Privation des disposiions protectrices de la législation du travail
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du 11 juillet 2017
N° de pourvoi : 16-86092
ECLI:FR:CCASS:2017:CR01907
Non publié au bulletin
Cassation partielle sans renvoi
M. Guérin (président), président
SCP Jean-Philippe Caston, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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La société Autra SP ZOO,
M. Jaroslaw X...,
contre l’arrêt de la cour d’appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 30 juin 2016, qui, pour prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage, a condamné la première à 70 000 euros d’amende, le second à 30 000 euros d’amende dont 15 000 avec sursis, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 20 juin 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire BARBIER, les observations de la société civile professionnelle JEAN-PHILIPPE CASTON, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 1262-4, L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-2 du code du travail, 121-2 du code pénal et 591, 593 et 609 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Autra SP ZOO coupable de prêt de main d’oeuvre à but lucratif hors du cadre légal du travail temporaire et de fourniture de main d’oeuvre à but lucratif – marchandage-et l’a condamnée à une amende de 70 000 euros et, à titre de peine complémentaire, a ordonné la publication de la décision par voie de presse et a statué sur les intérêts civils ;
” aux motifs propres que, sur le prêt illicite de main d’oeuvre, aux termes de l’article L. 8241-1 du code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre est interdite ; que par ailleurs, une opération de sous-traitance implique l’exécution par l’entreprise sous-traitante d’une tâche définie, en toute autonomie ; qu’en l’espèce, c’est par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont considéré que les sociétés Pala et Manualis devenues Autra avaient conclu un contrat de sous-traitance fictif, dissimulant la seule mise à disposition par la société Manualis de salariés placés sous la subordination de la société Pala alors que la vraie nature de cette opération ressort tant de l’analyse des contrats liant la SCI Rhône à la société Pala et cette dernière à la société Manualis devenue Autra, signés le même jour et portant sur la même prestation d’exécution de l’ensemble du gros oeuvre pour des montants totalement différents, que des diverses auditions du gérant de la société Pala, M. Y..., dans le cadre de l’enquête initiale comme lors de l’audience du tribunal correctionnel du 18 septembre 2012 au cours de laquelle il a déclaré avoir fait un contrat de sous-traitance avec l’entreprise Manualis pour avoir de la main d’oeuvre, des employés de la société Pala présents lors du contrôle du 17 juillet 2008 et de M. Z...selon lesquelles les salariés de la société Manualis étaient intégrés dans l’équipe du chantier qui travaillait sous les ordres du chef d’équipe de la société Pala, en dernier M. A..., et étaient affectés à toutes les tâches définies par ce dernier, ne possédant aucun savoir faire particulier ; que l’infraction de prêt illicite de main d’oeuvre est dès lors caractérisée ; que si M. X...soutient à présent qu’il n’était à l’époque des faits qu’un fondé de pouvoir de la société Manualis au sens du droit polonais et ne pourrait dès lors faire l’objet de poursuites, il ressort tant de son audition par les services de gendarmerie que de ses propres conclusions devant le tribunal correctionnel, dans lequel il est désigné sous le qualificatif de « patron » ou de « gérant », que, sans être le gérant de droit, qui était alors sa fille, une étudiante âgée d’une vingtaine d’années selon l’audition de son épouse, il possédait des parts sociales et en avait les attributs et jouait un rôle déterminant dans les activités de la société sur le territoire français, spécialement pour ce qui concernait cette opération ;
” et aux motifs des premiers juges que, sur l’infraction de prêt illicite de main d’oeuvre, le prêt illicite de main d’oeuvre se définit comme une opération à but lucratif ayant pour objectif exclusif le prêt de main d’oeuvre réalisée par une société qui n’est pas une société d’intérim ; qu’en l’espèce, il est reproché aux sociétés Pala et Manualis Pologne ainsi qu’à leurs dirigeants d’avoir conclu un contrat de sous-traitance fictif destiné à dissimuler l’emploi de salariés de la société Manualis par la société Pala, placés en réalité sous la subordination de cette dernière, ce qui est contesté par les deux sociétés ; qu’il convient de relever en premier lieu que le contrat de sous-traitance mentionne expressément comme entrepreneur sous-traitant la société Manualis située