tant qu’entreprise de travail temporaire, dont l’activité régulière consiste en des prêts de main d’oeuvre à but lucratif, elle n’avait fait qu’appliquer les éléments portés à sa connaissance par la société utilisatrice ; qu’elle précisait que les contrats de mise à disposition mentionnaient que les « informations concernant le motif, la durée, la rémunération et les caractéristiques particulières du poste de travail sont données sous la responsabilité de l’utilisateur, seul habilité à les justifier » ; qu’elle ajoutait que si des salariés intérimaires avaient été privés des avantages consentis aux salariés de la société D...Electonics, elle ignorait l’existence de tels avantages ; qu’en déclarant la société Samsic coupable des délits de prêts illicites de main d’oeuvre et de marchandage, sans même rechercher si, au vu de ces éléments, elle avait véritablement conscience de l’irrégularité des demandes de la société utilisatrice, la cour d’appel a privé sa décision de base légale “ ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour la société D...Electronics, pris de la violation des articles 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 1251-5, L. 1251-6, L. 8231-1, L. 8234-1, L. 8234-2, L. 8241-1, L. 8241-2, L. 8243-1 du code du travail, 121-2 du code pénal, préliminaire, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à chef péremptoire des conclusions, manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société D...Electronics coupable des délits de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage et l’a condamnée à une peine de 70 000 euros d’amende avant de rejeter sa demande de non-inscription de la peine au bulletin n° 2 du casier judiciaire ;

” aux motifs que les éléments précis, détaillés et circonstanciés, fournis par l’inspection du travail et rappelés ci-dessus, démontrent à l’évidence que, sur cette période du 8 décembre 2007 au 8 décembre 2010, la société D..., et la société Samsic, ont recouru massivement au travail temporaire, alors que celui ne peut être utilisé comme un mode habituel et normal de gestion du personnel, sachant que l’affectation de salariés temporaires à des tâches permanentes constitue une fraude à la loi (Crim., 22 juin 1999) ; que ce recours massif au travail précaire n’a pas été réalisé dans le respect des dispositions relatives au travail temporaire, ce qui caractérise une opération de prêt illicite de main-d’oeuvre, entrant dans les prévisions de l’article L. 8243-1 du code du travail, cette opération ayant donc été effectuée en dehors des dispositions de l’article L. 8241-1 du code du travail ; qu’il doit être à nouveau souligné que les salariés travaillant en intérim ou en CDD pour le compte de la société D..., et mis à disposition par la société Samsic, occupaient toujours des tâches similaires, celles d’un opérateur d’atelier, sans aucune spécificité et sans aucune prestation présentant un caractère propre, et dans des conditions de travail identiques : ces salariés venaient pourvoir des postes liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise, sans que cette dernière ne justifie d’une quelconque manière de l’accroissement temporaire d’activité ; que ce recours massif au travail précaire n’a pas été réalisé conformément à l’intérêt des salariés, puisque cette fourniture de main-d’oeuvre a eu pour effet de causer un préjudice certain à ces salariés, lesquels ont été maintenus abusivement dans un statut de précarité, et ont été moins bien rémunérés que les salariés permanents, faisant ainsi échec aux dispositions de l’article L. 1251-5 du code du travail, au terme duquel le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour effet ni pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ; qu’il suffit d’ajouter, comme cela a été suffisamment démontré par l’inspection du travail, au regard de la société D..., que les effectifs de son site de Saint-Loubès étaient, presque en permanence, constitués de 50 à 60 % de travailleurs temporaires, et que les motifs de recours au travail temporaire étaient presque systématiquement toujours les mêmes, et, au regard de la société Samsic, qu’une très grande majorité des travailleurs temporaires était fournie par cette société à la société D..., ce qui, à l’évidence, démontre tout l’intérêt économique que la première avait à fournir une telle quantité de travailleurs temporaires à la seconde ; que d’ailleurs, les représentants de ces deux sociétés n’ont pas à proprement parler contesté les faits qui leur sont reprochés, ni dans leurs déclarations initiales, ni dans leurs déclarations devant la cour ; qu’ils ont tenté de justifier leurs agissements par les obligations du marché du travail, par les exigences économiques actuelles et par la nécessité d’une certaine flexibilité dans le travail ; qu’il suffit d’ajouter que les dirigeants de la société D...ont expliqué que ce recours massif au travail temporaire se justifiait par la plus grande efficacité des travailleurs temporaires par rapport aux travailleurs permanents, se justifiait aussi par la nécessité d’éviter les coûts d’un licenciement et se justifiait enfin par l’intérêt qu’il y avait à éviter une éventuelle fermeture de l’établissement ou une éventuelle délocalisation vers l’étranger ; qu’enfin, il est amplement démontré que les dirigeants de la société D...ont été, à de nombreuses reprises, alertés par l’inspection du travail sur les risques qu’il y avait à poursuivre dans cette voie, mais n’ont rien changé à leurs manières d’opérer : la société Samsic en a été nécessairement informée, et là non plus, n’a rien changé à ses pratiques, considérant, comme son directeur l’a affirmé, qu’une société de travail temporaire ne devait guère se préoccuper de conseiller ses clients, pas plus qu’elle ne devait se préoccuper de la réalité du travail des salariés mis à la disposition de l’entreprise utilisatrice ; que c’est à tort que la société D...évoque à nouveau les questions de nullité du procès-verbal de l’inspection du travail et des auditions réalisées par le ministère public, et la question de l’impartialité et de la neutralité des inspecteurs du travail, toutes questions définitivement tranchées par la cour de céans ; que c’est à tort également qu’elle affirme, sans le démontrer, que le procès-verbal de l’inspection du travail ne bénéficierait d’aucune force probante ; que c’est à tort enfin qu’elle limite son examen aux seuls douze salariés énumérés à la prévention, dès lors que cette dernière contient le terme « notamment », qui impose évidemment une étude plus globale ; que c’est à tort que la société Samsic limite son examen aux seuls six salariés énumérés à la prévention, dès lors que cette dernière contient le terme « notamment », qui impose évidemment une étude plus globale ; que dès lors, et pour l’ensemble de ces motifs, il y a lieu de déclarer la société D...Electronics et la société Samsic coupables des délits de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage ;

