Pas de prêt illicite malgré le non respect du formalisme de la mise à disposition

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 29 janvier 2020

N° de pourvoi : 18-22741

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00124

Non publié au bulletin

Rejet

M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

MF

COUR DE CASSATION


Audience publique du 29 janvier 2020

Rejet

M. SCHAMBER, conseiller doyen

faisant fonction de président

Arrêt n° 124 F-D

Pourvoi n° R 18-22.741

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 JANVIER 2020

M. I... L..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° R 18-22.741 contre l’arrêt rendu le 26 mars 2018 par la cour d’appel de Limoges (chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Clinique de la marche, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. L..., de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Clinique de la marche, après débats en l’audience publique du 18 décembre 2019 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Limoges, 26 mars 2018), M. L... a été engagé le 21 janvier 2013 en qualité de directeur des ressources humaines par la société Polyclinique Saint-François Saint-Antoine (la Polyclinique), suivant contrat de travail à durée indéterminée prévoyant qu’il exercerait ses fonctions pour deux établissements, la polyclinique Saint-François et Saint-Antoine et la clinique de la marche, elle-même exploitée par la société Clinique de la marche (la Clinique), dans le cadre d’un forfait de 212 jours par an. Selon convention conclue le 2 janvier 2014 entre les sociétés Polyclinique et Clinique, le salarié a été mis à disposition de la seconde pour deux jours par mois.

2. Le 20 juillet 2015 le salarié a conclu deux contrats de travail prenant effet au 1er juillet précédent, l’un avec la Polyclinique pour deux cents jours de travail par an, l’autre avec la Clinique pour douze jours de travail par an.

3. Le salarié a été licencié par la Clinique par lettre du 29 décembre 2015.

4. Contestant son licenciement et sollicitant la reconnaissance d’un contrat de travail à temps complet avec la Clinique depuis le 21 janvier 2013, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes salariales et indemnitaires à l’encontre de celle-ci.

Examen des moyens

Sur le premier moyen pris en sa seconde branche et sur le troisième moyen

5. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes au titre de la requalification de son contrat de travail, des rappels de salaires et du travail dissimulé, alors « que les juges du fond ont constaté que pour la période du 21 janvier 2013 au 20 juillet 2015 M. L... avait fait l’objet d’un prêt de main d’oeuvre entre la société Polyclinique Saint-François Saint-Antoine et la société Clinique de la marche, qu’il n’était pas établi que préalablement le comité d’entreprise eût été consulté, et qu’aucun avenant au contrat de travail liant l’exposant et la société Polyclinique Saint-François Saint-Antoine n’avait été rédigé en vue de ce prêt de main d’oeuvre ; qu’il s’en évinçait que la convention de prêt de main d’oeuvre entre les deux sociétés comme la stipulation du contrat de travail de M. L... prévoyant qu’il exercerait ses fonctions également auprès de la société Clinique de la marche étaient nulles de nullité absolue, et que le prêt de main d’oeuvre ne pouvait pas constituer le support juridique des relations de travail entre l’exposant et la société Clinique de la marche ; qu’en rejetant les demandes de M. L... contre cette société au titre de la requalification de son contrat de travail, des rappels de salaire et du travail dissimulé au motif que, pour la période du 21 janvier 2013 au 20 juillet 2015, le prêt de main d’oeuvre était affecté d’irrégularités formelles mais constituait le cadre juridique des rapports entre l’exposant et la société Clinique de la marche, la cour d’appel a violé l’article L. 8241-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. La cour d’appel, qui a constaté que le salarié, engagé par la Polyclinique et mis à disposition de la Clinique deux jours par mois dans le cadre d’un prêt de main-d’oeuvre à but non lucratif, avait été intégralement rémunéré par la première société durant sa mise à disposition et que l’existence d’un contrat de travail entre l’intéressé et la seconde société n’était pas caractérisée pendant cette période, en a déduit à bon droit, peu important les irrégularités formelles de la convention de mise à disposition, que le salarié devait être débouté de ses demandes salariales et indemnitaires formées à l’encontre de la Clinique pour la période afférente à sa mise à disposition.

8. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l’arrêt d’évaluer à 1 000 euros les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui lui ont été alloués et de rejeter ses demandes de complément d’indemnité de préavis et d’indemnité de licenciement, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen emportera, par voie de conséquence et en application de l’article 625 du code de procédure civile, la censure des chefs de l’arrêt attaqué ayant évalué à 1 000 euros les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ayant rejeté les demandes de complément d’indemnité de préavis et d’indemnité de licenciement. »

Réponse de la Cour

10. Le rejet du premier moyen prive de portée le second moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. L... aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. L....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté monsieur L... de ses demandes au titre de la requalification de son contrat de travail, des rappels de salaire et du travail dissimulé ;

aux motifs qu’« en application des articles L3123-1 et 3123-14 du code du travail est considéré comme salarié à temps partiel celui dont la durée du travail est inférieure à la durée du travail d’un salarié à temps plein parce que la durée de son travail est inférieure à la durée légale hebdomadaire de 35 heures ou inférieure à la durée du travail fixée par accord collectif ou applicable dans l’établissement, le contrat de travail de ce salarié devant être écrit et comporter des mentions relatives à la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification, les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié et les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires. En l’absence d’écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition il est présumé que l’emploi est à temps complet sauf si l’employeur rapporte la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue et celle du fait que le salarié n’était pas constamment à sa disposition. En l’espèce, pour la période du 21 janvier 2013 au 20 juillet 2015, il n’est pas contesté que M. L... I... a fourni une prestation de travail au profit de la SAS Clinique de la Marche dans le cadre d’un contrat de travail passé avec la polyclinique St François-St Antoine le 21 janvier 2013 dans lequel il était stipulé qu’il exercerait des fonctions de directeur des ressources humaines pour deux établissements, soit la polyclinique St François-St Antoine et la SAS Clinique de la Marche et que son lieu de travail était situé sur les deux sites des établissements, la SAS Clinique de la Marche mettant à sa disposition une voiture de fonction constituant un avantage en nature. La durée de travail et la rémunération annuelle brute étaient fixées dans le cadre d’un forfait jours de 212 jours. La SAS Clinique de la Marche et la polyclinique St François-St Antoine ont établi une convention de mise à disposition de M. L... I... à concurrence de 2 jours par mois, datée du 2 janvier 2014, dont M. L... I... ne peut sérieusement contester la date par la seule production des courriels échangés d’une part entre lui et l’inspecteur du travail, notamment à propos de sa situation et d’autre part entre lui et le directeur des ressources humaines du groupe le 5 mai 2015, celui-ci n’évoquant pour le passé qu’une question de facturation entre les deux cliniques et pour l’avenir un éclatement du contrat de travail. Cette facture a été établie le 23 juin 2015 au bénéfice de la polyclinique St François-St Antoine qui a facturé à la SAS Clinique de la Marche la prestation de travail du directeur des ressources humaines à hauteur de 27 119, 89€ TTC pour la période du 21 janvier 2013 au 30 juin 2015. Il résulte de l’article L8241-2 du code du travail que le prêt de main d’oeuvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert : 1° L’accord 5 sur 23 du salarié concerné ; 2° Une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l’identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l’entreprise utilisatrice par l’entreprise prêteuse ; 3° Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l’entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d’exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail et que le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de l’entreprise prêteuse sont consultés préalablement à la mise en oeuvre d’un prêt de main d’oeuvre et informés des différentes conventions signées. En l’espèce, si M. L... I... ne peut sérieusement soutenir ne pas avoir donné son accord au prêt de main-d’oeuvre à but non lucratif dont il a été l’objet, puisqu’il a signé un contrat travail avec la polyclinique St François-St Antoine par lequel il acceptait d’exercer son activité professionnelle sur deux lieux de travail et de fournir une prestation de directeur de ressources humaines au profit des deux cliniques et qu’il a été intégralement rémunéré par la polyclinique St François-St Antoine, en revanche il n’est pas contestable qu’aucun avenant au contrat de travail n’a été signé et il n’est pas démontré que le comité d’entreprise a été préalablement consulté. Pour autant ce prêt de main-d’oeuvre, même entaché d’irrégularité formelle, constitue le cadre juridique de l’intervention de M. L... I... au sein de la SAS Clinique de la Marche et ne permet pas de caractériser sur cette période l’existence entre M. L... I... et la SAS Clinique de la Marche d’un contrat de travail à temps partiel non écrit qui serait susceptible d’une requalification en contrat de travail à temps complet. Le prêt de main d’oeuvre étant inscrit dans le contrat de travail initial et ayant fait ensuite l’objet d’une facturation entre les deux établissements la situation de travail de dissimulé intentionnelle n’est pas davantage caractérisée. Ensuite pour la période du 20 juillet 2015 au 29 décembre 2015, date de rupture du contrat de travail, L... I... a fourni cette prestation dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée conclu avec la SAS Clinique de ta Marche et prévoyant une durée du travail et une rémunération dans le cadre d’un forfait annuel de 12 jours, tout en continuant son activité au sein de la polyclinique St François-St Antoine dans le cadre du contrat de travail initial, le forfait jours passant à 200 jours aux termes d’un avenant du 25 juillet 2015. En l’espèce le contrat ne prévoit pas la répartition de la durée du travail mais il convient de relever que M. L... I... indique lui-même que les 12 jours annuels devaient être répartis à concurrence de 1 jour par mois. De plus il est constant que sur la même période M. L... I... était lié à la polyclinique St François-St Antoine par un contrat de travail et un avenant prévoyant un forfait annuel de 200 jours, dont la signature en juillet 2015 établit que le salarié n’était pas à disposition permanente de la SAS Clinique de la Marche. Enfin cette dernière démontre que M. L... I... a engagé une autre instance à l’encontre de la polyclinique St François-St Antoine l’occasion de laquelle il n’est pas contesté qu’il sollicite la reconnaissance de l’illicéité de la convention de forfait et le paiement d’heures supplémentaires, ceci confortant le fait que le salarié ne pouvait pas être constamment à la disposition de la SAS Clinique de la Marche. Il sera ajouté surabondamment que sur cette période M. L... I... n’apporte pas la preuve que le temps de travail prévu dans le contrat passé avec la SAS Clinique de la Marche ne correspondait pas à ce qui était convenu au contrat. Son planning individuel pour l’année 2015, qui figure sur un feuillet et n’est en effet pas explicite ni probant, et les messages électroniques échangés au cours du dernier trimestre 2013, qui ne correspondent pas à la période dont s’agit et pouvaient être envoyés depuis un autre lieu que la clinique elle-même, ne suffisant pas à établir la réalité du temps de travail qu’il prétend avoir effectivement consacré à sa prestation au profit de cet employeur. Ce contrat de travail ne peut davantage donner lieu à la requalification sollicitée. Il s’en déduit que M. L... I... doit être débouté de 6 sur 23 sa demande de requalification et de ses demandes en rappel de salaires et indemnité de travail dissimulé subséquentes. Le jugement sera donc infirmé et la cour statuera à nouveau en ce sens » ;

