ETT roumaine - marchandage - prêt illicite de salariés

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 18-83.058, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 18-83.058
ECLI:FR:CCASS:2021:CR00028
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mardi 12 janvier 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes, du 19 avril 2018

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Waquet, Farge et Hazan
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° C 18-83.058 F-D

N° 00028

CK
12 JANVIER 2021

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JANVIER 2021

M. I... P... a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, 11e chambre, en date du 19 avril 2018, qui, pour travail dissimulé, emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail, prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage, l’a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et cinq ans d’interdiction de gérer et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. I... P..., et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l’audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Après un contrôle par la gendarmerie d’un chantier de construction, sur lequel travaillaient deux salariés de nationalité roumaine indiquant être employés par une société Ethica Emeo, ayant son siège à Bucarest, mais n’avoir pas accompli de mission pour le compte de cette société en Roumanie, et des investigations de l’inspection du travail, M. P..., entrepreneur français, dirigeant des deux sociétés roumaines Ethica Emeo et HR Intérim solutions, a été poursuivi, pour des faits compris entre janvier 2011 et octobre 2013 et concernant dix neuf salariés, des chefs susénoncés devant le tribunal correctionnel, qui l’a renvoyé des fins de la poursuite du chef d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail et l’a déclaré coupable pour le surplus.

3. Le ministère public, le prévenu et la fédération française du bâtiment, partie civile, ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

Enoncé des moyens

4. Le premier moyen est pris de la violation des articles L. 1262-1, L. 1262-2, L. 1262-3, L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, L. 123-1 du code de commerce, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré le prévenu coupable de travail dissimulé par dissimulation d’activité, alors :

« 1°/ que l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité telle que définie à l’article L. 8221-3 du code du travail et telle que poursuivie en l’espèce consiste dans le fait pour une personne d’omettre volontairement de s’immatriculer ou de déclarer tout ou partie de son activité ; que cette infraction se distingue de celle de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, qui porte, elle, sur le statut et l’activité des salariés ; qu’il en résulte que la question du détachement des salariés d’une société étrangère est distincte de celle de l’obligation pour cette société de s’immatriculer et déclarer son activité en France, et que l’appréciation de la réalité et de la légalité du détachement est sans influence sur l’appréciation de l’existence d’une activité soumise à déclaration sur le territoire national ;
que, dès lors, la cour d’appel ne pouvait sans méconnaître le texte susvisé se fonder sur les critères de validité du détachement des salariés pour caractériser l’existence d’une obligation d’immatriculation et de déclaration en France de la société étrangère employant lesdits salariés ;

2°/ que l’arrêt attaqué, qui procède d’une confusion entre l’obligation de déclaration des salariés et l’obligation de déclaration de l’activité, ne contient pas de motifs suffisants à justifier son dispositif ;

3°/ qu’aux termes de l’article L. 123-1 du code de commerce, sont tenues à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés les sociétés commerciales dont le siège est situé hors d’un département français et qui ont un établissement dans l’un de ces départements ; que faute d’avoir recherché si les sociétés Ethica Emeo et HR Interim disposaient chacune d’un établissement en France au sens de ces dispositions, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

6. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 12 du règlement CE n° 883/2004 du 29 avril 2004 et 5 du règlement CE n° 987/2009 du 16 septembre 2009, L. 1262-1, L. 1262-2, L. 1262-3, L. 8221-3, L. 8221-5 et L. 8251-1 du code du travail, 459, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré le prévenu coupable de travail dissimulé par dissimulation d’activité, de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié et d’emploi d’étrangers sans titre de travail, alors :

« 1°/ qu’un certificat A1 délivré par l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine du travailleur détaché lie tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre ; que la juridiction répressive de l’Etat dans lequel travail est effectué n’est par conséquent pas compétente pour examiner la légalité du détachement d’un salarié étranger en possession de son certificat A1, sauf à saisir au préalable les autorités de l’Etat d’émission du certificat ; qu’en écartant comme inopérante la question de la portée des certificats A1 pour se prononcer directement sur les conditions de fond du détachement, la cour d’appel a méconnu sa propre compétence et a violé les articles 12 du règlement CE n° 883/2004 du 29 avril 2004 et 5 du règlement CE n° 987/2009 du 16 septembre 2009 ;

2°/ qu’en omettant de se prononcer sur le moyen péremptoire tiré de ce que la délivrance des certificats A1 suffisait, en l’absence de saisine des autorités roumaines quant à leur régularité, à attester de la régularité des détachements litigieux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

9. La Cour de justice de l’Union européenne juge qu’en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les certificats E101, devenus A1, délivrés par l’institution compétente d’un Etat membre créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État et s’imposent à l’institution compétente et aux juridictions de l’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15).

