Co employeur de fait

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 4 avril 1990

N° de pourvoi : 86-44229

Publié au bulletin

Rejet.

Président :M. Cochard, président

Rapporteur :M. Waquet, conseiller apporteur

Avocat général :M. Graziani, avocat général

Avocats :M. Cossa, la SCP Desaché-Gatineau, M. Brouchot., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Sur le moyen unique du pourvoi principal formé par la société Laboratoires Anphar Rolland et sur les deux premières branches du premier moyen du pourvoi incident formé par la société Indice recrutement :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 8 juillet 1986) que par contrat du 28 décembre 1981, la société Laboratoires Anphar Rolland a donné mandat exclusif à la société Indice recrutement pour assurer la promotion de la spécialité pharmaceutique “ DIFLUREX “ dans un certain nombre de départements ; que cette activité devait être effectuée par le personnel de la société Indice recrutement sur les directives écrites des Laboratoires Anphar Rolland ; que M. Y... a été engagé par la société Indice recrutement à partir du 1er février 1982 pour promouvoir et faire promouvoir par l’intermédiaire de visiteurs médicaux le Diflurex ; que le contrat liant les Laboratoires Anphar Rolland et la société Indice recrutement ayant été rompu à compter du 1er décembre 1982 selon les termes d’une transaction signée par les deux parties le 18 novembre 1982, la société Indice recrutement demandait à M. Y... le 19 novembre 1982 de cesser toute activité, tout en l’informant qu’elle allait demander une autorisation de licenciement économique ; qu’elle lui précisait le 29 novembre 1982 que la société Laboratoires Anphar Rolland allait reprendre directement la promotion du Diflurex ; que l’autorisation de licenciement économique ayant été refusée le 10 décembre 1982 par l’inspecteur du travail au motif essentiel que le contrat entre la société Indice recrutement et la société Anphar Rolland avait pour objet un prêt de main-d’oeuvre prohibé, aucun licenciement n’était prononcé, mais M. Y... en présence de la rupture de fait de son contrat de travail saisissait la juridiction prud’homale d’une demande en paiement d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts dirigée tant contre la société Indice recrutement que contre la société Laboratoires Anphar Rolland ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir fait droit à cette demande en condamnant solidairement les deux sociétés à payer à M. Y... des indemnités de préavis et de congés payés, des dommages-intérêts ainsi qu’à lui remettre un certificat de travail et une attestation pour l’ASSEDIC, alors, que le prêt de main-d’oeuvre, prohibé par l’article L. 125-3 du Code du travail ne s’entendant que d’une opération ayant à la fois pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre et un caractère lucratif, viole ce texte l’arrêt attaqué qui affirme l’existence d’un contrat de prêt de main-d’oeuvre entre les deux sociétés sans relever que ledit prêt est l’objet exclusif de l’opération ; et que, à tout le moins, en ne retenant du contrat en cause que la stipulation selon laquelle le personnel de la société Indice recrutement devait respecter les directives données par la société des Laboratoires Anphar Rolland, sans rechercher si ses autres stipulations, relatives notamment aux obligations de la société Indice recrutement d’assurer la formation de ses propres salariés et de rendre compte mensuellement de la promotion du Diflurex, ne mettaient pas à la charge de cette dernière d’autres prestations que’ celles de fournir de la main-d’oeuvre l’arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard tant de l’article 1134

du Code civil que de l’article L. 125-3 du Code du travail ; alors, d’autre part, que le prêt de main-d’oeuvre, prohibé par l’article L. 125-3 du Code du travail, ne s’entendant que d’une opération ayant à la fois pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre et un caractère lucratif, prive sa décision de base légale au regard de ce texte l’arrêt attaqué qui affirme le but lucratif de l’opération sans le caractériser en aucune de ses constatations ; alors, enfin, que viole l’article 455 du nouveau Code de procédure civile l’arrêt attaqué qui affirme l’existence d’une opération à but lucratif ayant pour objet un prêt de main-d’oeuvre sans s’expliquer sur le moyen tiré par la société des Laboratoires Anphar Rolland dans ses conclusions d’appel de ce que le procès-verbal de prêt de main-d’oeuvre dressé, au demeurant à l’encontre de la seule société Indice recrutement, avait fait l’objet d’un classement sans suite par le parquet ;

Mais attendu, que la cour d’appel, qui n’avait pas à répondre à un simple argument des conclusions de la société Laboratoires Anphar Rolland, a légalement caractérisé le prêt illicite de main-d’oeuvre en relevant, d’une part, que le seul objet et la convention entre les deux sociétés était la fourniture de main-d’oeuvre puisque la société Indice recrutement avait pour seul objet social la commercialisation du Diflurex, que son salarié, M. Y..., n’avait pas d’autre tâche que la promotion de ce médicament et qu’il travaillait, en réalité, sous les ordres directs des Laboratoires Anphar Rolland, d’autre part, que le contrat ayant été conclu entre les deux sociétés, moyennant une rémunération, l’opération avait un but lucratif ;

D’où il suit que les critiques formulées par le moyen unique du pourvoi principal et par les deux premières branches du premier moyen du pourvoi incident ne sont pas fondés ;

Sur les troisième et quatrième branches du premier moyen du pourvoi incident :

