Prêt illicite oui

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 novembre 2021, 19-24.377, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale

N° de pourvoi : 19-24.377
ECLI:FR:CCASS:2021:SO01226
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle partiellement sans renvoi

Audience publique du jeudi 04 novembre 2021
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, du 19 septembre 2019

Président
M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SARL Cabinet Munier-Apaire, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

SG

COUR DE CASSATION


Audience publique du 4 novembre 2021

Cassation partielle partiellement sans renvoi

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1226 F-D

Pourvoi n° Q 19-24.377

Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [P].
Admission du Bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 mai 2020.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 NOVEMBRE 2021

La société BP France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° Q 19-24.377 contre l’arrêt rendu le 19 septembre 2019 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [W] [P], domicilié [Adresse 9],

2°/ à la société Adecco France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société Total, dont le siège est [Adresse 6], société européenne, anciennement Total, société anonyme,

4°/ à la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La société Total et la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation ont formé un pourvoi incident commun contre le même arrêt.

La société Adecco France a également formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse, au pourvoi principal, invoque, à l’appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La société Total et la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation, invoquent à l’appui de leur pourvoi incident, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La société Adecco France, invoque à l’appui de son pourvoi incident, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société BP France, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [P], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Adecco France, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Total et de la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation, après débats en l’audience publique du 15 septembre 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 septembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 9 juin 2017, pourvoi n° 15-28.544), et les pièces de la procédure, M. [P] a été engagé en qualité d’avitailleur et chauffeur poids-lourds sur le site de l’aéroport de [8], par la société de travail temporaire Adecco France (la société Adecco) suivant plusieurs contrats de mission du 4 mai 1991 au 30 novembre 2005.

2. Faisant valoir qu’il avait été affecté au sein du groupement d’intérêt économique dénommé Groupement pour l’avitaillement [8] (le GIE) créé par la société BP France (la société BP) et la société Total qui en étaient membres, il a saisi, le 30 septembre 2010, la juridiction prud’homale à l’effet d’obtenir la requalification de sa relation contractuelle en contrat à durée indéterminée et la condamnation du GIE et des sociétés BP, Total et Adecco ainsi que de la chambre de commerce et d’industrie de [8] (la CCI), au paiement de diverses sommes au titre de la requalification et de la rupture du contrat de travail.

3. La société en nom collectif dénommée Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation (la Sasca) au profit de laquelle les sociétés BP et Total ont conclu un traité d’apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions, étant volontairement intervenue à l’instance, le salarié a demandé sa condamnation aux côtés des sociétés BP, Total et Adecco. Il s’est désisté de son action à l’encontre de la CCI.

Examen des moyens

Sur les premiers moyens du pourvoi principal de la société BP, du pourvoi incident des sociétés Total et Sasca et du pourvoi incident de la société Adecco, ci-après annexés

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le deuxième moyen du pourvoi incident des sociétés Total et Sasca, réunis

Enoncé des moyens

5. Par leur deuxième moyen, celui des sociétés Total et Sasca, pris en ses deux premières branches, les sociétés BP, Total et Sasca font grief à l’arrêt de requalifier les contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée, de dire que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, de les condamner, in solidum avec la société Adecco, à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite et diverses sommes à titre d’indemnité de requalification, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour perte du droit individuel à la formation, de dire que la charge finale desdites condamnations sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP, Total et Sasca et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco, et d’ordonner aux sociétés Adecco, BP, Total et Sasca, de remettre divers documents sociaux, alors :

« 1°/ qu’aux termes de l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de travail de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise-utilisatrice ; qu’il résulte de l’article L. 1251-6 du même code, qu’un contrat de mission peut être conclu pour le remplacement d’un salarié, notamment en cas d’absence ou de suspension du contrat de travail, et en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; qu’il résulte du sens et de la portée de ces dispositions, lues à la lumière de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, que la circonstance qu’un nombre important de contrats intérimaires se soient succédé sur une période donnée en vue de remplacer des salariés absents ou de faire face à un accroissement temporaire d’activité, et que le salarié employé ait été recruté pour effectuer des tâches identiques ou similaires, ne saurait suffire à caractériser un recours au travail intérimaire ayant pour objet de satisfaire à un besoin structurel de main-d’oeuvre et de pourvoir à un poste permanent de l’entreprise ; qu’en particulier, la brièveté de tout ou partie des contrats, comme leur discontinuité, constituent des indices significatifs qu’il ne s’agit pas de pourvoir un poste permanent ; qu’en l’espèce, pour ordonner la requalification des contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée à l’égard des sociétés BP et Total, la cour d’appel a retenu que "365 contrats de mission ont été conclus entre le salarié et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005", que "ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité" et que "l’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui" ; qu’en se déterminant ainsi, au regard du seul nombre de missions conclues avec l’intéressé, de la durée globale de celles-ci et du poste occupé par le salarié lors des missions, sans caractériser concrètement, au regard -outre de la nature des emplois successifs occupés par le salarié- de la structure des effectifs de la société BP, que les diverses mises à disposition du salarié avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ce qui supposait notamment la vérification de la réalité des remplacements opérés et des accroissements temporaires de l’activité de la société BP dont il était justifié par celle-ci, la cour d’appel, qui ne s’est pas livrée à l’analyse comparée de l’activité normale de l’entreprise et de celle justifiant l’embauche de l’intéressé et n’a pas vérifié si les effectifs habituels de l’entreprise pouvaient absorber les absences des salariés remplacés et les surcroîts de travail invoqués par elle, a violé les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail, lue à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 ;

2°/ qu’en statuant comme elle l’a fait, par référence aux missions accomplies par le salarié au sein du GIE, sans faire ressortir en quoi, pour la société BP et pour la société Total, chacune prise isolément, le nombre et la fréquence des contrats de mission exécutés en leur sein, qui ne sont pas précisés, permettraient d’établir que le salarié aurait occupé durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la société BP et à celle de la société Total, la cour d’appel a, derechef, violé les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail. »

6. Par leur deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, les sociétés Total et Sasca font le même grief à l’arrêt, alors :

« 3°/ que dans leurs écritures, les sociétés Total et Sasca avaient soutenu et démontré, ainsi que cela ressortait des contrats produits par le salarié et du tableau récapitulatif qu’elles avaient réalisé, d’une part, que sur une période de 10 ans, l’intéressé n’avait effectué dans le cadre de sa spécialité d’avitailleur que 340 missions très brèves pour trois sociétés pétrolières différentes, soit en moyenne 11 missions par an alternativement pour chacune de ces sociétés, d’autre part, qu’à partir du 15 mai 2002, il avait effectué 49 mois de longues missions pour la CCI, de 3 à 8 mois chacune ce qui explique qu’un accord transactionnel soit intervenu entre la CCI et lui, en sorte que sur cette période, il n’avait travaillé en moyenne pour les sociétés BP, Total et Elf que de 1 à 6 jours par mois, enfin, que sur la période du 4 mai 1991 au 31 novembre 2005, soit environ 14 ans, les périodes de suspension de travail du salarié ou de travail pour d’autres employeurs ont duré 72 mois, autant d’éléments démontrant le caractère par nature temporaire de son emploi et qu’il n’était pas affecté au fonctionnement normal et permanent de la société Total ; qu’en se bornant à affirmer, sur la seule base du nombre de contrats, que le salarié était affecté au fonctionnement normal de l’entreprise sans répondre à ce moyen précis et circonstancié des écritures des exposantes, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4°/ qu’en affirmant que le salarié n’aurait effectué que des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprises cependant qu’il résultait des contrats produits par celui-ci et du tableau récapitulatif réalisé sur la base desdits contrats par les sociétés Total et Sasca qu’à partir du 15 mai 2002, l’intéressé avait effectué 49 mois de longues missions pour la CCI, de 3 à 8 mois chacune ce qui explique qu’un accord transactionnel soit intervenu entre la CCI et lui, en sorte que sur cette période, il n’avait travaillé en moyenne pour les sociétés BP, Total et Elf que de 1 à 6 jours par mois, enfin, que sur la période du 4 mai 1991 au 31 novembre 2005, soit environ 14 ans, les périodes de suspension de travail du salarié ou de travail pour d’autres employeurs ont duré 72 mois, la cour d’appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Procédant à un examen qu’elle qualifiait de détaillé des exemplaires des trois cent soixante-cinq contrats de mission conclus entre le salarié et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005 au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité, la cour d’appel a, d’abord, constaté que ces contrats s’étaient succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par les sociétés Total et BP, et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui. Elle a également relevé la durée exceptionnelle de l’emploi du salarié.

8. Elle a ainsi fait ressortir que le salarié avait occupé pendant quatorze ans le même poste d’avitailleur quel que fût le motif du recours au travail temporaire, ce dont il résultait qu’il y avait été recouru pour faire face à un besoin structurel de main d’oeuvre des entreprises utilisatrices.

9. Elle a encore constaté à la lecture des exemplaires salariés des relevés d’heures ainsi que des exemplaires de contrats de mission émis par la société Adecco et signés du client GIE que celui-ci y figurait comme société utilisatrice et estimé que le fait que le salarié ait pu effectuer des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprises était sans incidence sur la régularité avec laquelle il avait été mis à disposition des entreprises utilisatrices GIE, Total et BP.

10. Elle a pu déduire, sans encourir les griefs des moyens, de la succession de contrats conclus, que l’emploi occupé par le salarié n’avait pour objet que de permettre le fonctionnement normal et permanent du GIE et celui de ses membres, les sociétés Total et BP.

11. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Sur le troisième moyen du pourvoi incident de la société Adecco

Enoncé du moyen

12. La société Adecco fait grief à l’arrêt de la condamner in solidum avec les sociétés BP, Total et Sasca à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite, de dire que la charge finale de cette condamnation sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à sa charge et de la condamner in solidum avec les sociétés BP, Total et Sasca à payer au salarié une certaine indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, alors :

« 1°/ que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite dès lors qu’elle n’est pas effectuée dans le cadre des dispositions du code du travail relatives au travail temporaire ; qu’il en résulte qu’une entreprise de travail temporaire qui met à disposition temporaire un salarié au bénéfice d’un client utilisateur pour l’exécution d’une mission, ne peut être sanctionnée pour prêt de main-d’oeuvre illicite du seul fait du non-respect des prescriptions relatives aux mentions devant figurer dans les contrats de mission, lequel n’a pas pour effet de placer l’opération en dehors du cadre du travail temporaire ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’ancien article L. 125-3 du code du travail devenu l’article L. 8241-1 du code du travail ;

2°/ que l’infraction de prêt de main-d’oeuvre illicite requiert un élément intentionnel ; qu’en affirmant péremptoirement que la société Adecco avait méconnu les dispositions légales relatives au contenu du contrat de mission "en toute connaissance de cause", sans nullement caractériser que les omissions affectant les contrats de mission procédaient non pas d’erreurs et ou de négligences, mais avaient été commises en parfaite connaissance de la non-conformité des contrats aux prescriptions légales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 125-3 du code du travail devenu l’article L. 8241-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

13. Il résulte de la combinaison des articles L. 125-1, alinéa 1, et L. 125-3, devenus L. 8231-1 et L. 8241-1 du code du travail, que toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail est interdite, que les sanctions prévues pour la violation des dispositions relatives au travail temporaire ne sont pas exclusives de celles réprimant le marchandage et le prêt illicite de main-d’oeuvre, et que la volonté de l’employeur de causer un préjudice au salarié est indifférente à caractériser ces infractions.

14. Ayant constaté qu’à diverses reprises, les contrats de mission avaient été conclus pour deux motifs distincts cumulatifs, qu’à quatre reprises le salarié avait conclu plusieurs contrats de travail d’une journée à temps plein, qu’une fois il avait remplacé deux salariés en même temps, que les contrats prévoyaient une « souplesse » dépassant les deux jours prévus pour les missions inférieures à 10 jours et qu’au moins sur un contrat faisaient défaut les nom et prénom du salarié remplacé, la cour d’appel en a exactement déduit que la société Adecco s’était placée en dehors du champ d’application du travail temporaire en violation des dispositions combinées des articles L. 1251-42 et L. 1251-16 du code du travail.

15. Elle a retenu à bon droit que cette violation des prescriptions légales ou réglementaires caractérisait un prêt de main-d’oeuvre illicite qui causait un préjudice au salarié et lui ouvrait droit à des dommages-intérêts, peu important qu’elle fût le résultat d’erreurs ou de négligences de la part de la société Adecco.

16. Le moyen n’est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi incident de la société Adecco

Enoncé du moyen

17. La société Adecco fait grief à l’arrêt de la condamner in solidum avec les sociétés BP, Total et Sasca à payer au salarié une certaine somme à titre d’indemnité de requalification, de dire que la charge finale de ladite condamnation sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à sa charge et de la condamner in solidum avec les sociétés BP, Total et Sasca à payer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, alors « que le salarié ne peut prétendre au paiement, par l’entreprise de travail temporaire, d’une indemnité de requalification ; qu’en condamnant la société Adecco in solidum avec les sociétés BP, Total et Sasca à payer au salarié la somme de 1911, 62 euros à titre d’indemnité de requalification, la cour d’appel a violé l’article L. 1251-41 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1251-41 du code du travail :

18. Selon ce texte, si les juges font droit à la demande du salarié de requalification d’un contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée, ils lui accordent une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Il en résulte que le salarié ne peut prétendre au paiement, par l’entreprise de travail temporaire, d’une indemnité de requalification.

19. La cour d’appel a condamné la société Adecco, entreprise de travail temporaire, in solidum avec les entreprises utilisatrices au paiement d’une indemnité de requalification.

20. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Et sur les troisièmes moyens pris en leurs deuxième et troisième branches du pourvoi principal de la société BP et du pourvoi incident des sociétés Total et Sasca, réunis

Enoncé des moyens

21. Les sociétés BP, Total et Sasca font grief à l’arrêt de les condamner in solidum avec la société Adecco à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite et, en conséquence, de dire que la charge finale de ladite condamnation sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco, alors :

« 2°/ que l’entreprise, utilisatrice, ayant accueilli un travailleur temporaire en son sein, ne peut être condamnée au titre du délit de prêt illicite de main-d’oeuvre que dans l’hypothèse où l’intérimaire est passé sous son autorité hiérarchique et n’est plus demeuré sous la subordination juridique de l’entreprise de travail temporaire, ce qui impose au juge de caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique liant le travailleur temporaire à l’entreprise utilisatrice ; qu’en condamnant dès lors les sociétés BP, Total et Sasca in solidum avec la société Adecco à réparer le préjudice subi par le salarié du chef du prêt illicite de main-d’oeuvre, sans caractériser que le salarié était passé sous la subordination juridique de ces sociétés, la cour d’appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail ;

3°/ qu’en se bornant à relever, sous un autre chef de demande du salarié, que ’’le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP’’, la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’un pouvoir de contrôle et de sanction des sociétés BP et Total sur le salarié, donc l’existence pleine et entière d’un lien de subordination juridique, privant sa décision de base légale au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

22. Le salarié conteste la recevabilité du moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, formé par les sociétés Total et Sasca en soutenant qu’il est nouveau et même contraire à la position qu’elles avaient adoptée en cause d’appel.

23. Cependant, le moyen, étant né de l’arrêt, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l’article L. 125-3 alinéa 1, devenu L. 8241-1, du code du travail :

24. Selon ce texte, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite dès lors qu’elle n’est pas effectuée dans le cadre des dispositions relatives au travail temporaire.

25. Pour condamner in solidum les sociétés BP, Total et Sasca au paiement de dommages-intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite, l’arrêt retient que le salarié a conclu de très nombreux contrats de travail temporaire avec la société Adecco pour être affecté d’après ces contrats au sein du GIE qui n’a pourtant aucune activité propre, qu’en réalité, il a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés, qu’il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou un gain pécuniaire.

26. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à établir que le lien de subordination qui unissait le salarié à la société Adecco n’avait pas été maintenu et qu’il avait été transféré aux entreprises utilisatrices, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

27. La cassation prononcée des chefs de dispositif condamnant la société Adecco au paiement d’une indemnité de requalification et les sociétés BP, Total et Sasca au paiement de dommages-intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite n’emporte pas cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant in solidum ces différentes sociétés aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, justifiés par d’autres condamnations prononcées à l’encontre de celles-ci et non remises en cause.

28. Il est fait application, ainsi qu’il est suggéré en défense, des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

29. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur la demande de condamnation de la société Adecco au paiement d’une indemnité de requalification.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne in solidum la société Adecco France aux côtés des sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 1 911,62 euros à titre d’indemnité de requalification et en ce qu’il condamne in solidum les sociétés BP France, Total et Sasca aux côtés de la société Adecco France à payer à M. [P] la somme de 12 000 euros à titre de dommages-intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite, l’arrêt rendu le 19 septembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

Dit n’y avoir lieu à renvoi du chef de la demande tendant à la condamnation de la société Adecco France au paiement d’une indemnité de requalification ;

Déboute M. [P] de sa demande de ce chef ;

Renvoie l’affaire et les parties devant la cour d’appel de Montpellier pour qu’il soit statué sur la demande de M. [P] tendant à la condamnation in solidum des sociétés BP France, Total et Sasca au paiement de dommages-intérêts pour prêt de main-d’oeuvre abusif, restant en litige ;

Condamne les sociétés BP France, Total, Sasca et Adecco France aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés BP France, Total, Sasca et Adecco France et les condamne in solidum à payer au cabinet Munier-Apaire la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits, au pourvoi principal, par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société BP France

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR infirmé le jugement rendu le 19 novembre 2013 par le conseil de prud’hommes de Nice en ce qu’il déclare les demandes de M. [P] irrecevables en raison de la péremption d’instance et statuant à nouveau, d’AVOIR déclaré recevables ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE M. [P] a saisi à nouveau la juridiction prud’homale le 22 février 2012 puis le 18 janvier 2013 ; qu’il est soutenu que l’action est irrecevable car le demandeur n’a accompli aucune diligence pendant qu’une ordonnance de radiation a été rendue ; que cependant, aucune diligence n’étant à accomplir par M. [P] agissant dans le cadre d’une procédure orale, le moyen tiré de la prescription de son action n’est pas fondé ; que l’action prud’homale formée par M. [P] à l’encontre de la société BP France n’est pas soumise aux exigences prescrites par le code de commerce pour sa recevabilité ; qu’elle n’est pas irrecevable en raison d’un défaut de mise en demeure préalable du GIE comme d’un défaut de mise en cause du membre associé de la société en nom collectif intimée ; qu’en conséquence, les divers moyens d’irrecevabilité soulevés ne sont pas fondés ;

