Marchandage - prêt illicite de main d’oeuvre oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 12 octobre 2016

N° de pourvoi : 14-26032

ECLI:FR:CCASS:2016:SO01778

Non publié au bulletin

Rejet

M. Chauvet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 9 septembre 2014), que M. X..., engagé en qualité de juriste à compter du 1er décembre 2001 par la société LPG finance industrie, holding du groupe LPG comprenant cinq filiales dont la société LPG systems, et promu au poste de responsable des ressources humaines à compter du 1er mars 2005, a présenté sa démission par lettre du 23 mars 2007 à effet du 22 juin 2007 ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes dont une demande de dommage-intérêts fondée sur le délit de marchandage dirigée contre les sociétés LPG finance industrie et LPG systems ; qu’après absorption de la société LPG finance industrie par la société LPG systems, cette dernière société est intervenue à ses droits ;

Attendu que la société LPG systems fait grief à l’arrêt de la condamner au paiement d’une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le délit de marchandage, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en se fondant exclusivement, pour retenir que la mise à la disposition du salarié au profit de la société LPG systems par la société LPG finances à compter du 1er décembre 2001 caractérisait un délit de marchandage et indemniser ce salarié au titre des années 2002 à 2007, sur les dispositions d’une convention conclue entre les sociétés LPG finances et LPG systems le 20 mars 2006, insusceptible de caractériser la nature de leurs relations pour la période antérieure à sa conclusion, la cour d’appel, qui s’est déterminée aux termes de motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8231-1 du code du travail ;

2°/ alors que le délit de marchandage n’est pas constitué s’il est établi que la spécificité de la prestation fournie justifie la mise à disposition du salarié ; qu’en se fondant, pour retenir que la mise à la disposition du salarié, employé par la société LPG finances en qualité de juriste, au profit de la société LPG systems auprès de qui il avait exercé les fonctions de directeur des ressources humaines, caractérisait un délit de marchandage, sur des motifs généraux déduits de ce que « … les prestations confiées à la société holding [par la convention du 20 mars 2006] étaient extrêmement larges puisqu’elles relevaient également du « domaine technique » dans lequel la société LPG systems, dont l’objet social était notamment « la fabrication et la vente de tout matériel médico-chirurgical et autres matériels dérivés dans le domaine de la santé ... », disposait de compétences techniques spécifiques », la cour d’appel, qui s’est déterminée aux termes de motifs inopérants au regard des spécificités de l’intervention du salarié, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8231-1 du code du travail ;

3°/ alors que subsidiairement le délit de marchandage n’est caractérisé qu’en cas de transfert du lien de subordination des salariés mis à disposition de l’entreprise utilisatrice ; qu’en l’espèce, il revenait au salarié de prouver, outre et contre les mentions de son contrat de travail et des conventions d’assistance conclues, que le lien de subordination l’unissant à la société LPG finances, caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, avait été transféré à la société LPG systems ; que la cour d’appel a retenu ce transfert aux termes de motifs, pris de ce que M. X... « … était reconnu comme le responsable des relations humaines par le personnel de cette entreprise ; que l’annuaire des entreprises Kompass intégrait même M. X... dans l’organigramme de la « direction » de la société LPG systems comme responsable des ressources humaines ; que M. X... ne se bornait pas à conseiller et assister la société LPG systems puisqu’il la représentait en justice (…), représentait le dirigeant de la société devant les instances représentatives du personnel (…) voire même contractait au nom de la société (…) ; que ces derniers exemples démontrent que M. X... recevait des consignes de la société LPG systems (…) » ; qu’en se déterminant aux termes de tels motifs, qui ne démontrent ni l’exécution d’un travail par M. X... sous l’autorité de la société LPG systems, ni que celle-ci avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner ses éventuels manquements, la cour d’appel a privé derechef sa décision de base légale au regard de l’article L. 8231-1 du code du travail ;

4°/ alors subsidiairement qu’en indemnisant le préjudice souffert par le salarié en conséquence du traitement moins favorable qui aurait été le sien par rapport aux salariés de la société LPG technologies après avoir constaté que le marchandage dont il avait, selon elle, fait l’objet l’avait placé sous la subordination de la société LPG systems, la cour d’appel, qui n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L. 8231-1 du code du travail ;

Mais attendu qu’ayant relevé que le salarié avait été mis à la disposition de la société LPG systems et placé sous son autorité, que la facturation émise par la société holding excédait le simple coût du salaire et des charges sociales, et que le salarié avait été privé des dispositifs de participation aux résultats et d’intéressement dont bénéficiaient les salariés des filiales dans lesquelles il intervenait, la cour d’appel, devant laquelle la société LPG finance industrie ne contestait pas que la convention du 20 mars 2006 poursuivait les conventions de prestations de services antérieures, en a exactement déduit qu’était établi un prêt illicite de main d’oeuvre et que le délit de marchandage était caractérisé ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société LPG systems aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société LPG systems ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société LPG systems.