Attendu que la société Indice recrutement reproche encore à l’arrêt d’avoir refusé de la mettre hors de cause, alors, d’une part, que la nullité du contrat commercial à la supposer acquise, n’efface pas la relation de travail qui s’est établie, cette relation se poursuivant précisément sur la base de l’article L. 122-12 avec l’utilisateur ; que la cour d’appel a violé ce texte par refus d’application, en considérant que la qualification de prêt de main-d’oeuvre qu’elle retenait entre les sociétés contractantes avait pour effet de tenir en échec l’application des dispositions des articles L. 122-12 et suivants du Code du travail ; et alors, d’autre part, que la cour d’appel qui relevait qu’un lien direct de subordination unissait le salarié à la société Anphar estimait que si du fait de la rupture de ses relations avec la société Anphar, la société Indice se voyait contrainte de rompre le contrat de travail, la société Anphar aurait dû faire échec à cette décision en fournissant l’exécution d’un contrat auquel il ne pouvait unilatéralement être mis fin, devait nécessairement imputer l’entière responsabilité de la rupture du contrat de travail à la société Anphar ; que par suite la cour d’appel n’a pas déduit de ses propres constatations les conséquences qui s’en évinçaient au regard de l’article L. 122-12 et L. 122-14 et suivants du Code du travail ;

Mais attendu qu’après avoir constaté que M. Y... était devenu à la fois le préposé de la société Indice recrutement et de la société Laboratoires Anphar Rolland, la cour d’appel a justement écarté l’application de l’article L. 122-12 du Code du travail et condamné solidairement les deux employeurs ;

Que les griefs des troisième et quatrième branches du premier moyen du pourvoi incident ne sauraient donc être accueillis ;

Sur le second moyen du pourvoi incident :

Attendu que la société Indice recrutement fait enfin grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer des dommages-intérêts à M. Y..., alors que, selon le moyen, seul le licenciement pour cause économique sans demande d’autorisation à l’autorité administrative ou en cas de refus de cette autorisation ouvre droit à réparation ; que la cour d’appel qui considérait elle-même que la question de la légalité de la décision administrative avait été tranchée par le tribunal administratif de Paris censurant le refus d’autorisation, ne pouvait dès lors octroyer des dommages-intérêts prévus par les articles L. 321-1 et suivants du Code du travail ; que la cour d’appel n’a pas déduit de ses propres constatations les conséquences qui en découlaient et violé ces textes notamment les articles L. 321-12 et L. 321-9 du Code du travail ; alors que les dommages-intérêts qui peuvent être accordés sur le fondement de l’article L. 321-12 ne peuvent de toute façon venir réparer que le préjudice né de l’inobservation des formes de la procédure ; qu’en octroyant au salarié des dommages-intérêts pour perte d’emploi, la cour d’appel a violé ce texte ; alors que, à supposer applicables les dispositions de l’article L. 122-14 et suivants du Code du travail, la perte d’un marché constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que la cour d’appel a constaté que du fait de la rupture de ses relations avec la société Anphar, “ la société Indice n’était plus en mesure d’assurer ses obligations d’employeur et se voyait contrainte de rompre le contrat de travail ; que le licenciement avait dès lors une cause réelle et sérieuse pour la société Indice ; qu’en condamnant néanmoins celle-ci pour rupture abusive, la cour d’appel n’a pas tiré de ses constatations les conséquences qui s’en évinçaient et a violé l’article L. 122-14 du Code du travail ;

Mais attendu qu’abstraction faite de tous autres motifs surabondants, la cour d’appel, en relevant la collusion des deux sociétés pour écarter l’application des règles du Code du travail et pour priver M. X... de son emploi, a justifié légalement sa décision de les condamner solidairement à payer des dommages-intérêts au salarié pour rupture abusive de son contrat de travail ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident

Publication : Bulletin 1990 V N° 157 p. 94

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 8 juillet 1986

Titrages et résumés : 1° CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Responsabilité - Prêt illicite de main-d’oeuvre - Définition - Opération à but lucratif ayant pour objet exclusif la fourniture de main- d’oeuvre

1° Caractérise le prêt illicite de main-d’oeuvre la cour d’appel qui relève d’une part que le seul objet de la convention intervenue entre deux sociétés était la fourniture de main-d’oeuvre, d’autre part que ce contrat conclu entre les deux sociétés moyennant rémunération, était une opération à but lucratif.

2° CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Cession de l’entreprise - Modification de la situation juridique de l’employeur - Définition - Pluralité d’employeurs (non)

2° Dès lors qu’elle constate que le salarié est à la fois le préposé de deux sociétés, la cour d’appel écarte à bon droit l’application de l’article L. 122-12 du Code du travail.

2° CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pluralité d’employeurs - Article L. 122-12 du Code du travail - Exclusion 3° CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pluralité d’employeurs - Société - Salarié lié simultanément par un rapport salarial à plusieurs sociétés - Effet

3° Dès lors qu’elle relève la collusion des deux sociétés pour écarter l’application des règles du Code du travail et pour priver le salarié de son emploi, la cour d’appel justifie légalement sa décision de les condamner solidairement à payer des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.

3° CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Rupture abusive - Dommages-intérêts - Pluralité d’employeurs - Condamnation solidaire - Condition

Textes appliqués :
Code du travail L125-3, L122-12, L321-1, L321-12, L321-9, L122-14
Nouveau code de procédure civile 455, L122-12, L321-12