” 1°) alors que la déclaration de culpabilité des chefs de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage prononcée par l’arrêt attaqué est exclusivement fondée sur les éléments détaillés du procès-verbal de l’inspection du travail du 8 décembre 2010 ainsi que sur les auditions réalisées par le ministère public en violation des dispositions des articles 60 et 77-1 du code de procédure pénale ; que la cassation qui ne manquera pas d’intervenir à la suite du pourvoi formé par l’exposante contre l’arrêt de la 3ème chambre correctionnelle de la cour d’appel de Bordeaux du 24 mars 2015 ayant rejeté les exceptions de nullité qu’elle avait soulevées, entraînera immanquablement la censure des condamnations prononcées des chefs de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage sur le fondement d’un procès-verbal et d’auditions entachés de nullité ;

” 2°) alors que les juges sont tenus de statuer sur les faits dont ils sont saisis par la citation ; qu’il résulte en l’espèce des propres énonciations de l’arrêt attaqué que la société D...Electronics était prévenue des chefs de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage au préjudice de douze salariés nommément visés ; que dans ses conclusions d’appel régulièrement déposées, la société D...Electronics avait démontré l’absence d’éléments probants réunis par l’accusation à leur égard, dans la mesure où, pour la plupart d’entre eux, soit les salariés en question n’avaient pas même été mentionnés dans le procès-verbal de l’inspecteur du travail, soit n’avaient pas été auditionnés, de sorte qu’aucun élément ne permettait d’établir le prétendu non-respect, par la société D...Electronics des dispositions sur le travail temporaire les concernant ; que bien qu’expressément saisie des faits de marchandage au préjudice de ces douze salariés, la cour d’appel est entrée en voie de condamnation à l’encontre de la société D...Electronics sans avoir même recherché si les éléments du délit étaient caractérisés à l’encontre de chacun d’entre eux, en se bornant à invoquer une « étude plus globale » ; qu’en prononçant ainsi quand il lui appartenait a minima de vérifier la constitution du délit pour chacun des salariés visés à la prévention, la cour d’appel a méconnu les textes visés au moyen et privé sa décision de toute base légale ;

” 3°) alors qu’il résulte des dispositions de l’article L. 1251-6 du code du travail qu’un recours même important à l’intérim est autorisé lorsqu’il est justifié par l’exécution de tâches non durables telles qu’un accroissement temporaire d’activité ; qu’il est constant par ailleurs que les juges du fond sont tenus d’apprécier la portée des constatations de fait personnellement effectuées par l’inspecteur du travail, sans être liés par les déductions exprimées par ce dernier ; que pour conclure à un recours abusif de la société D...Electronics aux contrats précaires, l’inspection du travail s’était fondée sur la prétendue stabilité de l’activité sur une année au regard de l’évolution du nombre d’appareils traités par la société D...Electronics, les variations d’activité d’un mois sur l’autre lui étant apparues faibles ce dont elle avait déduit une utilisation qualifiée d’abusive du motif d’accroissement temporaire d’activité ; que dans ses conclusions régulièrement développées, la société D...Electronics avait dénoncé le caractère inadapté de cette méthode pour analyser une éventuelle hausse de charges sur le site de Saint-Loubès dès lors que l’activité du site était susceptible d’évoluer du jour au lendemain, la société s’engageant, auprès de ses clients, à effectuer les réparations demandées dans des délais de 48 à 72 heures ; que seule l’évolution quotidienne ou tout au plus hebdomadaire du nombre d’appareils traités sur site était susceptible d’analyser de manière pertinente les hausses et baisses d’activités, une moyenne mensuelle, lissant par définition les baisses et hausses de volume, et étant à l’évidence inadaptée à établir un accroissement temporaire d’activité ; qu’en se bornant, pour déclarer la prévenue coupable, à affirmer que ce recours massif au travail précaire n’a pas été réalisé dans le respect des dispositions relatives au travail temporaire, sans même rechercher à établir si la méthode utilisée par l’inspection du travail pour conclure à une utilisation abusive du motif d’accroissement temporaire d’activité, était pertinente compte-tenu de la particularité de l’activité de la société D...Electronics marquée par une absence de visibilité et une imprévisibilité de l’évolution de l’activité quotidienne de ses sites, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