10. Elle ajoute que, lorsque l’institution de l’État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a saisi l’institution émettrice de ces certificats d’une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci à la lumière d’éléments recueillis dans le cadre d’une enquête judiciaire ayant permis de constater qu’ils ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et que l’institution émettrice s’est abstenue de prendre en considération ces éléments aux fins du réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats, le juge national peut, dans le cadre d’une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d’avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de tels certificats, écarter ces derniers si, sur la base desdits éléments et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes, il constate l’existence d’une telle fraude (CJUE, arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, C-359/16).

11. Il en résulte, ainsi qu’elle l’a ultérieurement précisé, que le juge national doit d’abord rechercher si la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, du règlement n° 1408/71 a été, en amont de sa saisine, enclenchée par l’institution compétente de l’État membre d’accueil par le biais d’une demande de réexamen et de retrait de ces certificats présentée à l’institution émettrice de ceux-ci, et, si tel n’a pas été le cas, doit mettre en œuvre tous les moyens de droit à sa disposition afin d’assurer que l’institution compétente de l’État membre d’accueil enclenche cette procédure, et que ce n’est qu’après avoir constaté que l’institution émettrice s’est abstenue de procéder au réexamen de ces certificats et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments qui lui étaient présentés, qu’il peut se prononcer de manière définitive sur l’existence d’une telle fraude et écarter ces certificats (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18).

12. La Cour de cassation en a tiré les conséquences et a retenu que le juge, saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, ne peut écarter lesdits certificats que si, sur la base de l’examen des éléments concrets recueillis au cours de l’enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l’institution émettrice saisie s’était abstenue de les prendre en compte, dans un délai raisonnable, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif par l’absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l’intention de la personne poursuivie de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l’avantage qui y est attaché (Crim., 18 septembre 2018, pourvoi n° 13-88.631, Bull. crim. 2018, n° 160).

13. Dans une procédure où les poursuites pour travail dissimulé n’avaient pas seulement été engagées pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, mais également pour défaut de déclaration préalable à l’embauche (DPAE), la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle relative à l’incidence de ces certificats sur l’obligation de déclaration préalable à l’embauche et, partant, sur la portée desdits certificats sur l’application aux travailleurs concernés de la législation de l’État membre d’accueil en matière de droit du travail (Crim., 8 janvier 2019, pourvoi n° 17-82.553).

14. Dans la présente procédure, la chambre criminelle a sursis à statuer jusqu’à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.

15. Répondant à cette question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics, C-17/19) a énoncé que les formulaires de détachement, dits certificats E101 et A1, s’imposent aux juridictions de l’Etat sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités uniquement en matière de sécurité sociale.

16. Elle a précisé que « les certificats E101 et A1, délivrés par l’institution compétente d’un État membre, ne lient l’institution compétente et les juridictions de l’État membre d’accueil qu’en ce qu’ils attestent que le travailleur concerné est soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation du premier État membre pour l’octroi des prestations directement liées à l’une des branches et à l’un des régimes énumérés à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 » (§ 47) et conclu que « ces certificats ne produisent donc pas d’effet contraignant à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers » (§ 48).

17. S’agissant de l’analyse du droit national et en particulier de la portée de la DPAE, elle a précisé qu’il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer la portée de cette obligation déclarative.

18. Il appartient donc à la chambre criminelle de déterminer si la DPAE « a pour unique objet d’assurer l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale et, partant, à assurer le seul respect de la législation en la matière, auquel cas les certificats E101 et A1, délivrés par l’institution émettrice, feraient, en principe, obstacle à une telle obligation, ou, alternativement, si cette obligation vise également, fût-ce en partie, à garantir l’efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail, auquel cas ces certificats n’auraient aucune incidence sur ladite obligation, étant entendu que celle-ci ne peut, en tout état de cause, entraîner l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale » (§ 53 de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne précité).

