Valeur relative

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 12 juillet 2010

N° de pourvoi : 08-44363

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Linden (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Baraduc et Duhamel, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été engagé en qualité d’ingénieur ayant le statut cadre suivant contrat à durée indéterminée du 23 juillet 1998 par la société AC Timer au droits de laquelle se trouve la société OCEI (la société), qui applique la convention collective nationale du personnel des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs conseils et des sociétés de conseil du 15 décembre 1987 dite SYNTEC ; que la société a notifié au salarié son licenciement pour faute grave le 20 mars 2003 ; qu’elle s’est rétractée par lettre du 28 février 2003 à laquelle le salarié a répondu le 5 mars 2003 qu’il poursuivait son activité comme il le lui était demandé ; que le 29 avril 2003, la société a notifié au salarié son licenciement pour faute lourde en raison de “différents refus de missions chez des clients... d’autant plus que votre contrat contient une clause de mobilité” ; que, contestant ce licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes ;

Sur le second moyen :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce moyen, qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l’article L. 1121-1 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil ;

Attendu que pour juger que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que le salarié, qui a été informé le 13 mars 2003, d’une mission de quatre-cinq mois auprès de la même société à Genève qu’il a refusée le 25 mars 2003, a méconnu son obligation contractuelle dès lors que cette mission était justifiée par les besoins du service ; que cette inexécution rendait impossible, sans préjudice pour l’entreprise, la poursuite de la relation de travail ;

Qu’en se déterminant ainsi sans rechercher, comme il lui était demandé , si la mise en oeuvre de la clause contractuelle ne portait pas une atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à la rupture du contrat de travail et à ses conséquences, l’arrêt rendu le 26 juin 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société OCEI, M. Y..., ès qualités, et Mme Z..., ès qualités aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société OCEI, M. Y..., ès qualités, et Mme Z..., ès qualités à payer la somme globale de 2 500 euros à M. X... et rejette leur demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que le licenciement de M. X... reposait sur une cause réelle et sérieuse et de l’AVOIR débouté de ses demandes au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, de l’indemnité conventionnelle et légale de licenciement, ainsi qu’au titre de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel ;

AUX MOTIFS QUE « la procédure de licenciement engagée le 20 février 2003 ne fait pas obstacle à une procédure de licenciement ultérieure dès lors que l’employeur a déclaré y renoncer et que le salarié a expressément accepté l’annulation de la décision de licenciement prise le 20 février 2003 ; le contrat de travail de Charles X... fixe son lieu d’affectation à PARIS V Ie 47 rue saint André des arts mais prévoit que, chargé d’effectuer des prestations de services en informatique sous forme de régime ou de forfait, son affectation pourra être modifiée en fonction des travaux confiés, tout changement d’affectation ou de son lieu de travail lui étant notifié par écrit préalablement à sa réalisation, sans que cela ne constitue une modification substantielle du contrat, son activité pouvant entraîner à tout moment des déplacements ou missions de courte ou longue durée justifiés par les besoins du service ; dans sa lettre de licenciement, la société OCEI lui reproche d’avoir refusé plusieurs missions ; les refus de mission opposés en janvier 2003, soit plus de deux mois avant le licenciement, ne sauraient être invoqués à l’appui de celui-ci ; il n’est pas établi que la mission auprès de la société DLC située à GENÈVE commandée à la société AC TIMER le 11 mars 2003 ait été notifiée à Charles X... qui ne l’a pas signée ; en revanche, le salarié a été informé, le 13 mars 2003, d’une mission de 4-5 mois auprès de la même société à GENÈVE qu’il a refusée le 25 mars 2003. De même, le 1er avril 2003, il a été informé d’une mission de trois mois éventuellement renouvelables auprès de la filiale ODIMA du groupe OCEI située à BORDEAUX qu’il a refusée le jour même sans demander aucun délai de réflexion ; si un délai raisonnable de prévenance ne permettait pas à la société AC TIMER de se prévaloir dès le 4 avril 2003, date d’envoi de la convocation à l’entretien préalable, d’un deuxième refus de mission opposé par le salarié, il n’en demeure pas moins que celui-ci a méconnu son obligation contractuelle en refusant une mission justifiée par les besoins du service ; l’absence de toute intention de nuire à l’entreprise ne permet pas de qualifier cette inexécution de faute lourde et elle ne revêt pas une gravité de nature à justifier la rupture immédiate du contrat de travail mais rendait impossible néanmoins, sans préjudice pour l’entreprise, la poursuite de la relation de travail, autorisant l’employeur à prononcer le licenciement ; le jugement déféré doit donc être réformé en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article L. 122-14-4 du Code du travail et au remboursement à l’ASSEDIC (...) ; sur l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité compensatrice de congés payés et l’indemnité conventionnelle de licenciement ; l’indemnité compensatrice de préavis a été exactement arrêtée par les premiers juges à 10 977 euros ; compte tenu du salaire de Charles X... s’élevant à 3 659 euros, il y a lieu de lui ajouter une indemnité compensatrice de congés payés de 4 039,54 euros (...)« Charles X... qui a été licencié en raison de son refus de respecter la clause de mobilité prévue par son contrat de travail ne peut bénéficier de l’indemnité de licenciement prévu par l’article 19 de la convention collective » ;

