Filiale employeur oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 21 janvier 2015

N° de pourvoi : 12-28212

ECLI:FR:CCASS:2015:SO00083

Non publié au bulletin

Cassation partielle

Mme Goasguen (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 9 mars 1991 par la société Bank Saderat Iran (la société), société de droit iranien et exerçait ses fonctions en Iran ; qu’il a, au mois de septembre 2002, rejoint la succursale française de la société, et conclu, avec cette dernière, un contrat de travail à durée déterminée pour une durée de trente-six mois ; que l’intéressé et la société ont, le 6 novembre 2006, conclu un contrat de travail pour travailleur étranger non agricole à durée indéterminée enregistré à la direction départementale de l’emploi et selon lequel il exerçait, au sein de la succursale française, les fonctions de directeur adjoint ; que la société a informé le salarié qu’il était mis fin le 21 décembre 2007 à ses fonctions au sein de la succursale française et qu’il devait se présenter à Téhéran le 22 décembre 2007 ; que le salarié a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal de l’employeur :
Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement de sommes à ce titre, alors, selon le moyen :
1°/ que la décision par laquelle une société étrangère met fin au détachement d’un salarié dans une filiale française et corrélativement à la suspension du contrat de travail, ne contraint pas cette filiale à mettre fin par un licenciement au contrat de travail à durée indéterminée convenu avec elle pour la durée du détachement ; qu’en la condamnant à des indemnités de rupture et à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, ensemble l’article L. 1232-6 du code du travail ;
2°/ que l’acceptation par le salarié de la fin de la période de détachement dispense la filiale d’accueil de procéder à son licenciement ; qu’en jugeant le contraire sans tirer les conséquences du fait que le salarié s’était présenté à la société mère, était convenu dans différents courriers qu’il avait été mis fin à sa mission à l’étranger et, finalement, avait donné à la société mère sa démission pour convenance personnelle, d’où il résultait qu’il avait été mis fin au contrat de travail avec la filiale française d’un commun accord et en exécution du contrat de travail principal, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, ensemble l’article L. 1231-1 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d’appel qui, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a relevé qu’un contrat de travail pour travailleur étranger à durée indéterminée avait été conclu entre le salarié et la société le 6 novembre 2006, qu’un avenant du même jour stipulait que le droit français s’appliquait notamment pour ce qui était des règles relatives à la rupture du contrat de travail, et qu’il avait été mis fin le 21 décembre 2007 aux fonctions du salarié au sein de la succursale française en l’absence de toute procédure de licenciement, a, sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision disant, d’une part, que le salarié avait fait l’objet d’un licenciement, d’autre part que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident du salarié, ci-après annexé :
Attendu qu’ayant constaté, par motifs adoptés, que l’employeur avait alloué au salarié, durant la période considérée, une prime de mission portant son salaire de 3 864 à 4 698 euros, et, par motifs propres, qu’aucun document contractuel n’établissait l’engagement de l’employeur quant au point de départ du versement de l’augmentation de salaire, la cour d’appel, qui n’avait pas à se livrer à une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision ;
Mais sur le second moyen du pourvoi incident du salarié :
Vu les articles L. 3141-12, L. 3141-14, D. 3141-5 et D. 3141-6 du code du travail ;
Attendu qu’eu égard à la finalité qu’assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement ;
Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés, l’arrêt, après avoir constaté que le bulletin de paie de l’intéressé du mois de novembre 2007 faisait apparaître un solde de congés payés de quatre-vingt-dix jours outre 12,48 jours de congés acquis, retient que celui-ci ne justifie ni avoir été empêché par l’employeur de prendre ses congés acquis ni pouvoir bénéficier d’un accord individuel ou d’entreprise permettant le report des congés payés non pris ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’employeur ne justifiait pas avoir satisfait à ses obligations, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute M. X... de sa demande en paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés, l’arrêt rendu le 20 septembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Bank Saderat Iran.
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la Société Bank Saderat Iran à payer à Monsieur Farhad X... les sommes de : 19.934,49 ¿ à titre d’indemnité compensatrice de préavis ; 1.993,44 ¿ au titre de l’indemnité compensatrice de préavis s’y rapportant, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes ; 40.000 ¿ à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2010, date du jugement entrepris ; à payer à M. X... l’indemnité conventionnelle de licenciement correspondant à son ancienneté à compter du 4 février 2003 et à son salaire moyen et ce, avec intérêts légaux à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, et à rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômage payées au salarié licencié à compter du jour de son licenciement et dans la limite de six mois ;