1°) ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; que pour conclure à l’irrecevabilité des demandes de M. [P] dirigées contre elle, la société BP France invoquait, notamment, devant la cour d’appel la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité du défendeur résultant de l’apport partiel d’actifs réalisé par la société BF France par traité d’apport du 25 novembre 2011 placé sous le régime des scissions, de la branche complète et autonome d’activité de distribution de carburant aviation au profit de la SNV Sasca, laquelle venait donc entièrement à ses droits et obligations et lui était entièrement substituée, concernant tout engagement lié à l’exécution ou la résiliation d’engagements, y compris avec le personnel, pris par la société BP France avant l’apport partiel d’actifs, et aux termes exprès du traité d’apport ( cf. conclusions d’appel de la société BP France, § 3.1 et s. ; production ) ; qu’en rejetant les « divers moyens d’irrecevabilité soulevés », sans avoir nullement répondu à ce moyen opérant et péremptoire de l’exposante, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE les créanciers d’une société en nom collectif ne peuvent poursuivre le paiement de dettes sociales contre un associé qu’après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire ; que la société BP France faisant valoir que M. [P], dont l’action tendait au paiement d’indemnités de requalification et pour rupture abusive du contrat de travail et de rappel de salaire, recherchait la société en sa qualité d’associée de la SNC Sasca, de sorte que ses demandes n’étaient pas recevables contre la société BP France, faute d’avoir vainement mis en demeure la SNC ; qu’en se bornant, pour écarter cette fin de non-recevoir, à affirmer que l’action prud’homale n’était pas soumise aux prescriptions du code de commerce, tandis que les créances d’un salarié ou d’une personne revendiquant cette qualité constituent des « dettes sociales » de la SNC au sens de l’article L. 221-1 du code de commerce, et sans expliquer en quoi la règle générale posée à l’article précité n’aurait pas à s’appliquer aux actions prud’homales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 221-1 du code de commerce ;

3°) ALORS QUE les créanciers d’une groupement d’intérêt économique ne peuvent poursuivre le paiement de dettes sociales contre un associé qu’après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire ; que la société BP France faisant valoir que M. [P], dont l’action tendait au paiement d’indemnités de requalification et pour rupture abusive du contrat de travail et de rappel de salaire, recherchait, le cas échéant, la société en sa qualité de membre du GIE Ganca, de sorte que ses demandes n’étaient pas recevables contre la société BP France, faute d’avoir vainement mis en demeure le GIE ; qu’en se bornant, pour écarter cette fin de non-recevoir, à affirmer que l’action prud’homale n’était pas soumise aux prescriptions du code de commerce, tandis que les créances d’un salarié ou d’une personne revendiquant cette qualité constituent des « dettes sociales » du GIE au sens de l’article L. 251-6 du code de commerce, et sans expliquer en quoi la règle générale posée à l’article précité n’aurait pas à s’appliquer aux actions prud’homales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 251-6 du code de commerce.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR requalifié les contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée et, en conséquence, d’AVOIR dit que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, d’AVOIR condamné la société BP France, in solidum avec les sociétés Adecco, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite, d’AVOIR condamné la société BP France, in solidum avec les sociétés Adecco, Total et Sasca à payer à M. [P] les sommes de 1.911,62 euros à titre d’indemnité de requalification, 35.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3.823,24 euros à titre d’indemnité de préavis, 382,32 euros de congés payés y afférents, 13.763,70 euros à titre d’indemnité de licenciement et 500 euros à titre de dommages-intérêts pour perte du droit individuel à la formation, d’AVOIR dit que la charge finale desdites condamnations sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP France, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco, et d’AVOIR ordonné aux sociétés Adecco, BP France, Total et Sasca, de remettre à M. [P] l’attestation destinée au pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision ;

AUX MOTIFS QUE sur l’action en requalification exercée concurremment contre l’entreprise de travail temporaire et les entreprises utilisatrices : selon l’article L. 1251-5 du code du travail, « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice » ; que selon l’article L. 1251-6 du même code, « sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée " mission " et seulement dans les cas suivants : 1° Remplacement d’un salarié en cas : a) d’absence ; b) de passage provisoire à temps partiel conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et l’employeur ; c) de suspension de son contrat de travail (...) » ; qu’enfin, l’article L. 1251-40 du code du travail dispose que « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission » ; que les actions en requalification exercées par M. [P], l’une contre l’entreprise de travail temporaire Adecco sur le fondement de l’article L. 1251-5, L. 1252-6, L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, l’autre contre les entreprises utilisatrices Sasca venant aux droits de Ganca, BP France et Total, sur le fondement de l’article L. 1251-40 du même code ont des fondements différents et peuvent être exercées concurremment ; qu’en l’espèce, 365 contrats de mission ont été conclus entre M. [P] et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005 ; que ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité ; que l’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui ; que le constat de l’utilisation du contrat de mission pour pourvoir un poste permanent est encore conforté par la durée exceptionnelle de l’emploi de M. [P] afin de faire face à un besoin structurel de main-d’oeuvre ; qu’il ressort des pièces versées aux débats par le salarié notamment des exemplaires salariés des relevés d’heures ainsi que des exemplaires de contrats de mission émis par Adecco et signés du client Ganca, que ce GIE y figurait comme société utilisatrice ; que le fait que M. [P] ait pu effectuer des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprises est donc sans incidence sur la régularité avec laquelle il a été mis à disposition des entreprises utilisatrices Ganca, Total et BP France ; qu’il convient de déduire de cette succession de contrats que l’emploi occupé par M. [P] n’avait pour objet que de permettre le fonctionnement normal et permanent desdites entreprises utilisatrices ; que par ailleurs, l’examen des exemplaires des contrats de mission montre à diverses reprises (ex : contrats n° 142, 144, 262, 263, 269, 270, 341) qu’ils sont conclus pour deux motifs distincts cumulatifs (la saison et l’accroissement temporaire d’activité, qu’à quatre reprises le salarié a conclu plusieurs contrats de travail d’une journée à temps plein (contrats n° 85 et 86 conclus le 31 octobre 1993, contrats n° 92 et 93 conclus le 11 janvier 1994, contrats n° 127 et 128 conclus du 13 au 14 avril 96), et que le 22 juillet 1991 il a remplacé à la fois M. [D] et M. [Z] ; qu’en outre les contrats prévoient une « souplesse » dépassant les deux jours prévus par ce texte pour les missions inférieures à 10 jours (ex : contrats n° 373, 374, 379) ; que le défaut de mention, notamment sur le contrat numéro 299, figurant parmi les 195 contrats conclus pour assurer le remplacement d’un salarié absent de manière temporaire, des nom et prénom du salarié remplacé, suffit à lui seul à entraîner la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, vis-à-vis de la société Adecco ; qu’il s’ensuit que la demande de requalification doit être accueillie tant à l’encontre de l’entreprise Adecco qu’à l’encontre des sociétés BP France, Total et Sasca venant aux droits de Ganca ; qu’il y a lieu d’infirmer la décision déférée en ce sens ; que conformément aux dispositions de l’article L. 1251-41, M. [P] est en droit d’obtenir le paiement d’une indemnité de requalification d’un montant au moins égal à un mois de salaire ; qu’il y a donc lieu de lui allouer la somme de 1.911,62 euros à ce titre ; que sur le prêt de main-d’oeuvre illicite : l’article L. 8241-1, alinéa 1, du code du travail prohibe le prêt illicite de main-d’oeuvre, défini comme : « Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre » ; qu’il apparaît que le salarié concluait de très nombreux contrats de travail temporaire avec la société Adecco anciennement Ecco pour être affecté d’après ses contrats de travail au sein du GIE Ganca qui n’a pourtant aucune activité propre ; qu’en réalité, M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés ; qu’il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou d’un gain pécuniaire ; que par les irrégularités constatées la société Adecco s’est placée en dehors du champ d’application du travail temporaire en violation des dispositions combinées des articles L. 1251-42 et L. 1251-16 du code du travail ; que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article L. 8241-1 susvisé ; que cette situation constitue un prêt de main-d’oeuvre illicite qui cause un préjudice au salarié ; que la cour allouera à ce dernier, une somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts ; que sur la rupture du contrat de travail : en cas de rupture des relations de travail les règles de rupture propres au contrat à durée indéterminée doivent être mises en oeuvre ; quel le contrat de M. [P] n’ayant pas été renouvelé après le 30 novembre 2005, ce fait marque la rupture des relations contractuelles ; que cette rupture, réalisée sans forme, doit s’analyser comme un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; que sur les conséquences du licenciement, M. [P] est en droit de percevoir conformément aux dispositions conventionnelles applicables une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, outre une indemnité de congés payés sur préavis et une indemnité de licenciement calculée par année d’ancienneté ; que le salarié a exactement calculé les sommes qui lui étaient dues à ce titre ; qu’il est en outre en droit de percevoir une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail ; qu’il y a lieu de lui allouer de ce chef la somme de 35.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; que sur la condamnation solidaire : les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite n’ayant pas été respectées du fait d’une entente illicite entre les sociétés intimées celles-ci seront tenues in solidum des condamnations ainsi prononcées ; que la charge finale desdites condamnations sera répartie entre elles, à concurrence de la moitié à la charge des sociétés utilisatrices et à concurrence de la moitié à la charge de l’entreprise de travail intérimaire Adecco ; que les autres sociétés de travail temporaire ayant employé M. [P] ( Onepi, Bis ) n’étant pas dans la cause il n’y a pas lieu de procéder à une répartition entre elles du montant de la condamnation ;

