Pas d’agrément - pas de participation réunions de chantier

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 10 mai 2005

N° de pourvoi : 04-85471

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix mai deux mille cinq, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller BEYER, les observations de la société civile professionnelle BACHELLIER - POTIER de la VARDE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DAVENAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Serge,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, en date du 22 juillet 2004, qui, pour travail dissimulé et prêt illicite de main-d’oeuvre, l’a condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 10.000 euros d’amende et a ordonné une mesure de publication ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 80-1,593 et 802 du Code de procédure pénale, 6.2 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

”en ce que, l’arrêt attaqué a rejeté la demande d’annulation des poursuites ;

”aux motifs adoptés du jugement qu’il est soutenu que le libellé de la mise en examen notifiée à Serge X... le 22 août 1997 viole les dispositions de l’article 80-1 du Code de procédure pénale, en ce sens qu’il l’accuse sans la moindre ambiguïté d’avoir commis les faits litigieux, dès lors que cet avis mentionne notamment “ vous êtes mis en examen pour avoir à Nice, Cannes “ ; qu’il convient cependant d’observer que la terminologie employée relative notamment à la mise en examen, laisse entendre qu’il existe des indices graves ou concordants laissant présumer que la personne a pu participer à la commission de l’infraction dont le juge est saisi, mais que les investigations doivent se poursuivre pour le confirmer ou l’infirmer ; que dès lors, l’avis incriminé ne fait pas échec au principe de la présomption d’innocence, et il convient en conséquence de rejeter l’exception de nullité soulevée ;

”alors qu’il résulte des articles 80-1 du Code de procédure pénale et 6-2 de la Convention européenne des droits de l’homme que la mise en examen, qui résulte de l’existence d’indices laissant présumer que l’intéressé a commis une infraction, doit être notifiée dans des termes qui respectent la présomption d’innocence ; qu’en l’espèce où il a été notifié à Serge X... qu’il était mis en examen pour avoir recouru au travail clandestin et à un prêt illicite de main d’oeuvre, la cour d’appel en considérant que l’emploi de l’expression “ mise en examen “ impliquait qu’il existait seulement des indices de culpabilité que les investigations devaient confirmer ou infirmer, a violé les textes visés au moyen” ;

Attendu que le moyen, qui se borne à reprendre l’argumentation que, par une motivation exempte d’insuffisance comme de contradiction, la cour d’appel a écartée à bon droit, ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième de cassation, pris de la violation des articles L.125-3 et L.152-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale ;

”en ce que, l’arrêt attaqué a déclaré Serge X... coupable de prêt illicite de main d’oeuvre et l’a condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende ;

”aux motifs propres, que la Cour adopte les motifs pertinents par lesquels le tribunal, analysant précisément et exactement les relations entre la SARL S.P.B. d’une part, et les entreprises Y... et Z... A... d’autre part, répondant aux moyens soulevés par la défense a estimé, relevant tous les éléments caractéristiques à cet égard, que les contrats de sous-traitance signés avec ces deux entreprises masquaient des opérations illicites de prêt de main d’oeuvre, chacune de celles-ci étant en réalité sous la subordination juridique, technique et économique de la S.P.B. le but lucratif de l’opération étant le profit recherché par la Société S.P.B. qui n’avait pas ainsi à supporter les charges sociales et financières qu’elle aurait eu si elle avait employé les salariés de chacune d’entre elles et qui pouvait recruter de la main d’oeuvre à moindre prix ; qu’il est significatif de constater que chacun des étrangers, irrégulièrement employés par l’entreprise A..., s’est révélé incapable de dire quel serait son salaire ; qu’il y a lieu d’ajouter que même si aucune poursuite n’a été exercée à cet égard, que trois autres prétendus sous-traitants ont décrit leur relation avec S.P.B. de la même manière qu’A... Z... et Y... ;