AUX MOTIFS PROPRES, Sur la loi applicable à Farhad X... pendant son emploi au sein de la succursale parisienne de la BANK SADERAT IRAN et sur la rupture du contrat de travail conclu en France et ses conséquences, QUE l’appelante soutient que Farhad X... avait la qualité d’employé détaché de la BANK SADERAT IRAN jusqu’au terme de sa mission en France, mis à la disposition de sa succursale parisienne, qu’en cette qualité, il est resté salarié de la BSI de Téhéran, soumis au pouvoir de direction de celle-ci, au droit iranien et aux seules dispositions françaises d’ordre public ainsi que le rappelle l’avenant au contrat de travail que les parties ont signé le 6 novembre 2006 ; que s’il a été mis fin au détachement le 21 décembre 2007, son contrat de travail s’est poursuivi en Iran jusqu’à sa démission ; qu’il résulte des documents versés aux débats que la BANK SADERAT IRAN a conclu avec Farhad X... : - le 26 novembre 2002, un contrat de travail pour travailleur étranger d’une durée déterminée de 36 mois, - le 6 novembre 2006, un contrat de travail pour travailleur étranger à durée indéterminée, - le 6 novembre 2006, un avenant à ce contrat précisant que le salarié faisait l’objet d’un détachement par le siège social de la BANK SADERAT IRAN auprès de la succursale de Paris dans le cadre d’un contrat de travail de droit iranien, que ce détachement ne constituait qu’une modalité temporaire d’exécution d’un contrat de travail unique, que le contrat de travail restait fondamentalement régi par le droit iranien, le droit français, et notamment le Code du travail et la convention collective de la banque n’étant applicables qu’en matière de rémunération, de protection sociale obligatoire, durée du travail, congés payés hygiène, sécurité et conditions de travail, rupture du contrat de travail pour le cas où elle interviendrait au cours de la durée d’application de l’avenant ; que cet avenant ne peut avoir pour effet de soumettre la rupture du contrat de travail iranien aux exigences de la loi française, qu’il ne peut donc viser que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée conclu à la même date et applicable en France ; que l’avenant ne peut davantage avoir pour effet d’exonérer l’employeur étranger des dispositions d’ordre public s’appliquant au contrat de travail conclu et exécuté en France pour une durée indéterminée ; qu’au vu d’une télécopie d’août 2007 adressée par la division internationale de la BANK SADERAT IRAN à la direction de la succursale de Paris, il apparaît que la décision de mettre fin aux fonctions de Farhad X... au sein de la succursale a alors été prise, la date d’effet de cette décision étant fixée au 21 décembre 2007, puis reportée, par lettre du 30 août 2007, au 8 mai 2008 ; qu’un solde de tout compte a toutefois été établi au nom du salarié mentionnant le 21 décembre 2007 comme « date de sortie » ; qu’il n’est pas contesté que Farhad X... s’est rendu au siège social de la banque à Téhéran le 22 décembre 2007 comme cela lui avait été demandé en août 2007 ; qu’à son retour à Paris, le 11 janvier 2008, il n’a pas repris son poste au sein de la succursale ; que l’appelante produit les photocopies des correspondances suivantes, que le salarié qualifie de « faux » : - une lettre du 31 décembre 2007 portant sa signature, indiquant que sa mission à Paris a pris fin, mais sollicitant à la suite de ses congés payés un congé sans solde de trois mois en raison de difficultés familiales, - un avertissement dont la date est illisible, pour absence non justifiée depuis le 7 février 2008, - une demande de deux mois de congés à partir du 8 février 2008, datée du 28 février 2008, - un deuxième avertissement du 27 juillet 2008 pour absence non justifiée depuis le 21 juin 2008, - un troisième avertissement, du 9 août 2008 pour absence non justifiée depuis le 21 juin 2008, - une lettre du salarié du 31 août 2008 indiquant qu’il n’est pas en mesure de reprendre son travail avant l’été suivant et présentant sa démission ; que toutes ces correspondances ont été échangées entre le salarié et le siège social de la banque en Iran ; qu’elles concernent manifestement la poursuite par l’intimé de son contrat de travail en Iran ; qu’aucune lettre n’émane du directeur de la succursale parisienne, et aucun avertissement ne vise son absence à son poste de directeur adjoint au sein de cette succursale ; qu’il apparaît dans ces conditions que le contrat de travail à durée indéterminée consenti le 6 novembre 2006 relevant du droit français a été rompu à la date du 21 décembre 2007 en l’absence de toute procédure de licenciement, de toute notification de la rupture et de toute motivation de celle-ci, en infraction aux dispositions légales applicables à ce contrat conclu et exécuté en France ; que c’est donc à raison que le conseil de prud’hommes a considéré que la rupture effectuée en violation des dispositions de l’article L 1232-6 du code du