1°) ALORS QU’aux termes de l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de travail de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise-utilisatrice ; qu’il résulte de l’article L. 1251-6 du même code, qu’un contrat de mission peut être conclu pour le remplacement d’un salarié, notamment en cas d’absence ou de suspension du contrat de travail, et en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; qu’il résulte du sens et de la portée de ces dispositions, lues à la lumière de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, que la circonstance qu’un nombre important de contrats intérimaires se soient succédés sur une période donnée eu vue de remplacer des salariés absents ou de faire face à un accroissement temporaire d’activité, et que le salarié employé ait été recruté pour effectuer des tâches identiques ou similaires, ne saurait suffire à caractériser un recours au travail intérimaire ayant pour objet de satisfaire à un besoin structurel de main d’oeuvre et de pourvoir à un poste permanent de l’entreprise ; qu’en particulier, la brièveté de tout ou partie des contrats, comme leur discontinuité, constituent des indices significatifs qu’il ne s’agit pas de pourvoir un poste permanent ; qu’en l’espèce, pour ordonner la requalification des contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société BP France, la cour d’appel a retenu que « 365 contrats de mission ont été conclus entre M. [P] et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005 », que « ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité » et que « l’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui » ; qu’en se déterminant ainsi , au regard du seul nombre de missions conclues avec l’intéressé, de la durée globale de celles-ci et du poste occupé par le salarié lors es missions, sans caractériser concrètement, au regard - outre de la nature des emplois successifs occupés par M. [P] - de la structure des effectifs de la société BP France, que les diverses mises à disposition du salarié avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ce qui supposait notamment la vérification de la réalité des remplacements opérés et des accroissements temporaires de l’activité de la société BP dont il était justifié par celle-ci, la cour d’appel, qui ne s’est pas livrée à l’analyse comparée de l’activité normale de l’entreprise et de celle justifiant l’embauche de l’intéressé et n’a pas vérifié si les effectifs habituels de l’entreprise pouvaient absorber les absences des salariés remplacés et les surcroîts de travail invoqués par elle, a violé les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail, lue à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 ;

2°) ET ALORS, subsidiairement, QU’en statuant comme elle l’a fait, par référence aux missions accomplies par M. [P] au sein du GIE, sans faire ressortir en quoi, pour la société BP France prise isolément, le nombre et la fréquence des contrats de mission exécutés en son sein, qui ne sont pas précisés, permettraient d’établir que le salarié aurait occupé durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la société BP France, la cour d’appel a, derechef, violé les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la société BP France, in solidum avec les sociétés Adecco, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite et, en conséquence, d’AVOIR dit que la charge finale desdites condamnations sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP France, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco ;

AUX MOTIFS QUE sur l’action en requalification exercée concurremment contre l’entreprise de travail temporaire et les entreprises utilisatrices : selon l’article L. 1251-5 du code du travail, « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice » ; que selon l’article L. 1251-6 du même code, « sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée "mission" et seulement dans les cas suivants : 1° Remplacement d’un salarié en cas : a) d’absence ; b) de passage provisoire à temps partiel conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et l’employeur ; c) de suspension de son contrat de travail (...) » ; qu’enfin, l’article L. 1251-40 du code du travail dispose que « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission » ; que les actions en requalification exercées par M. [P], l’une contre l’entreprise de travail temporaire Adecco sur le fondement de l’article L. 1251-5, L. 1252-6, L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, l’autre contre les entreprises utilisatrices Sasca venant aux droits de Ganca, BP France et Total, sur le fondement de l’article L. 1251-40 du même code ont des fondements différents et peuvent être exercées concurremment ; qu’en l’espèce, 365 contrats de mission ont été conclus entre M. [P] et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005 ; que ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité ; que l’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui ; que le constat de l’utilisation du contrat de mission pour pourvoir un poste permanent est encore conforté par la durée exceptionnelle de l’emploi de M. [P] afin de faire face à un besoin structurel de main-d’oeuvre ; qu’il ressort des pièces versées aux débats par le salarié notamment des exemplaires salariés des relevés d’heures ainsi que des exemplaires de contrats de mission émis par Adecco et signés du client Ganca, que ce GIE y figurait comme société utilisatrice ; que le fait que M. [P] ait pu effectuer des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprises est donc sans incidence sur la régularité avec laquelle il a été mis à disposition des entreprises utilisatrices Ganca, Total et BP France ; qu’il convient de déduire de cette succession de contrats que l’emploi occupé par M. [P] n’avait pour objet que de permettre le fonctionnement normal et permanent desdites entreprises utilisatrices ; que par ailleurs, l’examen des exemplaires des contrats de mission montre à diverses reprises (ex : contrats n° 142, 144, 262, 263, 269, 270, 341) qu’ils sont conclus pour deux motifs distincts cumulatifs (la saison et l’accroissement temporaire d’activité), qu’à quatre reprises le salarié a conclu plusieurs contrats de travail d’une journée à temps plein (contrats n° 85 et 86 conclus le 31 octobre 1993, contrats n° 92 et 93 conclus le 11 janvier 1994, contrats n° 127 et 128 conclus du 13 au 14 avril 96), et que le 22 juillet 1991 il a remplacé à la fois M. [D] et M. [Z] ; qu’en outre les contrats prévoient une « souplesse » dépassant les deux jours prévus par ce texte pour les missions inférieures à 10 jours (ex : contrats n° 373, 374, 379) ; que le défaut de mention, notamment sur le contrat numéro 299, figurant parmi les 195 contrats conclus pour assurer le remplacement d’un salarié absent de manière temporaire, des nom et prénom du salarié remplacé, suffit à lui seul à entraîner la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, vis-à-vis de la société Adecco ; qu’il s’ensuit que la demande de requalification doit être accueillie tant à l’encontre de l’entreprise Adecco qu’à l’encontre des sociétés BP France, Total et Sasca venant aux droits de Ganca ; qu’il y a lieu d’infirmer la décision déférée en ce sens ; que conformément aux dispositions de l’article L. 1251-41, M. [P] est en droit d’obtenir le paiement d’une indemnité de requalification d’un montant au moins égal à un mois de salaire ; qu’il y a donc lieu de lui allouer la somme de 1.911,62 euros à ce titre ; que sur le prêt de main-d’oeuvre illicite : l’article L. 8241-1, alinéa 1, du code du travail prohibe le prêt illicite de main-d’oeuvre, défini comme : « Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre » ; qu’il apparaît que le salarié concluait de très nombreux contrats de travail temporaire avec la société Adecco anciennement Ecco pour être affecté d’après ses contrats de travail au sein du GIE Ganca qui n’a pourtant aucune activité propre ; qu’en réalité, M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés ; qu’il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou d’un gain pécuniaire ; que par les irrégularités constatées la société Adecco s’est placée en dehors du champ d’application du travail temporaire en violation des dispositions combinées des articles L. 1251-42 et L. 1251-16 du code du travail ; que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article L. 8241-1 susvisé ; que cette situation constitue un prêt de main-d’oeuvre illicite qui cause un préjudice au salarié ; que la cour allouera à ce dernier, une somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts ; que sur la rupture du contrat de travail : en cas de rupture des relations de travail les règles de rupture propres au contrat à durée indéterminée doivent être mises en oeuvre ; quel le contrat de M. [P] n’ayant pas été renouvelé après le 30 novembre 2005, ce fait marque la rupture des relations contractuelles ; que cette rupture, réalisée sans forme, doit s’analyser comme un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; que sur les conséquences du licenciement, M. [P] est en droit de percevoir conformément aux dispositions conventionnelles applicables une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, outre une indemnité de congés payés sur préavis et une indemnité de licenciement calculée par année d’ancienneté ; que le salarié a exactement calculé les sommes qui lui étaient dues à ce titre ; qu’il est en outre en droit de percevoir une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail ; qu’il y a lieu de lui allouer de ce chef la somme de 35.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; que sur la condamnation solidaire : les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite n’ayant pas été respectées du fait d’une entente illicite entre les sociétés intimées celles-ci seront tenues in solidum des condamnations ainsi prononcées ; que la charge finale desdites condamnations sera répartie entre elles, à concurrence de la moitié à la charge des sociétés utilisatrices et à concurrence de la moitié à la charge de l’entreprise de travail intérimaire Adecco ; que les autres sociétés de travail temporaire ayant employé M. [P] ( Onepi, Bis ) n’étant pas dans la cause il n’y a pas lieu de procéder à une répartition entre elles du montant de la condamnation ;

1°) ALORS QUE seules les opérations à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre sont interdites par les dispositions de l’article L. 8241-1 du code du travail ; que, pour entrer en voie de condamnation du chef du prêt illicite de main-d’oeuvre, la cour d’appel a uniquement énoncé - après avoir rappelé que « M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés » - qu’« il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou un gain pécuniaire » ; qu’en statuant ainsi par voie d’affirmation péremptoire et imprécise, sans expliquer concrètement en quoi aurait consisté le lucre que la société BP France aurait retiré des opérations de prêt de main-d’oeuvre ayant donné lieu à l’établissement des contrats de mission avec M. [P], la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail ;

2°) ALORS QUE l’entreprise, utilisatrice, ayant accueilli un travailleur temporaire en son sein, ne peut être condamnée au titre du délit de prêt illicite de main-d’oeuvre que dans l’hypothèse où l’intérimaire est passé sous son autorité hiérarchique et n’est plus demeuré sous la subordination juridique de l’entreprise de travail temporaire, ce qui impose au juge de caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique liant le travailleur temporaire à l’entreprise utilisatrice ; qu’en condamnant dès lors la société BP France in solidum avec la société Adecco à réparer le préjudice subi par M. [P] du chef du prêt illicite de main-d’oeuvre, sans caractériser que le salarié était passé sous la subordination juridique de la société BP France, la cour d’appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail ;

3°) ET ALORS subsidiairement, QU’en se bornant à relever, sous un autre chef de demande de M. [P], que « le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP », la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’un pouvoir de contrôle et de sanction de la société BP France sur le salarié, donc l’existence pleine et entière d’un lien de subordination juridique, privant sa décision de base légale au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail. Moyens produits, au pourvoi incident, par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Total et de la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR infirmé le jugement rendu le 19 novembre 2013 par le conseil de prud’hommes de Nice en ce qu’il a déclaré les demandes de M. [P] irrecevables en raison de la péremption d’instance et statuant à nouveau, d’AVOIR déclaré recevables ses demandes et, en conséquence, d’avoir prononcé diverses condamnations à l’encontre des sociétés exposantes ;

AUX MOTIFS QUE : « M. [P] a saisi à nouveau la juridiction prud’homale le 22 février 2012, puis le 18 janvier 2013. Il est soutenu que l’action est irrecevable car le demandeur n’a accompli aucune diligence pendant qu’une ordonnance de radiation avait été rendue. Cependant, aucune diligence n’étant à accomplir par M. [P] agissant dans le cadre d’une procédure orale, le moyen tiré de la prescription de son action n’est pas fondé. La présente action prud’homale formée par M. [P] à l’encontre de la Société BP France n’est pas soumise aux exigences prescrites par le code de commerce pour sa recevabilité. Elle n’est pas irrecevable en raison d’un défaut de mise en demeure préalable du GIE comme d’un défaut de mis en cause du membre associé de la société en nom collectif intimé. En conséquence, les divers moyens d’irrecevabilité soulevés ne sont pas fondés ».