qu’ainsi Z... B... a indiqué, que sur les conseils de son beau frère qui connaissait “ Joseph “ sachant qu’un gros chantier de peinture allait s’ouvrir à Cannes, il avait créé une entreprise au début du mois de janvier 1997, s’était inscrit au registre des métiers, puis était intervenu sur le chantier ; qu’il a déclaré “ C’est Joseph que je désigne comme patron, c’est lui qui donne toutes les instructions. Donc le premier jour, j’ai embauché trois ouvriers J’utilise le matériel de S.P.B. et la peinture est exclusivement fournie par S.P.B.. ; quand je parle de matériel, je désigne les échafaudages, les taloches, les couteaux, les rouleaux, les pinceaux Tous les documents que j’ai signés avec le représentant de S.P.B. ont été rédigés par S.P.B . J’ai signé le contrat (initiales + signatures) mais j’ai juste tamponné les attestations : il m’a été dit que cela suffisait .. Le jour où je voulais présenter une facture, j’ai donné une feuille à mon entête avec mon tampon à Joseph, cette feuille vierge a été remplie par S.P.B. et m’a été présentée une fois finie J’ai signé un contrat représentant 18.000 F de travail soit environ un mois de travail à temps complet pour quatre personnes (moi et mes trois ouvriers) ; qu’Abdelfattah C..., entendu le 27 juin 1997, qui avait signé un contrat de sous-traitance le 28 novembre 1996, a indiqué qu’il était sous les ordres directs de “ Joseph “, le chef de chantier, que tout le matériel et la peinture étaient fournies par S.P.B., indiquait qu’il avait signé le contrat de sous-traitance, après l’intervention des services de police, que lui aussi déclarait que les factures étaient établies par S.P.B. ; qu’il déclarait : “ Je n’ai pas pu discuter les prix, c’est ceux imposés par Joseph qui étaient très bas S.P.B. n’a pas de salariés sur le chantier Tout le monde, parmi les peintres, travaille de la même façon que la mienne, sous le total contrôle de Serge X... et de son chef de chantier “ Joseph “ Serge X... est très fort en affaire ; il nous fait croire que nous gagnerons beaucoup d’argent grâce à lui, puis en fait il nous paye à bon prix ; que Mme D..., qui avait signé un contrat de sous-traitance le 17 février 1997, tout en assurant qu’elle n’avait jamais subi de commandement direct, indiquait que M. E... lui avait proposé d’établir les factures comme il le faisait habituellement pour les artisans mais qu’elle avait refusé, comprenant le risque qui pouvait exister par l’usage de factures vierges ; et adoptés du jugement ; que les contrats de sous-traitance signés tant avec l’entreprise Y... qu’avec l’entreprise A... mentionnent la réalisation d’une prestation très générale consistant en travaux de peinture ; “que les salariés sous-traitants ont été recrutés après l’aval de l’entreprise utilisatrice qui a vérifié la technicité des candidats ; que sur le chantier de la Villa d’Este au Cannet, Lofti Y... a travaillé sous les ordres de M. F..., chef de chantier de l’entreprise S.P.B. ;

de même, sur le chantier de la Boissière, Z... G... de l’entreprise A... a travaillé sous les ordres de Joseph E..., chef de chantier de la SARL S.P.B. ; que les entreprises sous-traitantes n’ont fourni aucun devis avant de signer le contrat. Bien plus, il est établi que ces artisans ont laissé des feuillets à entête chez leur donneur d’ordre (SPB) qui ont servi ensuite pour rédiger les factures. Sur ce point, la similitude des factures émanant pourtant d’entreprises différentes est éloquente, surtout si l’on rapproche ces pièces des factures produites par Mme D..., seule sous-traitante ayant respecté la réglementation ;

que les artisans sous-traitants ont dû signer des attestations préétablies par S.P.B. pour dégager son gérant de toute responsabilité. L’enquête a établi que le dossier concernant l’entreprise A... était resté au siège de la SARL SPB, Z... G... et A... Z... n’ayant aucun double du contrat. Le dossier contenant les pièces a été remis à A... Z... par Joseph E..., chef de chantier de la SARL S.P.B. à 20 h 30 la veille de l’audition du sous-traitant par les services de police ; que le maître d’ouvrage n’a pas été avisé par la SARL S.P.B. de la sous-traitance confiée à l’entreprise A... ; qu’aucun des artisans sous-traitants n’a participé aux réunions de chantier ; que les sous-traitants en cause n’ont apporté aucune technicité spécifique par rapport à l’entreprise S.P.B., les travaux de ces artisans étant identiques à ceux effectués par les salariés de l’entreprise S.P.B. (peinture) ; que les matières premières (peintures) mais également le matériel de travail ont été fournis par l’utilisateur, la SARL S.P.B. ; que l’entreprise Y... et l’entreprise A..., depuis leur création, n’ont travaillé que pour un seul donneur d’ordre, la SARL S.P.B. ;

