Délit unitaire - point 12

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 28 juin 2022, 21-86.487
N° de pourvoi : 21-86.487
ECLI:FR:CCASS:2022:CR00830
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mardi 28 juin 2022
Décision attaquée : Cour d’appel d’Angers, du 12 août 2021

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° S 21-86.487 F-D

N° 00830

ODVS
28 JUIN 2022

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 JUIN 2022

M. [W] [I] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel d’Angers, chambre correctionnelle, en date du 12 août 2021, qui, pour travail dissimulé, abus de biens sociaux, banqueroute et escroquerie, l’a condamné à trente mois d’emprisonnement, cinq ans d’interdiction professionnelle, cinq ans d’inéligibilité et a prononcé des mesures de confiscation.

Un mémoire a été produit

Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [W] [I], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d’une enquête diligentée par le procureur de la République, M. [W] [I] a été mis en cause, en qualité d’ancien directeur de la société placée en redressement puis en liquidation judiciaire dite [1] ([1]), dont M. [Z] [E] était le président, comme susceptible d’avoir participé à des faits de travail dissimulé, escroquerie, abus de biens sociaux, banqueroute et recel d’escroquerie.

3. M. [I] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de ces chefs. Par jugement du 20 décembre 2019, le tribunal l’a relaxé pour les faits de recel d’escroquerie mais l’a déclaré coupable des autres chefs de poursuite.

4. Le prévenu a interjeté appel. Le ministère public a interjeté appel incident.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

5. Il n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [I] coupable de travail dissimulé par dissimulation d’activité, au sens de l’article L. 8221-3 du code du travail, alors :

« 1°/ que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu’ils ont été retenus dans l’acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d’être jugé sur des faits nouveaux ; qu’en l’espèce, aux termes de la convocation par procès-verbal du 22 mars 2019, qui seule fixe les limites de la prévention, il est reproché à M. [I] d’avoir, entre le 1er janvier 2017 et le 19 mars 2019, intentionnellement exercé dans un but lucratif une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestations de services, ou accompli des actes de commerce, en l’espèce en exerçant l’activité de directeur général de la société [1], en ne procédant pas aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale ; que ces faits caractérisent le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité, prévu à l’article L. 8221-3, 2°, du code du travail, dont les éléments constitutifs sont distincts de ceux de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié qui, selon l’article L. 8221-5 du même code, incrimine le fait, pour tout employeur, soit de se soustraire à l’accomplissement de la formalité de la déclaration préalable à l’embauche, soit de se soustraire à la délivrance d’un bulletin de paie ou de mentionner sur ce bulletin un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, soit de se soustraire aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales ; qu’en l’espèce, pour déclarer le demandeur coupable de travail dissimulé, la cour d’appel a relevé que plusieurs personnes ayant été embauchées par la société [1], dont M. [I] était le directeur général, n’ont fait l’objet d’aucune déclaration préalable à l’embauche et ont ensuite été rémunérées au moyen de sommes d’argent prélevées sur le compte bancaire de Mme [N] ; qu’en relevant ainsi à la charge de l’exposant des faits non visés à la prévention, et alors qu’il ne résulte pas des mentions de la décision entreprise que l’intéressé ait accepté d’en répondre, la cour d’appel a violé l’article 388 du code de procédure pénale ;

2°/ que le fait, pour tout employeur, soit de se soustraire à l’accomplissement de la formalité de la déclaration préalable à l’embauche, soit de se soustraire aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales, ne caractérise pas l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité, prévue par l’article L. 8821-3 du code du travail, mais celle de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, prévue par l’article L. 8221-5 du même code ; qu’ainsi, en se déterminant par la seule circonstance que plusieurs personnes ayant été embauchées par la société [1], dont M. [I] était le directeur général, n’ont fait l’objet d’aucune déclaration préalable à l’embauche et ont ensuite été rémunérées au moyen de sommes d’argent prélevées sur le compte bancaire de Mme [N], pour en déduire que de tels agissements constituent le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité, prévu à l’article L. 8221-3 du code du travail, la cour d’appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé le texte susvisé, ensemble l’article L. 8221-5 du code du travail ;

3°/ que l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié ne peut être constituée qu’à la condition que soient identifiés les salariés ayant été employés sans déclaration préalable à l’embauche ou rémunérés sans bulletins de paie ; qu’en l’espèce, pour dire caractérisé à la charge de l’exposant le délit de travail dissimulé, la cour d’appel s’est bornée à relever que « plusieurs personnes » ayant été embauchées par la société [1], dont M. [I] était le directeur général, n’ont fait l’objet d’aucune déclaration préalable à l’embauche et ont ensuite été rémunérées au moyen de sommes d’argent prélevées sur le compte bancaire de Mme [N] ; qu’en statuant ainsi, sans identifier les « personnes » ainsi embauchées par la société [1] pendant la période de la prévention, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 8221-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Pour déclarer le prévenu coupable du chef de travail dissimulé, l’arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, que M. [E] et M. [I] ont été poursuivis en leurs qualités respectives de président et directeur général de la société [1].