1) ALORS QUE, en application des articles L. 236-3, L. 236-20 et L 236-22 du code de commerce, sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d’apport, l’apport partiel d’actif emporte, lorsqu’il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d’activité qui fait l’objet de l’apport ; qu’en jugeant l’action de M. [P] recevable à l’encontre de la Société TOTAL, cependant que par traité d’apport partiel d’actifs de la Société TOTAL en date du 25 novembre 2011, placé sous le régime des scissions, la Société TOTAL avait apporté à la Société SASCA l’activité d’avitaillement d’aéronefs précédemment exploitée par la Société TOTAL et dont relevait la relation de travail avec MM [P], ce qui excluait tout recours de M. [P] à l’encontre de la Société TOTAL, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

2) ALORS AU SURPLUS QUE, à l’appui de leurs écritures (Concl., pp. 4 et s.), les exposantes et en particulier, la Société TOTAL avaient soutenu, d’une part, qu’en application de l’article L221-1 du code de commerce, les créanciers d’une société en nom collectif ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir vainement mis en demeure la société par acte extra-judiciaire, d’autre part, qu’il en était de même, en application de l’article L251-6 du code de commerce s’agissant des créanciers d’un groupement d’intérêt économique et que cependant M. [P], n’avait mis en demeure, ni le GIE GANCA, ni la SNC SASCA en sorte que son action à l’égard de la Société TOTAL, prise comme associée du GIE GANCA puis de la SNC SASCA était nécessairement irrecevable ; qu’en se bornant à affirmer que l’action de M. [P] à l’encontre de la Société BP France n’est pas irrecevable en raison d’un défaut de mise en préalable du GIE ou d’un défaut de mise en demeure du membre associé de la société en nom collectif, sans répondre aux écritures des exposantes et en particulier de la Société TOTAL sur ce point, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3) ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QUE les créanciers d’une société en nom collectif ne peuvent poursuivre le paiement de dettes sociales contre un associé qu’après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire ; que la société TOTAL faisant valoir que M. [P], dont l’action tendait au paiement d’indemnités de requalification et pour rupture abusive du contrat de travail et de rappel de salaire, recherchait la société en sa qualité d’associée de la SNC SASCA, de sorte que ses demandes n’étaient pas recevables contre la société TOTAL, faute d’avoir vainement mis en demeure la SNC ; qu’en se bornant, pour écarter cette fin de non-recevoir, à affirmer que l’action prud’homale n’était pas soumise aux prescriptions du code de commerce, tandis que les créances d’un salarié ou d’une personne revendiquant cette qualité constituent des « dettes sociales » de la SNC au sens de l’article L. 221-1 du code de commerce, et sans expliquer en quoi la règle générale posée à l’article précité n’aurait pas à s’appliquer aux actions prud’homales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 221-1 du code de commerce ;

4) ALORS QUE les créanciers d’un groupement d’intérêt économique ne peuvent poursuivre le paiement de dettes sociales contre un associé qu’après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire ; que la société TOTAL faisant valoir que M. [P], dont l’action tendait au paiement d’indemnités de requalification et pour rupture abusive du contrat de travail et de rappel de salaire, recherchait, le cas échéant, la société en sa qualité de membre du GIE GANCA, de sorte que ses demandes n’étaient pas recevables contre la société TOTAL faute d’avoir vainement mis en demeure le GIE ; qu’en se bornant, pour écarter cette fin de non recevoir, à affirmer que l’action prud’homale n’était pas soumise aux prescriptions du code de commerce, tandis que les créances d’un salarié ou d’une personne revendiquant cette qualité constituent des « dettes sociales » du GIE au sens de l’article L. 251 -6 du code de commerce, et sans expliquer en quoi la règle générale posée à l’article précité n’aurait pas à s’appliquer aux actions prud’homales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 251 -6 du code de commerce.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR requalifié les contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée et, en conséquence, d’AVOIR dit que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, d’AVOIR condamné les Sociétés TOTAL et SASCA, in solidum avec les sociétés BP France et ADECCO à payer à M. [P] la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite, d’AVOIR condamné la société BP France in solidum avec les sociétés Adecco, Total et Sasca à payer à M. [P] les sommes de 1.911.62 euros à titre d’indemnité de requalification, 35.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3.823,24 euros à titre d’indemnité de préavis, 382,32 euros de congés payés y afférents, 13.763,70 euros à titre d’indemnité de licenciement et 500 euros à titre de dommages-intérêts pour perte du droit individuel à la formation, d’AVOIR dit que la charge finale desdites condamnations sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP France, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco, et d’AVOIR ordonné aux Sociétés SASCA, TOTAL, ADECCO et BP France de remettre à M. [P] l’attestation destinée au pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision ;

AUX MOTIFS QUE : « sur l’action en requalification exercée concurremment contre l’entreprise de travail temporaire et les entreprises utilisatrices : selon l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ; que selon l’article L. 1251-6 du même code, sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée "mission" et seulement dans les cas suivants : 1° Remplacement d’un salarié en cas : a)
d’absence ; b) de passage provisoire à temps partiel conclu par avenant à son contrait de travail ou par échange écrit entre ce salarié et l’employeur ; c) de suspension de son contrat de travail ; qu’enfin, l’article L. 1251-40 du code du travail dispose que « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d ’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 12 51..5 à L. 1251 -7, L. 1251 -10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

Que les actions en requalification exercées par M. [P], l’une contre l’entreprise de travail temporaire ADECCO sur le fondement de l’article L. 1251-5, L 1252-6 , L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, l’autre contre les entreprises utilisatrices Sasca venant aux droits de Ganca, BP France et Total sur le fondement de l’article L. 1251-40 du même code ont des fondements différents et peuvent être exercées concurremment ; qu’en l’espèce, 365 contrats de mission ont été conclus entre M. [P] et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005 ; que ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité ; que l’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui ; que le constat de l’utilisation du contrat de mission pour pourvoir un poste permanent est encore conforté par la durée exceptionnelle de l’emploi de M. [P] afin de faire face à un besoin structurel de maind’oeuvre ; qu’il ressort des pièces versées aux débats par le salarié notamment des exemplaires salariés des relevés d’heures ainsi que des exemplaires de contrats de mission émis par Adecco et signés du client Ganca, que ce GIE y figurait comme société utilisatrice ; que le fait que M. [P] ait pu effectuer des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprises est donc sans incidence sur la régularité avec laquelle il a été mis à disposition des entreprises utilisatrices Ganca, Total et BP France ; qu’il convient de déduire de cette succession de contrats que l’emploi occupé par M. [P] n’avait pour objet que de permettre le fonctionnement normal et permanent desdites entreprises utilisatrices ; que par ailleurs, l’examen des exemplaires des contrats de mission montre à diverses reprises (ex : contrats n° 142, 144, 262, 263, 269, 270, 341) qu’ils sont conclus pour deux motifs distincts cumulatifs (la saison et l’accroissement temporaire d’activité), qu’à quatre reprises le salarié a conclu plusieurs contrats de travail d’une journée à temps plein (contrats n° 85 et 86 conclus le 31 octobre 1993, contrats n° 92 et 93 conclus le 11 janvier 1994, contrats n° 127 et 128 conclus du 13 au 14 avril 96), et que le 22 juillet 1991 il a remplacé à la fois M. [D] et M. [Z] ; qu’en outre les contrats prévoient une « souplesse » dépassant les deux jours prévus par ce texte pour les missions inférieures à 10 jours (ex : contrats n° 373, 374, 379) ; que le défaut de mention, notamment sur le contrat numéro 299, figurant parmi les 195 contrats conclus pour assurer le remplacement d’un salarié absent de manière temporaire, des nom et prénom du salarié remplacé, suffit à lui seul à entraîner la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, vis-à-vis de la société Adecco ; qu’il s’ensuit que la demande de requalification doit être accueillie tant à l’encontre de l’entreprise Adecco qu’à l’encontre des sociétés BP France, Total et Sasca venant aux droits de Ganca ; qu’il y a lieu d’infirmer la décision déférée en ce sens ; que conformément aux dispositions de l’article L. 1251-41, M. [P] est en droit d’obtenir le paiement d’une indemnité de requalification d’un montant au moins égal à un mois de salaire ; qu’il y a donc lieu de lui allouer la somme de 1.911,62 euros à ce titre ; que sur le prêt de main-d’oeuvre illicite : l’article L. 8241- 1, alinéa 1, du code du travail prohibe le prêt illicite de main -d’oeuvre, défini comme : « Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’’oeuvre » ; qu’il apparaît que le salarié concluait de très nombreux contrats de travail temporaire avec la société Adecco anciennement Ecco pour être affecté d’après ses contrats de travail au sein du GIE Ganca qui n’a pourtant aucune activité propre ; qu’en réalité, M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés ; qu’il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou d’un gain pécuniaire ; que par les irrégularités constatées la société Adecco s’est placée en dehors du champ d’application du travail temporaire en violation des dispositions combinées des articles L. 1251-42 et L. 1251-16 du code du travail ; que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article L. 8241-1 susvisé ; que cette situation constitue un prêt de main-d’oeuvre illicite qui cause un préjudice au salarié ; que la cour allouera à ce dernier, une somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts ; que sur la rupture du contrat de travail : en cas de rupture des relations de travail les règles de rupture propres au contrat à durée indéterminée doivent être mises en oeuvre ; quel le contrat de M. [P] n’ayant pas été renouvelé après le 30 novembre 2005, ce fait marque la rupture des relations contractuelles ; que cette rupture, réalisée sans forme, doit s’analyser comme un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; que sur les conséquences du licenciement, M. [P] est en droit de percevoir conformément aux dispositions conventionnelles applicables une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, outre une indemnité de congés payés sur préavis et une indemnité de licenciement calculée par année d’ancienneté ; que le salarié a exactement calculé les sommes qui lui étaient dues à ce titre ; qu’il est en outre en droit de percevoir une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire conformément aux dispositions de l’article L. 1235 -3 du code du travail ; qu’il y a lieu de lui allouer de ce chef la somme de 35.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; que sur la condamnation solidaire : les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite n’ayant pas été respectées du fait d’une entente illicite entre les sociétés intimées celles-ci seront tenues in solidum des condamnations ainsi prononcées ; que la charge finale desdites condamnations sera répartie entre elles, à concurrence de la moitié à la charge des sociétés utilisatrices et à concurrence de la moitié à la charge de l’entreprise de travail intérimaire Adecco ; que les autres sociétés de travail temporaire ayant employé M. [P] (Onepi, Bis) n’étant pas dans la cause il n’y a pas lieu de procéder à une répartition entre elles du montant de la condamnation ; ».

