Fausse psi - façonnage d’armatures métalliques

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 19 mars 2013

N° de pourvoi : 11-86552

ECLI:FR:CCASS:2013:CR01624

Publié au bulletin

Rejet

M. Louvel, président

M. Beauvais, conseiller apporteur

M. Liberge, avocat général

SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

No F 11-86. 552 F-P + B No 1624
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf mars deux mille treize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller BEAUVAIS, les observations de la société civile professionnelle PEIGNOT, GARREAU et BAUER-VIOLAS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LIBERGE ;

REJET du pourvoi formé par M. Jean-Luc X..., contre l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 20 mai 2011, qui, pour prêt illicite de main-d’oeuvre, l’a condamné à 3 000 euros d’amende ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme sur la culpabilité et des pièces de procédure que, lors d’un contrôle effectué dans les locaux de la société Armatures services, spécialisée dans le montage d’armatures métalliques, un fonctionnaire de l’inspection du travail a constaté que trois salariés de l’entreprise de droit polonais Nordprojekt travaillaient, au sein de l’équipe des soudeurs-assembleurs de la société, à des tâches de montage d’armatures ne nécessitant aucune technicité particulière, et que ces travailleurs, sous le couvert de contrats de prestation de services, étaient rémunérés sur la base d’une facturation forfaitaire comportant le montant des salaires ainsi que le coût des trajets des ouvriers depuis la Pologne et de leurs vêtements de travail ;
Attendu qu’à la suite de ces faits, M. X..., dirigeant de la société Armatures services, cité devant le tribunal correctionnel, sur le fondement de l’article L. 8241-1 du code du travail, pour avoir pris part à une opération de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif hors du cadre légal du travail temporaire, a été déclaré coupable de cette infraction ; que le prévenu et le ministère public ont relevé appel de la décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 8113-7, L. 8243-1, L. 8241-1 du code du travail, 427, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation des droits de la défense, manque de base légale, violation de la loi :
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré que les dispositions de l’article L. 8113-7 du code du travail qui prévoit que l’inspecteur du travail doit constater les infractions par des procès-verbaux qui ont foi jusqu’à preuve contraire, ont été respectées ;
” aux motifs qu’en ce qui concerne l’article L. 8113-7 du code du travail il dispose que l’inspecteur doit constater les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire, qu’il est constant qu’en l’espèce le contrôleur du travail s’est déplacé dans l’entreprise et a bien eu des entretiens avec MM. Y..., Z..., X... et A..., dont il relate la teneur des propos et dont il tire les conséquences juridiques ; qu’ainsi, l’inspecteur a bien transcrit ce qu’il a vu et entendu et donc constaté, le procès-verbal, faisant suite au contrôle du 5 juin 2007, a, en conséquence, force probante en ce qui concerne la relation par l’inspecteur du travail des entretiens qu’il a eus avec les personnes ci-dessus dénommées ;
” alors que la force probante jusqu’à preuve contraire, attachée aux procès-verbaux établis par les contrôleurs du travail, est limitée à la constatation des infractions au code du travail et non aux entretiens que celui-ci a eus avec les différentes personnes travaillant dans l’entreprise, lesquels ont valeur de simples renseignements ; qu’en énonçant le contraire, pour retenir la force probante du procès-verbal établi suite au contrôle du 5 juin 2007, la cour d’appel a violé les articles visés au moyen “ ;
Attendu qu’en retenant, par les motifs repris au moyen, que le procès-verbal établi par le contrôleur du travail faisait foi jusqu’à preuve contraire de ce que son auteur avait vu, entendu et donc personnellement constaté, la cour d’appel a fait l’exacte application des articles L. 8113-7 du code du travail et 429 du code de procédure pénale ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 112-1 du code pénal, L. 8241-1, L. 8243-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense, violation de la loi :
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif, hors du cadre légal du travail temporaire et l’a condamné à une amende de 3 000 euros ;
” aux motifs qu’aux termes de l’article L. 8241-1 du code du travail toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite ; qu’à titre liminaire il faut relever que l’infraction poursuivie ne concerne pas spécialement l’emploi de salariés visés par la circulaire du 29 avril 2006 relative aux autorisations de travail délivrées aux ressortissants des nouveaux Etats membres ; qu’il convient de rechercher, d’une part, si l’opération constitue une fourniture de main-d’oeuvre déguisée ou si au contraire, le prêt de main-d’oeuvre se justifie par la nature du contrat qui lie l’entreprise prestataire à l’entreprise utilisatrice et d’autre part, si l’opération est à but lucratif ; que la société appelante produit une lettre de son conseil qui l’informe sur les conditions de licité de l’opération, dont notamment le fait que la tâche à effectuer est spécifique en ce qu’elle n’a pas les moyens de l’accomplir elle-même ; qu’elle est clairement définie et ponctuelle ; que le prix est payé de façon forfaitaire et défini par rapport à un résultat à atteindre ; que le prestataire conserve son indépendance, l’autorité sur son personnel et exerce un contrôle sur la réalisation du travail ; que les moyens matériels pour la réalisation de la mission sont fournis par le prestataire ; que les salariés ne doivent pas être privés des garanties offertes par les dispositions législatives, réglementaires et contraventionnelles en vigueur ; qu’il convient de relever que la société Armatures France ne produit aucune pièce démontrant qu’elle n’a pas les moyens de réaliser le travail sans avoir recours aux services d’une entreprise prestataire, exerçant hors du cadre du travail temporaire, l’objet du contrat étant libellé comme suit : “ Le donneur d’ordre confie au prestataire, qui accepte, l’activité de soudure et de pose d’objets métalliques, en particulier d’armatures métalliques. Le