” 4°) alors que la charge de la preuve de la culpabilité du prévenu incombe à la partie poursuivante et que le doute profite à l’accusé ; que pour entrer en voie de condamnation du chef de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage à l’encontre de la société D...Electronics, la cour d’appel affirme que cette dernière n’a pas justifié d’une quelconque manière de l’accroissement temporaire d’activité ; qu’en statuant ainsi par des motifs impliquant un renversement de la charge de la preuve, quand il appartenait au contraire à la partie poursuivante de démontrer que la société avait recouru à des salariés temporaires en l’absence d’accroissement temporaire de son activité, la cour d’appel a méconnu les textes et principes visés au moyen, ensemble le principe de la présomption d’innocence, et privé sa décision de toute base légale ;

” 5°) alors que le recours habituel à un prêt de main-d’oeuvre n’est illicite que si l’opération a été source de profit pour l’entreprise utilisatrice ; que dans ses conclusions d’appel régulièrement déposées, la société D...Electronics avait souligné n’avoir aucun intérêt financier concret en la matière compte-tenu de l’importance du coût afférent à l’utilisation des services d’entreprises de travail temporaire ; qu’elle invoquait ainsi le rapport établi le 20 mai 2011 à la demande du comité d’établissement, lequel avait relevé « un coût moyen de l’intérim supérieur à celui des effectifs internes » ; que pour entrer néanmoins en voie de condamnation à son encontre des chefs de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage, la cour d’appel se borne à relever « l’intérêt économique » que la société Samsic avait à fournir une telle quantité de travailleurs temporaires à la société D... ; qu’en condamnant ainsi la prévenue sur la seule constatation du profit retiré par l’entreprise prêteuse de main-d’oeuvre, sans avoir nullement caractérisé en quoi le recours massif au travail temporaire aurait engendré le moindre profit à l’entreprise utilisatrice, et sans même rechercher à répondre aux chefs péremptoires des conclusions de cette dernière ayant démontré l’absence de toute économie réalisée par la société D...Electronics du fait du recours à des salariés intérimaires, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

” 6°) alors que le délit de marchandage n’est constitué qu’autant qu’il est caractérisé que l’opération de prêt de main-d’oeuvre illicite a causé un préjudice au salarié concerné ; que dans ses conclusions régulièrement déposées, la société D...Electronics contestait l’existence d’un tel préjudice en rappelant que l’entreprise veillait scrupuleusement à garantir au personnel sous contrat de travail temporaire les mêmes règles de rémunération et avantages que ceux dont bénéficiaient les salariés en CDI, comme en attestaient les contrats de mission conclus avec les agences d’intérim figurant au dossier pénal, qui mettaient en évidence que les primes de 13ème mois, les primes de transport, et les primes d’équipe avaient bien été perçues par l’ensemble des salariés mis à disposition dans le cadre de contrats de travail temporaire ; qu’en affirmant, sans même s’en expliquer, que les salariés intérimaires « ont été moins bien rémunérés que les salariés permanents », quand cette affirmation était contredite par les pièces de la procédure invoquées par la prévenue dans ses conclusions d’appel, lesquelles mettaient au contraire en évidence l’absence de toute inégalité de traitement quant aux éléments salariaux entre les salariés recrutés sous contrat de travail temporaire et les salariés en CDI, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen ;

” 7°) alors que, lorsqu’une infraction est imputée à une personne morale et que les poursuites sont dirigées contre cette dernière, les juges du fond sont tenus, avant d’entrer en voie de condamnation, de constater que l’infraction retenue a bien été commise, pour son compte, par un organe ou un représentant ; qu’en l’espèce, en se bornant à déclarer la société D...Electronics coupable des chefs de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage, sans rechercher par quel organe ou représentant les délits reprochés à la personne morale avaient été commis pour son compte, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 121-2 du code pénal et privé sa décision de toute base légale “ ;