travail s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QU’il résulte des pièces versées au dossier qu’à compter de février 2002, M. X... a été déclaré par son employeur auprès de l’administration française comme travailleur étranger non agricole bénéficiaire d’un CDD ; que la Direction départementale du travail et de l’emploi ayant refusé de valider un quatrième renouvellement du CDD du salarié, la BSI l’a déclaré bénéficiaire d’un CDI à compter du 6 novembre 2006 ; que de février 2002 à décembre 2007, tous les bulletins de salaire du requérant, qui renvoient à la convention collective de la Banque, comportent toutes les indications légales et font état de tous les prélèvements obligatoires en France, démontrent sans équivoque possible que le contrat de travail était soumis au droit français ; que le bulletin de salaire du mois de décembre 2007 portant la mention « solde de tout compte », la BSI ne peut utilement soutenir que M. X... était salarié détaché en France ; qu’il a été mis fin le 20 décembre 2007 à son détachement et qu’il a ultérieurement démissionné en août 2008 ; que de surcroît, la BSI ne démontre pas avoir signifié au salarié ses conditions de rapatriement en Iran avec sa famille, comme il est d’usage en fin de détachement, ni lui avoir proposé un nouveau poste en Iran ; que dès lors, cette rupture du fait de l’employeur, ayant été effectuée sans énonciation d’un motif en violation des dispositions de l’article L 1232-6 du code du travail, s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu’en conséquence, le Conseil dit que M. X..., salarié depuis plus de deux ans d’une entreprise occupant plus de dix salariés, est bien fondé à réclamer réparation de son préjudice sur le fondement des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail ;
1°) ALORS QUE la décision par laquelle une société étrangère met fin au détachement d’un salarié dans une filiale française et corrélativement à la suspension du contrat de travail, ne contraint pas cette filiale à mettre fin par un licenciement au contrat de travail à durée indéterminée convenu avec elle pour la durée du détachement ; qu’en la condamnant à des indemnités de rupture et à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, ensemble l’article L 1232-6 du code du travail ;
2°) ALORS EN TOUT ÉTAT DE CAUSE QUE l’acceptation par le salarié de la fin de la période de détachement dispense la filiale d’accueil de procéder à son licenciement ; qu’en jugeant le contraire sans tirer les conséquences du fait que le salarié s’était présenté à la société mère, était convenu dans différents courriers qu’il avait été mis fin à sa mission à l’étranger et, finalement, avait donné à la société mère sa démission pour convenance personnelle, d’où il résultait qu’il avait été mis fin au contrat de travail avec la filiale française d’un commun accord et en exécution du contrat de travail principal, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, ensemble l’article L 1231-1 du code du travail.
Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande de M. X... tendant à la revalorisation de son salaire pour la période de septembre 2004 à décembre 2004 ;
AUX MOTIFS QUE M. X... fait valoir que, promu directeur adjoint au mois de septembre 2004, l’augmentation de son salaire correspondant à cette promotion n’a été effective qu’en janvier 2005, de sorte qu’il a perdu 426,29 ¿ bruts par mois. Cependant, il n’a fourni aucun document contractuel justifiant l’accord de l’employeur sur le point de départ de son augmentation de salaire ; la décision de rejet de ce chef de demande par les premiers juges doit en conséquence être confirmée ;
ALORS QUE M. X... faisait valoir que l’augmentation de salaire était due à son changement de poste et à l’augmentation de son coefficient ; que le salaire était dû au regard des fonctions réellement exercées par le salarié ; qu’en s’abstenant totalement de vérifier que M. X... avait effectivement pris ses fonctions en septembre 2004, ce qui devait entraîner une application du coefficient conventionnel applicable à son salaire, la Cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1134 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande de M. X... tendant à une indemnité compensatrice de congés payés ;
AUX MOTIFS QUE le bulletin de paie de novembre 2007 de Farhad X... fait apparaître un solde de congés payés de 90 jours outre 12,48 jours de congés acquis. N’ayant perçu qu’une indemnité compensatrice de 13.592,04 ¿ bruts pour 58,5 jours de congés payés non pris, il sollicite le paiement de 10.545,51 ¿ pour le surplus. Les premiers juges ont à raison rejeté ce chef de demande après avoir constaté que le salarié ne justifiait ni avoir été empêché par l’employeur de prendre ses congés acquis, ni pouvoir bénéficier d’un accord individuel ou d’entreprise permettant le report des congés payés non pris ;
ALORS QUE la rupture du contrat, de surcroît sans cause réelle et sérieuse et sans avertissement, empêchait nécessairement le salarié de prendre le reliquat de congés payés qui lui est dû du propre aveu de l’employeur ; que la Cour d’appel a violé les articles L.3141-1 et L.3141-21 du Code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 20 septembre 2012