prestataire interviendra dans l’atelier du donneur d’ordre, ou sur un chantier de manière exceptionnelle. Il est expressément prévu que l’intervention de la société Nordprojekt sera ponctuelle “ ; qu’il n’est nullement question d’un savoir-faire particulier ; que, par ailleurs, si elle produit les fiches de poste des salariés mis à disposition, elle ne fournit pas celle de son personnel, ce qui ne permet à la cour de vérifier qu’elle n’emploie pas déjà du personnel ayant la même qualification ; qu’il ressort du procès-verbal de l’inspection du travail que les fiches de poste sont identiques ; qu’à cet égard M. Y..., responsable de la production dans la société donneur d’ordre, a déclaré que ces salariés étaient sous ses ordres et qu’ils n’étaient pas spécialement qualifiés, le travail en atelier ne nécessitant aucune qualification spécifique ; qu’ils ont depuis été employés directement par la société Armatures services en qualité de soudeur ; qu’il a été prétendu que leur savoir faire particulier résidait dans le fait qu’ils étaient poseurs-soudeurs, ce qui était un atout lors de l’intervention sur les chantiers, or aucun élément objectif ne vient corroborer cette affirmation qui est d’ailleurs partiellement contredite par les termes du contrat qui stipule une intervention exceptionnelle sur les chantiers ; qu’au moment de l’audition de M. X..., les salariés polonais n’avaient d’ailleurs travaillé que dans l’atelier et avaient été initiés par les ouvriers d’Armatures France ; qu’en conséquence la société Nordprojekt n’accomplit aucune tâche spécifique ; qu’en outre, si M. A... encadre les ouvriers, il n’intervient que comme traducteur puisque les salariés polonais ne parlent pas la langue française ; que la société Nordprojekt n’est en réalité intervenue que pour les démarches administratives liées au cadre juridique relatif à l’emploi des salariés étrangers en France ; que si l’entreprise prestataire a fourni du matériel comme des vêtements de travail, des gants ou des chaussures de sécurité, il résulte du procès-verbal de l’inspection du travail qu’aucun outillage spécifique n’a été mis à disposition et ce, malgré les stipulations contractuelles ; qu’il résulte de ces éléments que la société Nordprojekt n’a aucune autonomie ni initiative en ce qui concerne l’organisation du travail, ce qui est d’ailleurs renforcé par la fourniture de logement aux travailleurs mis à disposition par l’entreprise appelante ; qu’elle n’accomplit, par ailleurs, aucune tâche spécifique ; que ce faisceau d’indices permet d’affirmer que l’opération a pour objet exclusif un prêt de main-d’oeuvre qui ne se situe pas dans le cadre légal du travail temporaire ; que le caractère lucratif de l’opération réside dans le fait que la société Armatures services n’a pas la charge des salaires et des charges sociales et ce, même si le prix convenu est forfaitaire ;
” 1) alors que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu’en énonçant que la société Armatures France n’a produit aucune pièce démontrant qu’elle n’a pas les moyens de réaliser le travail sans avoir recours aux services d’une entreprise prestataire, exerçant hors du cadre du travail temporaire, puisque selon les termes du contrat, il est seulement prévu que l’activité de soudure et de pose d’objets métalliques, en particulier d’armatures métalliques, sera effectuée par l’entreprise prestataire et qu’il n’est nullement question d’un quelconque savoir-faire particulier, à savoir celui de poseur-soudeur, comme l’affirmait le prévenu, tandis qu’il résulte des pièces de la procédure, parmi lesquelles figure le contrat selon lequel, si la société Armatures services SAS était spécialisée dans la fabrication d’article en fils métalliques et tout particulièrement d’armatures métalliques, elle devait faire appel aux compétences d’un prestataire de service externe pour la soudure en atelier et la pose, cette technique s’y rapportant lui étant mal connue, la cour d’appel qui a statué aux termes de motifs contradictoires n’a pas justifié légalement sa décision ;
” 2) alors que, selon la loi pénale de fond plus douce, n° 2011-893 du 11 juillet 2011, réformant l’incrimination de prêt illicite de main-d’oeuvre dans un but lucratif prévue à l’article L. 8241-1 du code du travail, une opération de prêt de main-d’oeuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales y afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition ; qu’il ne résulte pas des constatations et énonciations de l’arrêt que le prix forfaitaire de 330 euros HT par tonne d’armature soudée ou posée, portait sur des sommes supérieures au montant des salaires versés aux salariés, auxquels s’ajoutaient les charges sociales ainsi que les frais professionnels versés à l’intéressé au titre de la mise à disposition ; qu’en statuant au regard des dispositions anciennes sans faire application de la loi nouvelle d’application immédiate, excluant toute incrimination dans cette nouvelle hypothèse, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble l’article 112-1 du code pénal “ ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris qui avait retenu qu’en ayant recours à une main-d’oeuvre pour travailler, avec du matériel fourni par la société Armatures services et sous les ordres de son personnel d’encadrement, à des postes qui auraient dû être occupés par des salariés de ladite société, M. X..., qui avait éludé le paiement de charges sociales, avait pris part à une opération illicite de prêt de main-d’oeuvre dont le caractère lucratif était ainsi avéré, la cour d’appel prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces constatations et énonciations, exemptes d’insuffisance comme de contradiction, les juges du fond ont justifié leur décision au regard des dispositions de l’article L. 8241-1 du code du travail, qui prohibe, hors les exceptions prévues par ce texte, les opérations à but lucratif ayant pour objet le prêt exclusif de main-d’oeuvre ;
D’où il suit que le moyen, qui se prévaut vainement des dispositions, non applicables en l’espèce, du dernier alinéa dudit article, dans sa rédaction issue de la loi du 28 juillet 2011, ne saurait être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Beauvais conseiller rapporteur, Mme Guirimand conseiller de la chambre ; Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Publication : Bulletin criminel 2013, n° 67