ET AUX MOTIFS A LES SUPPOSES ADOPTES QUE « s’agissant de la portée du licenciement du 20 février 2003 : il est constantque l’employeur ne peut revenir sur un licenciement prononcé sans l’accord du salarié, pour autant les conditions formelles de cet accord du salarié ne sont pas autrement précisées ; en l’occurrence, dans sa lettre du 5 mars 2003, adressée à son employeur ; Monsieur X..., après avoir retracé un historique sans doute fidèle de la succession des faits survenus, et après avoir fait état de la démarche de son employeur retirant licenciement et demandant au salarié de reprendre son travail, termine son courrier par la formule suivante : “je poursuis donc, comme vous me l’avez demandé dans votre courrier du 28 février, mon activité au sein d’AC TIMER ; conformément aux directives de Monsieur Frédy A..., je me rendrai chaque jour dans les locaux de la société » ; si les mots ont encore un sens, il n’est pas possible d’analyser ce courrier autrement que commeune1acceptation par le salarié de l’annulation de la décision delicenciement intervenue lé 20 février » ;

1. ALORS QU’une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d’application ; qu’en l’espèce, il résulte des constatations de la Cour d’appel que la clause de mobilité de M. X... était ainsi libellée : « votre affectation pourra être modifiée en fonction des travaux confiés, tout changement d’affectation ou de votre lieu de travail étant notifié par écrit préalablement à sa réalisation, sans que cela ne constitue une modification substantielle du contrat, votre activité pouvant entraîner à tout moment des déplacements ou missions de courte ou longue durée justifiés par les besoins du service » ; qu’en se fondant sur une telle clause dépourvue de toute circonscription géographique pour dire que le salarié aurait été fautif en refusant de se déplacer, la Cour d’appel a violé les articles 1134 du Code civil, ensemble les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du Code du Travail ;

2. ET ALORS en outre QUE le salarié soutenait que la clause de mobilité de son contrat était illicite, faute de préciser sa zone géographique d’application ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen, la Cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile ;

3. ET ALORS en tout état de cause QU’est privé de cause réelle et sérieuse le licenciement fondé sur le refus de l’application d’une clause de mobilité mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle ; que tel est le cas lorsque l’employeur ne respecte pas un délai raisonnable avant d’engager la procédure de licenciement, peu important que le salarié ait immédiatement refusé la mutation proposée ; qu’en l’espèce, pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, la Cour d’appel a retenu que bien que l’employeur n’ait pas respecté un « délai raisonnable de prévenance » en adressant la convocation à l’entretien préalable le 4 avril 2003 pour un poste proposé le 1er avril 2003, M. X... aurait néanmoins été fautif en refusant ladite mutation le jour même ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a violé les articles 1134 du Code civil, ensemble les articles L. 1221-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du Code du Travail ;

4. ET ALORS QUE lorsque l’employeur entend mettre en oeuvre une clause de mobilité, ce n’est pas au salarié qu’il revient de solliciter un délai de réflexion ; qu’en retenant que le salarié était fautif pour avoir refusé son poste « le jour même sans demander aucun délai de réflexion », alors surtout qu’il soutenait que l’employeur ne lui avait pas laissé d’autre choix, la Cour d’appel a violé les articles 1134 du Code civil, ensemble les articles L. 1221-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du Code du Travail ;

5. ALORS QUE en toute hypothèse, sur le refus, en date du 25 mars 2003, d’une mission à GENEVE, le salarié soutenait que cette dernière devait débuter trois jours plus tard, ce qui ne pouvait être considéré comme un délai de prévenance raisonnable ; qu’en s’abstenant de statuer sur ce point, la Cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil, L. 1221-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du Code du Travail ;

6. ALORS QUE le licenciement n’est pas susceptible d’être rétracté par l’employeur si le salarié n’y a pas expressément acquiescé ; qu’en retenant que M. X... aurait expressément accepté l’annulation de la décision de licenciement prise le 20 février 2003, sans préciser de quel élément elle déduisait cette « acceptation expresse », formellement contestée par l’intéressé, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1, L. 1235-1 du Code du Travail et L. 1111-1 du Code du Travail ;