19. Il convient de rappeler que la formalité de la DPAE a été créée par la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991, à l’article L. 320 du code du travail, recodifié depuis lors, qui prévoyait que « l’embauche d’un salarié ne peut intervenir qu’après la déclaration nominative effectuée par l’employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet », formulation reprise dans toutes les versions successives de ce texte, puis à l’article L. 1221-10 du code du travail.

20. Les travaux parlementaires afférents à la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, qui a généralisé l’extension de l’obligation de procéder à la DPAE à l’ensemble du territoire national, la justifient par la considération que la lutte contre le travail clandestin est une nécessité sociale et économique (Sénat, rapport de M. Louis Souvet, n° 16, p. 56). Une circulaire d’application du 16 septembre 1993 relative à la mise en oeuvre de la déclaration préalable à l’embauche (JO du 23 octobre 1993, page 14733) expose encore que « la déclaration préalable à l’embauche s’insère dans le dispositif de lutte contre les différentes formes de travail et d’emploi irréguliers » et que celle-ci, qui remplace l’attestation d’embauche alors en vigueur, « tend à rendre cette information plus fiable puisqu’un tiers, en l’occurrence un organisme de protection sociale, en est le destinataire et le détenteur ».

21. Or, la lutte contre le travail dissimulé recouvre plusieurs finalités qui ne la limitent pas au financement des différentes branches de la sécurité sociale, puisqu’elle permet en outre de faciliter la lutte contre la fraude fiscale, une société qui procède à une DPAE étant tenue de s’identifier, ainsi que d’assurer une concurrence non faussée entre les entreprises.

22. C’est ainsi qu’en vertu de l’article L. 1221-10 du code du travail susvisé, l’existence d’une DPAE fait présumer l’existence d’un contrat de travail qui ouvre au salarié le bénéfice de l’ensemble des droits et obligations prévus par le code du travail. Cette déclaration tend ainsi à favoriser les contrôles opérés par l’inspection du travail sur le respect desdits droits et obligations, l’employeur devant s’il conteste l’existence d’un tel contrat de travail en établir le caractère fictif.

23. D’ailleurs, en vertu de l’article R. 1221-2 du code du travail, dans sa version applicable sur une partie de la période de prévention, la DPAE permet à l’employeur, non seulement, d’accomplir les déclarations et demandes tendant aux immatriculations et affiliations à divers régimes de sécurité sociale (assurance maladie et assurance chômage), mais également la demande de l’examen médical d’embauche, prévu à l’article R. 4624-10 dudit code, ou, s’il s’agit d’un salarié agricole, à l’article R. 717-14 du code rural et de la pêche maritime.

24. Il résulte de l’article R. 4624-11 du code du travail, dans sa version applicable à la date des faits, que l’examen médical d’embauche a notamment pour finalité de s’assurer que le salarié est médicalement apte au poste de travail auquel l’employeur envisage de l’affecter, de lui proposer éventuellement les adaptations du poste ou l’affectation à d’autres postes, et de rechercher s’il n’est pas atteint d’une affection dangereuse pour les autres travailleurs.

25. Obligatoire avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai, cet examen médical doit être réalisé par le médecin du travail. Il assure ainsi l’efficacité du contrôle par la médecine du travail des règles destinées à préserver la santé des travailleurs.

26. Il résulte de ces considérations que la DPAE vise, au moins en partie, à garantir l’efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail.

27. Dès lors, il y a lieu d’en conclure que l’existence de certificats E101 et A1 ne fait pas obstacle à une condamnation du chef de travail dissimulé pour omission de procéder à la DPAE.

28. De même, le délit de travail dissimulé tant par dissimulation de salariés que par dissimulation d’activité peut être établi, nonobstant la production de certificats E101 ou A1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale (article L. 8221-3, 2°, du code du travail) ou aux salaires ou aux cotisations sociales (article L. 8221-5, 3°, du code du travail). Il en est ainsi par exemple, lorsqu’a été omise l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, dans le cas de la dissimulation d’activité.

29. Pour retenir la culpabilité du prévenu du chef de travail dissimulé par dissimulation d’activité faute d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, l’arrêt énonce qu’à compter de 2011, l’activité de la société de droit roumain Ethica Emeo a été mise en sommeil en Roumanie, pour se développer majoritairement en France par la multiplication de chantiers en régions Bretagne et Pays-de-Loire, son dirigeant vivant et gérant cette société en France durant les trois quarts de l’année.