alors 1°/ que les juges du fond ont constaté que pour la période du 21 janvier 2013 au 20 juillet 2015 monsieur L... avait fait l’objet d’un prêt de main d’oeuvre entre la société Polyclinique saint François saint Antoine et la société Clinique de la marche, qu’il n’était pas établi que préalablement le comité d’entreprise eût été consulté, et qu’aucun avenant au contrat de travail liant l’exposant et la société Polyclinique saint François saint Antoine n’avait été rédigé en vue de ce prêt de main d’oeuvre ; qu’il s’en évinçait que la convention de prêt de main d’oeuvre entre les deux sociétés comme la stipulation du contrat de travail de monsieur L... prévoyant qu’il exercerait ses fonctions également auprès de la société Clinique de la marche étaient nulles de nullité absolue, et que le prêt de main d’oeuvre ne pouvait pas constituer le support juridique des relations de travail entre l’exposant et la société Clinique de la marche ; qu’en rejetant les demandes de monsieur L... contre cette société au titre de la requalification de son contrat de travail, des rappels de salaire et du travail dissimulé au motif que, pour la période du 21 janvier 2013 au 20 juillet 2015, le prêt de main d’oeuvre était affecté d’irrégularités formelles mais constituait le cadre juridique des rapports entre l’exposant et la société Clinique de la marche, la cour d’appel a violé l’article L. 8241-2 du code du travail ;

alors 2°/ que pour la période du 20 juillet 2015 au 29 décembre 2015 les juges du fond ont décidé que monsieur L... ne se tenait pas constamment à la disposition de la société Clinique de la marche, de sorte qu’était renversée la présomption que son contrat de travail conclu avec cette société était à temps plein, au prétexte qu’il ne contestait pas que ses 12 jours annuels de travail s’effectuaient à concurrence d’un jour par mois, qu’il travaillait aussi 200 heures par an pour la société Polyclinique saint François saint Antoine, que dans son procès contre cette dernière il soutenait que son forfait annuel de travail était illicite tout en réclamant le paiement d’heures supplémentaires, et qu’il ne prouvait pas que la société Clinique de la marche n’avait pas respecté la durée de travail de 12 jours par an ; qu’en statuant par ces motifs inopérants, sans constater que la société Clinique de la marche eût prouvé que l’exposant aurait su avec précision selon quels horaires il devait, chaque mois, réaliser ses heures de travail pour cette 7 sur 23 société, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 3123-14 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir évalué à 1 000 € les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloués à monsieur L... et rejeté les demandes de monsieur L... de complément d’indemnité de préavis et d’indemnité de licenciement ;

aux motifs que « s’agissant des conséquences indemnitaires, compte tenu des motifs qui précèdent sur la qualification de son contrat de travail, M. L... I... ne peut prétendre ni à un complément sur indemnité de préavis et congés payés y afférents, ni à une indemnité de licenciement, ayant au moment de la rupture une ancienneté de 5 mois. Eu égard à son ancienneté, son salaire, son âge au moment de la rupture (33 ans) et son employabilité, la SAS Clinique de la Marche sera condamnée à lui payer 1000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la rupture du contrat de travail, étant observé que M. L... I... ne rapporte pas la preuve de sa situation professionnelle actuelle. Le jugement sera donc infirmé et la cour statuera à nouveau ce sens » ;