7. ET ALORS QU’à supposer même que la Cour d’appel se soit fondée, à l’instar des premiers juges, sur le courrier du 5 mars 2003 dans lequel M. X... se contentait de déclarer qu’il poursuivrait son activité au sein de la société, ce qui ne signifiait nullement qu’il avait accepté le « retrait » de son licenciement, la Cour d’appel aurait dénaturé ledit courrier en violation de l’article 1134 du Code civil ;

8. ET ALORS QUE sauf en cas de faute grave, le salarié licencié peut prétendre au bénéfice d’une indemnité légale de licenciement ; que la convention collective nationale applicable au personnel des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 dispose, dans son article 18, que l’indemnité de licenciement « n’est pas due dans le cas où le licenciement est intervenu pour faute grave ou lourde » et, dans son article 61, que « le salarié licencié en raison de son refus de respecter la clause de mobilité figurant dans son contrat de travail se verra attribuer les indemnités légales de licenciement en remplacement des indemnités de licenciement fixées par l’article 19 de la présente convention collective » ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel qui a estimé que le salarié n’avait commis aucune faute grave ou lourde, ne pouvait le débouter de sa demande d’indemnité conventionnelle de licenciement, sans même lui accorder le bénéfice de l’indemnité légale ; qu’en statuant ainsi la Cour d’appel a violé les articles L. 1239-4 du Code du Travail, ensemble les articles 18, 19 et 61 de la convention suscitée.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt, confirmatif de ce chef, d’AVOIR débouté l’intéressé de sa demande de rappels de salaires conventionnels et de prise en considération du niveau de rémunération ainsi sollicité dans les sommes réclamées au titres des indemnités de licenciement, de licenciement sans cause réelle ni sérieuse, de préavis, d’indemnité compensatrice de congés payés, ainsi que de primes de vacances, ainsi que de congés payés afférents ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « Charles X... se prévaut de l’accord du 22 juin 1999 sur la durée du travail et de la définition qui y est incluse des personnels chargés de la réalisation de missions avec autonomie complète et notamment ceux qui ont une rémunération annuelle supérieure à 2 fois le plafond annuel de la sécurité sociale pour réclamer le bénéfice de cette rémunération, déduisant de sa qualité de cadre autonome le droit à une telle rémunération ; les premiers juges ont justement relevé que sa qualité de cadre autonome au regard de ses horaires de travail n’ était pas établie et que l’accord ne pouvait être interprété comme entraînant automatiquement au bénéfice du cadre autonome le droit à une rémunération au moins égale au double du plafond annuel de la sécurité sociale ; le rejet de sa demande doit donc être confirmé » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « la Convention Collective prévoit que le salarié en le salarié en position de mission avec autonomie complète bénéficie d’un régime particulier en matière : - de réduction des horaires de travail, à la double condition d’avoir une grande latitude dans l’organisation de son travail et, soit d’être classé en position 3 de la Convention Collective, soit d’avoir une rémunération supérieure au double du plafond de la Sécurité Sociale ; Monsieur X... veut en déduire que sa qualité de cadre autonome luic ouvre droit à une rémunération au moins égale à ce double plafond ; c’est, cependant, ne pas tenir compte de ce que sa qualité de cadre autonome, au sens de la définition des horaires de travail n’est nullement établie par le dossier, et c’est surtout, oublier que la réalisation de l’une des deux branches de la seconde condition posée ne pourrait en aucune façon entraîner automatiquement la réalisation de la seconde branche, purement alternative à la premièr, la présente demande ne peut qu’être rejetée » ;

ALORS QU’aux termes de l’article 4 de l’accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail de la convention collective nationale applicable au personnel des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, « les personnels exerçant des responsabilités de management élargi ou des missions commerciales, de consultant ou accomplissant des tâches de conception ou de création, de conduite et de supervision de travaux, (...) doivent obligatoirement disposer de la plus large autonomie d’initiative et assumer la responsabilité pleine et entière du temps qu’ils consacrent à l’accomplissement de leur mission (...), et doivent également bénéficier de la position 3 de la convention collective (en général les positions 3.2 et 3.3, et dans certains cas 3.1) ou avoir une rémunération annuelle supérieure à 2 fois le plafond annuel de la sécurité sociale, ou être mandataire social » ; qu’en déboutant l’intéressé de ses demandes aux motifs inopérants qu’il n’établissait disposer de l’autonomie suffisante dans l’organisation de son emploi du temps, sans examiner si ses responsabilités ne lui permettaient pas de prétendre au niveau de rémunération revendiqué, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article susvisé.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 26 juin 2008

Textes appliqués :
• Cour d’appel de Paris, 26 juin 2008, 06/02711