”alors que, d’une part, en se bornant à relever, pour retenir la fictivité des contrats de sous-traitance, à adopter les motifs précités du jugement sans répondre aux conclusions du prévenu (p. 13 - 14) qui faisaient valoir :

 que les travaux de peinture ne présentaient aucune spécificité particulière ce qui expliquait que les contrats de sous-traitance, n’avaient aucune précision à donner, qu’aucun devis n’était nécessaire et que le chef de chantier pouvait s’assurer lui-même de la bonne exécution des travaux ;

 qu’il était indifférent que les contrats soient préparés par l’entrepreneur principal ;

 qu’il était normal que le maître de l’ouvrage n’ait pas été informé du recours à une sous-traitance non agréée ;

 que le chantier venait à peine de commencer dans l’urgence, ce qui expliquait que les sous-traitants ne se soient pas encore rendus à une réunion de chantier et que le matériel et la peinture aient été fournis par l’entreprise principale, la cour d’appel a violé le texte visé au moyen ;

”alors que, d’autre part en s’attachant, pour caractériser la fictivité des contrats de sous-traitance conclus avec les entreprises Z... A... et Y... aux conditions d’exécution des contrats de sous-traitance conclus par la Société S.P.B. avec d’autres entreprises, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen” ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L.324-9, L.324-10 et L.361-3 du Code du travail ;

”en ce que, l’arrêt attaqué a déclaré Serge X... coupable de travail dissimulé et l’a condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 10.000 euros d’amende ;

”aux motifs qu’il résulte des déclarations de Y... que toute embauche au sein de l’entreprise devait être avalisée par le donneur d’ordre (S.P.B.) qui contrôlait la légalité de la situation administrative des candidats de nationalité étrangère et vérifiait leur aptitude professionnelle ; que lorsqu’un contrôle est effectué, le travailleur dissimulé ou en situation irrégulière, déclare presque systématiquement, manifestement sur instructions de son employeur, qu’il a été embauché le jour même où la veille ; que c’est précisément pour cette raison, que le législateur a imposé la déclaration préalable à l’embauche ; que Serge X... ne peut utilement s’emparer des déclarations de Fethi H... qui a déclaré lors du contrôle qu’il avait été embauché la veille ; que deux des étrangers en situation irrégulière ont déclaré avoir été embauchés depuis 8 jours ; que dès sa première audition, G... a déclaré que s’il surveillait les chantiers, il n’était qu’un simple salarié ; que Z... A... ne peut valablement prétendre que G... a agi seul de sa propre initiative, alors que lui seul pouvait s’inscrire comme artisan, et qu’il a ouvert un compte bancaire à son nom pour encaisser le chèque que lui avait remis G..., émis par SPB ; que le tribunal ne pouvait sans contradiction, déclarer A... Z... coupable de prêt illicite de main d’oeuvre, en sa qualité de chef d’entreprise, et en même temps le relaxer pour travail dissimulé et emploi irrégulier de travail, dès lors qu’il appartenait à tout employeur de s’acquitter d’au moins deux formalités, dont le non-respect constituait un travail dissimulé par application de l’article L. 324-10 applicable au moment des faits et de s’assurer, en cas d’emploi d’étrangers, que ceux-ci sont munis d’une autorisation les autorisant à travailler en France ; que l’employeur qui, sous le couvert d’un contrat de sous-traitance fictif constituant en réalité un prêt illicite de main d’oeuvre, engage un salarié par personne interposée est tenu de s’assurer que le salarié fait l’objet des formalités énumérées à l’article L. 324-10 du Code du travail ; que l’inexécution de ces obligations caractérise l’élément intentionnel de l’infraction aux dispositions dudit article ; que d’ailleurs l’opération de prêt illicite de main d’oeuvre avait précisément pour objet de permettre de recruter par l’intermédiaire de sous-traitants fictifs des salariés non déclarés rémunérés à moindre prix sans charges sociales ; que Serge X... ne saurait se prévaloir de l’attestation sur l’honneur, qui aurait été signée par G... au nom de l’entreprise A... selon laquelle Z... A... s’engageait à ne faire appel qu’à des salariés régulièrement employés, alors que G... a déclaré que ce document était préétabli et qu’il n’a été produit qu’après l’intervention des services de police ;

”alors que la cassation de l’arrêt sur le second moyen entraînera par voie de conséquence la cassation de l’arrêt sur le troisième moyen, dans la mesure où la cour d’appel a considéré que le délit de travail dissimulé était constitué dès lors que Serge X... s’était rendu coupable de prêt illicite de main d’oeuvre par conclusions de contrats de sous-traitance fictifs qui lui conférait la qualité d’employeur” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Beyer conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE 7ème chambre , du 22 juillet 2004