8. Les juges relèvent qu’il résulte des pièces du dossier, en particulier du témoignage de Mme [F], employée par la société [1] en qualité de secrétaire, que vingt-quatre personnes ayant été embauchées à durée déterminée par ladite société, pour de très courtes périodes, n’ont fait l’objet d’aucune déclaration préalable à l’embauche et ont, par suite, été rémunérées au moyen de sommes d’argent prélevées sur le compte bancaire personnel de Mme [D] [N], épouse de M. [I].

9. Ils relèvent qu’il est constant qu’aucune déclaration fiscale n’a été faite par les dirigeants à l’administration fiscale.

10. Ils concluent en retenant que M. [E] et M. [I] ne contestent pas leur responsabilité, même si M. [E] tend à minimiser le nombre de salariés concernés.

11. En l’état de ces seuls motifs, la cour d’appel a justifié sa décision.

12. En effet, le travail dissimulé étant un délit défini de façon unitaire par l’article L. 8221-1 du code du travail, il peut être caractérisé quelles que soient les omissions déclaratives dont s’est rendu coupable la personne poursuivie.

13. En outre, la déclaration préalable à l’embauche dont l’omission est reprochée au prévenu est comprise dans les déclarations aux organismes sociaux qui ont été visées à la prévention de travail dissimulé par dissimulation d’activité.

14. Enfin, l’identification précise des salariés n’est pas nécessaire à la caractérisation de l’infraction de travail dissimulé dès lors que le délit est consommé lorsque l’omission des obligations déclaratives correspondant à l’une ou l’autre des formalités prévues par l’article L. 8221-5 du code du travail est relevée à l’égard d’un seul salarié, dès le premier jour de l’embauche.

15. Le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il condamné M. [I] à la peine de trente mois d’emprisonnement sans sursis, alors « que le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur, de sa situation matérielle, familiale et sociale ainsi que du caractère inadéquat de toute autre sanction ; qu’en l’espèce, pour condamner le demandeur à la peine de trente mois d’emprisonnement ferme, la cour d’appel s’est bornée à énoncer que le nombre et la gravité des délits commis, qui ont porté une atteinte frontale à plusieurs des normes fondamentales qui encadrent la vie économique, la personnalité de leur auteur, qui a déjà fait l’objet de deux condamnations à des peines d’emprisonnement ferme pour les infractions économiques spécifiées ci-dessus et n’a tiré aucun enseignement de celles-ci, ainsi que sa situation matérielle, familiale et sociale, en particulier le fait qu’il a profité de l’influence exercée sur son épouse pour déterminer celle-ci à commettre des actes d’aide et d’assistance à son activité délictueuse, exposant celle-ci à une condamnation pénale, rendent indispensable, en dernier recours, une peine d’emprisonnement sans sursis, toute autre sanction étant manifestement inadéquate ; qu’en se bornant ainsi à paraphraser la loi, sans mieux s’expliquer sur le caractère inadéquat de toute autre sanction que l’emprisonnement ferme, et notamment sans mieux préciser la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 132-19 du code pénal. »

Réponse de la Cour

17. Pour prononcer la peine de trente mois d’emprisonnement sans sursis, l’arrêt attaqué énonce que M. [I], âgé de 44 ans, déclare être marié, avoir six enfants et suivre une formation d’installateur en réseaux de télécommunications.

18. Les juges ajoutent que son casier judiciaire mentionne quatre condamnations, prononcées entre juillet 2007 et janvier 2017, M. [I] ayant été condamné, les 6 juillet et 31 juillet 2007, notamment pour escroquerie, tentative et recel de ce délit, vol et recel de ce délit, à deux peines d’emprisonnement qu’il a achevé d’exécuter, après détention provisoire, le 17 septembre 2007.

19. Ils en déduisent que le nombre et la gravité des délits commis, qui ont porté une atteinte frontale à plusieurs des normes fondamentales qui encadrent la vie économique, la personnalité de leur auteur, qui a déjà fait l’objet de deux condamnations à des peines d’emprisonnement ferme pour des infractions économiques et n’a tiré aucun enseignement de celles-ci, ainsi que sa situation matérielle, familiale et sociale, en particulier le fait qu’il a profité de l’influence exercée sur son épouse pour déterminer celle-ci à commettre des actes d’aide et d’assistance à son activité délictueuse, exposant celle-ci à une condamnation pénale, rendent indispensable, en dernier recours, une peine d’emprisonnement sans sursis, toute autre sanction étant manifestement inadéquate.

20. Ils concluent que la peine de deux ans d’emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel étant insuffisamment dissuasive, il convient d’en élever le quantum à trente mois, cette peine, d’un quantum supérieur à deux ans d’emprisonnement, n’étant pas susceptible d’aménagement ab initio.

21. En prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision.

22. Le moyen doit être écarté.

23. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit juin deux mille vingt-deux.ECLI:FR:CCASS:2022:CR00830