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la Société LPG Systems à payer à Monsieur X... une somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts, “en réparation du préjudice occasionné par le délit de marchandage”, outre 1 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE “il est constant que durant les relations contractuelles entre la société LPG Finance Industrie et Monsieur X..., soit du 1er décembre 2001 au 22 juin 2007, la société LPG Finance Industrie faisait office de société mère d’un groupe qui comprenait les sociétés LPG Systems, LPG Technologies, Technocore, LPG Design Development et LPG Visual ; que le 20 mars 2006, la société LPG Finance Industrie a conclu avec la société LPG Systems un « contrat d’assistance et de prestations de services » pour une durée d’une année à compter du 1er janvier 2006, renouvelable par tacite reconduction ; qu’aux termes de l’article 1 du contrat, la société LPG Finance Industrie s’est engagée à fournir à sa filiale des prestations dans les domaines « financier et comptable », « technique », « des achats », « du personnel, conseils et assistance », « juridique », « informatique » ; que l’article 2 a prévu que le prestataire, c’est-à-dire la société LPG Finance Industrie, « déciderait seul du choix du personnel devant être affecté aux missions faisant l’objet de la (...) convention » et que « le personnel ne pourrait recevoir aucune directive de la part de la SOCIÉTÉ (utilisatrice) et resterait, en toute hypothèse, sous la responsabilité hiérarchique entière et exclusive du PRESTATAIRE » ; que les parties ont pris soin d’ajouter que le contrat ne « pouvait en aucun cas créer un lien de subordination entre le personnel du PRESTATAIRE et la SOCIETE caractérisant une relation salariale entre ces deux structures ou une relation d’agence commerciale, de franchisé ou de joint-venture » ;

QUE la rémunération due à la société LPG Finance Industrie a été fixée par l’article 3 dans les termes suivants :

La nature, la diversité et la fréquence des prestations susceptibles d’être réalisées en vertu des présentes ne permettent pas d’envisager une facturation au coup par coup des services rendus par le PRESTATAIRE.

En contrepartie des Prestations réalisées par le PRESTATAIRE au profit des BENEFICIAIRES au cours de l’année « n », le PRESTATAIRE percevra une rémunération globale dont le montant couvre son Budget de Fonctionnement (« BFo ») de l’année « n », majoré d’un coefficient de marge de 1,10.

La rémunération (ci-après « R ») due par la SOCIETE au titre de l’année « n » est établie de la manière suivante :

R = Bfo x [BF1/BF2] x 1,1

où Bfo représente la somme des charges d’exploitation du PRESTATAIRE (…),

BF1 représente la partie des charges d’exploitation de la SOCIETE (…)

BF2 représente le cumul des charges d’exploitation des BENEFICIAIRES (…) ;

QUE le 20 mars 2006, la société LPG Finance Industrie a conclu des « contrats d’assistance et de prestations de services » aux clauses identiques avec ses filiales LPG Technologies, Technocore, LPG Design Development et LPG Visual ;

QUE sans doute, les contrats d’assistance et de prestations de services avaient prévu qu’aucun lien de subordination ne naîtrait entre Monsieur X... et les filiales pour lesquelles il interviendrait ;

QUE [cependant] les prestations confiées à la société holding étaient extrêmement larges puisqu’elles relevaient également du « domaine technique » dans lequel la société LPG Systems, dont l’objet social était notamment « la fabrication et la vente de tout matériel médico-chirurgical et autres matériels dérivés dans le domaine de la santé ... », disposait de compétences techniques spécifiques ;

QU’il ressort des attestations produites par Monsieur X... qu’il consacrait l’essentiel de son activité à la gestion des relations humaines au sein de la société LPG Systems ; qu’il était reconnu comme le responsable des relations humaines par le personnel de cette entreprise ; que l’annuaire des entreprises Kompass intégrait même Monsieur X... dans l’organigramme de la « direction » de la société LPG Systems comme responsable des ressources humaines ; que M. X... ne se bornait pas à conseiller et assister la société LPG Systems puisqu’il la représentait en justice (annexe n° 3-2 de l’appelant), représentait le dirigeant de la société devant les instances représentatives du personnels (annexe n° 3-1), voire même contractait au nom de la société (annexe n° 3-10) ; que ces derniers exemples démontrent que Monsieur X... recevait des consignes de la société LPG Systems ; qu’il résulte de ce qui précède que Monsieur X... avait été mis à la disposition de la société LPG Systems et placé sous son autorité ;

QUE la facturation émise par la société holding excédant le simple coût du salaire (rubrique FY de la liasse fiscale) et des charges sociales (rubrique FZ), Monsieur X... est fondé à soutenir la société LPG Finance Industrie a fait bénéficier ses filiales d’un prêt illicite de main d’oeuvre à but lucratif au sens de l’article L 8241-1 du code du travail, quelle qu’ait été la qualification donnée aux relations entre société mère et filiales du groupe LPG ;

QUE l’effectif de la société LPG Systems étant supérieur à 50 salariés, ses salariés bénéficiaient de la participation aux résultats de l’entreprise instituée par les articles L.3321-1 et suivants du code du travail ; que Monsieur X... justifie que les salariés de la société LPG Technologies, dont l’effectif était inférieur à 50 salariés, bénéficiaient d’un dispositif d’intéressement ;