1) ALORS QUE, aux termes de l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de travail de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise-utilisatrice ; qu’il résulte de l’article L. 1251-6 du même code, qu’un contrat de mission peut être conclu pour le remplacement d’un salarié, notamment en cas d’absence ou de suspension du contrat de travail, et en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; qu’il résulte du sens et de la portée de ces dispositions, lues à la lumière de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, que la circonstance qu’un nombre important de contrats intérimaires se soient succédés sur une période donnée eu vue de remplacer des salariés absents ou de faire face à un accroissement temporaire d’activité, et que le salarié employé ait été recruté pour effectuer des tâches identiques ou similaires, ne saurait suffire à caractériser un recours au travail intérimaire ayant pour objet de satisfaire à un besoin structurel de main d’oeuvre et de pourvoir à un poste permanent de l’entreprise ; qu’en particulier, la brièveté de tout ou partie des contrats, comme leur discontinuité, constituent des indices significatifs qu’il ne s’agit pas de pourvoir un poste permanent ; qu’en l’espèce, pour ordonner la requalification des contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société TOTAL, la cour d’appel a retenu que « 365 contrats de mission ont été conclus entre M. [P] et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005, que « ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité et que « l’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui ; qu’en se déterminant ainsi, au regard du seul nombre de missions conclues avec l’intéressé, de la durée globale de celles-ci et du poste occupé par le salarié lors ses missions, sans caractériser concrètement, au regard - outre de la nature des emplois successifs occupés par M. [P] - de la structure des effectifs de la société BP France, que les diverses mises à disposition du salarié avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ce qui supposait notamment la vérification de la réalité des remplacements opérés et des accroissements temporaires de l’activité de la société TOTAL dont il était justifié par celle-ci, la cour d’appel, qui ne s’est pas livrée à l’analyse comparée de l’activité normale de l’entreprise et de celle justifiant l’embauche de l’intéressé et n’a pas vérifié si les effectifs habituels de l’entreprise pouvaient absorber les absences des salariés remplacés et les surcroîts de travail invoqués par elle, a violé les articles 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail, lue à la lumière de la clause 5 point 1 de l’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 m 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 ;

2) ALORS, subsidiairement, QU’en statuant comme elle l’a fait, par référence aux missions accomplies par M. [P] au sein du GIE, sans faire ressortir en quoi, pour la Société TOTAL prise isolément, le nombre et la fréquence des contrats de mission exécutées en son sein , qui ne sont pas précisés, permettaient d’établir que le salarié aurait occupé durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la Société TOTAL, la cour d’appel a derechef violé les articles L 1251-5 et L 1251-6 du code du travail ;

3) ALORS EN OUTRE QUE, dans écritures (Concl. pp. 11 et s. et 19 et s.), les exposantes avaient soutenu et démontré, ainsi que cela ressortait des contrats produits par M. [P] et du tableau récapitulatif qu’elle avait réalisé, d’une part, que sur une période de 10 ans, M. [P] n’avait effectué dans le cadre de sa spécialité d’avitailleur que 340 missions très brèves pour trois sociétés pétrolières différentes, soit en moyenne 11 missions par an alternativement pour chacune de ces sociétés, d’autre part, qu’à partir du 15 mai 2002, M. [P] avait effectué 49 mois de longues missions pour le CCI Aéroport [8], de 3 à 8 mois chacune ce qui explique qu’un accord transactionnel soit intervenu entre M. [P] et la CCI Aéroport [8] en sorte que sur cette période, il n’avait travaillé en moyenne pour les Sociétés BP France, TOTAL et ELF que de 1 à jours par mois, enfin, que sur la période du 4 mai 1991 au 31 novembre 2005, soit environ 14 ans, les périodes de suspension de travail de M. [P] ou de travail pour d’autres employeurs ont duré 72 mois, autant d’éléments démontrant le caractère par nature temporaire de son emploi et qu’il n’était pas affecté au fonctionnement normal et permanent de la Société TOTAL ; qu’en se bornant à affirmer, sur la seule base du nombre de contrats, que M. [P] était affecté au fonctionnement normal de l’entreprise sans répondre à ce moyen précis et circonstancié des écritures des exposantes, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4) ALORS AU SURPLUS QUE, en affirmant que M. [P] n’aurait effectué que des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprise cependant qu’il résultait des contrats produits par M [P] et du tableau récapitulatif réalisé sur la base desdits contrats par les exposantes qu’à partir du 15 mai 2002, M. [P] avait effectué 49 mois de longues missions pour le CCI Aéroport [8], de 3 à 8 mois chacune ce qui explique qu’un accord transactionnel soit intervenu entre M. [P] et la CCI Aéroport [8] en sorte que sur cette période, il n’avait travaillé en moyenne pour les Sociétés BP France, TOTAL et ELF que de 1 à 6 jours par mois, enfin, que sur la période du 4 mai 1991 au 31 novembre 2005, soit environ 14 ans, les périodes de suspension de travail de M. [P] ou de travail pour d’autres employeurs ont duré 72 mois, la cour d’appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné les Sociétés TOTAL et SASCA in solidum avec les Sociétés BP France et ADECCO à payer à M. [P] la somme de 12000 euros de dommages et intérêts pour prêt de main d’oeuvre illicite et, en conséquence, d’AVOIR dit que la charge finale desdites condamnations sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP France, Total et SASCA, et à concurrence de la moitié à la charge de la Société ADECCO ;