Décision attaquée : Cour d’appel de Nîmes , du 20 mai 2011

Titrages et résumés : PREUVE - Procès-verbal - Force probante - Procès-verbal dressé par les fonctionnaires habilités - Inspecteurs et contrôleurs du travail - Preuve contraire - Domaine d’application - Détermination - Portée

Il résulte des articles L. 8113-7 du code du travail et 429 du code de procédure pénale que les procès-verbaux des inspecteurs et contrôleurs du travail font foi jusqu’à preuve contraire de ce qu’ils ont vu, entendu et donc personnellement constaté dans l’exercice de leurs fonctions et sur une matière de leur compétence

TRAVAIL - Inspection du travail - Inspecteur du travail - Procès-verbaux - Force probante - Preuve contraire - Domaine d’application - Détermination - Portée

PROCES-VERBAL - Procès-verbal dressé par les fonctionnaires habilités - Inspecteurs et contrôleurs du travail - Force probante - Preuve contraire - Domaine d’application - Détermination - Portée

TRAVAIL - Lutte contre le travail illégal - Prêt illicite de main-d’oeuvre - Prêt de main-d’oeuvre à but lucratif - But lucratif - Caractérisation - Bénéficiaire du prêt de main-d’oeuvre dispensé du paiement des charges sociales

L’article L. 8241-1 du code du travail, sauf dans les cas limitativement prévus par ce texte, prohibe toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre.

Justifie en conséquence sa décision la cour d’appel qui déclare coupable de cette infraction le dirigeant d’une entreprise ayant eu recours, sous le couvert d’un contrat de prestation de services, au personnel fourni par une société étrangère qui avait oeuvré, sans apport d’un savoir-faire spécifique, avec du matériel fourni par ladite entreprise et sous les ordres de son personnel d’encadrement, à des postes qui auraient dû être occupés par ses salariés, le but lucratif de l’opération résultant de ce que le paiement des charges sociales avait ainsi pu être éludé.

En pareil cas, le prévenu n’est pas fondé à invoquer les dispositions issues de la loi du 28 juillet 2011, entrée en vigueur postérieurement aux faits poursuivis, autorisant les opérations de prêt de main-d’oeuvre, à but non lucratif, pour lesquelles l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice que les salaires versés aux salariés, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés au titre de la mise à disposition

TRAVAIL - Lutte contre le travail illégal - Prêt illicite de main-d’oeuvre - Prêt de main-d’oeuvre à but lucratif - But lucratif - Caractérisation - Incidence de la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 - Détermination

Précédents jurisprudentiels :
Sur le n° 1 : Sur la force probante des procès-verbaux dressés par des inspecteurs et contrôleurs du travail, à rapprocher :Crim., 29 avril 1975, pourvoi n° 75-90.167, Bull. crim. 1975, n° 111 (cassation)

Textes appliqués :
• Sur le numéro 1 : article L. 8113-7 du code du travail ; article 429 du code de procédure pénale
• Sur le numéro 1 : article L. 8241-1 du code du travail