à Lugrin, peu important que ce soit le tampon de la société Manualis Pologne qui figure en bas de contrat ; que la société de Lugrin n’a aucune activité et n’emploie aucun salarié, ce qui est un premier indice du caractère fictif de la convention ; qu’en outre, le montant du marché a été fixé à la somme globale de 493 000 euros HT, alors qu’il porte sur l’exécution de la structure gros oeuvre de l’immeuble et comprend le coffrage, le ferraillage, le coulage et le décoffrage, le bouchage des trémies, des réservations, les finitions des appuis de baies, des seuils des tablettes, le garnissage des pannes, le hourdage des agglos, la mise en place de l’enduit bitumeux, le drainage … donc des prestations complètes de gros oeuvre ; que l’acte d’engagement entre la SCI Rhône et la société Pala concernait également le gros oeuvre du même chantier pour un prix de marché de 1 367 430 euros HT ; qu’il s’en déduit nécessairement que la prestation fournie par la société Manualis ne pouvait porter sur l’ensemble du lot gros oeuvre et que la seule fourniture de main d’oeuvre absorbait le prix du marché ; que M. Y...lui-même en a convenu lors de son audition par les services de gendarmerie, ce qu’il a réitéré lors de l’audience du 18 septembre 2012 ; que M. B...l’a également souligné lors de son audition en cours d’enquête ; que le contrat prévoyait également que le gros outillage était mis à disposition de la société Manualis par la société Pala, ce qui va dans le sens d’une simple fourniture de main d’oeuvre par la société polonaise ; qu’enfin, la réalité de terrain décrite lors des auditions recueillies par les gendarmes va également dans le même sens ; que M. A...indique qu’il coordonnait l’ensemble de l’équipe et M. Z...que ce dernier était le chef d’équipe ; qu’ainsi les salariés polonais étaient intégrés dans l’équipe du chantier qui travaillait sous les ordres de M. A..., l’entreprise sous-traitante n’ayant en réalité aucune autonomie et n’apportant aucun savoir-faire particulier ; qu’ainsi, les relations entre les deux sociétés constituaient bien une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre ;
” 1°) alors que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre est interdite ; qu’en affirmant, pour déclarer la société Autra SP ZOO, venant aux droits de la société Manualis, coupable de prêt illicite de main d’oeuvre, que ses relations avec la société Pala constituaient une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre, sans mieux s’expliquer sur le but lucratif de l’opération, et notamment sans constater au profit de l’utilisateur ou du prêteur de main d’oeuvre un bénéfice, un profit ou un gain pécuniaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
” 2°) alors que les juges sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; qu’en retenant encore que les salariés polonais de la société Manualis étaient intégrés dans l’équipe du chantier, qui travaillait sous les ordres du chef d’équipe de la société Pala, M. A..., et que l’entreprise sous-traitante n’avait en réalité aucune autonomie et n’apportait aucun savoir-faire particulier, sans répondre aux conclusions de la société Autra SP ZOO qui faisait valoir que la société Manualis, aux droits de laquelle elle venait, avait conclu un contrat de sous-traitance avec la société Pala dans le but de réaliser une prestation complète de construction de gros-oeuvre, relevant de sa compétence particulière, qu’elle était en possession de son propre outillage et de ses matériaux pour exécuter le chantier et disposait de sa propre autonomie et qu’il n’existait aucun lien de subordination entre les salariés de la société Manualis et la société Pala, ceux-ci restant encadrés par leur propre chef de chantier, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
” 3°) alors que les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu’en affirmant par là même, pour déclarer la société Autra SP ZOO coupable de prêt illicite de main d’oeuvre, que la société Manualis, aux droits de laquelle elle venait, avait fourni de la main-d’oeuvre à la société Pala dans le cadre d’un contrat de sous-traitance fictif, sans rechercher si ces manquements avaient été commis pour le compte de la société par ses organes ou représentants, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