30. Les juges relèvent que la société HR Intérim solutions, dont le prévenu a été l’un des gérants, a pris la suite, au cours de l’année 2012, de la société Ethica Emeo, lorsque celle-ci a été en difficulté, reprenant une partie des salariés, assurant la mise à disposition de salariés au bénéfice d’une société française Ethica West et recherchant de nouveaux clients sur le territoire français.

31. Ils ajoutent, après avoir exposé, en substance, que les investigations avaient mis en évidence, pour chacune de ces sociétés, l’existence d’une activité habituelle, stable et continue sur le territoire français, grâce au recrutement de salariés roumains sur le territoire national pour une affectation exclusive en France, l’utilisation de moyens logistiques importants et la réalisation d’opérations de gestion depuis la France, rendant nécessaire la création d’un établissement sur le territoire national pour chacune de ces sociétés, que celles-ci étaient assujetties aux obligations de les immatriculer au registre du commerce et des sociétés en France.

32. Pour déclarer le prévenu coupable de travail dissimulé par dissimulation de salariés, la cour d’appel énonce encore qu’en raison de l’existence, en France, d’un établissement pour chacune des sociétés Ethica Emeo et HR Intérim solutions, leurs dirigeants ne peuvent se prévaloir des dispositions relatives au détachement transnational de travailleurs, mais devaient procéder à la déclaration des salariés auprès de l’Urssaf, leur remettre des bulletins de paie et payer les cotisations sociales en France, le moyen de défense tiré de l’existence des certificats A1 étant inopérant.

33. En prononçant ainsi, nonobstant des motifs partiellement erronés relatifs à l’obligation du prévenu de payer les cotisations sociales en France, la cour d’appel, qui a souverainement estimé que les sociétés concernées avaient mené une activité habituelle, stable et continue sur le territoire français, et a caractérisé la dissimulation d’activité faute d’immatriculation des établissements concernés au registre du commerce et des sociétés, ainsi que la dissimulation de salariés, faute notamment de DPAE des salariés concernés, a justifié sa décision.

34. En effet, si le prévenu a été reconnu coupable au titre de l’omission d’obligations déclaratives ayant pour unique objet d’assurer l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale, il l’a été également au titre d’un défaut d’inscription au registre du commerce et des sociétés et d’un défaut de DPAE.

35. La production de certificats E101 ou A1 pour certains ou tous les salariés concernés n’était pas de nature à interdire à la juridiction de déclarer établis ces derniers faits, qui à eux seuls suffisent à fonder la condamnation prononcée du chef de travail dissimulé, délit défini de façon unitaire par l’article L. 8221-1, 1° du code du travail.

36. Les moyens seront en conséquence rejetés.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

37. Le moyen est pris de la violation des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

38. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré le prévenu coupable de travail dissimulé par dissimulation d’activité et par dissimulation de salarié en ce qui concerne M. L... E..., alors « qu’en ne précisant pas en quoi les missions accomplies par M. E... entre décembre 2011 et février 2012 n’avaient pu l’être sous le statut d’auto-entrepreneur, comme indiqué par les parties depuis le début de la procédure, la cour d’appel n’a pas suffisamment motivé sa décision. »

Réponse de la Cour

39. Pour condamner le prévenu du chef de travail dissimulé par dissimulation d’activité et de salarié en ce qui concerne M. L... E..., l’arrêt énonce que celui-ci a, de décembre 2011 à février 2012, avant la création d’Ethica West, prospecté la clientèle en France, faisant signer huit contrats de sous-traitance et travaillant, ainsi, de manière habituelle et continue comme commercial pour le compte de la société Ethica Emeo sans être déclaré.

40. Les premiers juges ont, quant à eux, relevé qu’il ressort des auditions de M. E... qu’il a, durant plusieurs mois avant la création de la société Ethica West, travaillé pour le compte de la société Ethica Emeo, sans être déclaré, le statut d’auto-entrepreneur dont il s’est prévalu n’étant pas établi par des pièces qui correspondraient à la réalité de l’activité commerciale, pourtant significative, qu’il a exercée au sein de la société Ethica Emeo.

41. Il résulte de ces motifs, propres et adoptés, que la cour d’appel a suffisamment justifié sa décision sans encourir le grief allégué.