AUX MOTIFS QUE : « sur l’action en requalification exercée concurremment contre l’entreprise de travail temporaire et les entreprises utilisatrices : selon l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ; que selon l’article L. 1251-6 du même code, sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée "mission" et seulement dans les cas suivants : 1° Remplacement d’un salarié en cas : a) d’absence ; b) de passage provisoire à temps partiel conclu par avenant à son contrait de travail ou par échange écrit entre ce salarié et l’employeur ; c) de suspension de son contrat de travail ; qu’enfin, l’article L. 1251-40 du code du travail dispose que « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d ’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission. Que les actions en requalification exercées par M. [P], l’une contre l’entreprise de travail temporaire ADECCO sur le fondement de l’article L. 1251-5, L. 1252-6 , L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, l’autre contre les entreprises utilisatrices Sasca venant aux droits de Ganca, BP France et Total sur le fondement de l’article L. 1251-40 du même code ont des fondements différents et peuvent être exercées concurremment ; qu’en l’espèce, contrats de mission ont été conclus entre M. [P] et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005 ; que ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité ; que l’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui ; que le constat de l’utilisation du contrat de mission pour pourvoir un poste permanent est encore conforté par la durée exceptionnelle de l’emploi de M. [P] afin de faire face à un besoin structurel de main-d’oeuvre ; qu’il ressort des pièces versées aux débats par le salarié notamment des exemplaires salariés des relevés d’heures ainsi que des exemplaires de contrats de mission émis par Adecco et signés du client Ganca, que ce GIE y figurait comme société utilisatrice ; que le fait que M. [P] ait pu effectuer des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprises est donc sans incidence sur la régularité avec laquelle il a été mis à disposition des entreprises utilisatrices Ganca, Total et BP France ; qu’il convient de déduire de cette succession de contrats que l’emploi occupé par M. [P] n’avait pour objet que de permettre le fonctionnement normal et permanent desdites entreprises utilisatrices ; que par ailleurs, l’examen des exemplaires des contrats de mission montre à diverses reprises (ex : contrats n° 142, 144, 262, 263, 269, 270, 341) qu’ils sont conclus pour deux motifs distincts cumulatifs ( la saison et l’accroissement temporaire d’activité), qu’à quatre reprises le salarié a conclu plusieurs contrats de travail d’une journée à temps plein ( contrats n° 85 et 86 conclus le 31 octobre 1993, contrats n° 92 et 93 conclus le 11 janvier 1994, contrats n° 127 et 128 conclus du 13 au 14 avril 96), et que le 22 juillet 1991 il a remplacé à la fois M. [D] et M. [Z] ; qu’en outre les contrats prévoient une « souplesse » dépassant les deux jours prévus par ce texte pour les missions inférieures à 10 jours ( ex : contrats n° 373, 374, 379 ) ; que le défaut de mention, notamment sur le contrat numéro 299, figurant parmi les 195 contrats conclus pour assurer le remplacement d’un salarié absent de manière temporaire, des nom et prénom du salarié remplacé, suffit à lui seul à entraîner la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, vis-à-vis de la société Adecco ; qu’il s’ensuit que la demande de requalification doit être accueillie tant à l’encontre de l’entreprise Adecco qu’à l’encontre des sociétés BP France, Total et Sasca venant aux droits de Ganca ; qu’il y a lieu d’infirmer la décision déférée en ce sens ; que conformément aux dispositions de l’article L. 1251-41, M. [P] est en droit d’obtenir le paiement d’une indemnité de requalification d’un montant au moins égal à un mois de salaire ; qu’il y a donc lieu de lui allouer la somme de 1.911,62 euros à ce titre ; que sur le prêt de main-d’oeuvre illicite : l’article L. 8241- 1, alinéa 1, du code du travail prohibe le prêt illicite de main -d’oeuvre, défini comme : « Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’’oeuvre » ; qu’il apparaît que le salarié concluait de très nombreux contrats de travail temporaire avec la société Adecco anciennement Ecco pour être affecté d’après ses contrats de travail au sein du GIE Ganca qui n’a pourtant aucune activité propre ; qu’en réalité, M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés ; qu’il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou d’un gain pécuniaire ; que par les irrégularités constatées la société Adecco s’est placée en dehors du champ d’application du travail temporaire en violation des dispositions combinées des articles L. 1251-42 et L. 1251-16 du code du travail ; que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article L. 8241-1 susvisé ; que cette situation constitue un prêt de main-d’oeuvre illicite qui cause un préjudice au salarié ; que la cour allouera à ce dernier, une somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts ; que sur la rupture du contrat de travail : en cas de rupture des relations de travail les règles de rupture propres au contrat à durée indéterminée doivent être mises en oeuvre ; quel le contrat de M. [P] n’ayant pas été renouvelé après le 30 novembre 2005, ce fait marque la rupture des relations contractuelles ; que cette rupture, réalisée sans forme, doit s’analyser comme un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; que sur les conséquences du licenciement, M. [P] est en droit de percevoir conformément aux dispositions conventionnelles applicables une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, outre une indemnité de congés payés sur préavis et une indemnité de licenciement calculée par année d’ancienneté ; que le salarié a exactement calculé les sommes qui lui étaient dues à ce titre ; qu’il est en outre en droit de percevoir une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire conformément aux dispositions de l’article L. 1235 -3 du code du travail ; qu’il y a lieu de lui allouer de ce chef la somme de 35.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; que sur la condamnation solidaire : les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite n’ayant pas été respectées du fait d’une entente illicite entre les sociétés intimées celles-ci seront tenues in-solidum des condamnations ainsi prononcées ; que la charge finale des-dites condamnations sera répartie entre elles, à concurrence de la moitié à la charge des sociétés utilisatrices et à concurrence de la moitié à la charge de l’entreprise de travail intérimaire Adecco ; que les autres sociétés de travail temporaire ayant employé M. [P] (Onepi, Bis) n’étant pas dans la cause il n’y a pas lieu de procéder à une répartition entre elles du montant de la condamnation ; ».

1) ALORS QUE seules les opérations à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre sont interdites par les dispositions de l’article L. 8241-1 du code du travail ; que, pour entrer en voie de condamnation du chef du prêt illicite de main -d’oeuvre, la cour d’appel a uniquement énoncé - après avoir rappelé que « M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés - qu’« il en est résulté pour elles un bénéfice, un profil ou un gain pécuniaire ; qu’en statuant ainsi par voie d ’affirmation péremptoire et imprécise, sans expliquer concrètement en quoi aurait consisté le lucre que la Société TOTAL aurait retiré des opérations de prêt de main-d’oeuvre ayant donné lieu à l’établissement des contrats de mission avec M. [P], la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail ;

2°) ALORS QUE l’entreprise, utilisatrice, ayant accueilli un travailleur temporaire en son sein, ne peut être condamnée au titre du délit de prêt illicite de main-d’oeuvre que dans l’hypothèse où l’intérimaire est passé sous son autorité hiérarchique et n’est plus demeuré sous la subordination juridique de l’entreprise de travail temporaire, ce qui impose au juge de caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique liant le travailleur temporaire à l’entreprise utilisatrice ; qu’en condamnant dès lors les Sociétés TOTAL et SASCA in solidum avec la Société Adecco à réparer le préjudice subi par M. [P] du chef du prêt illicite de main-d ’oeuvre, sans caractériser que le salarié était passé sous la subordination juridique de la société TOTAL ou de la Société SASCA, la cour d’appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail ;

3) ET ALORS subsidiairement, QU’en se bornant à relever, sous un autre chef de demande de M. [P] , que « le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP », la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’un pouvoir de contrôle et de sanction de la Société TOTAL sur le salarié, donc l’existence pleine et entière d’un lien de subordination juridique, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail.

Moyens produits, au pourvoi incident, par la SCP Gatineau, Fattacini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Adecco France

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré les demandes de M. [P] irrecevables en raison de la péremption d’instance, d’avoir déclaré M. [P] recevable en ses demandes ; d’avoir requalifié les contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée ; d’avoir dit que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, d’avoir condamné la société Adecco, in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite, d’avoir condamné la société Adecco, in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] les sommes de 1.911,62 euros à titre d’indemnité de requalification, 35.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3.823,24 euros à titre d’indemnité de préavis, 382,32 euros de congés payés y afférents, 13.763,70 euros à titre d’indemnité de licenciement et 500 euros à titre de dommages-intérêts pour perte du droit individuel à la formation, d’avoir dit que la charge finale des-dites condamnations sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP France, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco, et d’avoir ordonné aux sociétés Adecco, BP France, Total et Sasca, de remettre à M. [P] l’attestation destinée au pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision, d’avoir condamné la société Adecco in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et d’avoir condamné la société Adecco in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca aux dépens.

Aux motifs que « Sur l’étendue de la saisine : Les dispositions de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence du 13 janvier 2015, partiellement cassé, donnant acte à la société Sasca venant aux droits du GIE Ganca, de son intervention volontaire à l’instance, ainsi que celles prenant acte du désistement d’instance de M. [P] de ses demandes dirigées contre la CCI de Nice sont définitives.

Le moyen tiré de la prescription de l’action de M. [P] a été définitivement rejeté par la cour d’appel d’Aix en Provence du 13 janvier 2015 s’agissant de la première saisine de M. [P].

M. [P] a saisi à nouveau la juridiction prud’homale le 22 février 2012 puis le 18 janvier 2013. Il est soutenu que l’action est irrecevable car le demandeur n’a accompli aucune diligence pendant qu’une ordonnance de radiation a été rendue. Cependant, aucune diligence n’étant à accomplir par M. [P] agissant dans le cadre d’une procédure orale, le moyen tiré de la prescription de son action n’est pas fondé. L’action prud’homale formée par M. [P] à l’encontre de la société BP France n’est pas soumise aux exigences prescrites par le code de commerce pour sa recevabilité. Elle n’est pas irrecevable en raison d’un défaut de mise en demeure préalable du GIE comme d’un défaut de mise en cause du membre associé » de la société en nom collectif intimée. En conséquence, les divers moyens d’irrecevabilité soulevés ne sont pas fondés.

Sur l’action en requalification exercée concurremment contre l’entreprise de travail temporaire et les entreprises utilisatrices :

Selon l’article L. 1251-5 du code du travail, « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ».

Selon l’article L. 1251-6 du même code, « sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée "mission" et seulement dans les cas suivants : 1° Remplacement d’un salarié en cas : a) d’absence ; b) de passage provisoire à temps partiel conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et l’employeur ; c) de suspension de son contrat de travail (...) ».

Enfin, l’article L. 1251-40 du code du travail dispose que « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission ».

Les actions en requalification exercées par M. [P], l’une contre l’entreprise de travail temporaire Adecco sur le fondement de l’article L. 1251-5, L. 1252-6, L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, l’autre contre les entreprises utilisatrices Sasca venant aux droits de Ganca, BP France et Total, sur le fondement de l’article L. 1251-40 du même code ont des fondements différents et peuvent être exercées concurremment.

En l’espèce, 365 contrats de mission ont été conclus entre M. [P] et la société Adecco entre le 4 mai 1991et le 30 novembre 2005. Ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité. L’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui. Le constat de l’utilisation du contrat de mission pour pourvoir un poste permanent est encore conforté par la durée exceptionnelle de l’emploi de M. [P] afin de faire face à un besoin structurel de main-d’oeuvre. Il ressort des pièces versées aux débats par le salarié notamment des exemplaires salariés des relevés d’heures ainsi que des exemplaires de contrats de mission émis par Adecco et signés du client Ganca, que ce GIE y figurait comme société utilisatrice. Le fait que M. [P] ait pu effectuer des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprises est donc sans incidence sur la régularité avec laquelle il a été mis à disposition des entreprises utilisatrices Ganca, Total et BP France. Il convient de déduire de cette succession de contrats que l’emploi occupé par M. [P] n’avait pour objet que de permettre le fonctionnement normal et permanent des-dites entreprises utilisatrices.