” et aux motifs propres que, sur le marchandage, aux termes de l’article L. 8231-1 du code du travail, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit ; qu’en l’espèce, c’est par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont déclaré la société de droit polonais Manualis et M. X..., son dirigeant de fait, coupable de ce chef alors que les auditions de MM. A..., C..., Z...et D...ont montré que les horaires de travail des salariés polonais dépassaient la durée journalière et hebdomadaire de travail autorisée en France, que la législation française relative aux heures supplémentaires ne leur était pas appliquée et que des règles de sécurité imposées par le code du travail français n’avaient pas été respectées, notamment en l’absence d’équipements ou de dispositifs de protection contre les chutes ; qu’à cet égard, si les prévenus versent l’attestation d’un dénommé M. Z...qui déclare s’être fait mal au bras à l’époque en changeant une roue et non suite à une chute sur le chantier, la réalité d’un accident de la sorte, survenu sur le chantier au détriment d’un salarié polonais et non signalé à l’inspection du travail, est attestée par les auditions de MM. A...et Y... ; que l’audition de ce dernier fait apparaître des carences sur le chantier en matière de sécurité, aggravées par le barrage de la langue, l’accident étant suffisamment sérieux pour qu’il procède par la suite au remplacement de son chef de chantier ;
” et aux motifs des premiers juges que, sur l’infraction de marchandage, elle se définit comme une opération à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice aux salariés qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions légales ou d’une convention collective ; qu’en l’espèce, il résulte des auditions de MM. A..., C..., Z...et D...que les horaires de travail des salariés polonais dépassaient la durée journalière et hebdomadaire de travail autorisée en France et qu’ils ne percevaient pas les heures supplémentaires auxquelles ils auraient eu droit selon la législation française ; que la société Manualis Pologne et M. X...ne le contestent pas formellement puisqu’ils indiquent dans leurs écritures que les dépassements étaient compensés par des heures de repos et des congés supplémentaires, ce qui d’une part n’est pas établi par les pièces du dossier ni les pièces versées par eux lors de l’audience, d’autre part n’est pas conforme à la législation française du travail ; qu’il est donc établi que celle-ci n’a pas été respectée comme elle aurait dû l’être à l’égard des salariés régulièrement détachés en France et que ce non respect a porté préjudice aux salariés concernés ; qu’il en est de même pour les règles de sécurité imposées par le code du travail français qui n’ont manifestement pas été respectées à l’égard des salariés polonais parlant très mal la langue française et pouvant difficilement faire respecter leurs droits ; que la société Manualis et son dirigeant, qui ont participé au même titre que la société Pala et son dirigeant à ce non respect de la réglementation du travail française, seront en conséquence déclarés coupables du délit de marchandage ;
” 4°) alors que la cassation qui ne manquera pas d’intervenir du chef du prêt illicite de main d’oeuvre entraînera, par voie de conséquence, l’annulation de l’arrêt en ce qu’il a déclaré la société Autra SP ZOO, venant aux droits de la société Manualis, coupable de marchandage, et ce en application des textes susvisés ;
” 5°) alors que les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu’en toute hypothèse, en retenant, pour déclarer la société Autra SP ZOO, venant aux droits de la société Manualis, coupable de marchandage, qu’elle n’avait pas respecté la durée journalière et hebdomadaire de travail autorisée en France, n’avait pas payé les heures supplémentaires, ni respecté les règles de sécurité imposées par le code du travail, sans rechercher si ces manquements avaient été commis pour le compte de la société par ses organes ou représentants, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés “ ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 1262-4, L. 8231-1, L. 8241-2 et L. 8243-1 du code du travail, 121-1 du code pénal et 591, 593 et 609 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable de prêt de main d’oeuvre à but lucratif hors du cadre légal du travail temporaire et de fourniture de main d’oeuvre à but lucratif – marchandage-et l’a condamné à une amende de 30 000 euros, dont 15 000 euros avec sursis, et, à titre de peine complémentaire, a ordonné la publication de la décision par voie de presse et a statué sur les intérêts civils ;