alors que la cassation à intervenir sur le premier moyen emportera, par voie de conséquence et en application de l’article 625 du code de procédure civile, la censure des chefs de l’arrêt attaqué ayant évalué à 1 000 € les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ayant rejeté les demandes de complément d’indemnité de préavis et d’indemnité de licenciement.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté monsieur L... de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

aux motifs propres qu’« aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. En l’espèce, M. L... I... soutient avoir subi une pression permanente de -la part de son employeur qui lui demandait de privilégier l’aspect économique et les intérêts financiers de l’entreprise et un management par le stress qui l’a conduit au “burn out”, et avoir subi une rupture vexatoire. Il produit divers courriels échangés avec l’assistante RH de la SAS Clinique de la Marche et la directrice de l’établissement au cours du premier trimestre 2013, dont aucun n’est de nature à établir la pression qu’il invoque avoir subi au cours de la relation de travail, s’agissant d’échanges de date ou de rappels entre collaborateurs, et un certificat de prolongation d’arrêt de travail pour burn out en date du 30 novembre 2015, qui ne peut à lui seul établir la réalité de l’état de santé de l’intéressé et le lien avec les conditions de travail de celui-ci, aucune des pièces produites n’étant par ailleurs de nature à établir que ses conditions de travail étaient dégradées. S’agissant des modalités de la rupture, M. L... I... ne produit que le compte rendu de l’entretien préalable réalisé par le représentant du personnel qui l’assistait. S’il en résulte une tension dans le dialogue avec le directeur qui a mené l’entretien, en revanche son contenu ne révèle l’utilisation d’aucun propos vexatoire. M. L... I... est donc défaillant dans la charge qui lui incombe de rapporter la preuve de la matérialité des faits qu’il invoque de sorte qu’il doit être débouté de ses demandes de reconnaissance de l’existence d’un harcèlement et de dommages-intérêts subséquentes. Le jugement sera donc confirmé de ce chef » ;

et aux motifs éventuellement adoptés que « la pression de la part de son employeur dont fait mention M. L... n’est pas démontrée concrètement ; Que le planning de la fin d’année 2015 ne fait pas l’objet d’une explication impliquant une contrainte de la part de son employeur et résulte par conséquent de la liberté d’organisation de M. L... dans le cadre de son forfait jours ; Que le fait d’avoir dû changer de bureau dans le cadre d’une intervention d’une seule journée par mois dans l’établissement ne peut pas être considéré comme une brimade ; Que le fait de ne pas avoir accès à sa boîte mail professionnelle pendent son arrêt de maladie n’est pas, isolément, un acte significatif de harcèlement, d’autant que cette 19 sur 23 boîte était couplée à la POLYCLINIQUE ST FRANÇOIS - ST-ANTOINE dont il -venait d’être licencié ; Que l’arrêt de maladie de M. L... ne fait l’objet d’aucune remarque de la part de la médecine du travail établissant un lien avec sa situation professionnelle ; Que le salarié a le choix de son lieu de travail et qu’il ne peut en faire grief à son employeur, notamment en matière d’obligation de sécurité. L’employeur n’a pas l’obligation de mettre un logement de fonction à la disposition du DRH, d’autant qu’il ne travaille qu’à temps partiel au sein de la structure ; Que M. L... conduisait un véhicule de fonction en toute connaissance de cause mais ne s’est pas préoccupé de la question de responsabilité avant son licenciement ; Que la réalité d’agissements répétés ayant pour effet de dégrader ses conditions de travail ou de porter atteinte à ses droits, sa dignité, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel, n’étant pas établie dans les faits, cela écarte la présomption de harcèlement alléguée par M. L... » ;

alors que monsieur L... soulignait que le harcèlement moral dont il a été victime consistait à lui imposer des tâches impossibles à réaliser en 12 jours de travail annuel, qu’en particulier l’établissement des fiches de poste nécessitait 2 heures par poste soit 60 heures de travail ou 8 jours pour 30 postes, que chaque entretien individuel nécessitait 2 heures en l’état d’un imprimé de 6 pages à remplir avec plusieurs points demandant de longs échanges avec le salarié de sorte que cette mission nécessitait 120 heures de travail soit 17 jours pour les 60 salariés, et qu’en outre il devait rédiger les contrats de travail, établir les payes, tenir les réunions avec les représentants du personnel et satisfaire à toutes les demandes de l’employeur en matière de ressources humaines (conclusions d’appel de monsieur L..., p. 20 et 21) ; qu’en déniant le harcèlement moral sans apporter aucune réponse à ce chef opérant des conclusions de l’exposant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Limoges , du 26 mars 2018