42. Ainsi, le moyen n’est pas fondé.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

43. Le moyen est pris de la violation des articles L. 8241-1 du code du travail, 459, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

44. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré le prévenu coupable de prêt illicite de main d’oeuvre, alors « que l’article L. 8241-1 du code du travail réprime toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre ; que le prévenu a soulevé dans ses conclusions d’appel un moyen pris de ce que les contrats de sous-traitance et de mise à disposition, en vertu desquels des salariés des sociétés Ethica Emeo et HR Interim étaient intervenus auprès de la société Ethica West, n’avaient pas eu pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre, mais également l’apport de compétences spécifiques sur des chantiers de haute technicité ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen et en ne caractérisant en conséquence pas le caractère exclusif de l’objet des opérations litigieuses, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Réponse de la Cour

45. Pour condamner le prévenu du chef de prêt illicite de main d’oeuvre, l’arrêt énonce, en substance, que, d’une part, en raison de la confusion existant entre les sociétés Ethica Emeo et Ethica West, la première n’a réalisé qu’une opération fictive de sous-traitance, d’autre part, la société HR Intérim a mis des salariés à disposition de la société Ethica West afin de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de cette entreprise utilisatrice.

46. Les juges relèvent que la mise à disposition de salariés par les sociétés Ethica Emeo et HR Intérim solutions au bénéfice de la société Ethica West avait un but lucratif, en raison de la rémunération versée, du bénéfice recherché entre le coût de la main d’oeuvre mise à disposition, du prix facturé par le prêteur et de l’absence de paiement des charges par la société utilisatrice Ethica West.

47. Ils constatent encore l’absence de technicité particulière, de matériel particulier ou de compétences spécifiques de nature à justifier le recours à la société Ethica Emeo par Ethica West, au secteur d’activité similaire, précisant que le prévenu a déclaré : « On installe tous les luminaires et les prises de courant. Ce sont des matériaux qui nous sont fournis par le client. Et nous derrière on fournit les vis, les colliers, les attaches, les chevilles ", et que les devis saisis mentionnent : "Dans cette offre de prix nous n’avons chiffré que la main d’oeuvre. Toutes fournitures ou autres approvisionnement sont à votre charge (Ineo) hors collier de serrage ».

48. Ils ajoutent que l’élément intentionnel de l’infraction se déduit de la dissimulation du mécanisme de la fraude orchestrée par le prévenu.

49. En l’état de ces motifs, la cour d’appel, qui a notamment exposé les raisons pour lesquelles, en l’absence de technicité particulière des travaux incombant à la société Ethica Emeo, la sous-traitance présentait un caractère fictif, a justifié sa décision.

50. Ainsi, le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

51. Le moyen est pris de la violation des articles L. 8231-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

52. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que l’arrêt a déclaré le prévenu coupable de marchandage, alors « qu’est constitutive de marchandage toute opération à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié ou d’éluder l’application de dispositions légales ou conventionnelles ; que la cour d’appel, qui n’a pas expliqué en quoi le prêt de main d’oeuvre, et non le seul détachement, était en l’espèce à l’origine du préjudice allégué et de la non-application des dispositions légales et conventionnelles applicables, n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Réponse de la Cour

53. Pour condamner le prévenu du chef de marchandage, l’arrêt énonce que les contrats de sous-traitance signés avec la société Ethica Emeo et les contrats d’intérim signés avec la société HR Intérim solutions ont non seulement permis à la société Ethica West, successivement donneur d’ordre et entreprise utilisatrice, d’éluder l’application des dispositions légales et conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établie en France en matière de législation du travail, mais ont également causé un préjudice aux salariés des sociétés Ethica Emeo puis HR Intérim qui auraient dû bénéficier d’une rémunération équivalente à celle des salariés de la société Ethica West, en l’occurrence du salaire minimum brut conventionnel et d’indemnités résultant de la mise en oeuvre de la convention collective applicable aux ouvriers présents sur le chantier.

54. Les juges ajoutent que le prévenu s’est également affranchi de la législation relative au travail temporaire et des garanties s’y attachant, ainsi que des dispositions du code du travail sur les conditions de conclusion, d’exécution et de rupture des contrats de travail.

55. En prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision.

56. Le moyen doit donc être écarté.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR00028