” aux motifs propres que, sur le prêt illicite de main d’oeuvre, aux termes de l’article L. 8241-1 du code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre est interdite ; que par ailleurs, une opération de sous-traitance implique l’exécution par l’entreprise sous-traitante d’une tâche définie, en toute autonomie ; qu’en l’espèce, c’est par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont considéré que les sociétés Pala et Manualis devenues Autra avaient conclu un contrat de sous-traitance fictif, dissimulant la seule mise à disposition par la société Manualis de salariés placés sous la subordination de la société Pala alors que la vraie nature de cette opération ressort tant de l’analyse des contrats liant la SCI Rhône à la société Pala et cette dernière à la société Manualis devenue Autra, signés le même jour et portant sur la même prestation d’exécution de l’ensemble du gros oeuvre pour des montants totalement différents, que des diverses auditions du gérant de la société Pala, M. Y..., dans le cadre de l’enquête initiale comme lors de l’audience du tribunal correctionnel du 18 septembre 2012 au cours de laquelle il a déclaré avoir fait un contrat de sous-traitance avec l’entreprise Manualis pour avoir de la main d’oeuvre, des employés de la société Pala présents lors du contrôle du 17 juillet 2008 et de M. Z...selon lesquelles les salariés de la société Manualis étaient intégrés dans l’équipe du chantier qui travaillait sous les ordres du chef d’équipe de la société Pala, en dernier M. A..., et étaient affectés à toutes les tâches définies par ce dernier, ne possédant aucun savoir faire particulier ; que l’infraction de prêt illicite de main d’oeuvre est dès lors caractérisée ; que si M. X...soutient à présent qu’il n’était à l’époque des faits qu’un fondé de pouvoir de la société Manualis au sens du droit polonais et ne pourrait dès lors faire l’objet de poursuites, il ressort tant de son audition par les services de gendarmerie que de ses propres conclusions devant le tribunal correctionnel, dans lequel il est désigné sous le qualificatif de « patron » ou de « gérant », que, sans être le gérant de droit, qui était alors sa fille, une étudiante âgée d’une vingtaine d’années selon l’audition de son épouse, il possédait des parts sociales et en avait les attributs et jouait un rôle déterminant dans les activités de la société sur le territoire français, spécialement pour ce qui concernait cette opération ;
” et aux motifs des premiers juges que, sur l’infraction de prêt illicite de main d’oeuvre, le prêt illicite de main d’oeuvre se définit comme une opération à but lucratif ayant pour objectif exclusif le prêt de main d’oeuvre réalisée par une société qui n’est pas une société d’intérim ; qu’en l’espèce, il est reproché aux sociétés Pala et Manualis Pologne ainsi qu’à leurs dirigeants d’avoir conclu un contrat de sous-traitance fictif destiné à dissimuler l’emploi de salariés de la société Manualis par la société Pala, placés en réalité sous la subordination de cette dernière, ce qui est contesté par les deux sociétés ; qu’il convient de relever en premier lieu que le contrat de sous-traitance mentionne expressément comme entrepreneur sous-traitant la société Manualis située à Lugrin, peu important que ce soit le tampon de la société Manualis Pologne qui figure en bas de contrat ; que la société de Lugrin n’a aucune activité et n’emploie aucun salarié, ce qui est un premier indice du caractère fictif de la convention ; qu’en outre, le montant du marché a été fixé à la somme globale de 493 000 euros HT, alors qu’il porte sur l’exécution de la structure gros oeuvre de l’immeuble et comprend le coffrage, le ferraillage, le coulage et le décoffrage, le bouchage des trémies, des réservations, les finitions des appuis de baies, des seuils des tablettes, le garnissage des pannes, le hourdage des agglos, la mise en place de l’enduit bitumeux, le drainage … donc des prestations complètes de gros oeuvre ; que l’acte d’engagement entre la SCI Rhône et la société Pala concernait également le gros oeuvre du même chantier pour un prix de marché de 1 367 430 euros HT ; qu’il s’en déduit nécessairement que la prestation fournie par la société Manualis ne pouvait porter sur l’ensemble du lot gros oeuvre et que la seule fourniture de main d’oeuvre absorbait le prix du marché ; que M. Y...lui-même en a convenu lors de son audition par les services de gendarmerie, ce qu’il a réitéré lors de l’audience du 18 septembre 2012 ; que M. B...l’a également souligné lors de son audition en cours d’enquête ; que le contrat prévoyait également que le gros outillage était mis à disposition de la société Manualis par la société Pala, ce qui va dans le sens d’une simple fourniture de main d’oeuvre par la société polonaise ; qu’enfin, la réalité de terrain décrite lors des auditions recueillies par les gendarmes va également dans le même sens ; que M. A...indique qu’il coordonnait l’ensemble de l’équipe et M. Z...que ce dernier était le chef d’équipe ; qu’ainsi les salariés polonais étaient intégrés dans l’équipe du chantier qui travaillait sous les ordres de M. A..., l’entreprise sous-traitante n’ayant en réalité aucune autonomie et n’apportant aucun savoir-faire particulier ; qu’ainsi, les relations entre les deux sociétés constituaient bien une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre ;
