Absence de précision

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 7 août 1995

N° de pourvoi : 94-82850

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept août mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de Me BLONDEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 Z... Jean, contre l’arrêt de la cour d’appel de BORDEAUX, 3ème chambre, en date du 10 mai 1994 qui, pour participation à une opération de prêt de main-d’oeuvre illicite et marchandage, l’a condamné à 30 000 francs d’amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 125-1, L 152-3, al. 9 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable du délit de fourniture de main-d’oeuvre à but lucratif ;

”aux motifs que la société SOCAE est une entreprise de gros oeuvre du bâtiment ;

que les travaux de maçonnerie confiés à d’autres entreprises sur le même chantier qui est pris en charge par cette société ne présentent aucune différence de nature, de substance, ou de technicité par rapport à ceux qui rentrent dans la compétence de l’entreprise donneuse d’ordre, et qui font l’objet des prestations qu’elle offre habituellement à sa clientèle ;

que cet élément est insuffisant à lui seul pour caractériser le but exclusif de fourniture de main-d’oeuvre poursuivi par les parties car il est admistible et licite qu’un entrepreneur sous-traite des travaux dont il s’est chargé ;

que M. Saint Arroman a, dans sa deuxième déposition, donné un schéma de répartition des travaux entre la société SOCAE et ses diverses entreprises engagées sur le chantier, en avançant une délimitation de leurs tâches : une équipe aux murs banchés, l’autre à l’exécution des planchers, une troisième aux maçonneries, et la société SOCAE ne prenant en charge que les fondations ;

que cette répartition est démentie par :

”- l’autre déposition de M. Saint Arroman, par laquelle il admet que pendant 15 jours toutes les équipes de maçons turcs se trouvaient sur le chantier sans définition des tâches revenant à chacune d’elles ;

 l’examen des contrats passés entre la société SOCAE et les maçons dont il ressort que les seuls entrepreneurs, MM. Y... et X..., voyaient préciser le siège de leurs travaux (en l’espèce les banches et les dallages et coffrages), les autres ayant des objets très vagues :

maçonneries, assorties de détails sur les travaux généraux relevant de ce corps d’état mais sans localisation sur l’un des trois bâtiments en construction, ou à l’intérieur d’un de ceux-ci, ni délimitation quelconque de son intervention ;

que les constatations de l’inspecteur du travail sur l’exécution de la construction, qui comportent un relevé des équipes occupées sur les divers types de tâches, duquel il résulte non seulement que les salariés de la sociétés SOCAE étaient employés communément avec des salariés des maçons indépendants sur les travaux en cours, mais encore que les affectations ne respectaient pas les spécifications des contrats de sous-traitance et les attributions qu’ils définissaient par exception, M. Y... et les salariés de M. X... étant employés au libage ; que ces constatations excluent d’ailleurs totalement que la société SOCAE se soit réservé les fondations et s’en soit tenue à la réalisation de cette partie d’ouvrage ; que ces constatations retirent toute portée aux dispositions des entrepreneurs de maçonnerie qui, ayant été condamnés, n’ont pas fait appel, sur leur autonomie dans l’organisation du travail ;

que les contrats en cause ne peuvent donc être considérés, malgré leur dénomination apparente, comme des contrats de sous-traitance ni dans leur objet et dans l’exécution effective qui en a été faite ;

que les autres indices relevés par le tribunal ne viennent qu’en surcroît de caractérisation ;

qu’il en est ainsi du mode de rémunération des entreprises qui exclut toute tâche globalement définie, puisqu’elle est faite sur la base de métré ou de régie ;

que la fourniture du gros matériel et des matériaux par la société SOCAE réduit le contenu des fournitures des entrepreneurs extérieurs à la seule main d’oeuvre ;

qu’enfin, l’inspecteur du travail a constaté à partir des dires du chef de chantier de la société SOCAE, que la direction effective du chantier était assuré par ce salarié, ce qui exclut une autonomie d’organisation de chaque entrepreneur présent sur le bâtiment ;

qu’il est ainsi démontré que les contrats dits de sous-traitance conclus entre la société SOCAE et MM. Y..., Koroglu, X..., avaient pour but exclusif la fourniture de main-d’oeuvre par ces derniers à la première nommée ;

que Jean Z... ne peut soutenir que cette prestation n’était pas à but lucratif ;

qu’en effet, ce terme s’entend par opposition à la mise à disposition gratuite de main-d’oeuvre, qui est licite ;

qu’en l’espèce, la fourniture de main-d’oeuvre n’était pas gratuite puisqu’elle donnait lieu à rémunération de la société SOCAE aux entrepreneurs cocontractants ;