Par ailleurs, l’examen des exemplaires des contrats de mission montre à diverses reprises (ex :contrats n° 142, 144, 262, 263, 269, 270, 341) qu’ils sont conclus pour deux motifs distincts cumulatifs (la saison et l’accroissement temporaire d’activité), qu’à quatre reprises le salarié a conclu plusieurs contrats de travail d’une journée à temps plein (contrats n° 85 et 86 conclus le 31 octobre 1993, contrats n° 92 et 93 conclus le 11 janvier 1994, contrats n° 127 et 128 conclus du 13 au 14 avril 96), et que le 22 juillet 1991 il a remplacé à la fois M. [D] et M. [Z].

En outre les contrats prévoient une « souplesse » dépassant les deux jours prévus par ce texte pour les missions inférieures à 10 jours (ex : contrats n° 373, 374, 379). Le défaut de mention, notamment sur le contrat numéro 299, figurant parmi les 195 contrats conclus pour assurer le remplacement d’un salarié absent de manière temporaire, des nom et prénom du salarié remplacé, suffit à lui seul à entraîner la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, vis-à-vis de la société Adecco. Il s’ensuit que la demande de requalification doit être accueillie tant à l’encontre de l’entreprise Adecco qu’à l’encontre des sociétés BP, France, Total et Sasca venant aux droits de Ganca. Il y a lieu d’infirmer la décision déférée en ce sens. Conformément aux dispositions de l’article L. 1251-41, M. [P] est en droit d’obtenir le paiement d’une indemnité de requalification d’un montant au moins égal à un mois de salaire ; Il y a donc lieu de lui allouer la somme de 1.911,62 euros à ce titre.

Sur le prêt de main-d’oeuvre illicite :

L’article L. 8241-1, alinéa 1, du code du travail prohibe le prêt illicite de main-d’oeuvre, défini comme : « Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre ».
Il apparaît que le salarié concluait de très nombreux contrats de travail temporaire avec la société Adecco anciennement Ecco pour être affecté d’après ses contrats de travail au sein du GIE Ganca qui n’a pourtant aucune activité propre. En réalité, M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés. Il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou d’un gain pécuniaire.

Par les irrégularités constatées la société Adecco s’est placée en dehors du champ d’application du travail temporaire en violation des dispositions combinées des articles L. 1251-42 et L. 1251-16 du code du travail. La seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article L. 8241-1 susvisé.

Cette situation constitue un prêt de main-d’oeuvre illicite qui cause un préjudice au salarié. La cour allouera à ce dernier, une somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur la rupture du contrat de travail :

En cas de rupture des relations de travail les règles de rupture propres au contrat à durée indéterminée doivent être mises en oeuvre ; quel le contrat de M. [P] n’ayant pas été renouvelé après le 30 novembre 2005, ce fait marque la rupture des relations contractuelles ; que cette rupture, réalisée sans forme, doit s’analyser comme un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement :

M. [P] est en droit de percevoir conformément aux dispositions conventionnelles applicables une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, outre une indemnité de congés payés sur préavis et une indemnité de licenciement calculée par année d’ancienneté. Le salarié a exactement calculé les sommes qui lui étaient dues à ce titre. Il est en outre en droit de percevoir une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail. Il y a lieu de lui allouer de ce chef la somme de 35.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse.

Sur la condamnation solidaire :

Les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite n’ayant pas été respectées du fait d’une entente illicite entre les sociétés intimées celles-ci seront tenues in solidum des condamnations ainsi prononcées. La charge finale des-dites condamnations sera répartie entre elles, à concurrence de la moitié à la charge des sociétés utilisatrices et à concurrence de la moitié à la charge de l’entreprise de travail intérimaire Adecco. Les autres sociétés de travail temporaire ayant employé M. [P] (Onepi, Bis) n’étant pas dans la cause il n’y a pas lieu de procéder à une répartition entre elles du montant de la condamnation.

Sur le défaut de mention du droit individuel à la formation :

Le salarié sollicite 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte du droit individuel à la formation. La mention relative aux droits acquis par la société au titre du DIF ne figure dans aucun document. En l’espèce, le salarié démontre subir un préjudice causé par ce défaut d’information, que la cour évaluera à 500 euros.

Sur les autres demandes :

La cour ordonnera aux sociétés Adecco, BP France, Total et Sasca ensemble, de remettre à M. [P] l’attestation destinée au pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaires conformes à la présente décision »

Alors que tout jugement doit exposer succinctement les prétentions des parties et leurs moyens ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que la société Adecco était représentée à l’audience ; qu’en statuant comme elle l’a fait sans exposer succinctement les prétentions et les moyens soutenus par cette dernière, la cour d’appel a violé l’article 455 alinéa 1er du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la société Adecco, in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 1.911,62 euros à titre d’indemnité de requalification, d’avoir dit que la charge finale de ladite condamnation sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP France, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco, d’avoir condamné la société Adecco in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et d’avoir condamné la société Adecco in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca aux dépens

Aux motifs que « (?) Il s’ensuit que la demande de requalification doit être accueillie tant à l’encontre de l’entreprise Adecco qu’à l’encontre des sociétés BP France, Total et Sasca venant aux droits de Ganca. Il y a lieu d’infirmer la décision déférée en ce sens.

Conformément aux dispositions de l’article L. 1251-41, M. [P] est en droit d’obtenir le paiement d’une indemnité de requalification d’un montant au moins égal à un mois de salaire.

Il y a donc lieu de lui allouer la somme de 1.911,62 euros à ce titre »

Alors que le salarié ne peut prétendre au paiement, par l’entreprise de travail temporaire, d’une indemnité de requalification ; qu’en condamnant la société Adecco in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 1911, 62 euros à titre d’indemnité de requalification, la cour d’appel a violé l’article L. 1251-41 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la société Adecco, in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite, d’avoir dit que la charge finale de cette condamnation sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP France, Total et Sasca, et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco, d’avoir condamné la société Adecco in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca à payer à M. [P] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et d’avoir condamné la société Adecco in solidum avec les sociétés BP France, Total et Sasca aux dépens.

Aux motifs que « l’examen des exemplaires des contrats de mission montre à diverses reprises (ex : contrats n° 142, 144, 262, 263, 269, 270, 341) qu’ils sont conclus pour deux motifs distincts cumulatifs (la saison et l’accroissement temporaire d’activité), qu’à quatre reprises le salarié a conclu plusieurs contrats de travail d’une journée à temps plein (contrats n° 85 et 86 conclus le 31 octobre 1993, contrats n° 92 et 93 conclus le 11 janvier 1994, contrats n° 127 et 128 conclus du 13 au 14 avril 96), et que le 22 juillet 1991 il a remplacé à la fois M. [D] et M. [Z]. En outre les contrats prévoient une « souplesse » dépassant les deux jours prévus par ce texte pour les missions inférieures à 10 jours (ex : contrats n° 373, 374, 379). Le défaut de mention, notamment sur le contrat numéro 299, figurant parmi les 195 contrats conclus pour assurer le remplacement d’un salarié absent de manière temporaire, des nom et prénom du salarié remplacé, suffit à lui seul à entraîner la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, vis-à-vis de la société Adecco »

Et que « Sur le prêt de main-d’oeuvre illicite :

L’article L. 8241-1, alinéa 1, du code du travail prohibe le prêt illicite de main-d’oeuvre, défini comme : « Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre ».

Il apparaît que le salarié concluait de très nombreux contrats de travail temporaire avec la société Adecco anciennement Ecco pour être affecté d’après ses contrats de travail au sein du GIE Ganca qui n’a pourtant aucune activité propre. En réalité, M. [P] a travaillé successivement ou cumulativement pour les sociétés Total et BP afin d’assurer le ravitaillement des avions suivant les directives données par ces seules sociétés. Il en est résulté pour elles un bénéfice, un profit ou d’un gain pécuniaire.

Par les irrégularités constatées la société Adecco s’est placée en dehors du champ d’application du travail temporaire en violation des dispositions combinées des articles L. 1251-42 et L. 1251-16 du code du travail. La seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article L. 8241-1 susvisé.

Cette situation constitue un prêt de main-d’oeuvre illicite qui cause un préjudice au salarié. La cour allouera à ce dernier, une somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts »

1/ Alors que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de maind’oeuvre est interdite dès lors qu’elle n’est pas effectuée dans le cadre des dispositions du code du travail relatives au travail temporaire ; qu’il en résulte qu’une entreprise de travail temporaire qui met à disposition temporaire un salarié au bénéfice d’un client utilisateur pour l’exécution d’une mission, ne peut être sanctionnée pour prêt de main d’oeuvre illicite du seul fait du non-respect des prescriptions relatives aux mentions devant figurer dans les contrats de mission, lequel n’a pas pour effet de placer l’opération en dehors du cadre du travail temporaire ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’ancien article L 125-3 du code du travail devenu l’article L. 8241-1 du code du travail ;

2/ Alors que l’infraction de prêt de main d’oeuvre illicite requiert un élément intentionnel ; qu’en affirmant péremptoirement que la société Adecco avait méconnu les dispositions légales relatives au contenu du contrat de mission « en toute connaissance de cause », sans nullement caractériser que les omissions affectant les contrats de mission procédaient non pas d’erreurs et ou de négligences, mais avaient été commises en parfaite connaissance de la non-conformité des contrats aux prescriptions légales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L 125-3 du code du travail devenu l’article L. 8241-1 du code du travail. ECLI:FR:CCASS:2021:SO01226