Les moyens étant réunis ;

Sur les moyens, pris en leur première branche :

Attendu que, par arrêt de ce jour, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par les sociétés précitées, à l’encontre de l’arrêt en date du 24 mars 2015 ayant prononcé sur les exceptions de nullité qu’elles avaient présentées ;

D’où il suit que le grief n’est pas fondé ;

Sur les moyens, pris en leurs autres branches :

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du procès-verbal de l’inspection du travail, base des poursuites et des autres pièces de procédure que la société anonyme D...Electronics, ayant un chiffre d’affaires de 135 millions d’euros et disposant de plusieurs établissements dont celui de Bordeaux qui emploie trois cents salariés, est spécialisée dans la réparation et le réglage des téléphones mobiles, des box, des décodeurs numériques et des produits micro-informatiques ; que l’inspection du travail ayant effectué au sein de cet établissement un contrôle à partir de 2007, a relevé, par procès-verbal du 8 décembre 2010, des infractions de prêt illicite de main d’oeuvre, marchandage et infractions à la législation sur le travail temporaire, et ce, à l’encontre de la société D...Electronics ainsi que de plusieurs entreprises de travail temporaire, dont la société Samsic Intérim Aquitaine ; que les sociétés précitées ont été poursuivies de ces chefs devant le tribunal correctionnel qui a accueilli l’exception de nullité du procès-verbal de l’inspection du travail et des auditions réalisées en enquête préliminaire et annulé par voie de conséquence les citations introductives d’instance ; que le ministère public a interjeté appel du jugement ;

Attendu que, pour déclarer la société D...Electronics et la société Samsic Intérim Aquitaine coupables des faits, sous les qualifications de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage, l’arrêt énonce que le contrôle de l’inspection du travail a mis en évidence le recours, par la première société dirigée par M. D..., à une majorité de contrats de travail temporaires durables et réguliers, en 2007 et 2008 qui se sont poursuivis lors d’un contrôle le 15 juin 2010, gérés en permanence par des agences d’intérim, sur des postes permanents, alors que l’activité apparaissait stable sur une année avec des successions régulières d’entrées et de sorties de produits ; que les juges retiennent que les contrats de travail temporaire, sous la forme de contrat à durée déterminée ou en intérim, se succédaient sans interruption et sans respect des délais de carence, sur des postes et des missions présentant des tâches similaires, dépourvues de spécificité et de caractère propre ; qu’ils relèvent que le recours structurel à l’intérim résultait, pour la société D...Electronics, de la volonté d’éluder les coûts induits par les procédures individuelles et collectives de licenciement et que cette fourniture de main d’oeuvre a eu pour effet de causer un préjudice certain à ces salariés, maintenus abusivement dans un statut de précarité, moins rémunéré que des emplois permanents ;

Qu’ils ajoutent que l’entreprise D...Electronics faisait presque toujours appel aux mêmes intérimaires connus, en particulier la société Samsic Intérim Aquitaine, en qualité de gestionnaire d’une proportion de 55 % de travailleurs précaires affectés en permanence à l’établissement ; qu’ils énoncent enfin que M. E..., président de la société holding Samsic Intérim Aquitaine, a indiqué, lors de son audition, qu’il n’appartenait pas à l’entreprise de vérifier la réalité du travail accompli par les salariés de l’entreprise utilisatrice, ni le respect des délais de carence ; qu’ils observent toutefois que la société D...Electronics était un client très important et même déterminant pour la société Samsic Intérim Aquitaine, lui assurant 90 % de sa marge, et qu’elle offrait des prestations de gestion d’intérimaires et non de délégation ; qu’ils ajoutent que c’est à tort que la société D...Electronics et la société Samsic Intérim Aquitaine ont soutenu que la prévention était limitée aux six salariés énumérés dans la citation, dès lors que celle-ci intègre le terme “ notamment “, ce qui impose une analyse plus globale ; qu’ils déduisent de l’ensemble de ces constatations que les recours massifs au travail précaire, sans qu’aient été respectées les dispositions sur le travail temporaire, caractérisent une opération de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, déduites de son appréciation souveraine des faits et des circonstances de la cause contradictoirement débattus, qui établissent, à l’encontre des sociétés précitées, en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnels, les infractions de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage, prévues et réprimées par les articles L. 8241-1 et L. 8231-1 du code du travail, commises pour leur compte par leurs représentants, la cour d’appel, qui n’a pas excédé sa saisine et n’était pas tenue de suivre les prévenues dans tout le détail de leur argumentation, a justifié sa décision sans encourir les griefs visés aux moyens ;

D’où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze décembre deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux , du 20 septembre 2016