”alors que, d’une part, le prêt de main-d’oeuvre est licite lorsque l’entreprise fournisseur de main-d’oeuvre doit accomplir un travail déterminé qui implique pour sa réalisation le prêt personnel ;

que, dans un chef péremptoire de ses conclusions d’appel, le demandeur soulignait que M. Saint Arroman, conducteur de travaux à la société Socae, a indiqué qu’au début du chantier les attributions des artisans turcs n’étaient pas entièrement définies, mais que cette situation n’a duré que 15 jours et que, par la suite, les contrats de sous-traitance ont été régularisés ;

que la cour d’appel ne pouvait omettre de s’expliquer sur le contenu de ces conclusions propres à établir un prêt de main-d’oeuvre licite ;

”alors que, d’autre part, en ce qui concerne la répartition des tâches, l’entreprise du bâtiment peut sous-traiter tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise en ayant recours à la sous-traitance ;

qu’en l’espèce, les travaux de même nature confiés aux artisans turcs et à leurs salariés ainsi qu’aux ouvriers de la société SOCAE constituaient des tâches différentes dans le cadre d’interventions distinctes ;

qu’en l’espèce, compte-tenu du travail par les salariés des artisans turcs en coordination étroite pour la réalisation d’un même ouvrage avec des tâches complémentaires, il apparaît tout à fait conforme aux pratiques du bâtiment que les salariés turcs aient été intégrés au sein d’une équipe qui travaillait en coordination à la réalisation d’un même ouvrage des tâches complémentaires ;

que ces constatations ne sauraient exclure l’existence de contrats de sous-traitance licites ;

que, pour en avoir autrement décidé, la cour d’appel n’a pas tiré de ses propres énonciations les conséquences légales qui en découlaient nécessairement ;

”alors que, de troisième part, en ce qui concerne le mode de rémunération de l’entreprise fournisseur, toutes les fois que la rémunération de l’entreprise est fixée selon un prix déterminé à l’avance tenant compte du coût des diverses prestations fournies, l’opération est licite ;

qu’en l’espèce, le demandeur soulignait dans ses conclusions d’appel délaissées que les contrats conclus avec les artisans concernés mentionnaient une rémunération au m , conformément au contrat de sous-traitance, que l’accomplissement par les artisans d’un travail en régie était exceptionnel et concernait uniquement des tâches impossibles à évaluer à l’avance et que seules deux factures ont été annexées au procès-verbal du contrôleur du travail ;

”et alors enfin, qu’en ce qui concerne la direction effective du chantier, la cour d’appel s’est fondée sur les seules déclarations de chantier de la société SOCAE sans tenir compte, comme le faisait valoir le demandeur dans ses conclusions d’appel délaissées, des déclarations des artisans turcs soulignant qu’ils étaient tenus d’une obligation de résultat, l’encadrement des ouvriers turcs qui ne parlaient que le turc étant nécessairement assuré par leurs employeurs parlant la même langue qu’eux” ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 125-1 et 152-3, alinéa 1 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt a déclaré le prévenu coupable de délit de marchandage ;

”aux motifs que le demandeur ne peut invoquer le préjudice causé aux salariés ou le non respect des dispositions législatives ou réglementaires ;

qu’en effet, le procès-verbal de l’inspection du travail démontre que les salariés subissaient un préjudice du fait que leur situation était évidemment précarisée par un statut incertain, qu’ils ne percevaient pas les avantages dus aux salariés permanents de la société SOCAE, qu’ils ne bénéficiaient pas des avantages résultant de la convention collective, notamment quant à l’indemnisation des heures d’intempéries ;

que la pratique suivie par la société SOCAE avait en outre, pour effet d’éluder les dispositions légales régissant le travail temporaire, puisque de l’aveu même de Jean Z..., elle avait pour but de permettre à la société SOCAE de faire face au surcroît occasionnel d’ouvrage dans un domaine d’activité irrégulier ;

”alors que le délit de marchandage suppose que soient caractérisés le fait matériel de l’opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre et un fait dommageable consistant dans la préjudice causé au salarié ;

que l’élément matériel fait défaut comme il a été démontré précédemment ;

que le second élément n’est pas davantage établi ;

qu’en effet, le demandeur faisait valoir dans ses conclusions d’appel auxquelles la Cour a omis de répondre que ni la convention collective du bâtiment de la Gironde, non étendue par arrêté d’extension, ni la convention collective nationale du 8 octobre 1990, concernant les entreprises occupant jusqu’à 10 salariés, laquelle n’a été rendue obligatoire que par arrêté d’extension du 12 février 1991, n’étaient applicables aux ouvriers des artisans sous-traitants” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la juridiction du second degré, répondant comme elle le devait aux conclusions du prévenu, qu’elle n’était pas tenue de suivre dans le détail de son argumentation, a, sans insuffisance, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnels, les infractions dont elle a déclaré l’intéressé coupable ;

Que les moyens, qui se bornent à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond des circonstances de fait et des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Batut conseiller rapporteur, MM. Guilloux, Le Gall conseillers de la chambre, M. Poisot conseiller référendaire appelé à compléter la chambre, Mme Fayet conseiller référendaire, M. Amiel avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Bordeaux 3ème chambre , du 10 mai 1994