” 1°) alors que nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; que la responsabilité pénale du dirigeant d’une personne morale ne peut être mise en oeuvre que s’il est établi qu’il a commis une faute personnelle en relation avec les faits constitutifs de l’infraction ; qu’en affirmant, pour déclarer M. X...coupable de prêt illicite de main d’oeuvre, que sans être le gérant de droit qui était alors sa fille, une étudiante âgée d’une vingtaine d’année, il possédait des parts sociales et en avait les attributs et jouait un rôle déterminant dans les activités de la société Manualis sur le territoire français en ce qui concernait cette opération, sans constater que le prévenu avait commis une faute personnelle en relation avec l’infraction de prêt illicite de main d’oeuvre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
” 2°) alors que le gérant de fait est celui qui, en toute souveraineté et indépendance, exerce une activité positive de gestion et de direction ; qu’au demeurant en se déterminant de la sorte, pour retenir la culpabilité de M. X...à raison d’un prêt illicite de main d’oeuvre, sans constater que le prévenu exerçait une activité positive de gestion et de direction de la société, en toute souveraineté et indépendance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
” et aux motifs propres que, sur le marchandage, aux termes de l’article L. 8231-1 du code du travail, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit ; qu’en l’espèce, c’est par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont déclaré la société de droit polonais Manualis et M. X..., son dirigeant de fait, coupable de ce chef alors que les auditions de MM. A..., C..., Z...et D...ont montré que les horaires de travail des salariés polonais dépassaient la durée journalière et hebdomadaire de travail autorisée en France, que la législation française relative aux heures supplémentaires ne leur était pas appliquée et que des règles de sécurité imposées par le code du travail français n’avaient pas été respectées, notamment en l’absence d’équipements ou de dispositifs de protection contre les chutes ; qu’à cet égard, si les prévenus versent l’attestation d’un dénommé M. Z...qui déclare s’être fait mal au bras à l’époque en changeant une roue et non suite à une chute sur le chantier, la réalité d’un accident de la sorte, survenu sur le chantier au détriment d’un salarié polonais et non signalé à l’inspection du travail, est attestée par les auditions de MM. A...et Y... ; que l’audition de ce dernier fait apparaître des carences sur le chantier en matière de sécurité, aggravées par le barrage de la langue, l’accident étant suffisamment sérieux pour qu’il procède par la suite au remplacement de son chef de chantier ;
” et aux motifs des premiers juges que, sur l’infraction de marchandage, elle se définit comme une opération à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice aux salariés qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions légales ou d’une convention collective ; qu’en l’espèce, il résulte des auditions de MM. A..., C..., Z...et D...que les horaires de travail des salariés polonais dépassaient la durée journalière et hebdomadaire de travail autorisée en France et qu’ils ne percevaient pas les heures supplémentaires auxquelles ils auraient eu droit selon la législation française ; que la société Manualis Pologne et M. X...ne le contestent pas formellement puisqu’ils indiquent dans leurs écritures que les dépassements étaient compensés par des heures de repos et des congés supplémentaires, ce qui d’une part n’est pas établi par les pièces du dossier ni les pièces versées par eux lors de l’audience, d’autre part n’est pas conforme à la législation française du travail ; qu’il est donc établi que celle-ci n’a pas été respectée comme elle aurait dû l’être à l’égard des salariés régulièrement détachés en France et que ce non respect a porté préjudice aux salariés concernés ; qu’il en est de même pour les règles de sécurité imposées par le code du travail français qui n’ont manifestement pas été respectées à l’égard des salariés polonais parlant très mal la langue française et pouvant difficilement faire respecter leurs droits ; que la société Manualis et son dirigeant, qui ont participé au même titre que la société Pala et son dirigeant à ce non respect de la réglementation du travail française, seront en conséquence déclarés coupables du délit de marchandage ;