QU’en engageant Monsieur X... pour le mettre en permanence à la disposition de ses filiales, la société LPG Finance Industrie s’est rendue coupable du délit de marchandage institué par l’article L 8231-1 du code du travail dès lors que Monsieur X... a été privé des dispositifs de participation aux résultats et d’intéressement dont bénéficiaient les salariés des filiales dans lesquelles il intervenait et donc [a] subi un préjudice ;

QUE les données chiffrées fournies par Monsieur X... (annexes n° 4.1 à 4.6) permettent d’évaluer la participation annuelle moyenne aux résultats versée par la société LPG Systems à 1,5 fois le salaire mensuel brut et l’intéressement annuel moyen servi par la société LPG Technologies à 0,7 fois le salaire mensuel brut ; qu’il résulte des « relevés individuels cumulés » que le salaire moyen de Monsieur X... s’est établi à 3.061,58 euros en 2002, 3.379,25 euros en 2003, 3.870,83 euros en 2004, 4.328,16 euros en 2005, 4.235,91 euros en 2006 et 4.882,38 euros en 2007 ; que dans ces conditions, le préjudice financier occasionné à Monsieur X... ressort à 46.897 euros, montant qui sera arrondi à 47.000 euros ; que pour tenir notamment compte de la privation de cette somme durant plusieurs années, le préjudice global de Monsieur X..., dans ses composantes matérielles et morales, sera arrêté à 50.000 euros (…)” ;

1°) ALORS QU’en se fondant exclusivement, pour retenir que la mise à la disposition de Monsieur X... au profit de la Société LPG Systems par la Société LPG Finances à compter du 1er décembre 2001 caractérisait un délit de marchandage et indemniser ce salarié au titre des années 2002 à 2007, sur les dispositions d’une convention conclue entre les sociétés LPG Finances et LPG Systems le 20 mars 2006, insusceptible de caractériser la nature de leurs relations pour la période antérieure à sa conclusion la Cour d’appel, qui s’est déterminée aux termes de motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.8231-1 du Code du travail ;

2°) ALORS QUE le délit de marchandage n’est pas constitué s’il est établi que la spécificité de la prestation fournie justifie la mise à disposition du salarié ; qu’en se fondant, pour retenir que la mise à la disposition de Monsieur X..., employé par la Société LPG Finances en qualité de juriste, au profit de la Société LPG Systems auprès de qui il avait exercé les fonctions de directeur des ressources humaines, caractérisait un délit de marchandage, sur des motifs généraux déduits de ce que “… les prestations confiées à la société holding [par la convention du 20 mars 2006] étaient extrêmement larges puisqu’elles relevaient également du « domaine technique » dans lequel la société LPG Systems, dont l’objet social était notamment « la fabrication et la vente de tout matériel médico-chirurgical et autres matériels dérivés dans le domaine de la santé ... », disposait de compétences techniques spécifiques”, la Cour d’appel, qui s’est déterminée aux termes de motifs inopérants au regard des spécificités de l’intervention du salarié, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.8231-1 du Code du travail ;

3°) ALORS subsidiairement QUE le délit de marchandage n’est caractérisé qu’en cas de transfert du lien de subordination des salariés mis à disposition de l’entreprise utilisatrice ; qu’en l’espèce, il revenait à Monsieur X... de prouver, outre et contre les mentions de son contrat de travail et des conventions d’assistance conclues, que le lien de subordination l’unissant à la Société LPG Finances, caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, avait été transféré à la Société LPG Systems ; que la Cour d’appel a retenu ce transfert aux termes de motifs, pris de ce que Monsieur X... “… était reconnu comme le responsable des relations humaines par le personnel de cette entreprise ; que l’annuaire des entreprises Kompass intégrait même Monsieur X... dans l’organigramme de la « direction » de la société LPG Systems comme responsable des ressources humaines ; que M. X... ne se bornait pas à conseiller et assister la société LPG Systems puisqu’il la représentait en justice (…), représentait le dirigeant de la société devant les instances représentatives du personnels (…) voire même contractait au nom de la société (…) ; que ces derniers exemples démontrent que Monsieur X... recevait des consignes de la société LPG Systems (…)” ; qu’en se déterminant aux termes de tels motifs, qui ne démontrent ni l’exécution d’un travail par Monsieur X... sous l’autorité de la Société LPG Systems, ni que celle-ci avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner ses éventuels manquements la Cour d’appel a privé derechef sa décision de base légale au regard de l’article L.8231-1 du Code du travail ;

4°) ALORS subsidiairement QU’en indemnisant le préjudice souffert par Monsieur X... en conséquence du traitement moins favorable qui aurait été le sien par rapport aux salariés de la Société LPG Technologies après avoir constaté que le marchandage dont il avait, selon elle, fait l’objet l’avait placé sous la subordination de la Société LPG Systems la Cour d’appel, qui n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L.8231-1 du Code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Grenoble , du 9 septembre 2014