” 3°) alors que la cassation qui ne manquera pas d’intervenir du chef du prêt illicite de main d’oeuvre entraînera, par voie de conséquence, l’annulation de l’arrêt en ce qu’il a déclaré M. X...coupable de marchandage, et ce en application des textes susvisés “ ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Autra SP ZOO, venant aux droits de la société Manualis, de droit polonais, et M. X..., ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs de marchandage et prêt illicite de main d’oeuvre pour avoir, entre le 1er février et le 17 juillet 2008, mis à la disposition de la société Pala huit ouvriers polonais que celle-ci a employés à des travaux de gros oeuvre ; que les premiers juges ont déclaré les faits établis ; que les prévenus et le ministère public ont interjeté appel de cette décision ;
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu que, pour déclarer les faits établis et confirmer le jugement, l’arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de l’appréciation souveraine des juges sur les faits et circonstances de la cause, d’où il résulte que l’opération de prêt de main d’oeuvre litigieuse a eu pour effet d’éluder l’application des dispositions protectrices relatives au contrat de travail, ce dont se déduisent, d’une part, le caractère lucratif de l’opération, d’autre part, le préjudice causé aux salariés concernés, l’arrêt n’encourt pas les griefs allégués ;
Sur le premier moyen, pris en ses troisième et cinquième branches et sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que, pour retenir la responsabilité de M. X..., l’arrêt énonce notamment que, s’il n’était pas le gérant de droit de la société Manualis, lequel était alors sa fille, une étudiante âgée d’une vingtaine d’années, il possédait des parts sociales et jouait un rôle déterminant dans les activités de ladite société sur le territoire français ; que les juges ajoutent qu’il s’occupait tant de l’aspect administratif que du suivi des chantiers pour le compte de celle-ci ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui établissent la responsabilité pénale de M. X..., et dont il se déduit qu’en sa qualité de représentant de la société Manualis, devenue Autra SP ZOO, agissant pour le compte de celle-ci, il a engagé la responsabilité pénale de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal, les griefs ne sont pas encourus ;
D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 475-1, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a condamné la société Autra SP ZOO et M. X...à payer solidairement à la Fédération du BTP 74, partie civile, la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
” aux motifs que, sur l’action civile, la Fédération du BTP 74 sollicite la condamnation solidaire des prévenus à lui verser les sommes de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral outre celle de 5 000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale ; que n’ayant pas interjeté appel du jugement, elle ne peut solliciter de la cour une majoration de la somme qui lui a été accordée à titre de dommages-intérêts ; qu’elle justifie toutefois, en sa qualité de représentante des métiers du bâtiment et des travaux publics, d’un préjudice moral causé par la société Manualis devenue Autra et M. X...du fait des atteintes des infractions retenues à leur encontre à l’image et aux intérêts de ces métiers, justement évalué par le premier juge à la somme de 10 000 euros ; que s’agissant des frais irrépétibles, il convient de confirmer le jugement déféré et d’allouer à la partie civile la somme de 1 500 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale en cause d’appel ;
” alors que la solidarité édictée pour les restitutions et les dommages-intérêts n’est pas applicable au paiement des frais non recouvrables ; qu’en condamnant la société Autra SP ZOO et M. X...à payer solidairement à la Fédération du BTP 74, partie civile, la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés “ ;
Vu les articles 475-1 et 480-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que la solidarité édictée par le second de ces textes pour les restitutions et les dommages-intérêts n’est pas applicable au paiement des frais non recouvrables, lesquels ne peuvent donner lieu qu’à une condamnation in solidum ;
Attendu que l’arrêt condamne la société Autra SP ZOO et M. X...solidairement à verser à la partie civile la somme de 1 500 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu’elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Chambéry, en date du 30 juin 2016, mais en ses seules dispositions ayant prononcé, avec solidarité, la condamnation de la société Autra SP ZOO et de M. X..., au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que la société Autra SP ZOO et M. X...sont tenus in solidum au paiement de la somme allouée au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze juillet deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
Décision attaquée : Cour d’appel de Chambéry , du 30 juin 2016